Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la coopération culturelle, notamment la volonté de promouvoir un projet culturel européen par la démocratisation de la culture, l'augmentation du budget de l'Etat à la culture et les réformes de structures dans l'audiovisuel public, Paris le 14 novembre 1998.

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Circonstance : Rencontres "Europe, la force de la culture" de la Fondation Jean Jaurès à Paris le 14 novembre 1998

Texte intégral

Monsieur le Directeur Général,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Se réunir, comme nous le faisons aujourd'hui, pour penser l'Europe dans sa dimension politique, réfléchir à son identité et à sa singularité face au monde, c'est, tout naturellement, évoquer "la force de la culture".
Nous pouvons être reconnaissants à la Fondation Jean Jaurès d'avoir organisé ces rencontres, placées sous le patronage de Federico Mayor, directeur général de l'UNESCO, et montré une fois encore que la fondation présidée par Pierre Mauroy prend une part active aux débats d'idées à l'échelle européenne. Au cours des tables rondes - présidées par Jean-Noël Jeanneney, Jérôme Clément et Jack Lang, que je salue avec amitié - vos échanges ont apporté des éclairages précieux sur le thème qui nous rassemble. Succédant à Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, et à Pierre Moscovici, ministre délégué aux Affaires européennes, je suis heureux de clôturer ces rencontres.
En 1945, alors que l'Europe n'était plus qu'un champ de ruines, Romain GARY publiait un livre écrit au front : Education européenne. Dans ce livre, au coeur du désastre, des résistants polonais puisent leur espoir dans " une chanson, un poème, une musique, un livre " - dans " ce refuge " qu'est la culture, " qui empêche l'homme de désespérer, (...) qui lui permet de croire et de continuer à vivre ". La force de ces combattants tenait à la certitude que l'Europe, alors en proie à la barbarie, redeviendrait ce qu'elle avait été : un espace de culture à la richesse duquel chacun contribue et chacun peut puiser. Aujourd'hui, dans la paix, c'est une nouvelle confiance en l'avenir de l'Europe et en la vitalité de sa culture que je voudrais partager avec vous en évoquant trois réflexions.
(I) Riche de la diversité culturelle des nations qui la composent, l'Europe est une oeuvre de l'esprit. (II) Mais elle se retrouve aujourd'hui à la croisée des chemins. (III) Le moment est en effet venu de servir, d'abord par des politiques nationales, mais aussi par un volontarisme partagé, un projet culturel européen.
I -Riche de la diversité culturelle des nations qui la composent, l'Europe est une oeuvre de l'esprit.
A - L'Europe n'est pas le fruit d'un déterminisme matériel ; elle est une oeuvre de l'esprit.
Longtemps, notre continent s'est vécu comme unité religieuse : nous étions " l'Occident chrétien ", fédéré par l'usage du latin. Et puis, concentrés sur un territoire dont ils ont tôt mesuré les limites, les Européens ont spontanément transcendé les frontières - d'ailleurs mouvantes - des principautés, des royaumes et des empires en faisant surgir un réseau d'activités dont l'économie marchande a fourni la trame. Son centre de gravité s'est déplacé de Venise vers Lisbonne, puis Anvers, Amsterdam, Londres enfin. Au XVIème siècle, l'afflux de métaux précieux dans la péninsule ibérique a eu des répercussions jusqu'à Moscou. Mais l'Europe ne s'est jamais résumée à une communauté des marchands.
L'Europe s'est autant construite par l'art et par l'esprit. Elle est faite de pierres, de tableaux, de musiques, de livres. L'Europe fut d'abord un rêve, une idée.
Que l'Europe forme un même espace de culture apparaît avec éclat si l'on considère les oeuvres de l'esprit. Dès qu'apparaît une forme artistique, elle s'étend à travers l'Europe entière jusqu'à ce qu'un autre style, venu d'un autre point du continent, triomphe à son tour. L'art roman précède le gothique qui s'étend et dont témoignent la Chapelle de Trinity College à Cambridge comme la cathédrale Saint-Etienne à Bourges. L'Italie donne à l'Europe le concerto, l'Allemagne, la sonate, et la France, la suite - puis chacun s'accorde pour faire de la symphonie la forme reine de la musique.
