Interview de M. Olivier Besancenot, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire, à "France 2" le 19 mars 2004, sur certains points du programme de la LCR, associée à Lutte ouvrière, pour les élections régionales, notamment l'interdiction des licenciements.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q- R. Sicard-. Avec A. Laguiller, vous appelez à sanctionner le Gouvernement. C'est aussi ce que disent les socialistes. Et pourtant, vous refusez toute alliance avec eux. En disant cela, ne risquez-vous pas, en fait, de donner un bon coup de main au Gouvernement ?
R- "Non, je ne pense pas. Et d'ailleurs, je ne pense pas que le Gouvernement pense cela. Nous, nous ne proposons pas de sanctionner la politique du Gouvernement de droite, on propose de ne pas amnistier pour autant la gauche plurielle qui a un bilan qui malheureusement n'a pas permis de faire la différence pour la vie quotidienne de millions de personnes. Donc, si on se présente à ces élections, c'est pour proposer une autre répartition des richesses, qui permettrait l'amélioration concrète de la vie quotidienne, à la fois pour les services publics, pour la construction de crèches, de logements. Et puis, surtout, surtout, surtout pour arrêter de donner de subventions publiques faramineuses à des groupes qui peuvent faire des bénéfices et qui licencient quand même. Des subventions qui partent par le biais des Conseils régionaux très souvent."
Q- Cela, c'est un de point de votre programme, mais il y a quand même des cas où les aides des Conseils régionaux aux entreprises cela peut créer des emplois.
R- "Ecoutez, il faudrait m'en montrer les exemples, parce que, très malheureusement, on le sait peu, il y a un exemple en ce moment comme ST-Microélectronique, qui est un exemple national. ST-Microélectronique est en train de laisser actuellement 600 personnes sur le carreau à Rennes. C'est une entreprises qui fait des bénéfices. L'Etat détient 17 % du capital, continue à inonder de millions d'euros de subventions publiques les autres sites de STM, en Paca, en Isère, à Tours, et on a des pouvoirs publics qui nous expliquent ne rien pouvoir faire, c'est-à-dire, ne pas pouvoir interdire les licenciements. Nous, on dit une chose simple : si les pouvoirs publics sont en capacité de donner ces sommes d'argent, les pouvoirs publics devraient être en capacité de récupérer cet argent pour permettre à la production de continuer."
Q- C'est un des autres points de votre programme : l'interdiction des licenciements. Mais entre nous, si c'était efficace, cela n'aurait-il pas déjà été fait, parce que le chômage, pas un homme politique n'est pour ?
R- "Non, mais en attendant, il faudrait avoir la volonté de s'en prendre un minimum au pouvoir des actionnaires. On nous parle souvent des délocalisations dans les pays du tiers monde, ce sont des cas qui existent, on est bien placé pour le savoir, mais on intervient sur la question des licenciements..."
Q- Que peut faire une loi contre le licenciement contre cela ?
R- "Concrètement, c'est utiliser les subventions publiques comme un moyen de pression, précisément, pour imposer aux actionnaires le maintien de l'emploi et de l'activité industrielle sur une région, sous peine, oui, de récupérer ces subventions publiques faramineuses. Alors le débat, c'est que l'on nous explique que ce sera de l'ingérence dans l'économie privée, c'est ce qu'explique le patronat. Mais l'on ne nous parle jamais d'ingérence quand il s'agit de donner, par exemple, 400 000 francs par emploi à un groupe comme Daewoo qui a laissé 500 personnes sur le carreau. Et puis vous savez..."
Q- Non, non, mais cela c'est autre chose. Récupérer des subventions c'est une idée, mais vous, votre deuxième idée, c'est d'interdire, purement et simplement, les licenciements.
R- "En utilisant les subventions publiques comme un moyen de pression, c'est ce que je suis en train de vous expliquer. Retirer tout ce qui est aujourd'hui légalement..."
