Discours de M. Jean-Michel Baylet, président du PRG, sur la laïcité comme principe républicain, son caractère historique et l'actualité de la question laïque, au Sénat le 22 octobre 2005.

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Circonstance : Inauguration du colloque sur la laïcité autour de la loi de 1905 au Sénat le 22 octobre 2005 organisé par le PRG

Texte intégral

Mesdames, Messieurs, chers amis radicaux,
On a coutume de dire qu'il y a des rendez-vous qu'il ne faut surtout pas manquer !
Celui qui nous réunit, aujourd'hui, au Sénat, amis radicaux et européens, est de ceux-là.
Il s'agit, bien évidemment, de la laïcité qui est consubstantielle à l'idéal républicain, cher à nos curs, et dont nous célébrons le centenaire de la loi cette année.
Depuis des mois, les radicaux rendent hommage à cette grande loi de la séparation, comme on disait à l'époque, en multipliant partout les débats quant à son actualité et en apportant au public l'information la plus complète et sérieuse, grâce, en particulier, à une exposition itinérante que de nombreuses communes accueillent à tour de rôle. Merci à Paul Dhaille, Jacques Soppelsa et leur équipe pour le remarquable travail qu'ils ont fourni pour sa réalisation et aussi pour l'organisation de ce colloque.
Nos débats s'organiseront autour de trois tables rondes, dont la première, consacrée à la Loi de 1905, sera animée par Joëlle Dusseau ; ensuite, Claudette Brunet Lechenault traitera, avec la contribution de nos invités étrangers, des regards européens sur la laïcité.
Nous nous retrouverons, à 14h 15, après la pause déjeuner, pour réouvrir les débats avec Bernard Castagnède qui sera le modérateur de la table ronde sur le néo fondamentalisme religieux.
Et, en fin d'après-midi, nous aurons l'honneur et le plaisir d'entendre le Président de la Ligue des Droits de l'homme, Jean-Pierre Dubois, clôturer le colloque.
Merci, enfin, à Sophie Int-Velt, du parti hollandais D66, d'être à nouveau parmi nous, après l'université d'été en Arles où nous avons été heureux de faire connaissance, merci à Peter Moore, du parti démocrate anglais, et à Ottavio Marsocchi, des radicaux italiens, de se joindre à nous pour célébrer ce centenaire de la laïcité.
Le colloque d'aujourd'hui va nous permettre de vérifier l'actualité de cette valeur éminemment républicaine, mais aussi de préciser les raisons qui font de la laïcité une question historique. Elles sont au nombre de trois :
- au strict plan de l'histoire factuelle de notre pays, la question laïque a ouvert, depuis la Révolution Française et tout au long du 19ème siècle des débats structurants pour la République
- au plan des principes républicains, l'Histoire a inscrit la laïcité comme une des règles intangibles, de valeur constitutionnelle et donc par là même non susceptible d'une quelconque modernisation si celle-ci devait être une relativisation du principe laïque.
- enfin, si l'on veut bien considérer l'Histoire comme l'ensemble des phénomènes qui, sur la longue durée, constituent le moteur de nos sociétés, il nous faut envisager ensemble une conception de la laïcité plus large que la vision restrictive longtemps donnée d'un combat pour la délimitation des sphères privée et publique dans les questions religieuses.
Oui, la laïcité est bien un sujet de l'Histoire à tous les sens -et aux meilleurs- de ce thème.
J'aurais aimé disposer du temps me permettant de développer à la fois la définition de la laïcité par les radicaux, les différentes implications de cette définition, et le regard des radicaux sur les polémiques actuelles.
Je comprends cependant - et je mesure - les contraintes qui s'imposent aux organisateurs. Seul le temps de définir la laïcité me sera donné.
Voyons donc, si vous le voulez bien, ce qu'est la laïcité et ce qu'elle n'est pas, sous le point de vue des radicaux.