Dans son Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, Condorcet souligne combien l'invention de Gutenberg a fait de l'Europe une civilisation fondée sur l'échange entre les cultures nationales alors en formation. L'Europe serait ainsi la fille de l'imprimerie. Celle-ci, en effet, permet que se forme à travers notre continent un réseau de plus en plus dense de circulation des idées. L'Allemand Kepler précise les travaux du Polonais Copernic qui s'était fondé sur ceux de l'Italien Galilée. L'échange se noue dans l'espace, chaque pays étudiant l'altérité d'un autre : ainsi, le font, chez nous, Voltaire, par ses Lettres anglaises, et Madame de Staël, avec De l'Allemagne. L'échange se nourrit du temps, également : la référence à la Grèce antique et à Rome irrigue l'esprit des Lumières. L'échange ouvre sur l'universel, enfin : L'Atlantide de Bacon ou L'Utopie de More croisent les références pour offrir à l'Europe entière une inspiration nouvelle.
Cet appétit d'universel a fait de l'idée même d'Europe une oeuvre de l'esprit. C'est bien sûr à Kant que nous devons cette Europe de la raison, Kant qui appelle " européenne une nation pourvu qu'elle admette une contrainte conforme à la loi, par conséquent une restriction de la liberté au moyen de règles universellement valables. " Une notion spirituelle, donc, issue de l'héritage commun dont je viens de faire un trop rapide inventaire. Milan Kundera le résumera lumineusement en 1983 : " Le mot Europe ne représente pas un phénomène géographique mais une notion spirituelle ". L'Europe est une oeuvre de l'esprit. L'Europe est une civilisation.
B. Cette civilisation s'enracine dans les cultures particulières de nos nations.
La culture, patrimoine sans cesse mis à jour, porte l'empreinte de nos histoires respectives. En France, l'Etat a toujours joué un rôle en matière culturelle. En témoignent les lettres patentes de l'Académie française signées en 1635 par Louis XIII. De cette disposition culturelle, nous héritons des traits distinctifs qui nous éloignent de certains pays et nous rapprochent d'autres - comme l'Allemagne, où de nombreuses cours ont connu des souverains mécènes : Salzbourg pour Mozart, Weimar pour Goethe, Munich pour Wagner.
Constatant, en 1933, ces différences ancrées dans le temps, Julien Benda, dans son Discours à la nation européenne, dénonçait comme un mensonge l'idée que l'on puisse unir l'Europe tout en permettant aux nations de conserver " leur âme particulière " et " leur physionomie respective ". Les faits lui ont donné tort : l'Europe s'est unie tout en conservant sa diversité. Et, pour prendre l'exemple d'aujourd'hui, si la Fondation Jean Jaurès a réuni autour de ces tables rondes des Portugais et des Néerlandais, des Finlandais et des Allemands, des Autrichiens et des Britanniques, des Luxembourgeois et des Suédois, des Espagnols et des Belges, des Irlandais et des Danois, des Italiens et des Français, bien sûr, c'est parce que nous sommes certes proches, mais restons assez différents pour avoir envie d'apprendre les uns des autres. La voie propre de l'Europe est celle du dialogue de l'altérité et de l'identité. Concilier sa marche vers l'unité et le respect de sa diversité, et proposer ce modèle au monde pour un autre échange : c'est là sa vocation.
Quatre décennies d'une union toujours plus étroite n'ont pas émoussé, bien au contraire, la curiosité que nous nous portons mutuellement. Mais son objet change. Nous nous sommes beaucoup préoccupés d'économie. D'autres thèmes font irruption, comme en témoignent les Rencontres qui nous rassemblent aujourd'hui.
II - L'Europe se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins.
A - La construction européenne est rattrapée par son paradoxe originel.
Sans doute eût-il été naturel que notre culture commune, cette richesse perceptible à tous, fût le fondement de l'effort d'unification qui s'engagea après-guerre. Le paradoxe est que l'on commença par le charbon et l'acier. Peut-être parce que ces deux secteurs apparaissaient comme les socles de la reconstruction. Sans doute parce qu'ils avaient constitué les bases des efforts de guerre.
Mesurant le chemin à parcourir pour rendre l'Europe à la paix, Jean Monnet eut l'intuition de prendre un détour intégrateur : celui de l'économie. L'Europe se ferait, pour reprendre sa propre formule, " par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ". Cette méthode a porté ses fruits. La construction européenne a franchi des étapes considérables. Le 1er janvier prochain, le passage à l'euro parachèvera l'Union économique et monétaire. Mais cette réalisation n'épuise pas notre ambition pour l'Europe. Nous voici à la croisée des chemins. Le moment est venu de dénouer le paradoxe : c'est précisément parce que nous prenons tous acte de l'ampleur des échanges culturels que la politique européenne doit se doter d'un projet culturel.