Q- Vous ne faites pas une loi qui dit : "les licenciements c'est interdit". Simplement, vous récupérez les subventions lorsqu'elles n'ont pas été utilisées pour l'emploi.
R- "D'abord, légalement, permettre effectivement l'interdiction des licenciements, mais il faut savoir comment le faire. Puisque l'exemple que l'on nous explique est que, précisément, tous les groupes partiraient pour les pays du tiers monde. Je suis en train de vous expliquer qu'aujourd'hui, c'est seulement sur le territoire que cela se passe. C'est-à-dire que l'on a des groupes qui vont d'un conseil régional à un autre, taper à la porte pour toucher les bonnes subventions publiques, et c'est ce qui se passe. Ils les touchent, ils laissent deux-trois ans, ils laissent en général des centaines d'emplois sur le carreau, ils ne vont pas à 10 000 km, ni à 5 000 km en général. Ils vont à 50 km, à côté, au Conseil régional d'à côté. C'est pour cela qu'il faudrait une loi effectivement nationale et même européenne d'ailleurs."
Q- Le problème d'une loi, on l'a vu avec "les patrons-voyous", c'est que ces derniers, les lois, ils les respectent pas de toute façon. Quelle est l'efficacité ?
R- "C'est le débat politique. C'est de savoir, si oui ou non, les pouvoirs publics ont encore un rôle à jouer face aux actionnaires. On se rappelle de l'affaire Michelin. Jospin nous expliquait que l'Etat ne pouvait pas tout face aux actionnaires. Je pense que les décisions sociales, les décisions qui touchent à l'emploi, ne devraient pas échapper au contrôle des assemblées démocratiquement élues. Donc, oui, si la politique veut être réhabilitée précisément, eh bien les pouvoirs publics devraient être en capacité de ne pas démissionner. On parle beaucoup de l'abstention. Pourquoi les gens ne croient plus à la politique ? Parce que leur vie quotidienne a été décidée en général par une poignée d'individus, quelques actionnaires. Leur vie concrète. Donc, on a des candidats d'extrême droite, de droite et de gauche, libérale, qui nous expliquent : "votez pour moi, mais de toute façon je ne pourrai rien faire face aux actionnaires". Eh bien, je pense que la politique doit pouvoir faire face aux actionnaires, que ce soit pour la question des licenciements ou pour la question des services publics plus généralement."
Q- Mais vous à l'extrême gauche, LO et LCR, vous dites : votez pour nous, mais en même temps, lorsque vous êtes élus, vous voulez participer d'aucune action de gestion. Donc, cela ne sert pas à grand chose non plus.
R- "Là, vous allez un petit peu vite en besogne. J'espère que les chômeurs de Midi-Pyrénées nous écoutent. Les chômeurs de Midi-Pyrénées font partie des rares qui sont dans une région où les transports collectifs sont gratuits pour eux, parce que, précisément, les élus révolutionnaires ont fait cette proposition à la différence des autres régions, ils ont réussi à convaincre, appuyés par les mobilisations sociales des chômeurs. Ce que l'on a fait en Midi-Pyrénées, on devrait être en capacité de le faire dans l'ensemble des régions. Et plus globalement, on pourrait obtenir la gratuité des transports pour tous. A savoir, qu'une mesure comme la gratuité des transports pour tous, nécessiterait environ 600 millions d'euros - d'après les chiffres des organismes ferroviaires eux-mêmes."
Q- C'est quand même le contribuable qui va payer, parce qu'il faudra bien que quelqu'un paye.
R- "Non, je propose que ce soit le patronat qui paye. 600 millions d'euros, c'est ce que le Gouvernement a trouvé en quelques secondes pour venir en aide aux deux patrons, vous savez, dans l'affaire Executive Life ! Eh bien, ce que l'on a donné au patronat, on devrait être probablement en capacité de le donner et permettre à chacun de se déplacer de façon gratuite."
Q- Reconnaissez qu'au bout du compte, c'est toujours le contribuable qui paye, quel que soit le bénéficiaire.
