Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, dans "L'union sociale" de septembre octobre 2005, sur la lutte contre l'exclusion sociale et le partenariat avec des associations pour réduire l'exclusion comme "Alerte".

Prononcé le 1er septembre 2005

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Média : Union sociale

Texte intégral

Union sociale - la CFDT est investie depuis longtemps dans la lutte contre l'exclusion. Pouvez-vous nous rappeler l'origine et les grandes étapes de votre démarche ?
François Chérèque - Au début des années 1990, après 15 ans de chômage de masse, l'exclusion commence à se développer dans la société française. Aussi, lors de son congrès de 1995, la CFDT adopte un nouveau slogan : " le parti pris de la solidarité " : il s'agit de mettre en avant l'idée que l'action syndicale ne vise pas que la défense des intérêts des salariés, mais s'inscrit dans une volonté de solidarité avec toutes les personnes menacées par la pauvreté ou en situation d'exclusion.
En parallèle, nous lançons une recherche/action avec Serge Paugam, sur le thème syndicalisme et exclusion, autour de deux notions qui aboutiront à des mesures concrètes -insertion et revenu minimum et assurance maladie universelle. Sur ce dernier point, nous pensions que l'assurance maladie ne devait pas être financée uniquement par les revenus du travail, mais aussi par ceux issus de capital et du patrimoine - d'où notre proposition de créer la CSG. Et comme elle était financée par l'ensemble des revenus, toutes les personnes vivant légalement en France devaient en bénéficier, d'où la CMU.
Plus récemment, nous avons fait des propositions communes avec la Fnars, le Coorace, Emmmaüs, en vue du plan Borloo.
Au plan local, des Unions régionales sont impliquées, depuis des années, dans des actions d'insertion, notamment dans l'Ouest, de la France. Beaucoup de militants CFDT sont actifs dans l'insertion par l'économique, et s'appuient sur le fonds commun de placement Insertion et emploi, mécanisme d'épargne solidaire mis en place avec divers partenaires.
Union sociale - Que des organisations syndicales travaillent en partenariat avec des associations, pour réduire l'exclusion, ne faisait guère des murs, en France. Qu'est-ce qui a amené la CFDT à signer un appel commun avec Alerte ?
François Chérèque - Historiquement, la tendance du syndicalisme français est d'occuper tout l'espace de représentation de la société civile : loin de se cantonner à la seule défense des salariés dans l'entreprise, il intervenait en matière d'action sociale, de logement, via le 1 % logement, de placement, grâce aux bourses du travail. Il faut sortir de cette toute-puissance du syndicalisme, et travailler en complémentarité avec les autres structures issues de la société civile. C'est dans cet esprit que nous avons revendiqué et obtenu, lors de la réforme de l'assurance maladie, que les associations familiales, celles qui regroupent des usagers, comme Aides ou la FNATH, siègent dans les CA des caisses de sécurité sociale. De même, la CFDT s'est mobilisée le 1er juillet dernier, avec d'autres syndicats et avec des ONG, pour l'annulation de la dette des pays pauvres. Notre engagement avec Alerte s'inscrit dans cette recherche de complémentarité : nous, syndicats, lutterons contre la précarité et l'exclusion dans l'entreprise et les associations continueront à travailler avec les personnes en difficulté avec lesquelles nous avons du mal à rentrer en contact.
Union sociale - Existe-t-il au sein de la CFDT, des réticences ou des critiques à l'égard de la démarche en cours, des associations de notre secteur ?
François Chérèque - Les syndicats, en France, sont forts dans les entreprises à statut et les grandes entreprises ; on sait par ailleurs qu'ils sont marqués par un certain corporatisme. Aussi certains adhérents s'interrogent : la protection des uns ne peut-elle provoquer l'exclusion des autres ? D'autres se demandent, non sans justesse, si notre société n'a pas fait le choix d'un traitement social de l'exclusion, qui nous amène à nous intéresser aux conséquences plus qu'aux causes de la pauvreté.
Enfin, en tant que syndicaliste, ancien éducateur spécialisé et ex-secrétaire général de la Fédération Santé Sociaux, je n'oublie pas que ces grandes associations fédérées par Alerte ou l'Uniopss, sont aussi des employeurs, faisant travailler, pour certaines, de nombreux salariés, et avec lesquelles des contradictions peuvent exister : pourquoi telle association, avec qui nous dialoguons de façon très ouverte, n'adhère-t-elle pas à la convention collective ? Bref, il nous faut assumer différents niveaux de relations, c'est ainsi.
Union sociale - Quels sont les points de consensus, avec Alerte ?
François Chérèque - J'en vois quatre. Un, la lutte contre l'exclusion n'est pas réservée aux associations, elle ne doit pas être un secteur à part des politiques de solidarité ; elle n'est pas non plus réservée aux syndicats : nous sommes donc clairement dans une complémentarité. Deux, notre société tend à gérer l'exclusion, plutôt que de s'attaquer à ses racines : c'est un aspect du mal français, nous sommes plus sur guérir que prévenir. Trois, nous avons un objectif commun, développer le " vivre ensemble " c'est-à-dire lutter contre les discriminations, les communautarismes, les inégalités, l'entresoi en matière de logement, les exclusionsQuatre, l'État reste, pour nous, en dernier recours, le garant de l'accès aux droits de base, droit aux soins, à la formation, au travail. Avec ces éléments, nous avons, je pense, une base solide pour construire ensemble.
Union sociale - Concrètement, comment la CFDT entend-elle contribuer à la lutte contre l'exclusion ?
François Chérèque - Après le référendum du 29 mai, la CFDT a proposé qu'un nouveau pacte social soit mis en chantier dans notre pays. Nous partons d'un constat simple : un modèle social qui génère plus de 3 millions de chômeurs ou d'exclus est un modèle qui ne fonctionne plus. Pour nous, ce nouveau pacte passe par une méthode : il faut que les parties prenantes de la lutte contre l'exclusion - État, collectivités territoriales, associations, partenaires sociaux - s'entendent sur les évolutions de notre système social et sur des engagements, qu'ils auront à tenir.
Ce pacte doit se construire sur 4 axes. Il faut relancer la lutte contre le chômage et la précarité, qui suppose notamment d'investir dans la recherche, la formation ; et mettre sur les rails un plan en faveur des jeunes en difficulté d'insertion, car on ne peut pas accepter qu'un quart des moins de 25 ans soit au chômage, dont 57 000 depuis plus d'un an - ce plan concernerait l'emploi, mais aussi l'accès au logement, au crédit. Il s'agit aussi de refonder une protection sociale plus solidaire, en apportant une meilleure couverture aux personnes qui sont au-dessus du seuil de la CMU, mais n'ont pas de complémentaire ; en repensant le financement de la dépendance ; et en redéfinissant le rôle de l'État et celui des partenaires sociaux dans l'indemnisation des chômeurs - il y a 20 ans, l'État prenait à sa charge 25 % des coûts, on en est à 10 % ! En matière de lutte contre la pauvreté, il nous faut trouver un accord, sur la base du rapport Hirsch, auquel la CFDT a contribué, sur le cumul des minima sociaux et des revenus d'activité. Tout cela n'a rien d'impossible, c'est une question de volonté, et de choix.
Propos recueillis par Bernard Boudet.
(Source http://www.cfdt.fr, le 25 octobre 2005)