Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Je souhaite d'abord vivement remercier messieurs Jean LE GARREC, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et Philippe VUILQUE, rapporteur de présenter aujourd'hui cette proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations. Elle s'inscrit en effet pleinement dans les priorités gouvernementales et je me réjouis ainsi qu'elle reprenne un certain nombre de dispositions du projet de loi de modernisation sociale déposé devant votre assemblée le 24 mai dernier.
Nous devons avoir le courage de regarder la France en face : dans notre pays, l'Autre est trop souvent suspect. Sa différence suscite méfiance et ostracisme. Notre société, dans ses représentations, ses rapports sociaux, stigmatise dans trop de cas celui qui vient d'ailleurs, l'étranger, l'immigré, même s'il vit en France depuis plusieurs générations, celui qui vit différemment, celui qui " n'est pas comme nous ", je pense par exemple aux personnes handicapées ou aux personnes âgées. L'Autre apparaît malheureusement trop souvent comme un intrus. C'est particulièrement vrai pour les immigrés et leurs enfants.
Et pourtant, pour reprendre ce terme, ces " intrus " ont largement contribué à la richesse économique et culturelle de notre pays. Notre pays s'est en effet construit par l'intégration de générations successives d'immigrés, venues le plus souvent, faut-il le rappeler, combler notre déficit de main d'uvre.
Après la grande guerre, dans le Nord par exemple, les associations patronales, comme le Comité des Houillères, devenu en 1924 la société générale d'immigration, organisaient les flux migratoires de Polonais vers les mines. Après 1945, c'est cette fois au Sud de la Méditerranée que nous sommes allés chercher les bras qui nous manquaient
Ce détour par l'Histoire est essentiel : il démontre le rôle majeur joué par les immigrés dans la construction de notre pays. Par cette longue tradition d'accueil, la France s'est continuellement enrichie.
Les institutions républicaines, au premier rang desquelles l'Ecole et l'Armée, mais aussi l'entreprise et le monde du travail- je pense ici particulièrement aux syndicats- ont depuis la fin du XIXème siècle grandement contribué au succès de ce " creuset français ". Qui serait capable aujourd'hui de distinguer un Français d'origine italienne d'un Français d'origine polonaise, russe ou espagnole ?
Or, aujourd'hui, ce modèle ne fonctionnerait plus. On a ainsi beaucoup parlé au cours de cette dernière décennie de la panne du modèle français d'intégration : les instances républicaines seraient grippées et certains, par leur culture ou leur religion seraient " inintégrables " Je ne crois pas à la vérité de cette analyse. Le modèle français a souvent connu des phases difficiles, qui ont toujours correspondu à des périodes de crise économiques. A la fin du XIXème siècle, le racisme et la xénophobie frappaient, avec une violence dont il faut se souvenir, les travailleurs italiens : une dizaine d'entre eux furent tués à Aigues-Mortes lors d'une émeute "antiritale". A l'époque, on disait déjà que, parce qu'ils étaient différents, trop " catholiques ", on ne pourrait jamais les intégrer. Est-il en outre seulement besoin de rappeler la force de l'antisémitisme et du racisme dans les années 30 ?
L'histoire nous montre qu'il faut sortir d'une vision caricaturale de notre modèle d'intégration. Il n'y a pas plus d'âge d'or dans le passé que de crise définitive aujourd'hui. Il y a bien plutôt, tout au long de notre histoire, des difficultés que nous avons toujours su surmonter. Nous les surmonterons à nouveau si nous évitons les impasses.
La première serait de réduire la politique d'intégration à la mise en place de droits spécifiques pour les immigrés. La discrimination positive ne peut constituer une réponse : elle est contraire au principe républicain d'égalités des chances et aurait en outre l'effet pervers, en "légalisant la différence", de la stigmatiser encore plus.
La seconde serait de considérer comme inéluctable la dérive vers la communautarisation. C'est une logique de société qui est à l'opposé du " vivre ensemble " républicain et dont nous ne voulons pas. Elle n'a rien de fatale, pour peu qu'une volonté politique trace un autre chemin.
La troisième serait que la " crise " de notre modèle d'intégration nous pousse dans la recherche nostalgique d'une assimilation où pour se fondre dans la collectivité, l'individu serait obligé de renoncer à des pans entiers de son identité. Elle n'aurait fondamentalement pour conséquence que de crisper chacun sur ses différences et renforcer les tentations communautaristes
Non, on ne doit obliger personne à tout oublier pour nous rejoindre.
Non, l'intégration n'implique ni le reniement, ni la négation.
Appartenir à une collectivité, respecter ses valeurs et ses règles de vie ne doit pas interdire les spécificités, les différences, les itinéraires personnels. La force de la République, ce n'est pas l'unicité ou l'uniformité, c'est l'unité autour de valeurs communes faites de droits et de devoirs, enrichie des différences de chacun, dès lors qu'elles ne remettent pas en cause le socle de valeurs communes. C'est cette conception de l'intégration que nous devons faire prévaloir. On peut être citoyen de notre République et conserver ses racines, ses convictions, ses habitudes, dès lors, je le répète, qu'elles ne remettent en cause nos valeurs communes. C'est pourquoi la France condamne par exemple la polygamie ou l'excision.