Les radicaux regardent la laïcité comme la garantie de la neutralité absolue des institutions publiques à l'égard des influences confessionnelles, partisanes et économiques.
La laïcité est donc d'abord un rempart et, par là, incompatible avec l'idée d'ouverture ou d'abaissement qui suppose un affaiblissement de la garantie de neutralité.
Le rempart de la laïcité protège l'espace public, et le protège absolument. Il réalise la sécularisation du concept de sanctuaire. Au sens profane du terme, les institutions publiques sont sacrées.
Fondée sur les principes de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, spécialement sur les règles d'autonomie du sujet et d'égalité en droit, la laïcité dont l'objet même est de favoriser l'éveil de consciences libres, s'applique de façon naturellement privilégiée à l'école.
La laïcité, si elle garantit la neutralité des institutions publiques, garantit également -et par suite logique- la liberté des individus dans l'espace privé.
Elle donne aux individus des garanties rigoureusement égales. La mise en uvre du principe de laïcité ne peut donc résulter que de la loi et non de pratiques administratives s'inspirant, de façon relative, d'environnements sociaux ou culturels différents.
La loi laïque doit considérer tout également les individus, leurs groupements et associations. La République laïque ne procède à aucune hiérarchisation des communautés. Essentiellement profane elle garantit leur égalité dans l'espace public.
Des quelques caractères généraux ainsi sommairement rappelés, les radicaux déduisent que la laïcité n'est pas réductible à quelques définitions dans lesquelles des polémiques actuelles voudraient l'enfermer. Principe permanent de la République, elle ne va pas au gré de définitions circonstancielles dont le résultat, recherché ou fortuitement atteint, serait de l'affaiblir. Voyons donc ce que la laïcité n'est pas :
Ainsi la laïcité n'est-elle pas une pensée de combat anti-religieux. Si la philosophie laïque a trouvé à s'illustrer et à s'appliquer dans la lutte contre le cléricalisme et ses débordements, elle n'a pas pour objet de combattre les choix de conscience librement faits par les individus, choix éminemment respectables dans la mesure où ils ne concernent que l'espace privé et qu'ils sont donc au fondement même de la liberté individuelle. Si la pensée laïque regroupe évidemment des athées et libres penseurs militants (dont le militantisme n'a pas plus à occuper l'espace public que celui des religieux), elle associe tout aussi bien des agnostiques et des croyants. Il suffit à ces derniers d'admettre que le religieux doit être tenu à l'écart de la sphère publique pour adopter pleinement les règles législatives inspirées par la laïcité. En un mot, la loi respecte la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi.
La laïcité ne doit pas plus être regardée comme un matérialisme. Là encore, si la pensée laïque s'est affirmée, historiquement et politiquement, par opposition aux excès de la pensée religieuse, elle n'a pas pour autant répudié les inspirations idéalistes et spiritualistes de l'action publique. Tout au contraire la laïcité s'alimente à la réflexion spirituelle sur les lourdes interrogations propres à la condition humaine et elle se tend vers l'objectif idéal d'une société où la liberté des individus serait garantie par la neutralité des institutions. Comme l'éthique est indépendante de la morale, la spiritualité est indépendante de la foi. Et la spiritualité républicaine est laïque.
La laïcité n'est pas plus un culte inversé. Pour avoir été adoptée par la République à l'époque où triomphaient le progressisme et le rationalisme, la laïcité est souvent apparue à tort comme un culte de la Raison. Pour leur part, les radicaux ne donnent pas de majuscule à la raison critique laquelle n'est pas la statue d'un temple profane mais l'outil que l'esprit libre applique aux problèmes qu'il rencontre. La République n'opère donc pas la sacralisation laïque de la Raison comme référence unique mais elle se réfère à la raison comme au moyen privilégié -et non exclusif- de la connaissance.
