Texte intégral
Monsieur le Président,
Messieurs les Rapporteurs
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Merci, Monsieur le Président, de votre invitation à me rendre parmi vous aujourd'hui pour vous entendre et vous parler de la stratégie de Lisbonne. Permettez-moi avant tout de saluer l'implication de chacun d'entre vous dans les dossiers européens, et de remercier tout particulièrement les rapporteurs d'aujourd'hui, MM. Hubert Bouchet et Henri Feltz, pour leurs excellents travaux.
Je me réjouis d'autant plus de cette première rencontre qu'elle s'inscrit pleinement dans la volonté qui est celle du gouvernement de mieux associer les Français aux processus de décision européens, et je suis pour ma part convaincue que le Conseil économique et social a un rôle clé à jouer dans cette ambition.
Je souhaite aujourd'hui aborder trois sujets avec vous. D'abord, les grandes orientations possibles pour mieux associer les Français aux processus de décision européens. Ensuite, la stratégie de Lisbonne elle-même, et les prochaines échéances qui nous attendent. Dans ce cadre, je vous présenterai le programme national de réformes français, qui sera bientôt transmis à la Commission et soumis à l'avis de votre Conseil. Enfin, je vous dirai quelques mots du prochain Conseil européen de Hampton court.
Permettez-moi d'abord d'évoquer les travaux que nous avons entrepris depuis le mois de juin. Nous devons réaffirmer que notre projet est celui d'une Europe politique, ambitieuse et solidaire et répondre par des politiques concrètes aux préoccupations quotidiennes des Français, à commencer par l'emploi. Mais il nous faut également leur proposer une autre façon de construire l'Europe, qui les associe mieux aux décisions relatives à leur avenir. Il y a sur ce point une attente très forte, que je constate à l'occasion de chacun de mes déplacements en région.
Le Premier ministre a ainsi décidé dès la fin du mois de juin la mise en place de comités interministériels sur l'Europe. Ces comités réunissent les principaux ministres concernés sous sa présidence et se tiennent une fois par mois. Ils visent à redonner toute sa place au politique dans la conduite de notre action européenne, c'était indispensable, à renforcer la coordination gouvernementale et à mieux anticiper sur les enjeux à venir.
Mais il faut aller plus loin. C'est pourquoi, le 29 août dernier, dans son discours devant les ambassadeurs de France réunis, le président de la République a demandé que non seulement le Parlement français mais aussi les collectivités territoriales, les partenaires sociaux et la société civile soient davantage associés aux processus de décision européens. Le Premier ministre fera prochainement des propositions en ce sens au président de la République.
Le Parlement a naturellement un rôle essentiel à jouer dans cet effort que nous devons mener au quotidien pour que nos concitoyens voient que l'Europe les aide, les rend plus forts, les protège. Certaines initiatives ont d'ores et déjà été prises pour mieux associer le Parlement français : il pourra désormais se prononcer sur un plus grand nombre de textes européens; par ailleurs, des sessions de sensibilisation aux problématiques européennes vont être proposées aux parlementaires dans le cadre de déplacements à Bruxelles et à Strasbourg.
Il a aussi été décidé, lors du précédent Comité interministériel sur l'Europe, de créer bientôt un nouveau site portail interactif sur l'Europe, qui sera la tête de réseau de l'ensemble des sites publics et associatifs. Enfin, j'ai entamé ce mois-ci une série de rencontres avec les partenaires sociaux français et européens pour recueillir leurs propositions et pour échanger avec eux sur les grands dossiers européens du moment. Ils ont accepté le principe d'une réunion au début de chaque nouvelle présidence de l'Union européenne, comme je leur en ai fait la proposition, afin que je puisse connaître leurs positions sur les priorités affichées par la présidence. Cela ne se faisait pas jusqu'ici ; je crois qu'il est désormais utile de le faire.
Dans ce contexte, le Conseil économique et social a aussi un rôle important à jouer. Par la qualité de ses avis, il permet d'ores et déjà d'éclairer les autorités publiques sur leurs choix européens, qu'il s'agisse des grandes orientations ou du détail de certaines législations intéressant particulièrement les partenaires sociaux et la société civile. Je note que l'engagement du Conseil économique et social dans les sujets européens a été constant et s'accroît encore, comme en témoignent les avis rendus, par exemple sur la stratégie de Lisbonne, et nous en reparlerons tout à l'heure. A l'avenir, il me semble que nous devrons davantage encore recourir à la saisine du Conseil économique et social sur des dossiers européens importants. Le programme national de réformes, dont vous serez prochainement saisis par le Premier ministre, pourrait être un premier pas dans cette direction. Je sais aussi quelle est l'implication de plusieurs membres de votre assemblée dans les débats et les travaux du Comité économique et social européen et je tiens à les en remercier ici.