Mais être citoyen suppose aussi que le société à laquelle on appartient vous reconnaisse. On n'est pas citoyen seul, on l'est avec d'autres quand on a le sentiment d'appartenir à une communauté de destin, de vivre ensemble, tout simplement. Ce sentiment d'appartenance se fonde sur l'égalité des chances et des droits de chacun.
Or, dans notre pays, ce principe républicain est trop souvent bafoué. La couleur de peau, un nom, une adresse barrent l'accès à l'emploi, au logement, aux loisirs et compliquent les relations avec les services publics. Combien de fois ai-je entendu des jeunes me raconter les mêmes histoires, celle de boîtes de nuit qui laissent passer les " blancs " mais refusent les autres ; celle d'employeurs qui répondent favorablement à un courrier puis ferment subitement leurs portes quand ils découvrent que le ou la candidate est un peu basanée Je me souviens aussi de Nordine, qui, pour contourner ces obstacles, a du nier sa propre identité et transformer sur son CV son prénom en Norbert
Les discriminations sont une violence inadmissible. Elles blessent et humilient quotidiennement ceux qui les subissent. Elles brisent leur citoyenneté. Elles dénaturent le pacte républicain. Plus personne ne peut nier leur réalité. Les témoignages sont trop nombreux, trop concordants.
Pour les enfants d'immigrés, ceux de la seconde ou de la troisième génération, le problème n'est pas un problème d'intégration. Ils sont culturellement intégrés. Ils sont même souvent à l'origine des modes culturelles de notre jeunesse. Ils partagent les valeurs de notre société. Ils en acceptent les règles de vie. Mais ils n'arrivent pas, ou en tous cas plus difficilement que d'autres, à faire valoir les droits que leur confère notre République.
Pour tous ceux-là, parler d'une politique d'intégration est dépassé, et pour tout dire à côté du problème. La véritable réponse est dans la mise en place de politiques de droit commun garantissant l'accès aux droits fondamentaux et d'actions spécifiques contre les discriminations. Ainsi, la CMU, les emplois jeunes, qui bénéficient à 15 % de jeunes des quartiers dits sensibles, le programme TRACE, le parrainage, la politique de la ville conduite par Claude BARTOLONE, sont autant de politiques qui restaurent pour tous l'égalité des droits.
Au côté de cette politique, il faut aussi lutter avec une détermination sans faille contre le racisme. Pas seulement le racisme idéologique et politique mais aussi le racisme ordinaire, insidieux, banalisé dans des rapports sociaux quotidiens. C'est pourquoi le gouvernement a ouvert toutes les pistes pour lutter contre les discriminations. Il était impératif d'abord d'avoir une parole politique forte et dénoncer les discriminations pour ce qu'elles sont, une atteinte intolérable aux principes de la république. Permettez-moi de penser que c'est un des grands mérites de ce gouvernement que d'avoir eu cette parole, à un moment où beaucoup préferaient détourner le regard ou, pire, attiser les peurs des Français. Saluons aussi le rôle des chercheurs, des associations, des militants syndicaux qui en dévoilant une réalité souvent crue, nous ont aidés à briser le tabou du racisme banalisé et quotidien.
Il fallait ensuite mobiliser les organisations syndicales et patronales. Une table ronde avec l'ensemble des partenaires sociaux s'est tenue le 11 mai 1999, dans mon Ministère. Elle a débouché sur l'adoption de la " Déclaration de Grenelle " qui marque l'engagement des acteurs du monde du travail. Cette journée a également souligné la nécessité d'apporter un certain nombre de modifications au code du travail pour prévenir et sanctionner plus efficacement les discriminations dans le monde du travail. Les propositions mises en débat à cette date trouvent aujourd'hui une traduction législative dans le cadre de cette proposition de loi. Parallèlement, la création des commissions départementales d'accès à la citoyenneté (les CODAC) a permis d'enclencher au niveau départemental, autour des préfets, la mobilisation des acteurs locaux.
Dans le même temps, et parce que pour combattre, il faut connaître, nous avons créé en septembre 99 le groupe d'études sur les discriminations. J'ai également, dès mon arrivée au Ministère, engagé des actions de sensibilisation et de formation de tous les agents du service public de l'emploi susceptibles d'être en contact avec des pratiques discriminatoires.
Enfin, à la suite des assises de la citoyenneté du 18 mars dernier, une étape supplémentaire a été franchie avec la création du 114. Ce numéro téléphonique gratuit offre enfin un recours simple et accessible à toutes les personnes victimes de discriminations raciales. Il permet à ceux, dont la parole était souvent étouffée de se faire entendre et de pouvoir faire valoir leurs droits. Pour ceux qui en doutaient encore, son succès (des dizaines de milliers d'appels) témoigne malheureusement de la réalité des discriminations raciales dans notre pays.
Il faut souligner que d'autres ministères ont également développé des actions significatives. Je pense notamment, en matière de police, à la priorité affichée par le ministre de l'intérieur d'opérer un recrutement respectant la mixité sociale, à l'inscription dans les contrats de ville de la thématique " lutte contre les discriminations " ou encore à la demande adressée par la Garde des Sceaux aux Parquets pour que les plaintes en discrimination soient suivies davantage d'effets.
