Interviews de M. Arnaud Montebourg, député PS dans "Le Journal du dimanche" du 16 octobre 2005 et "Libération" du 14 novembre, sur la préparation du congrès du PS au Mans, le débat sur la VIème République et les pouvoirs de l'exécutif.

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Média : Emission Forum RMC Libération - Le Journal du Dimanche - Libération

Texte intégral

Le Journal du dimanche le 16 octobre 2005
Le débat sur la VIe République commence-t-il à intéresser les Français ?
Le sujet n'est pas aussi confidentiel que vous semblez le croire. Dès que les Français comprennent qu'il s'agit au fond de la démocratie et de leur propre place dans les décisions qu'on prend en leur nom, ils deviennent passionnés. Ils comprennent aussi que le discrédit de la politique est lié à l'insuffisance grave de démocratie. Les institutions, cela ne veut rien dire mais la démocratie, c'est très concret.
Un ténor de science politique, René Rémond, dit que vous vous trompez, et que les Français ne veulent pas changer de régime.
Cet académicien travaille depuis 45 ans en laboratoire, il ne sait pas grand chose de la société française actuelle. Un récent sondage effectué sur 3.500 internautes indique au contraire que 48% des Français veulent passer à la VIe République. Et si les Français ont dit non au traité européen, c'est qu'ils ont bien vu ce que peut produire un système non démocratique. Nous, nous proposons un prototype simple, lisible : cinquante petites révolutions qui, additionnées les unes aux autres, redonneront à tous les citoyens leur juste place. Autre preuve que le changement de Constitution intéresse de plus en plus : les partis s'en sont emparés. Les Verts, les radicaux de gauche, l'UDF, quelques élus UMP, sont sixiémistes, Olivier Besancenot, et le PC aussi, et au PS, toutes les motions font des propositions sur le sujet, ce qui est une grande première.
Vous voulez donner tous les pouvoirs au Premier ministre et prônez un Président simplement "protecteur", veillant au respect de la Constitution. Comment protéger sans aucun pouvoir ?
L'essentiel est de rendre responsables ceux qui décident. Ces derniers doivent répondre de leurs actes, assumer leur responsabilité, sinon, comme aujourd'hui, les dirigeants politiques s'enferment, s'isolent et se trompent. Le Gouvernement de la VIe République disposera de tous les pouvoirs mais en répondra devant le Parlement. Quant au Président, il sera un point de rassemblement, assurant à chacun que les droits et devoirs attachés à la Constitution seront bels et bien appliqués, ce qui n'est plus le cas. Le Président protègera le citoyen contre toutes les dérives, y compris celles des autres pouvoirs (police, justice, parlement, médias et Gouvernement). Il reprendra sous son magistère toutes les autorités soi disant indépendantes.

Quel jugement portez-vous sur le nouveau gouvernement allemand ?
Je condamne vivement cette coalition, qui fait disparaître toute perspective d'alternative crédible aux politiques ultralibérales de l'économie européenne soumise à la mondialisation. Elle est la démonstration malheureuse que malgré l'existence d'une majorité absolue pour les gauches au Bundestag, le SPD de Gerhard Schröder, par sa dérive centriste, a rendu possible l'avènement d'un gouvernement de droite, alors que les électeurs allemands avaient clairement condamnés cette perspective. Il est regrettable que des dirigeants socialistes français soient allés soutenir Gerhard Schröder en assurant qu'il avait su prendre des mesures courageuses.
Une même question se pose partout dans les social-démocraties : qui aujourd'hui porte l'espoir ? Pendant quarante-cinq ans, le PS a accompagné clandestinement la mondialisation ultralibérale. Au NPS, nous regardons en face les dégâts et proposons des réponses différentes de celles de Tony Blair, par exemple, pour qui " les délocalisations sont dans l'ordre des choses ". Pour contrer cette économie du chantage, le traité fondateur de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) doit être remis en cause et c'est à la puissance politique européenne de le faire. Pascal Lamy, un socialiste libéral proche de François Hollande, est devenu directeur de l'OMC, le PS va devoir porter la croix de ses choix dérégulateurs, mais nous ne les assumerons pas. Quand la gauche reviendra au pouvoir, elle ne soutiendra pas le système actuel du commerce mondial sans entraves.
Que vous inspire l'absence de plan B pour une Europe plus sociale ?
Des plans B existent intellectuellement. Des projets nombreux circulent à Bruxelles.
Qui s'en emparera pour les porter devant les citoyens européens ? C'est à Villepin et à Chirac, également aux socialistes européens, de faire surgir des solutions de remplacement à l'écoute du peuple, au lieu de continuer à le considérer comme un intrus méprisable.
Avez-vous été choqué par la misogynie des socialistes face à l'éventuelle candidature de Ségolène Royal ?
La misogynie, je la déplore et trouve tout à fait intéressante l'idée d'une candidature féminine. Mais notre horizon s'assombrit avec la multiplication anarchique des candidatures. Trois ans après 2002, le PS n'a toujours pas de projet mais huit candidats déclarés à l'élection présidentielle ! Face à l'échec historique du 21 avril, le sursaut espéré n'est pas venu. Nous ne laisserons pas le congrès du PS être instrumentalisé par les candidatures à l'Élysée. Notre candidat à nous, c'est le projet.
Rocard dit que ce congrès sera clarificateur
Pour le moment, je ne vois qu'obscurité et division autour de la direction. La motion Hollande rassemble des personnalités qui se battent entre elles et défendent des positions antagonistes. La TVA sociale de DSK pour financer la protection sociale, par exemple, est dans la motion libérale de Bockel, mais pas dans celle de Hollande qu'a signée DSK. Où est la vérité ?