J'en viens maintenant à la stratégie de Lisbonne elle-même. Je voudrais que l'on dise davantage et que l'on comprenne mieux l'importance de cette stratégie pour le projet européen. Pour faire avancer ce projet, nous devons faire en sorte que l'Europe retrouve la confiance de nos concitoyens. Et pour cela, il faut que l'Europe réponde à leurs préoccupations par des politiques concrètes. Quelle est la préoccupation première des Français ? L'emploi et la croissance, comme l'a rappelé le président de la République jeudi dernier à Lyon. C'est pourquoi le gouvernement en fait l'axe principal de son action, y compris au plan européen. Or c'est précisément l'emploi et la croissance qui sont au cur de la stratégie de Lisbonne.
Reconnaissons-le, nous sommes encore loin d'avoir fait de l'Europe la zone la plus compétitive du monde, comme nous nous en étions fixé l'objectif lorsque la stratégie de Lisbonne avait été élaborée, il y a cinq ans. Cette stratégie initiale est la bonne mais elle souffrait de deux défauts. Premier défaut, l'absence de hiérarchisation des priorités. Pour reprendre une expression souvent employée, Lisbonne traitait de tout, et donc de rien. Second défaut, une mobilisation toute relative des Etats : les rapports dits de Lisbonne étaient volumineux, nombreux, et donnaient lieu à des tableaux de classement plutôt qu'à un échange d'expériences concrètes. Au niveau national, la stratégie de Lisbonne n'a pas fait jusqu'à présent l'objet d'une appropriation réelle dans les Etats membres.
C'est pourquoi le Conseil européen de printemps de 2005 a révisé la stratégie de Lisbonne en poursuivant deux objectifs qui nous donnent globalement satisfaction.
Premier objectif, mieux définir les priorités, afin de favoriser la croissance et l'emploi au service de la cohésion sociale. Il ne s'agissait pas, dans notre esprit, de minimiser les volets sociaux et environnementaux de Lisbonne. La France et le président de la République ont pesé de tout leur poids pour que ces dimensions soient réaffirmées. Mais il ne fait pas de doute que la croissance et l'emploi sont des facteurs essentiels de cette cohésion sociale. Ces nouvelles orientations pour la stratégie de Lisbonne se sont traduites par l'approbation, par le Conseil européen des 16 et 17 juin, de "lignes directrices intégrées 2005-2008", qui constituent l'instrument européen de mise en uvre de la stratégie de Lisbonne révisée.
Deuxième grand objectif du Conseil de printemps 2005, favoriser l'appropriation des objectifs de Lisbonne par les Etats membres à travers une "nouvelle gouvernance", incarnée au plan national par les "programmes nationaux de réformes".
Chaque Etat membre s'est ainsi engagé à produire pour l'automne 2005 un programme national de réformes synthétisant, dans un document d'une quarantaine de pages, les réformes qu'il envisage de mener dans le cadre des lignes directrices intégrées à horizon de trois ans.
Ces programmes nationaux, ou PNR, visent en fait trois objectifs : d'une part, simplifier, puisqu'ils se substituent aux rapports sur la mise en oeuvre des grandes orientations de politique économique et lignes directrices pour l'emploi. D'autre part, mettre ces politiques en cohérence dans un seul document commun, alors qu'elles faisaient jusqu'à présent l'objet d'un traitement séparé. Enfin, améliorer l'appropriation de la stratégie de Lisbonne par une meilleure consultation des partenaires - partenaires sociaux, collectivités locales, société civile - sur ces PNR.
C'est pourquoi je ne peux que me féliciter de la grande qualité des travaux que vous avez rendus aujourd'hui. Ils répondent précisément à cet impératif de consultation et peuvent nous donner des pistes pour la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne.
Sur les politiques économiques, l'avant-projet d'avis du Conseil économique et social rejoint les positions défendues par la France au plan européen lorsqu'il estime nécessaire d'utiliser l'ensemble des leviers de la croissance ou lorsqu'il estime également indispensable de renforcer la coopération européenne en matière économique.