Vous l'avez compris, nous avons porté depuis 3 ans le combat contre les discriminations sur tous les terrains. Il nous manquait encore une étape, celle des modifications de la loi pour renforcer les droits des victimes et faciliter leur accès à la justice. C'est l'objet de votre proposition de loi, qui s'inscrit ainsi pleinement dans la continuité de l'action gouvernementale. Nous étions souvent, dans cette lutte contre les discriminations raciales, considérés comme en retard par rapport à nos voisins européens. Désormais, les choses s'inversent : j'en veux pour preuve la rapidité par laquelle, grâce à votre proposition de loi, la directive européenne adoptée en juin dernier sera transposée dans notre droit, pour ce qui concerne l'emploi.
Pourquoi légiférer se demanderont certains alors que nous disposons déjà d'un arsenal juridique conséquent pour lutter contre le racisme ? Parce que, si la loi de 72 contre le racisme est une bonne loi, elle trouve ses limites dans le fait que, trop souvent, les Français refusent de témoigner aux côtés des victimes de discrimination. Votre proposition de loi permettra de renforcer les droits des victimes dans le droit du travail et de lutter avec une efficacité accrue contre l'ensemble des pratiques discriminatoires, qu'elles soient fondées sur l'origine réelle ou supposée des individus, le sexe ou l'orientation sexuelle.
J'ai longuement évoqué la question des discriminations raciales mais nous savons également tous que le sexisme imprègne encore trop fortement nos relations du travail et que l'égalité des chances entre hommes et femmes, dans l'accès à la formation, aux responsabilités ou dans les promotions n'est pas respectée.
Et, que dire de ces hommes et de ces femmes, qui ont fait le choix d'une sexualité différente, et qui doivent parfois affronter, dans leur lieu de travail, une homophobie " rentrée ", silencieuse et qui n'ose pas dire son nom. Quelquefois, celui qui ressent le besoin de dire sa différence, parce qu'elle est au cur de sa vie et de son identité, doit subir les regards qui changent, les blagues qui dérapent, quand ce n'est pas une mise à l'écart, une mutation ou un licenciement.
Pour tous ceux là, la loi dont nous débattons aujourd'hui engage des évolutions importantes de notre droit du travail
Elle élargit d'abord la portée du principe général de non-discrimination posé par le code du travail. Actuellement, il ne s'applique qu'aux trois seules hypothèses suivantes : le refus d'embauche, les sanctions disciplinaires et le licenciement. Il sera élargi à toutes les étapes de la carrière des salariés et concernera notamment la rémunération, la formation, la promotion professionnelle ou encore la mutation. C'est une avancée significative.
Elle permet ensuite, de combler un vide juridique. Les difficultés rencontrées par certains jeunes pour trouver des stages, pourtant obligatoires dans le cadre de leur scolarité, appelaient une réponse vigoureuse. Grâce à l'engagement du Ministre Délégué à l'Enseignement Professionnel, M. MELENCHON, nous l'apportons aujourd'hui. Dans ces discriminations à l'accès aux stages, c'était bien en effet l'expérience même du travail, de l'accès à la vie professionnelle qui étaient bloqués, détruisant la volonté ou l'engagement confiant d'un jeune dans la vie d'adulte. Le vide juridique empêchait de lutter contre ces pratiques. Le code du travail, mais aussi le code pénal, sont donc complétés à cet effet.
Faciliter l'établissement de la preuve pour améliorer le droit des victimes est une des autres grandes avancées de cette loi. Il revenait à la victime d'apporter la preuve de la discrimination. Or, nous le savons, c'est malheureusement difficile, pour ne pas dire impossible. Le très faible nombre de condamnations en témoigne. Comment prouver qu'un recruteur n'a même pas regardé votre CV parce que vous vous appelez Ali ou Fatima ? Comment prouvé que c'est " à cause " de votre nom ou de votre adresse que vous n'avez pas eu l'emploi auquel vous postuliez ?
Concrètement, cet aménagement de la charge de la preuve établira un nouvel équilibre entre l'employeur et le salarié dans la démonstration de la preuve. Dorénavant, le salarié qui s'estime discriminé devra présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination. Il appartiendra alors à l'employeur de prouver que sa décision a été prise pour d'autres motifs. L'évolution de notre droit est ici significative et mérite être soulignée : elle facilite les possibilités de recours et fait progresser le droit des victimes.
Ce nouveau régime de la charge de la preuve s'appliquera aux victimes de discrimination raciale ou de discriminations liées à l'orientation sexuelle. Ce faisant, nous transposons en droit français la directive européenne du 29 juin 2000. Ce nouveau régime sera également élargi à tous les cas de discrimination fondée sur le sexe dans le déroulement de la carrière professionnelle, alors qu'il ne prévalait jusqu'à présent que pour les cas de licenciements, de mesures disciplinaires et de rémunération. C'est un pas de plus dans le combat permanent, que nous menons avec Nicole PERY pour l'égalité socioprofessionnelle des hommes et des femmes.
Il s'appliquera aussi aux cas de discriminations indirectes. L'introduction de la notion de discrimination indirecte est une autre innovation importante. Ce concept permet de mettre en cause une mesure ou une règle apparemment neutre qui produit le même résultat qu'une décision ouvertement discriminatoire.
En matière de discrimination raciale, cette notion peut ainsi permettre de révéler des pratiques discriminatoires dans le déroulement des carrières par rapport à des pratiques de gestion du personnel apparemment neutres. Si un salarié d'origine étrangère (réelle ou supposée), établit une différence dans les promotions professionnelles, l'affectation ou la formation entre les salariés d'origine étrangère (réelle ou supposée) et les " autres " salariés, la discrimination pourra alors là aussi être reconnue.