Après l'unification économique et monétaire -en passe d'être achevée-, alors que l'harmonisation sociale est amorcée, nous devons faire de la culture un fondement de l'édifice européen. Cette politique sera, selon l'esprit de la construction européenne, fondée sur l'adhésion, la conviction et non l'obligation. Cette politique bénéficiera à l'Europe, à laquelle elle apportera de la chair : la culture est un vecteur de compréhension entre nos peuples. Souvenons-nous de que disait Jean Monnet : " Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes ".
B - Ce volet culturel doit être un des moyens de répondre aux défis posés par la mondialisation.
L'un de ces défis est une menace qu'il nous faut prévenir. L'autre est une chance que nous pouvons saisir.
La mondialisation porte en elle le danger de l'uniformisation culturelle.
Nos sociétés ont fondé leur développement économique sur l'économie de marché. J'ai déjà eu l'occasion d'affirmer que je disais " oui à l'économie de marché ", mais " non à la société de marché ". Si nous assimilons les oeuvres de l'esprit à des marchandises comme les autres, si nous acceptons que la culture relève simplement des lois du marché, nous nous résignerons à ce que ces dernières influent sur un facteur essentiel de pluralisme, d'identité, de lien social, de démocratie, d'épanouissement personnel. En tant qu'individu comme en tant que responsable politique, c'est une dérive dont je ne veux pas.
En même temps, la mondialisation offre au champ culturel un espace de développement économique.
A l'avenir, l'Europe connaîtra une immersion croissante dans l'économie immatérielle, règne du savoir et du symbole. De façon grandissante, l'économie internationale se structure en effet autour de capacités de recherche d'où découlent logiciels, brevets, formules, procédés novateurs, produits nouveaux. Nous devons mener cette bataille de l'intelligence.
Je n'ignore pas que la culture génère à côté d'elle - quelquefois, au point d'y perdre son âme - une industrie croissante de produits culturels. Il y a là un enjeu économique décisif, par exemple dans l'industrie cinématographique. Nous devons nous y préparer et trouver le juste équilibre entre l'exigence culturelle et l'expansion industrielle.
III - Le moment est venu de servir, d'abord par des politiques nationales, mais aussi par un volontarisme partagé, un projet culturel européen.
A - En France, nous mesurons l'apport d'une politique culturelle ambitieuse.
Je voudrais d'abord souligner la vision qui inspire cette politique culturelle.
Même si la culture est d'abord l'oeuvre de créateurs singuliers, celle-ci ne suit pas un cours isolé, à l'écart ou à l'abri des autres mouvements de la société. La culture vit avec la société. C'est pourquoi elle revêt, à un double titre, une valeur irremplaçable. La culture est toujours une rencontre et elle, est à ce titre, constitutive de la démocratie. La création artistique est un acte libre. L'accueil par le public est un mouvement autonome. La culture participe au pluralisme d'une société autant qu'elle le renforce. De même, la culture est au coeur du lien social. Elle est une trame de références communes qui parcourent ce "vouloir-vivre-ensemble" qui anime une société. Elle donne à un peuple une épaisseur sensible, une profondeur historique, une identité collective. Telle est la vision de la culture qui nous inspire.
Certes, le développement culturel d'un pays ne se décrète pas. La culture est riche parce qu'elle est libre. Mais précisément parce qu'elle est libre, la culture est fragile. C'est pourquoi la politique doit avoir le souci de la culture. Une politique culturelle qui aide sans contraindre, qui protège sans étouffer : la culture doit s'épanouir et non servir.
Plus qu'un soutien à " la " création, il faut un soutien " aux " créations. La diversité n'est pas un luxe de pays riche : c'est un des fondements de la démocratie. Celui qui subventionne ne doit pas chercher à contrôler le contenu de l'oeuvre. Il est particulièrement significatif que, là où s'installe -nationalement ou localement- un pouvoir autoritaire, la culture est toujours prise comme cible, qu'on cherche à la bâillonner, à l'asservir à une doctrine ou à une philosophie. Nous voulons réaffirmer avec force que la culture est légitime jusque dans sa contestation du pouvoir, car elle n'existe et n'a de valeur que dans la liberté.
C'est dans cet esprit que s'est développée, à partir de 1981, une politique culturelle sans précédent, par la volonté du président François Mitterrand, le dynamisme de son ministre de la Culture, Jack Lang, et la conviction de la majorité d'alors.