Sur l'économie de la connaissance, le projet d'avis est également largement en phase avec les positions du gouvernement, ainsi qu'avec les initiatives prises au niveau national en vue de renforcer la société de la connaissance : je relève notamment l'importance conférée à la formation tout au long de la vie ; l'effort accru en matière de R D, notamment à travers une meilleure coopération public-privé ; et l'importance de la stratégie industrielle.
Enfin, je sais que le Conseil économique et social travaille sur un projet de communication sur le pacte européen pour la jeunesse, qui a également été adopté par le Conseil européen de printemps à la demande de la France. La réflexion sur l'enjeu démographique doit se poursuivre, notamment sur la base du Livre vert de la Commission sur les "mutations démographiques" du 16 mars 2005. La contribution que vous avez adoptée sur le pacte européen pour la jeunesse vient donc à point nommé. En particulier, le thème de la conciliation de la vie familiale, personnelle et professionnelle des jeunes est tout particulièrement porté par la France au niveau européen dans le cadre des travaux sur l'enjeu démographique.
J'en viens maintenant au programme national de réforme français intitulé "pour une croissance sociale". Ce PNR a été validé au plan politique par le comité interministériel pour l'Europe qui s'est tenu le 11 octobre. Il devrait être bientôt transmis à la Commission, qui attendait les PNR pour le 15 octobre.
Le PNR a été présenté aux partenaires sociaux le 21 octobre par le ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, M. Borloo, dans le cadre du Comité du dialogue social sur les questions européennes et internationales (CDSEI) et je présente ce même projet aujourd'hui à votre Conseil, qui sera bientôt saisi officiellement pour avis par le Premier ministre. Le Parlement sera également consulté. Ces consultations se déroulent dans des délais courts, dans la mesure où il s'agit cette année du premier exercice du genre, mais j'ai conscience que nous devrons faire mieux les années suivantes. En tout état de cause, nous transmettrons à la Commission européenne les commentaires des partenaires sociaux et du Conseil économique et social.
Que dit ce PNR ? Il fixe un cap pour les trois années à venir, celui de la croissance sociale. Cette ambition sous-tend l'ensemble du document, qui se compose de trois parties : première partie, créer les conditions d'une croissance sociale, deuxième partie, la bataille pour l'emploi au service de la croissance sociale, troisième partie, construire l'économie de la connaissance.
Quelles sont les conditions d'une croissance sociale ? Il s'agit d'abord de permettre à notre économie d'atteindre une croissance soutenue. Nous avons des défis nouveaux et d'envergure à relever, tels que le vieillissement démographique ou l'accélération de la mondialisation. Pour y faire face, nous devons retrouver des marges de manuvre budgétaires en enrayant la dynamique de la dette publique, en assurant la viabilité de notre modèle social, à laquelle contribuent la réforme des retraites de 2003 et celle de l'assurance-maladie de 2004, et en poursuivant la réforme de la gestion des finances publiques engagée avec la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Autre condition d'une croissance sociale, la promotion d'une croissance qui profite à tous, en partageant équitablement les fruits de la croissance, en valorisant le travail et l'activité, en facilitant la vie des entreprises.
La renégociation des grilles de salaires minima, la réforme de l'impôt sur le revenu annoncée par le gouvernement, la simplification de la charge réglementaire correspondent à cet impératif. Enfin, une croissance sociale est également respectueuse de l'environnement : le PNR expose ainsi les grands axes de réformes destinées à lutter contre le changement climatique, à réduire les pollutions locales et à prévenir les risques sanitaires liés aux pollutions.
Deuxième axe du PNR : la bataille pour l'emploi. On le sait, la différence de niveau de vie entre les Etats-Unis et la France s'explique moins par une différence d'efficacité productive que par une différence dans la mobilisation du travail qui se matérialise par un taux d'emploi de 71 % aux Etats-Unis contre 63 % en France. C'est pourquoi la mobilisation pour l'emploi est au cur du PNR. Elle passe d'abord par des politiques pour développer l'emploi ou faciliter le retour à l'emploi, mais aussi des réformes pour améliorer le fonctionnement du marché du travail, par exemple avec l'introduction du contrat nouvelle embauche qui connaît un vrai succès - 100.000 contrats signés en trois mois, comme l'a annoncé récemment le Premier ministre. Elle suppose également de faciliter l'insertion, notamment professionnelle, des jeunes, et donc d'importants efforts d'éducation et de formation. Enfin, nous devons permettre aux Français qui le veulent de travailler plus pour plus de croissance : c'est notamment l'enjeu de la bataille pour l'emploi des seniors, dont le taux d'emploi - 37 % en 2003 - est encore très insuffisant.