Quelle serait la signification d'une victoire de la direction socialiste actuelle au congrès du Mans ?
Je ne me place pas dans cette perspective. Nous pouvons gagner par nos propositions novatrices et la réforme des outils, qui rendront la gauche possible. Le gauchisme ne résout rien, néanmoins la gauche doit tenir compte des mouvements qui agitent la société et veulent la transformer. C'est notre rôle que de leur donner des débouchés politiques. Nous n'avons pas à soumettre les projets de la gauche aux limites étriquées du possible, nous devons déplacer les lignes du possible.
(Source http://nouveau-ps.net, le 25 octobre 2005)
Libération le 14 novembre 2005
Comment analysez-vous les résultats de mercredi ?
Le combat pour la rénovation progresse. En dehors des grandes fédérations où nous avons quelques inquiétudes de manipulations, le vote des militants est une défaite pour la direction. Elle se retrouve avec une majorité fragile et divisée. Le NPS constate en revanche une grande pénétration de ses idées. Nous représentons désormais un quart du parti, ce qui n'est pas sans conséquence pour l'avenir.
Laurent Fabius propose la synthèse. Y êtes-vous favorable ?
Nul ne peut douter du patriotisme de parti du NPS, qui a montré plus que d'autres qu'il savait respecter les choix collectifs qui nous engagent. Mais pour se rassembler, le PS devra profondément évoluer dans son projet. Les désaccords de fond devront être surmontés. Le NPS défendra jusqu'au bout ses projets de rénovation. Je pense évidemment à la VIe République, mais aussi aux questions sociales, à la nécessité d'un traité social européen, à la République européenne ou à la révision de l'OMC. Autant de propositions qui supposent une véritable confrontation avec nos adversaires politiques et économiques. Quant à la rénovation du parti, elle reste à faire. Le PS est aujourd'hui un parti d'élus plus qu'un parti de militants. Il laisse peu de place aux jeunes et aux femmes. Autant de points fondamentaux sur lesquels il faut continuer le combat. La construction d'un parti qui anticipe sur la VIe République reste un chantier énorme. Nous savons que la direction n'y est pas décidée.
Pas de synthèse donc...
On peut vivre et militer ensemble tout en assumant nos désaccords, tout en étant en ordre de combat pour affronter la droite la plus dure de toute la Ve République. Le PS doit adopter une attitude claire et forte dans cette période. Dans son histoire, il a toujours parlé avec plusieurs voix. Elles savaient être harmonieuses et compatibles, sans pour autant être alignées sur la même partition.
Voulez-vous comme Fabius accélérer le choix du candidat pour 2007 ?
Cette question intéresse deux cents personnes en France. Elle sera examinée en son temps.

Vous ne soutenez donc pas la candidature de Fabius ?
Nous avons toujours été clairs. Le ciment politique du NPS, ce sont les idées, la rénovation du projet et des pratiques. Cela ne nous engage à l'égard de personne. Les militants qui ont voté pour le NPS se décideront librement.
Présenterez-vous un premier secrétaire contre Hollande ?
Cette question sera examinée au congrès du Mans, avec nos délégués, notamment au regard de l'exigence de poursuivre le combat de la rénovation.
Propos recueillis par Paul Quinio
(Source http://nouveau-ps.net, le 14 novembre 2005)