Le projet était aussi simple à énoncer qu'ambitieux à réaliser : démocratiser l'accès à la culture. Nous avons pour cela élargi le champ d'action afin de débarrasser la culture de sa connotation élitiste : la photographie, le cirque, le rock ont eu droit de cité. Nous avons encouragé la participation de tous, notamment par la lecture, considérablement développée grâce à un plan global de réhabilitation des bibliothèques. La Fête de la musique, la construction d'équipements nouveaux tels l'Opéra Bastille, l'aménagement du Grand Louvre permettant de populariser sa fréquentation sont autant d'illustration de cet effort. Surtout, en se greffant sur notre politique de décentralisation, l'effort culturel a considérablement réduit le fossé qui séparait jusqu'alors la capitale du reste du pays. Villes, départements et régions se sont vus transférer des compétences nouvelles dans le domaine culturel, assorties de dotations financières. La culture fut également le vecteur d'une nouvelle étape dans le rapprochement franco-allemand, avec la création de la chaîne commune Arte.
Les socialistes français sont fiers de ce qui a été accompli au cours de ces années. Mais, de même que la démocratie s'approfondit sans relâche, la démocratisation de la culture appelle un effort continu.
Mon gouvernement a donc repris cet effort.
A mes yeux, comme à ceux de Catherine Trautmann, une politique culturelle doit englober toutes les dimensions, depuis les acteurs - créateurs, artistes, conservateurs - jusqu'à l'auditoire, en passant par les supports - médias, lieux, espaces. Je ne sépare pas la politique culturelle de son environnement naturel, qui est la politique en faveur de l'éducation et de la recherche.
Nous avons fait un effort budgétaire. En arrivant au gouvernement, j'ai pris l'engagement de parvenir progressivement à consacrer réellement 1 % du budget de l'Etat à la culture. Ce chiffre rond n'est pas qu'un symbole. Il marque l'effort que doit consacrer la collectivité publique à la culture. Avant la fin de la législature, cet engagement sera tenu.
Nous engageons des réformes de structure. La réforme de l'audiovisuel public est décidée. Il faut rendre toute leur force aux valeurs du service public : indépendance, création, qualité, pluralisme. Pour être capable de servir ces causes, le service public de l'audiovisuel doit constituer une pôle industriel structuré et puissant -grâce au regroupement dans un même holding de France 2, France 3 et la Cinquième-Arte- , à l'abri de la course à l'audience, pour lui permettre de travailler sereinement et de remplir ses missions. Nous avons donc décidé de réduire la place de la publicité dans son financement. Mais nous lui assurerons de façon pérenne les ressources nécessaires.
Nous préparons les évolutions de long terme. Si la création artistique ne modifie que lentement notre patrimoine culturel, les moyens de diffusion de la culture, eux, connaissent une évolution rapide. Or, une culture qui ne circule pas est menacée d'asphyxie. C'est pourquoi mon gouvernement a lancé un plan global pour l'entrée de la France dans la société de l'information. Nous voulons que celle-ci soit solidaire et accentue la démocratisation de l'accès à la culture. Les nouveaux supports utilisés peuvent attirer dans les musées et les bibliothèques des publics qui n'en étaient pas encore familiers.
A cet égard, je suis heureux de constater que l'attention portée à la culture par la puissance publique n'est plus l'apanage de la France.
Les forces de gauche sont aujourd'hui majoritaires dans l'Union européenne. Dans le domaine de la culture comme ailleurs, cette configuration nouvelle nous confère une responsabilité particulière.
La victoire du parti travailliste en Grande-Bretagne a permis de créer un ministère chargé de la culture, animé par Chris Smith. De même, en Allemagne, Gerhard Schröder vient de confier à Michael Naumann le premier ministère fédéral de la culture, qui complétera l'effort mené par les Länder. Nécessaire, la juxtaposition de politiques culturelles nationales ne me semble néanmoins pas suffisante.
B - L'Europe a besoin d'un volontarisme en matière culturelle.
Nous devons donner à l'Europe une influence culturelle conforme à son héritage et à son génie. Tout au long de cette journée, vous n'avez pas manqué, je crois, de propositions sur ce point. Je voudrais mettre l'accent sur celles qui me tiennent à coeur.
Sur la scène internationale, nous devons défendre le pluralisme culturel. Mon gouvernement a donc l'intention de signer et de ratifier la convention du Conseil de l'Europe sur les langues régionales ou minoritaires. Cette orientation repose sur la volonté de préserver la diversité de notre patrimoine culturel et linguistique régional dans le cadre d'une République dont nous savons bien qu'elle est indivisible.