Troisième grand axe du PNR : l'économie de la connaissance. Le PNR confirme le renouveau de la politique industrielle et sa conjugaison avec la politique territoriale dans la politique des pôles de compétitivité. Il s'attache également à développer la recherche et l'efficacité du cofinancement privé-public en ayant recours aux organismes nouveaux dont s'est dotée la France ces derniers mois : Agence nationale de la recherche, Agence pour l'innovation industrielle, Oséo-Anvar. Il convient également de rappeler l'importance d'un fonctionnement sain des marchés et du secteur financier, qui doit contribuer à l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages. Enfin, l'économie de la connaissance passe également par le développement des technologies de l'information et de la communication et celui des grandes infrastructures, notamment de transport.
La stratégie de Lisbonne ne se résume pas aux seuls programmes nationaux de réformes ni au seul exercice de comparaison de réformes nationales. Dans un certain nombre de domaines, il nous faudra progresser dans l'intégration et l'harmonisation au niveau européen. Il en va ainsi de l'achèvement du marché intérieur, mais aussi des progrès dans l'harmonisation fiscale et sociale, pour lesquels l'Union européenne peut et doit se doter de législations communes contribuant à son intégration économique. De même, la France plaide et continuera de plaider pour une amélioration de la gouvernance économique, au premier chef dans la zone euro avec le renforcement de l'eurogroupe dans le respect de l'indépendance de la BCE. L'Europe des projets, celle d'Airbus, Galileo ou Iter, est également le reflet de cette ambition. Enfin, comment ne pas mentionner ici l'urgence à ce que l'Europe se dote enfin d'un budget pour la période de 2007 à 2013, pour financer les politiques actuelles, pour développer les politiques nouvelles et pour financer l'Europe élargie ? La France y était prête en juin déjà. Il revient maintenant à la présidence britannique de prendre ses responsabilités et de parvenir à un accord aussi vite que possible. Sans budget, comme l'a rappelé le Premier ministre la semaine dernière, l'Europe n'avancera pas.
Vous avez mentionné, Monsieur le Rapporteur, le souhait initial de la France et de cinq de ses partenaires de fixer à 1 % du RNB le budget de l'Union, pour le regretter. Mais sachez d'une part que 1 % aurait représenté déjà davantage que les montants actuels, et d'autre part notre pays, dans la négociation, avait accepté en juin de passer de 1 % à 1,056 % du RNB, soit 55 milliards d'euros de plus pour le budget de l'Union sur la période considérée 2007-2013 et pour notre pays un effort supplémentaire de 11 milliards d'euros en contribution brute. L'Union aurait aujourd'hui un budget si tous les pays avaient fait le même effort de solidarité.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil économique et social,
Permettez-moi en conclusion un dernier mot sur le prochain Conseil européen informel de Hampton Court.
C'est un rendez-vous important puisque c'est la première fois depuis le dernier Conseil européen des 16 et 17 juin dernier que se retrouveront les chefs d'Etat et de gouvernement. En outre, les citoyens européens seront très attentifs au bon déroulement de ce sommet et aux orientations qui pourront en être dégagées.
D'après les informations données par la présidence britannique, trois types de problématiques seront abordées : comment maintenir et consolider la justice sociale et la compétitivité dans le contexte de la mondialisation, question qui sera l'occasion d'échanges sur la recherche et le développement, l'énergie, la démographie, etc. Seront ensuite évoquées la place de l'Europe dans le monde ainsi que la sécurité de nos citoyens - PESC et JAI. Ce Conseil européen informel sera donc consacré aux principaux défis que l'Union doit relever aujourd'hui. Nous souhaitons qu'il permette de dégager des orientations sur tous ces sujets, qu'il soit une première étape pour rendre confiance dans l'Europe.