La laïcité n'est pas non plus limitée aux affaires religieuses. Posée comme la garantie de la neutralité des institutions publiques, elle doit soustraire celle-ci aux influences qui sont étrangères à la définition du bien public et aux procédures démocratiques. Si cette nécessité apparaît clairement pour les influences économiques (c'est ce qui distingue la République Française de certains états admettant le " lobbying " comme un moyen normal de pression, à l'intérieur même des institutions, sur la décision publique), elle est plus difficile à énoncer pour les influences partisanes. La règle est cependant claire : si les partis politiques peuvent et doivent concourir à l'expression du suffrage universel, ils portent atteinte à la laïcité républicaine lorsqu'ils confisquent une institution au détriment du bien public ou des libertés des citoyens représentés par d'autres partis. En particulier, la manifestation d'opinions partisanes n'a pas sa place à l'école ; cette proscription ne s'applique toutefois pas à l'histoire des idées ni à la philosophie politique dès lors qu'elles concourent à l'émancipation des consciences.
La laïcité, qui trouve dans l'école publique son terrain d'élection, ne s'applique pas dans le champ de l'enseignement privé et ne se limite pas à l'école. Sur le premier point, les radicaux tiennent, depuis les débats théoriques entre Clemenceau et Jaurès, que les citoyens ont la possibilité d'organiser des enseignements privés notamment confessionnels et donc soustraits au principe de laïcité mais que l'argent public doit aller à l'école publique laquelle a, bien sûr, leur préférence. Par ailleurs, la laïcité doit s'appliquer à toutes les institutions publiques.
La laïcité n'est pas la propriété d'une famille politique. Si les radicaux revendiquent leur héritage particulier et les combats de la gauche en faveur de la laïcité, ils notent que la grande majorité des démocrates français ont admis et défendent la consubstantialité de la République et de la laïcité. Au demeurant, ils sont obligés de constater, dans l'ordre politique, que les abandons relatifs du principe de laïcité ont été autant le fait de gouvernements de gauche que de gouvernements de droite.
Enfin, la laïcité n'est pas un principe exclusivement français. Contrairement à une idée très répandue, la laïcité n'est ni une spécificité française ni un concept impossible à traduire et à exporter. Pour avoir créé et animé au Parlement Européen -institution spécialement rétive à la laïcité- un intergroupe laïque associant 150 parlementaires de 12 nationalités, les radicaux savent qu'il existe en Europe un véritable besoin de laïcité. Ils savent aussi que nombre de pays d'Amérique Latine sont acquis à ce principe. Même s'il n'a pas encore acquis ailleurs qu'en France de valeur constitutionnelle, il paraît approprié à la solution de nombre de problèmes politiques internes (Irlande, par exemple) ou internationaux (Moyen-Orient, par exemple).
Voici donc, Mesdames et Messieurs, selon les radicaux que j'ai l'honneur de présider, les éléments positifs et négatifs permettant de définir la laïcité.
Ai-je besoin, devant un public aussi averti, après en avoir souligné tout à l'heure le caractère historique, d'insister sur la parfaite actualité de la question laïque ?
Le monde entier nous renvoie -et notamment depuis le 11 septembre 2001- les échos violents des haines ethniques ou religieuses. En Afghanistan, en Somalie, au Soudan, au Pakistan, au Moyen-Orient bien sûr, et même aux Etats-Unis où les évangélistes prétendent mener la croisade de l'Empire contre le mal, partout le monde nous montre l'immense besoin qu'il a d'une laïcité à vocation universelle. A tous ces peuples qui se haïssent, qui s'excluent, qui s'entretuent au nom de la plus infime et de la plus respectable des différences, celle des choix de conscience religieux, j'ai envie de proposer comme un appel à la rescousse de la paix et de l'idée laïque le grand poète cubain Reinaldo Areinas qui écrivait : " Vivre pour la haine c'est vivre au service de son ennemi ". Oui la paix et la laïcité ont partie liée, pour le bonheur et le progrès de l'humanité.
(Source http://www.planeteradicale.org, le 14 novembre 2005)