Je suis également particulièrement heureuse que, conformément à l'engagement que j'avais pris en juin dernier devant les associations, cette proposition de loi nous donne les outils juridiques pour mieux lutter contre l'homophobie. Il s'agit ici de s'affronter aux silences complices, aux sous-entendus vexants, aux remarques implicites, parfois même aux insultes. Changer la loi ici et ajouter le terme " orientation sexuelle " à celui de " murs ", c'est opter pour la clarté de l'explicite contre les ambiguïtés de l'implicite, c'est surtout affirmer que nul ne peut subir une discrimination en raison de ses choix amoureux. Les mots ont leur force. Je me réjouis donc que l'amendement proposé en ce sens figure dans votre proposition de loi aujourd'hui, et ce d'autant plus qu'il s'inscrit pleinement dans la lettre de l'article 13 du traité d'Amsterdam.
Pour être pleinement efficace, la lutte contre les discriminations dans le monde du travail doit s'appuyer sur la mobilisation de l'ensemble des salariés. C'est pourquoi nous avons souhaité que leurs représentants disposent de prérogatives renforcées en matière de lutte contre les discriminations. Deux mesures nouvelles traduisent cette volonté : la possibilité pour les syndicats d'ester en justice et pour les délégués du personnel de s'impliquer dans cette lutte.
La possibilité pour les organisations syndicales de saisir le juge sur le fondement de l'égalité de traitement, en lieu et place du salarié, à condition que celui-ci n'y soit pas opposé, est actuellement limitée à l'action tendant au respect de l'égalité professionnelle entre homme et femme. La proposition de loi prévoit d'ouvrir cette prérogative à l'ensemble des cas de discriminations et de faire profiter des effets de ce droit de substitution non seulement le salarié mais également le candidat à un emploi.
S'agissant du rôle de délégués du personnel, nous proposons qu'il soit étendu à tous les cas de discrimination et pour tous les moments de la vie professionnelle. Si les notions de droits des personnes et de libertés individuelles semblent disposer d'une portée suffisamment large pour y inclure tous les motifs de discrimination et particulièrement la discrimination raciale, il est me paraît préférable, comme vous l'avez fait, dans un souci de sécurité juridique et pour lever certains tabous, notamment dans les petites entreprises, de le préciser explicitement et, par suite, d'élargir le champ d'intervention des délégués du personnel à l'ensemble des faits constitutifs de la carrière du salarié dans l'entreprise.
Enfin, ce projet est l'occasion d'évoquer les élections prud'homales.
Lors des dernières élections prud'homales de décembre 1997, nous avions assisté à une tentative du Front national de dénaturer les Prud'hommes en s'en servant d'une tribune à des seules fins politiques.
J'avais indiqué, avant même le jour du scrutin, qu'il n'était pas possible d'accepter un tel détournement de ces élections et que je proposerai, le moment venu, de prendre les mesures nécessaires pour empêcher que cela ne se reproduise.
La proposition de loi que nous débattons aujourd'hui me donne une excellente occasion de le faire. Je souhaite que vous votiez une disposition qui interdit à un parti politique ou à une organisation qui prône des discriminations fondées notamment sur le sexe, les murs, l'orientation sexuelle, l'origine, la nationalité, la race, l'appartenance à une ethnie ou les convictions religieuses, de présenter des listes lors du scrutin prud'homal. Ainsi, nous conserverons à ces élections leur objet et nous conforterons la juridiction prud'homale, dans sa composition paritaire, afin qu'elle continue à jouer sereinement le rôle essentiel de régulation des relations de travail qui est le sien.
Mesdames et Messieurs les Députés,
Beaucoup de ceux qui ont appelé le 114 ont, avec beaucoup d'émotion, exprimé leur solitude et leur désespoir. Grâce à vous, ils se sentent aujourd'hui peut-être un peu moins seuls.
Les discriminations sont insupportables pour quiconque est attaché au modèle républicain. Et, je sais que nous le sommes tous.
Il nous faut rompre avec ces logiques d'exclusion et encore démocratiser notre République. Il faut qu'elle sache mieux accepter les différences, qu'elle crée elle-même les espaces propices à l'expression de toutes les cultures, à leur rencontre et ainsi à l'épanouissement d'une diversité féconde. Mieux vivre ensemble, c'est apprendre à se connaître, à ne pas voir comme une menace la différence des autres. Nous devons dire à toutes les victimes de discriminations, femmes, personnes handicapées, étrangers ou immigrés, homosexuels, que notre République est forte de ses valeurs et qu'elle est là pour garantir leurs droits. Mais nous devons dire aussi à tous les Français qu'ils détiennent une part de la réponse dans leur main, que c'est à eux aussi de se mobiliser pour une société plus fraternelle. La République, c'est le peuple. C'est bien à chaque citoyen d'être acteur de la lutte contre les discriminations.
Notre débat d'aujourd'hui va bien au-delà d'une réponse à des revendications catégorielles. Pour reprendre une formule célèbre de Sartre, le problème des discriminations n'est le problème, ni des femmes, ni des homosexuels, ni des immigrés ; c'est notre problème. Je ne doute pas ainsi que nous soyons capables de tous nous retrouver autour de cette loi de principe et de justice.