La France s'y rendra dans un esprit constructif, avec la volonté de soutenir la présidence pour faire de ce rendez-vous une réussite. C'est tous ensemble que nous pourrons trouver les réponses, en gardant à l'esprit que le cur du projet européen repose sur un esprit de solidarité, une exigence d'harmonisation et une volonté commune de défendre nos intérêts.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 novembre 2005)
Messieurs les Rapporteurs
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Merci, Monsieur le Président, de votre invitation à me rendre parmi vous aujourd'hui pour vous entendre et vous parler de la stratégie de Lisbonne. Permettez-moi avant tout de saluer l'implication de chacun d'entre vous dans les dossiers européens, et de remercier tout particulièrement les rapporteurs d'aujourd'hui, MM. Hubert Bouchet et Henri Feltz, pour leurs excellents travaux.
Je me réjouis d'autant plus de cette première rencontre qu'elle s'inscrit pleinement dans la volonté qui est celle du gouvernement de mieux associer les Français aux processus de décision européens, et je suis pour ma part convaincue que le Conseil économique et social a un rôle clé à jouer dans cette ambition.
Je souhaite aujourd'hui aborder trois sujets avec vous. D'abord, les grandes orientations possibles pour mieux associer les Français aux processus de décision européens. Ensuite, la stratégie de Lisbonne elle-même, et les prochaines échéances qui nous attendent. Dans ce cadre, je vous présenterai le programme national de réformes français, qui sera bientôt transmis à la Commission et soumis à l'avis de votre Conseil. Enfin, je vous dirai quelques mots du prochain Conseil européen de Hampton court.
Permettez-moi d'abord d'évoquer les travaux que nous avons entrepris depuis le mois de juin. Nous devons réaffirmer que notre projet est celui d'une Europe politique, ambitieuse et solidaire et répondre par des politiques concrètes aux préoccupations quotidiennes des Français, à commencer par l'emploi. Mais il nous faut également leur proposer une autre façon de construire l'Europe, qui les associe mieux aux décisions relatives à leur avenir. Il y a sur ce point une attente très forte, que je constate à l'occasion de chacun de mes déplacements en région.
Le Premier ministre a ainsi décidé dès la fin du mois de juin la mise en place de comités interministériels sur l'Europe. Ces comités réunissent les principaux ministres concernés sous sa présidence et se tiennent une fois par mois. Ils visent à redonner toute sa place au politique dans la conduite de notre action européenne, c'était indispensable, à renforcer la coordination gouvernementale et à mieux anticiper sur les enjeux à venir.
Mais il faut aller plus loin. C'est pourquoi, le 29 août dernier, dans son discours devant les ambassadeurs de France réunis, le président de la République a demandé que non seulement le Parlement français mais aussi les collectivités territoriales, les partenaires sociaux et la société civile soient davantage associés aux processus de décision européens. Le Premier ministre fera prochainement des propositions en ce sens au président de la République.
Le Parlement a naturellement un rôle essentiel à jouer dans cet effort que nous devons mener au quotidien pour que nos concitoyens voient que l'Europe les aide, les rend plus forts, les protège. Certaines initiatives ont d'ores et déjà été prises pour mieux associer le Parlement français : il pourra désormais se prononcer sur un plus grand nombre de textes européens; par ailleurs, des sessions de sensibilisation aux problématiques européennes vont être proposées aux parlementaires dans le cadre de déplacements à Bruxelles et à Strasbourg.
Il a aussi été décidé, lors du précédent Comité interministériel sur l'Europe, de créer bientôt un nouveau site portail interactif sur l'Europe, qui sera la tête de réseau de l'ensemble des sites publics et associatifs. Enfin, j'ai entamé ce mois-ci une série de rencontres avec les partenaires sociaux français et européens pour recueillir leurs propositions et pour échanger avec eux sur les grands dossiers européens du moment. Ils ont accepté le principe d'une réunion au début de chaque nouvelle présidence de l'Union européenne, comme je leur en ai fait la proposition, afin que je puisse connaître leurs positions sur les priorités affichées par la présidence. Cela ne se faisait pas jusqu'ici ; je crois qu'il est désormais utile de le faire.
Dans ce contexte, le Conseil économique et social a aussi un rôle important à jouer. Par la qualité de ses avis, il permet d'ores et déjà d'éclairer les autorités publiques sur leurs choix européens, qu'il s'agisse des grandes orientations ou du détail de certaines législations intéressant particulièrement les partenaires sociaux et la société civile. Je note que l'engagement du Conseil économique et social dans les sujets européens a été constant et s'accroît encore, comme en témoignent les avis rendus, par exemple sur la stratégie de Lisbonne, et nous en reparlerons tout à l'heure. A l'avenir, il me semble que nous devrons davantage encore recourir à la saisine du Conseil économique et social sur des dossiers européens importants. Le programme national de réformes, dont vous serez prochainement saisis par le Premier ministre, pourrait être un premier pas dans cette direction. Je sais aussi quelle est l'implication de plusieurs membres de votre assemblée dans les débats et les travaux du Comité économique et social européen et je tiens à les en remercier ici.