A l'inverse, nous avons considéré que la négociation de l'Accord Multilatéral sur l'Investissement, mal engagée, dans un cadre inadapté, outre qu'elle portait atteinte à notre souveraineté, mettait en grand danger tout notre dispositif d'aide à la production d'oeuvres culturelles. Fidèle à l'idée que les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres, mon gouvernement a décidé de ne pas reprendre cette discussion à l'OCDE. Nous ne pouvions envisager de revenir subrepticement sur une exception culturelle obtenue de haute lutte lors du dernier cycle de négociations du GATT. Préserver le soutien aux productions européennes contribue aussi au pluralisme culturel. Dans cet esprit, l'élargissement vers l'Est de l'Union européenne est une chance. Pologne, Hongrie, République tchèque, bénéficieront des quotas de diffusion mis en place par la Communauté. Mon gouvernement plaide, en attendant les adhésions, pour l'application effective de cette mesure.
Au sein de l'Europe, nous soutenons le premier programme-cadre de l'Union en faveur de la culture, qui couvrira les années 2000 à 2004. Il présente, pour la première fois, clairement les priorités de l'action culturelle de la Communauté : société de l'information, emploi, cohésion sociale. Nous devons en effet mettre en commun nos moyens afin de mieux maîtriser les nouvelles technologies de la communication et de l'information.
Nous devons aussi accélérer la coopération universitaire. Je voudrais qu'à l'avenir tous les jeunes Européens aient la possibilité -mieux, trouvent normal- de suivre, une Education européenne, accomplissant leur licence dans un pays, leur maîtrise ailleurs, leur doctorat dans un troisième pays. C'est une ambition de long terme à laquelle je souhaite travailler. Je suis heureux que Claude Allègre, le ministre de l'Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, ait lancé ce chantier lors du 800ème anniversaire de la Sorbonne.
Nous avons besoin de " lieux de mémoire ". L'Europe a les siens. Les explorer ensemble est un projet qui peut nous réunir. Des initiatives privées ont été lancées : une Histoire de l'Europe écrite par quatorze historiens européens, (1997), le projet Eurodelphes, manuel scolaire d'histoire multimédia réunissant des enseignants allemands, italiens et français. Des études historiques multiculturelles pourraient être consacrées à des événements de notre histoire commune.
Il nous faut une Europe de la jeunesse, mobilisée par des projets plurinationaux culturels et éducatifs qui feront des jeunes acteurs de l'Europe du futur. L'apprentissage de l'autre, cette "tâche humaine fondamentale", pour reprendre la formule du philosophe Hans-Georg GADAMER, passe par l'apprentissage de sa langue. Le multilinguisme de notre continent est une véritable " école de l'autre ". Pourquoi ne pas généraliser progressivement l'apprentissage de deux langues vivantes étrangères dès le plus jeune âge ? Ce doit être une priorité, pour faire vivre notre diversité.
Mettre en oeuvre ces projets requiert des moyens. Nous les trouverons dès lors que nous en aurons la volonté politique. Les moyens alloués à la culture par le budget communautaire sont à l'heure actuelle modestes. Pour sa part, la France, tout en étant soucieuse de maîtriser, en règle générale, l'évolution du budget communautaire, se montre favorable à une augmentation significative des crédits destinés aux prochains programmes culturels.
Au niveau de l'Union, la nécessaire réflexion sur la future organisation de la Commission européenne doit aussi porter sur la place à reconnaître à la culture, en lien avec d'autres domaines proches tels que la formation ou la recherche. En outre, la restructuration des industries nationales du cinéma pourrait être un autre thème à approfondir dans le cadre européen.
Mesdames et Messieurs,
J'ai la conviction que nous pouvons renforcer notre union tout en confirmant notre attachement à nos nations respectives. La Nation reste le coeur où bat la démocratie, où se tisse le lien social, où continuent de se forger nos identités collectives. Chacune des nôtres a sa mémoire, ses rythmes propres, son génie propre. Longtemps, on a exalté ces différences et l'Europe s'est déchirée. Bâtir l'Europe ne revient pas aujourd'hui à nier ces différences. Unir l'Europe invite à les accepter. Le principe qui nous guide est l'unité, non l'uniformité. Hegel craignait que l'Europe ne soit entrée dans ce qu'il appelait la " vieillesse de l'esprit ". Pour lui, elle avait dit son dernier mot, elle n'avait plus sa place dans le concert des cultures et des peuples. A l'issue de ce siècle à la fois tragique et fécond, je suis convaincu qu'il n'en est rien.
Aujourd'hui, à votre façon, vous avez témoigné de la jeunesse de l'esprit, en Europe.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 30 mai 2001)