(source http://www.social.gouv.fr, le 19 octobre 2000)
Mesdames et Messieurs les députés,
Je souhaite d'abord vivement remercier messieurs Jean LE GARREC, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et Philippe VUILQUE, rapporteur de présenter aujourd'hui cette proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations. Elle s'inscrit en effet pleinement dans les priorités gouvernementales et je me réjouis ainsi qu'elle reprenne un certain nombre de dispositions du projet de loi de modernisation sociale déposé devant votre assemblée le 24 mai dernier.
Nous devons avoir le courage de regarder la France en face : dans notre pays, l'Autre est trop souvent suspect. Sa différence suscite méfiance et ostracisme. Notre société, dans ses représentations, ses rapports sociaux, stigmatise dans trop de cas celui qui vient d'ailleurs, l'étranger, l'immigré, même s'il vit en France depuis plusieurs générations, celui qui vit différemment, celui qui " n'est pas comme nous ", je pense par exemple aux personnes handicapées ou aux personnes âgées. L'Autre apparaît malheureusement trop souvent comme un intrus. C'est particulièrement vrai pour les immigrés et leurs enfants.
Et pourtant, pour reprendre ce terme, ces " intrus " ont largement contribué à la richesse économique et culturelle de notre pays. Notre pays s'est en effet construit par l'intégration de générations successives d'immigrés, venues le plus souvent, faut-il le rappeler, combler notre déficit de main d'uvre.
Après la grande guerre, dans le Nord par exemple, les associations patronales, comme le Comité des Houillères, devenu en 1924 la société générale d'immigration, organisaient les flux migratoires de Polonais vers les mines. Après 1945, c'est cette fois au Sud de la Méditerranée que nous sommes allés chercher les bras qui nous manquaient
Ce détour par l'Histoire est essentiel : il démontre le rôle majeur joué par les immigrés dans la construction de notre pays. Par cette longue tradition d'accueil, la France s'est continuellement enrichie.
Les institutions républicaines, au premier rang desquelles l'Ecole et l'Armée, mais aussi l'entreprise et le monde du travail- je pense ici particulièrement aux syndicats- ont depuis la fin du XIXème siècle grandement contribué au succès de ce " creuset français ". Qui serait capable aujourd'hui de distinguer un Français d'origine italienne d'un Français d'origine polonaise, russe ou espagnole ?
Or, aujourd'hui, ce modèle ne fonctionnerait plus. On a ainsi beaucoup parlé au cours de cette dernière décennie de la panne du modèle français d'intégration : les instances républicaines seraient grippées et certains, par leur culture ou leur religion seraient " inintégrables " Je ne crois pas à la vérité de cette analyse. Le modèle français a souvent connu des phases difficiles, qui ont toujours correspondu à des périodes de crise économiques. A la fin du XIXème siècle, le racisme et la xénophobie frappaient, avec une violence dont il faut se souvenir, les travailleurs italiens : une dizaine d'entre eux furent tués à Aigues-Mortes lors d'une émeute "antiritale". A l'époque, on disait déjà que, parce qu'ils étaient différents, trop " catholiques ", on ne pourrait jamais les intégrer. Est-il en outre seulement besoin de rappeler la force de l'antisémitisme et du racisme dans les années 30 ?
L'histoire nous montre qu'il faut sortir d'une vision caricaturale de notre modèle d'intégration. Il n'y a pas plus d'âge d'or dans le passé que de crise définitive aujourd'hui. Il y a bien plutôt, tout au long de notre histoire, des difficultés que nous avons toujours su surmonter. Nous les surmonterons à nouveau si nous évitons les impasses.
La première serait de réduire la politique d'intégration à la mise en place de droits spécifiques pour les immigrés. La discrimination positive ne peut constituer une réponse : elle est contraire au principe républicain d'égalités des chances et aurait en outre l'effet pervers, en "légalisant la différence", de la stigmatiser encore plus.
La seconde serait de considérer comme inéluctable la dérive vers la communautarisation. C'est une logique de société qui est à l'opposé du " vivre ensemble " républicain et dont nous ne voulons pas. Elle n'a rien de fatale, pour peu qu'une volonté politique trace un autre chemin.
La troisième serait que la " crise " de notre modèle d'intégration nous pousse dans la recherche nostalgique d'une assimilation où pour se fondre dans la collectivité, l'individu serait obligé de renoncer à des pans entiers de son identité. Elle n'aurait fondamentalement pour conséquence que de crisper chacun sur ses différences et renforcer les tentations communautaristes
Non, on ne doit obliger personne à tout oublier pour nous rejoindre.
Non, l'intégration n'implique ni le reniement, ni la négation.
Appartenir à une collectivité, respecter ses valeurs et ses règles de vie ne doit pas interdire les spécificités, les différences, les itinéraires personnels. La force de la République, ce n'est pas l'unicité ou l'uniformité, c'est l'unité autour de valeurs communes faites de droits et de devoirs, enrichie des différences de chacun, dès lors qu'elles ne remettent pas en cause le socle de valeurs communes. C'est cette conception de l'intégration que nous devons faire prévaloir. On peut être citoyen de notre République et conserver ses racines, ses convictions, ses habitudes, dès lors, je le répète, qu'elles ne remettent en cause nos valeurs communes. C'est pourquoi la France condamne par exemple la polygamie ou l'excision.