J'en viens maintenant à la stratégie de Lisbonne elle-même. Je voudrais que l'on dise davantage et que l'on comprenne mieux l'importance de cette stratégie pour le projet européen. Pour faire avancer ce projet, nous devons faire en sorte que l'Europe retrouve la confiance de nos concitoyens. Et pour cela, il faut que l'Europe réponde à leurs préoccupations par des politiques concrètes. Quelle est la préoccupation première des Français ? L'emploi et la croissance, comme l'a rappelé le président de la République jeudi dernier à Lyon. C'est pourquoi le gouvernement en fait l'axe principal de son action, y compris au plan européen. Or c'est précisément l'emploi et la croissance qui sont au cur de la stratégie de Lisbonne.
Reconnaissons-le, nous sommes encore loin d'avoir fait de l'Europe la zone la plus compétitive du monde, comme nous nous en étions fixé l'objectif lorsque la stratégie de Lisbonne avait été élaborée, il y a cinq ans. Cette stratégie initiale est la bonne mais elle souffrait de deux défauts. Premier défaut, l'absence de hiérarchisation des priorités. Pour reprendre une expression souvent employée, Lisbonne traitait de tout, et donc de rien. Second défaut, une mobilisation toute relative des Etats : les rapports dits de Lisbonne étaient volumineux, nombreux, et donnaient lieu à des tableaux de classement plutôt qu'à un échange d'expériences concrètes. Au niveau national, la stratégie de Lisbonne n'a pas fait jusqu'à présent l'objet d'une appropriation réelle dans les Etats membres.
C'est pourquoi le Conseil européen de printemps de 2005 a révisé la stratégie de Lisbonne en poursuivant deux objectifs qui nous donnent globalement satisfaction.
Premier objectif, mieux définir les priorités, afin de favoriser la croissance et l'emploi au service de la cohésion sociale. Il ne s'agissait pas, dans notre esprit, de minimiser les volets sociaux et environnementaux de Lisbonne. La France et le président de la République ont pesé de tout leur poids pour que ces dimensions soient réaffirmées. Mais il ne fait pas de doute que la croissance et l'emploi sont des facteurs essentiels de cette cohésion sociale. Ces nouvelles orientations pour la stratégie de Lisbonne se sont traduites par l'approbation, par le Conseil européen des 16 et 17 juin, de "lignes directrices intégrées 2005-2008", qui constituent l'instrument européen de mise en uvre de la stratégie de Lisbonne révisée.
Deuxième grand objectif du Conseil de printemps 2005, favoriser l'appropriation des objectifs de Lisbonne par les Etats membres à travers une "nouvelle gouvernance", incarnée au plan national par les "programmes nationaux de réformes".
Chaque Etat membre s'est ainsi engagé à produire pour l'automne 2005 un programme national de réformes synthétisant, dans un document d'une quarantaine de pages, les réformes qu'il envisage de mener dans le cadre des lignes directrices intégrées à horizon de trois ans.
Ces programmes nationaux, ou PNR, visent en fait trois objectifs : d'une part, simplifier, puisqu'ils se substituent aux rapports sur la mise en oeuvre des grandes orientations de politique économique et lignes directrices pour l'emploi. D'autre part, mettre ces politiques en cohérence dans un seul document commun, alors qu'elles faisaient jusqu'à présent l'objet d'un traitement séparé. Enfin, améliorer l'appropriation de la stratégie de Lisbonne par une meilleure consultation des partenaires - partenaires sociaux, collectivités locales, société civile - sur ces PNR.
C'est pourquoi je ne peux que me féliciter de la grande qualité des travaux que vous avez rendus aujourd'hui. Ils répondent précisément à cet impératif de consultation et peuvent nous donner des pistes pour la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne.
Sur les politiques économiques, l'avant-projet d'avis du Conseil économique et social rejoint les positions défendues par la France au plan européen lorsqu'il estime nécessaire d'utiliser l'ensemble des leviers de la croissance ou lorsqu'il estime également indispensable de renforcer la coopération européenne en matière économique.
