Déclaration de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur les moyens d'utiliser le passage aux 35 heures afin d'accroître la productivité et la compétitivité des entreprises, Paris le 27 octobre 1998.

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Circonstance : Colloque "Comment réussir les 35 heures ?", à Paris, le 27 octobre 1998

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je vous suis très reconnaissant de m'avoir invité à m'exprimer devant vous dans le cadre de ce colloque. Je remercie notamment Jean-Marie Bockel, qui contribue utilement au débat sur une question essentielle : l'aménagement et la réduction du temps de travail.
Ce colloque est, en cela, un événement. Son intitulé, " Comment réussir les 35 heures ? ", sonne à la fois comme un engagement et une question. Un engagement : il est clair pour tous, en effet, que l'action du Gouvernement en faveur de l'aménagement-réduction du temps de travail est mûrement réfléchie, qu'elle est résolument appliquée, et qu'elle présente un caractère irréversible. Mais c'est aussi une question. Si l'on recherche par quels moyens réussir les 35 heures, c'est qu'un doute subsiste : il serait possible, a contrario, que le passage aux 35 heures se solde par un échec... Membre du Gouvernement en charge de l'industrie et de certains services publics - dans les domaines de l'énergie, de La Poste et des télécommunications -, je suis heureux d'avoir aujourd'hui l'occasion de préciser ma pensée. Oui, bien sûr, je suis favorable aux 35 heures. Oui, bien sûr, mais pas dans n'importe quelles conditions ! Le Gouvernement veille justement à ce que l'aménagement-réduction du temps de travail ne soit pas préjudiciable à nos entreprises et qu'il permette à nos services publics de se moderniser. En matière économique, le rôle de l'État est d'inciter les entreprises, de leur fournir un cadre juridique favorable, voire de leur donner l'exemple dans ses propres services. La question des 35 heures ne fait pas exception à ce principe.
La réduction de la durée du travail tout au long de la vie, dans la semaine et dans la journée est une vieille revendication du mouvement ouvrier, à la satisfaction de laquelle - dans notre mythologie collective - la gauche a attaché son nom. La retraite à 60 ans, les 39 heures hebdomadaires et - auparavant - les 8 heures quotidiennes : autant d'engagements tenus qui sont restés dans nos mémoires ! Ces revendications avaient pour but de réduire la pénibilité des conditions de travail, de permettre - dans la langue marxienne - la " reproduction de la force de travail ", et d'établir un meilleur partage entre le travail et les loisirs dans l'existence. Certes, le travail prend désormais des formes nouvelles : tellement nouvelles que certains auteurs - un peu rapidement - ont cru pouvoir conclure à sa disparition ! Il n'empêche que demeurent pertinentes les finalités de la réduction de la durée de travail. Il en est même une nouvelle qui apparaît : alors que le chômage de masse est élevé et persistant, il est nécessaire que les pouvoirs publics recherchent à mieux partager l'activité entre salariés et chômeurs. C'est précisément le sens de l'engagement gouvernemental.
Partager l'activité entre salariés et chômeurs : l'expression est peut-être schématique. Libérer des heures, les ouvrir à de nouveaux emplois, augmenter ainsi la masse salariale et, partant, suivant une logique keynésienne, stimuler la demande effective : ce schéma est idéal. Il néglige toutefois ce qui est essentiel à mes yeux : la recherche d'une plus forte compétitivité, d'une plus grande qualité, dans les entreprises comme dans les services publics, à l'occasion d'un véritable aménagement-réduction du temps de travail. La baisse de la durée du travail est une tendance séculaire, parfois encouragée par les pouvoirs publics, qui est toujours fondée ou compensée économiquement par une hausse de la productivité.
Dans Innover ou subir, l'essai percutant qu'elle vient de publier, Edith Cresson, Commissaire européen, " considère davantage la diminution de la durée du travail comme un moyen d'innovation, de réorganisation du travail, de mobilisation (...) ". Je ne tiens pas un discours différent. L'aménagement-réduction du temps de travail contribuera à la diminution du chômage, mais moins de façon mécanique par une action directe sur la demande de travail et sa répartition, que de façon dynamique par une action indirecte sur l'organisation du travail et les gains induits en terme d'efficience. L'aménagement-réduction du temps de travail, s'il est bien conduit - je veux dire : s'il est associé à de nouvelles organisations du travail -, sera fortement créateur d'emplois, ne portera pas atteinte à la compétitivité des entreprises, voire permettra aux entreprises d'accroître leur productivité. De nombreux accords d'entreprises, conclus dans le cadre de la loi dont Gilles de Robien est l'auteur, prouvent que des durées de travail plus courtes permettent des choix d'organisation de l'activité plus variés, des modulations d'horaires adaptées aux conditions de production, une plus grande utilisation des capacités de production, une meilleure réactivité sur les marchés et une amélioration de la qualité des services. J'ai la conviction que l'aménagement-réduction du temps de travail peut tenir lieu d'aiguillon pour nos entreprises : il peut les inciter à se moderniser et à innover davantage dans leurs processus de production. Le dispositif mis en place par Martine Aubry repose sur cette conviction et sur la volonté de faire plus vite et plus fort que ce qui a déjà été tenté et a déjà réussi.
Pour en venir précisément à l'intitulé de ce colloque, la réussite du passage aux 35 heures repose sur la capacité des entreprises à transformer en opportunité les adaptations devenues inévitables dans leur organisation. Cette capacité, trois stratégies la résument. La première cherche à améliorer la productivité du travail. Les entreprises font face à des fluctuations saisonnières ou à des pics d'activité : la modulation ou l'annualisation du temps de travail, négociées en contrepartie du passage aux 35 heures, leur permettront de réduire les stocks ainsi que les coûts salariaux liés aux contrats précaires, aux heures supplémentaires voire au chômage partiel. La deuxième stratégie vise à accroître la productivité du capital. Elle prend la forme d'une augmentation de la durée d'utilisation des équipements ou de l'ouverture à la client
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 7 septembre 2001)