Mais être citoyen suppose aussi que le société à laquelle on appartient vous reconnaisse. On n'est pas citoyen seul, on l'est avec d'autres quand on a le sentiment d'appartenir à une communauté de destin, de vivre ensemble, tout simplement. Ce sentiment d'appartenance se fonde sur l'égalité des chances et des droits de chacun.
Or, dans notre pays, ce principe républicain est trop souvent bafoué. La couleur de peau, un nom, une adresse barrent l'accès à l'emploi, au logement, aux loisirs et compliquent les relations avec les services publics. Combien de fois ai-je entendu des jeunes me raconter les mêmes histoires, celle de boîtes de nuit qui laissent passer les " blancs " mais refusent les autres ; celle d'employeurs qui répondent favorablement à un courrier puis ferment subitement leurs portes quand ils découvrent que le ou la candidate est un peu basanée Je me souviens aussi de Nordine, qui, pour contourner ces obstacles, a du nier sa propre identité et transformer sur son CV son prénom en Norbert
Les discriminations sont une violence inadmissible. Elles blessent et humilient quotidiennement ceux qui les subissent. Elles brisent leur citoyenneté. Elles dénaturent le pacte républicain. Plus personne ne peut nier leur réalité. Les témoignages sont trop nombreux, trop concordants.
Pour les enfants d'immigrés, ceux de la seconde ou de la troisième génération, le problème n'est pas un problème d'intégration. Ils sont culturellement intégrés. Ils sont même souvent à l'origine des modes culturelles de notre jeunesse. Ils partagent les valeurs de notre société. Ils en acceptent les règles de vie. Mais ils n'arrivent pas, ou en tous cas plus difficilement que d'autres, à faire valoir les droits que leur confère notre République.
Pour tous ceux-là, parler d'une politique d'intégration est dépassé, et pour tout dire à côté du problème. La véritable réponse est dans la mise en place de politiques de droit commun garantissant l'accès aux droits fondamentaux et d'actions spécifiques contre les discriminations. Ainsi, la CMU, les emplois jeunes, qui bénéficient à 15 % de jeunes des quartiers dits sensibles, le programme TRACE, le parrainage, la politique de la ville conduite par Claude BARTOLONE, sont autant de politiques qui restaurent pour tous l'égalité des droits.
Au côté de cette politique, il faut aussi lutter avec une détermination sans faille contre le racisme. Pas seulement le racisme idéologique et politique mais aussi le racisme ordinaire, insidieux, banalisé dans des rapports sociaux quotidiens. C'est pourquoi le gouvernement a ouvert toutes les pistes pour lutter contre les discriminations. Il était impératif d'abord d'avoir une parole politique forte et dénoncer les discriminations pour ce qu'elles sont, une atteinte intolérable aux principes de la république. Permettez-moi de penser que c'est un des grands mérites de ce gouvernement que d'avoir eu cette parole, à un moment où beaucoup préferaient détourner le regard ou, pire, attiser les peurs des Français. Saluons aussi le rôle des chercheurs, des associations, des militants syndicaux qui en dévoilant une réalité souvent crue, nous ont aidés à briser le tabou du racisme banalisé et quotidien.
Il fallait ensuite mobiliser les organisations syndicales et patronales. Une table ronde avec l'ensemble des partenaires sociaux s'est tenue le 11 mai 1999, dans mon Ministère. Elle a débouché sur l'adoption de la " Déclaration de Grenelle " qui marque l'engagement des acteurs du monde du travail. Cette journée a également souligné la nécessité d'apporter un certain nombre de modifications au code du travail pour prévenir et sanctionner plus efficacement les discriminations dans le monde du travail. Les propositions mises en débat à cette date trouvent aujourd'hui une traduction législative dans le cadre de cette proposition de loi. Parallèlement, la création des commissions départementales d'accès à la citoyenneté (les CODAC) a permis d'enclencher au niveau départemental, autour des préfets, la mobilisation des acteurs locaux.
Dans le même temps, et parce que pour combattre, il faut connaître, nous avons créé en septembre 99 le groupe d'études sur les discriminations. J'ai également, dès mon arrivée au Ministère, engagé des actions de sensibilisation et de formation de tous les agents du service public de l'emploi susceptibles d'être en contact avec des pratiques discriminatoires.
Enfin, à la suite des assises de la citoyenneté du 18 mars dernier, une étape supplémentaire a été franchie avec la création du 114. Ce numéro téléphonique gratuit offre enfin un recours simple et accessible à toutes les personnes victimes de discriminations raciales. Il permet à ceux, dont la parole était souvent étouffée de se faire entendre et de pouvoir faire valoir leurs droits. Pour ceux qui en doutaient encore, son succès (des dizaines de milliers d'appels) témoigne malheureusement de la réalité des discriminations raciales dans notre pays.
Il faut souligner que d'autres ministères ont également développé des actions significatives. Je pense notamment, en matière de police, à la priorité affichée par le ministre de l'intérieur d'opérer un recrutement respectant la mixité sociale, à l'inscription dans les contrats de ville de la thématique " lutte contre les discriminations " ou encore à la demande adressée par la Garde des Sceaux aux Parquets pour que les plaintes en discrimination soient suivies davantage d'effets.