Sur l'économie de la connaissance, le projet d'avis est également largement en phase avec les positions du gouvernement, ainsi qu'avec les initiatives prises au niveau national en vue de renforcer la société de la connaissance : je relève notamment l'importance conférée à la formation tout au long de la vie ; l'effort accru en matière de R D, notamment à travers une meilleure coopération public-privé ; et l'importance de la stratégie industrielle.
Enfin, je sais que le Conseil économique et social travaille sur un projet de communication sur le pacte européen pour la jeunesse, qui a également été adopté par le Conseil européen de printemps à la demande de la France. La réflexion sur l'enjeu démographique doit se poursuivre, notamment sur la base du Livre vert de la Commission sur les "mutations démographiques" du 16 mars 2005. La contribution que vous avez adoptée sur le pacte européen pour la jeunesse vient donc à point nommé. En particulier, le thème de la conciliation de la vie familiale, personnelle et professionnelle des jeunes est tout particulièrement porté par la France au niveau européen dans le cadre des travaux sur l'enjeu démographique.
J'en viens maintenant au programme national de réforme français intitulé "pour une croissance sociale". Ce PNR a été validé au plan politique par le comité interministériel pour l'Europe qui s'est tenu le 11 octobre. Il devrait être bientôt transmis à la Commission, qui attendait les PNR pour le 15 octobre.
Le PNR a été présenté aux partenaires sociaux le 21 octobre par le ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, M. Borloo, dans le cadre du Comité du dialogue social sur les questions européennes et internationales (CDSEI) et je présente ce même projet aujourd'hui à votre Conseil, qui sera bientôt saisi officiellement pour avis par le Premier ministre. Le Parlement sera également consulté. Ces consultations se déroulent dans des délais courts, dans la mesure où il s'agit cette année du premier exercice du genre, mais j'ai conscience que nous devrons faire mieux les années suivantes. En tout état de cause, nous transmettrons à la Commission européenne les commentaires des partenaires sociaux et du Conseil économique et social.
Que dit ce PNR ? Il fixe un cap pour les trois années à venir, celui de la croissance sociale. Cette ambition sous-tend l'ensemble du document, qui se compose de trois parties : première partie, créer les conditions d'une croissance sociale, deuxième partie, la bataille pour l'emploi au service de la croissance sociale, troisième partie, construire l'économie de la connaissance.
Quelles sont les conditions d'une croissance sociale ? Il s'agit d'abord de permettre à notre économie d'atteindre une croissance soutenue. Nous avons des défis nouveaux et d'envergure à relever, tels que le vieillissement démographique ou l'accélération de la mondialisation. Pour y faire face, nous devons retrouver des marges de manuvre budgétaires en enrayant la dynamique de la dette publique, en assurant la viabilité de notre modèle social, à laquelle contribuent la réforme des retraites de 2003 et celle de l'assurance-maladie de 2004, et en poursuivant la réforme de la gestion des finances publiques engagée avec la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Autre condition d'une croissance sociale, la promotion d'une croissance qui profite à tous, en partageant équitablement les fruits de la croissance, en valorisant le travail et l'activité, en facilitant la vie des entreprises.
La renégociation des grilles de salaires minima, la réforme de l'impôt sur le revenu annoncée par le gouvernement, la simplification de la charge réglementaire correspondent à cet impératif. Enfin, une croissance sociale est également respectueuse de l'environnement : le PNR expose ainsi les grands axes de réformes destinées à lutter contre le changement climatique, à réduire les pollutions locales et à prévenir les risques sanitaires liés aux pollutions.
Deuxième axe du PNR : la bataille pour l'emploi. On le sait, la différence de niveau de vie entre les Etats-Unis et la France s'explique moins par une différence d'efficacité productive que par une différence dans la mobilisation du travail qui se matérialise par un taux d'emploi de 71 % aux Etats-Unis contre 63 % en France. C'est pourquoi la mobilisation pour l'emploi est au cur du PNR. Elle passe d'abord par des politiques pour développer l'emploi ou faciliter le retour à l'emploi, mais aussi des réformes pour améliorer le fonctionnement du marché du travail, par exemple avec l'introduction du contrat nouvelle embauche qui connaît un vrai succès - 100.000 contrats signés en trois mois, comme l'a annoncé récemment le Premier ministre. Elle suppose également de faciliter l'insertion, notamment professionnelle, des jeunes, et donc d'importants efforts d'éducation et de formation. Enfin, nous devons permettre aux Français qui le veulent de travailler plus pour plus de croissance : c'est notamment l'enjeu de la bataille pour l'emploi des seniors, dont le taux d'emploi - 37 % en 2003 - est encore très insuffisant.