R- "Non. Aujourd'hui, le problème est plus précisément, par le biais des Conseils régionaux et du Gouvernement, il y a une répartition des richesses qui est scandaleuse. Je suis en train de vous expliquer les subventions publiques : c'est l'argent de nos impôts ! Cet argent-là part effectivement à des actionnaires. Dans la répartition des richesses, c'est de plus en plus inégalitaire. Sachez qu'en un peu plus de 20 ans, c'est 120 milliards d'euros que l'on a volés au monde du travail dans la répartition des richesses, sous formes d'exonérations de cotisations patronales ou de subventions directes. Et la droite, aujourd'hui, propose de généraliser cette méthode-là, en transformant le rôle du budget de l'Etat en une espèce de grand portefeuille dans lequel le patronat n'a plus qu'à se baisser. Eh bien ma politique, c'est le contraire exact de la politique de la droite."
Q- Parmi les actionnaires dont vous parlez, il y a aussi des petits actionnaires, qui ont mis leur argent en Bourse, notamment par les PEA. Que va-t-il se passer pour eux si on applique votre programme ?
R- "Nous, notre politique propose de s'en prendre aux plus gros actionnaires de toute façon. On pourrait prendre les exemples les plus criants : Vivendi Universal, dont on reparle un peu actuellement..."
Q- Il y a beaucoup de petits actionnaires chez Vivendi.
R- "Oui, je suis bien placé pour le savoir. Malheureusement..."
Q- Vous avez des actions ?
R- "Non, mais il y a quelques postiers qui s'étaient aventurés, à l'époque, sous pression médiatique et politique, à acheter des actions de France Télécom par exemple. Ils s'en mordent les doigts, d'abord comme actionnaires, et d'abord comme salariés, parce qu'ils voient ce qui arrive à leur petits collègues de France Télécom, c'est-à-dire, la privatisation des services publics que, là aussi le Gouvernement propose de généraliser. On va bientôt privatiser EDF. La privatisation d'EDF va être une catastrophe. Je pense que l'énergie est un droit absolu. Et puis on va fermer aussi des bureaux de Poste. Je voudrais vous dire qu'une agence d'EDF, un bureau de Poste, une école, un hôpital, ce n'est pas fait pour être rentable, ce n'est pas fait pour être coté en Bourse. C'est fait pour satisfaire les besoins élémentaires de la population."
Q- Revenons à vos rapports avec la gauche classique. Donc, vous refusez toute alliance. Cela veut dire que pour le deuxième tour, vous ne donnerez aucune consigne ?
R- "D'abord, on ne refuse pas toute alliance. On a proposé depuis longtemps de se regrouper dans l'action face à la politique de la droite. C'est un petit climat social. Il y a depuis plusieurs mois des millions de personnes qui, à un moment ou à un autre, se sont opposées à la politique du patronat. On peut s'opposer ensemble à droite, mais je crois que l'on ne peut pas proposer ensemble à gauche. Je ne veux pas cogouverner avec un Strauss-Kahn, un Fabius qui proposent, là aussi, de libéraliser les services publics. Donc, pour le deuxième tour, on a décidé de ne pas donner de consignes de vote. Sauf..."
Q- C'est plutôt une bonne nouvelle pour le Gouvernement, franchement ?
R- "Je vous laisse libre de vos propos. Ce que je voudrais vous dire, c'est qu'en tous les cas, dès qu'il y aura le moindre risque de victoire du FN, là, dans une région, on appelle clairement à voter à gauche. Dans les autres cas, on ne donne pas de consignes de vote. Ne pas donner de consignes de vote, ce n'est pas un appel à l'abstention. Nos électeurs, je vais vous faire un scoop, ne votent pas à droite au deuxième tour. Il y a une partie qui vote à gauche et puis il y a aussi une partie qui ne veut plus le faire. Je n'oblige ni les uns, ni les autres à faire quoi que ce soit. Je n'empêche même pas la gauche d'aller gagner des voix dans les couches populaires."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 mars 2004)