Vous l'avez compris, nous avons porté depuis 3 ans le combat contre les discriminations sur tous les terrains. Il nous manquait encore une étape, celle des modifications de la loi pour renforcer les droits des victimes et faciliter leur accès à la justice. C'est l'objet de votre proposition de loi, qui s'inscrit ainsi pleinement dans la continuité de l'action gouvernementale. Nous étions souvent, dans cette lutte contre les discriminations raciales, considérés comme en retard par rapport à nos voisins européens. Désormais, les choses s'inversent : j'en veux pour preuve la rapidité par laquelle, grâce à votre proposition de loi, la directive européenne adoptée en juin dernier sera transposée dans notre droit, pour ce qui concerne l'emploi.
Pourquoi légiférer se demanderont certains alors que nous disposons déjà d'un arsenal juridique conséquent pour lutter contre le racisme ? Parce que, si la loi de 72 contre le racisme est une bonne loi, elle trouve ses limites dans le fait que, trop souvent, les Français refusent de témoigner aux côtés des victimes de discrimination. Votre proposition de loi permettra de renforcer les droits des victimes dans le droit du travail et de lutter avec une efficacité accrue contre l'ensemble des pratiques discriminatoires, qu'elles soient fondées sur l'origine réelle ou supposée des individus, le sexe ou l'orientation sexuelle.
J'ai longuement évoqué la question des discriminations raciales mais nous savons également tous que le sexisme imprègne encore trop fortement nos relations du travail et que l'égalité des chances entre hommes et femmes, dans l'accès à la formation, aux responsabilités ou dans les promotions n'est pas respectée.
Et, que dire de ces hommes et de ces femmes, qui ont fait le choix d'une sexualité différente, et qui doivent parfois affronter, dans leur lieu de travail, une homophobie " rentrée ", silencieuse et qui n'ose pas dire son nom. Quelquefois, celui qui ressent le besoin de dire sa différence, parce qu'elle est au cur de sa vie et de son identité, doit subir les regards qui changent, les blagues qui dérapent, quand ce n'est pas une mise à l'écart, une mutation ou un licenciement.
Pour tous ceux là, la loi dont nous débattons aujourd'hui engage des évolutions importantes de notre droit du travail
Elle élargit d'abord la portée du principe général de non-discrimination posé par le code du travail. Actuellement, il ne s'applique qu'aux trois seules hypothèses suivantes : le refus d'embauche, les sanctions disciplinaires et le licenciement. Il sera élargi à toutes les étapes de la carrière des salariés et concernera notamment la rémunération, la formation, la promotion professionnelle ou encore la mutation. C'est une avancée significative.
Elle permet ensuite, de combler un vide juridique. Les difficultés rencontrées par certains jeunes pour trouver des stages, pourtant obligatoires dans le cadre de leur scolarité, appelaient une réponse vigoureuse. Grâce à l'engagement du Ministre Délégué à l'Enseignement Professionnel, M. MELENCHON, nous l'apportons aujourd'hui. Dans ces discriminations à l'accès aux stages, c'était bien en effet l'expérience même du travail, de l'accès à la vie professionnelle qui étaient bloqués, détruisant la volonté ou l'engagement confiant d'un jeune dans la vie d'adulte. Le vide juridique empêchait de lutter contre ces pratiques. Le code du travail, mais aussi le code pénal, sont donc complétés à cet effet.
Faciliter l'établissement de la preuve pour améliorer le droit des victimes est une des autres grandes avancées de cette loi. Il revenait à la victime d'apporter la preuve de la discrimination. Or, nous le savons, c'est malheureusement difficile, pour ne pas dire impossible. Le très faible nombre de condamnations en témoigne. Comment prouver qu'un recruteur n'a même pas regardé votre CV parce que vous vous appelez Ali ou Fatima ? Comment prouvé que c'est " à cause " de votre nom ou de votre adresse que vous n'avez pas eu l'emploi auquel vous postuliez ?
Concrètement, cet aménagement de la charge de la preuve établira un nouvel équilibre entre l'employeur et le salarié dans la démonstration de la preuve. Dorénavant, le salarié qui s'estime discriminé devra présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination. Il appartiendra alors à l'employeur de prouver que sa décision a été prise pour d'autres motifs. L'évolution de notre droit est ici significative et mérite être soulignée : elle facilite les possibilités de recours et fait progresser le droit des victimes.
Ce nouveau régime de la charge de la preuve s'appliquera aux victimes de discrimination raciale ou de discriminations liées à l'orientation sexuelle. Ce faisant, nous transposons en droit français la directive européenne du 29 juin 2000. Ce nouveau régime sera également élargi à tous les cas de discrimination fondée sur le sexe dans le déroulement de la carrière professionnelle, alors qu'il ne prévalait jusqu'à présent que pour les cas de licenciements, de mesures disciplinaires et de rémunération. C'est un pas de plus dans le combat permanent, que nous menons avec Nicole PERY pour l'égalité socioprofessionnelle des hommes et des femmes.
Il s'appliquera aussi aux cas de discriminations indirectes. L'introduction de la notion de discrimination indirecte est une autre innovation importante. Ce concept permet de mettre en cause une mesure ou une règle apparemment neutre qui produit le même résultat qu'une décision ouvertement discriminatoire.
En matière de discrimination raciale, cette notion peut ainsi permettre de révéler des pratiques discriminatoires dans le déroulement des carrières par rapport à des pratiques de gestion du personnel apparemment neutres. Si un salarié d'origine étrangère (réelle ou supposée), établit une différence dans les promotions professionnelles, l'affectation ou la formation entre les salariés d'origine étrangère (réelle ou supposée) et les " autres " salariés, la discrimination pourra alors là aussi être reconnue.