Troisième grand axe du PNR : l'économie de la connaissance. Le PNR confirme le renouveau de la politique industrielle et sa conjugaison avec la politique territoriale dans la politique des pôles de compétitivité. Il s'attache également à développer la recherche et l'efficacité du cofinancement privé-public en ayant recours aux organismes nouveaux dont s'est dotée la France ces derniers mois : Agence nationale de la recherche, Agence pour l'innovation industrielle, Oséo-Anvar. Il convient également de rappeler l'importance d'un fonctionnement sain des marchés et du secteur financier, qui doit contribuer à l'amélioration du pouvoir d'achat des ménages. Enfin, l'économie de la connaissance passe également par le développement des technologies de l'information et de la communication et celui des grandes infrastructures, notamment de transport.
La stratégie de Lisbonne ne se résume pas aux seuls programmes nationaux de réformes ni au seul exercice de comparaison de réformes nationales. Dans un certain nombre de domaines, il nous faudra progresser dans l'intégration et l'harmonisation au niveau européen. Il en va ainsi de l'achèvement du marché intérieur, mais aussi des progrès dans l'harmonisation fiscale et sociale, pour lesquels l'Union européenne peut et doit se doter de législations communes contribuant à son intégration économique. De même, la France plaide et continuera de plaider pour une amélioration de la gouvernance économique, au premier chef dans la zone euro avec le renforcement de l'eurogroupe dans le respect de l'indépendance de la BCE. L'Europe des projets, celle d'Airbus, Galileo ou Iter, est également le reflet de cette ambition. Enfin, comment ne pas mentionner ici l'urgence à ce que l'Europe se dote enfin d'un budget pour la période de 2007 à 2013, pour financer les politiques actuelles, pour développer les politiques nouvelles et pour financer l'Europe élargie ? La France y était prête en juin déjà. Il revient maintenant à la présidence britannique de prendre ses responsabilités et de parvenir à un accord aussi vite que possible. Sans budget, comme l'a rappelé le Premier ministre la semaine dernière, l'Europe n'avancera pas.
Vous avez mentionné, Monsieur le Rapporteur, le souhait initial de la France et de cinq de ses partenaires de fixer à 1 % du RNB le budget de l'Union, pour le regretter. Mais sachez d'une part que 1 % aurait représenté déjà davantage que les montants actuels, et d'autre part notre pays, dans la négociation, avait accepté en juin de passer de 1 % à 1,056 % du RNB, soit 55 milliards d'euros de plus pour le budget de l'Union sur la période considérée 2007-2013 et pour notre pays un effort supplémentaire de 11 milliards d'euros en contribution brute. L'Union aurait aujourd'hui un budget si tous les pays avaient fait le même effort de solidarité.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil économique et social,
Permettez-moi en conclusion un dernier mot sur le prochain Conseil européen informel de Hampton Court.
C'est un rendez-vous important puisque c'est la première fois depuis le dernier Conseil européen des 16 et 17 juin dernier que se retrouveront les chefs d'Etat et de gouvernement. En outre, les citoyens européens seront très attentifs au bon déroulement de ce sommet et aux orientations qui pourront en être dégagées.
D'après les informations données par la présidence britannique, trois types de problématiques seront abordées : comment maintenir et consolider la justice sociale et la compétitivité dans le contexte de la mondialisation, question qui sera l'occasion d'échanges sur la recherche et le développement, l'énergie, la démographie, etc. Seront ensuite évoquées la place de l'Europe dans le monde ainsi que la sécurité de nos citoyens - PESC et JAI. Ce Conseil européen informel sera donc consacré aux principaux défis que l'Union doit relever aujourd'hui. Nous souhaitons qu'il permette de dégager des orientations sur tous ces sujets, qu'il soit une première étape pour rendre confiance dans l'Europe.
La France s'y rendra dans un esprit constructif, avec la volonté de soutenir la présidence pour faire de ce rendez-vous une réussite. C'est tous ensemble que nous pourrons trouver les réponses, en gardant à l'esprit que le cur du projet européen repose sur un esprit de solidarité, une exigence d'harmonisation et une volonté commune de défendre nos intérêts.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 novembre 2005)