Je suis également particulièrement heureuse que, conformément à l'engagement que j'avais pris en juin dernier devant les associations, cette proposition de loi nous donne les outils juridiques pour mieux lutter contre l'homophobie. Il s'agit ici de s'affronter aux silences complices, aux sous-entendus vexants, aux remarques implicites, parfois même aux insultes. Changer la loi ici et ajouter le terme " orientation sexuelle " à celui de " murs ", c'est opter pour la clarté de l'explicite contre les ambiguïtés de l'implicite, c'est surtout affirmer que nul ne peut subir une discrimination en raison de ses choix amoureux. Les mots ont leur force. Je me réjouis donc que l'amendement proposé en ce sens figure dans votre proposition de loi aujourd'hui, et ce d'autant plus qu'il s'inscrit pleinement dans la lettre de l'article 13 du traité d'Amsterdam.
Pour être pleinement efficace, la lutte contre les discriminations dans le monde du travail doit s'appuyer sur la mobilisation de l'ensemble des salariés. C'est pourquoi nous avons souhaité que leurs représentants disposent de prérogatives renforcées en matière de lutte contre les discriminations. Deux mesures nouvelles traduisent cette volonté : la possibilité pour les syndicats d'ester en justice et pour les délégués du personnel de s'impliquer dans cette lutte.
La possibilité pour les organisations syndicales de saisir le juge sur le fondement de l'égalité de traitement, en lieu et place du salarié, à condition que celui-ci n'y soit pas opposé, est actuellement limitée à l'action tendant au respect de l'égalité professionnelle entre homme et femme. La proposition de loi prévoit d'ouvrir cette prérogative à l'ensemble des cas de discriminations et de faire profiter des effets de ce droit de substitution non seulement le salarié mais également le candidat à un emploi.
S'agissant du rôle de délégués du personnel, nous proposons qu'il soit étendu à tous les cas de discrimination et pour tous les moments de la vie professionnelle. Si les notions de droits des personnes et de libertés individuelles semblent disposer d'une portée suffisamment large pour y inclure tous les motifs de discrimination et particulièrement la discrimination raciale, il est me paraît préférable, comme vous l'avez fait, dans un souci de sécurité juridique et pour lever certains tabous, notamment dans les petites entreprises, de le préciser explicitement et, par suite, d'élargir le champ d'intervention des délégués du personnel à l'ensemble des faits constitutifs de la carrière du salarié dans l'entreprise.
Enfin, ce projet est l'occasion d'évoquer les élections prud'homales.
Lors des dernières élections prud'homales de décembre 1997, nous avions assisté à une tentative du Front national de dénaturer les Prud'hommes en s'en servant d'une tribune à des seules fins politiques.
J'avais indiqué, avant même le jour du scrutin, qu'il n'était pas possible d'accepter un tel détournement de ces élections et que je proposerai, le moment venu, de prendre les mesures nécessaires pour empêcher que cela ne se reproduise.
La proposition de loi que nous débattons aujourd'hui me donne une excellente occasion de le faire. Je souhaite que vous votiez une disposition qui interdit à un parti politique ou à une organisation qui prône des discriminations fondées notamment sur le sexe, les murs, l'orientation sexuelle, l'origine, la nationalité, la race, l'appartenance à une ethnie ou les convictions religieuses, de présenter des listes lors du scrutin prud'homal. Ainsi, nous conserverons à ces élections leur objet et nous conforterons la juridiction prud'homale, dans sa composition paritaire, afin qu'elle continue à jouer sereinement le rôle essentiel de régulation des relations de travail qui est le sien.
Mesdames et Messieurs les Députés,
Beaucoup de ceux qui ont appelé le 114 ont, avec beaucoup d'émotion, exprimé leur solitude et leur désespoir. Grâce à vous, ils se sentent aujourd'hui peut-être un peu moins seuls.
Les discriminations sont insupportables pour quiconque est attaché au modèle républicain. Et, je sais que nous le sommes tous.
Il nous faut rompre avec ces logiques d'exclusion et encore démocratiser notre République. Il faut qu'elle sache mieux accepter les différences, qu'elle crée elle-même les espaces propices à l'expression de toutes les cultures, à leur rencontre et ainsi à l'épanouissement d'une diversité féconde. Mieux vivre ensemble, c'est apprendre à se connaître, à ne pas voir comme une menace la différence des autres. Nous devons dire à toutes les victimes de discriminations, femmes, personnes handicapées, étrangers ou immigrés, homosexuels, que notre République est forte de ses valeurs et qu'elle est là pour garantir leurs droits. Mais nous devons dire aussi à tous les Français qu'ils détiennent une part de la réponse dans leur main, que c'est à eux aussi de se mobiliser pour une société plus fraternelle. La République, c'est le peuple. C'est bien à chaque citoyen d'être acteur de la lutte contre les discriminations.
Notre débat d'aujourd'hui va bien au-delà d'une réponse à des revendications catégorielles. Pour reprendre une formule célèbre de Sartre, le problème des discriminations n'est le problème, ni des femmes, ni des homosexuels, ni des immigrés ; c'est notre problème. Je ne doute pas ainsi que nous soyons capables de tous nous retrouver autour de cette loi de principe et de justice.
(source http://www.social.gouv.fr, le 19 octobre 2000)