Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur les politiques publiques mises en oeuvre pour lutter contre la prostitution, Paris le 15 novembre 2000.

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Circonstance : Colloque "Politiques publiques et prostitution" au Sénat le 15 novembre 2000

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, chers Collègues,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi, en tout premier lieu, de vous souhaiter, à toutes et à tous, une très cordiale bienvenue au Sénat.
Le colloque que j'ai le plaisir et l'honneur d'ouvrir cet après-midi devant vous, est la première manifestation organisée par la Délégation du Sénat aux Droits des Femmes, présidée par Mme Dinah Derycke.
Je tiens à saisir l'occasion qui m'est ainsi offerte, pour rendre hommage à cette jeune Délégation et souligner la qualité du travail qu'elle a accompli depuis un peu plus d'un an.
Avec beaucoup de dynamisme, de constance et d'efficacité, elle a su très rapidement marquer la spécificité de son approche et l'intérêt de son apport incontestable au travail législatif. L'examen des textes instaurant la parité dans les élections politiques et dans le monde du travail, ainsi que le débat plus récent, sur la contraception d'urgence, en ont été autant d'illustrations.
Vous avez choisi, Madame la Présidente, de consacrer cette journée à la prostitution et plus précisément, aux politiques publiques mises en oeuvre pour lutter contre la prostitution. Je vous en félicite, car c'est un sujet particulièrement délicat et difficile.
Traiter de la prostitution implique, d'abord de passer outre les trop nombreux clichés qui sont véhiculés à son propos, tel que : la prostitution est une " soupape " nécessaire à l'ensemble de la société. Un récent sondage réalisé pour le journal " Le Parisien " montre ainsi que la prostitution est perçue par une majorité de français comme une fatalité à laquelle il est inutile de s'attaquer.
Or, la prostitution et le proxénétisme prennent depuis quelques années, une ampleur et un visage particulièrement inquiétants, avec la multiplication de réseaux de traites d'êtres humains venus des pays d'Europe de l'Est, et l'explosion de la prostitution des enfants.
Il me paraît primordial dans ce contexte, de faire un point précis sur les politiques publiques et leurs perspectives d'évolution.
Face au phénomène de la prostitution, nous le savons, les Etats n'ont pas tous choisi la même réponse : certains répriment le proxénète, la prostituée et le client, d'autres ne répriment que le proxénétisme, d'autres enfin pensent contrôler la prostitution en ouvrant des lieux réservés, dans lesquels les prostituées sont considérées comme des salariées et les proxénètes comme des employeurs ordinaires. Pour être complet, je mentionnerai aussi la récente législation suédoise qui ne poursuit que le client. Un tel système ne peut avoir pour effet me semble-t-il, que de rejeter la prostitution dans la clandestinité.
Depuis la fermeture des maisons closes en 1946, la France a opté pour ce que les spécialistes appellent l'abolitionnisme.
Mais ce choix fait aujourd'hui l'objet d'une double critique : une critique interne, tout d'abord, qui porte principalement sur l'insuffisance des moyens déployés par l'Etat pour faire respecter son choix. Par exemple, son désengagement du domaine de la prévention, de la réinsertion et de la formation est, à juste titre, sévèrement dénoncé.
Ces domaines sont en effet depuis longtemps totalement laissés à l'initiative du secteur associatif.
De même, l'absence de coordination entre les nombreux services de l'Etat, qui traitent de la prostitution est également pointée du doigt. Elle conduit parfois à des incohérences manifestes.
Peut-on par exemple continuer à soumettre les prostituées à l'impôt et à l'URSSAF, tout en leur refusant une protection sociale et en prétendant les aider à se réinsérer ?
Il me paraît primordial de répondre rapidement à ces critiques.
En effet, notre conception fait également l'objet d'une critique externe qui a pris la forme d'une véritable offensive, de la part d'Etats tels que les Pays-Bas ou l'Allemagne. Ces pays et d'autres groupes de pression militent avec quelque succès auprès de l'ONU et de l'Europe pour que ce qu'ils appellent la " prostitution volontaire ", soit considérée comme une profession ordinaire comportant des salariées et des " employeurs " ordinaires. Seule la " prostitution forcée " autoriserait la répression du proxénétisme.
Je crois qu'il ne faut pas hésiter à dire que cette distinction, totalement artificielle, fait fi des réalités les plus élémentaires. Il me semble qu'à de rares exceptions près, la prostitution implique la violence, même s'il ne s'agit pas toujours d'une violence physique. Qui dira où commence la violence ? Qui devra la prouver ?
A l'heure où partout, la prostitution prend des dimensions et un caractère quasi " industriel ", avec la multiplication de réseaux de proxénétisme et de trafic de jeunes gens, dans lesquels la violence et l'esclavage semblent être la règle, le courant de pensée que je viens d'évoquer, me paraît particulièrement dangereux.
Les trafiquants et proxénètes, qui, il faut le préciser utilisent les circuits de la prostitution pour faire circuler de la drogue et blanchir de l'argent sale, savent déjà très bien profiter des différences de législation entre les Etats européens dans leur lutte contre ce fléau.
Ce n'est pas un hasard je crois, si de plus en plus de proxénètes " opèrent " sur le territoire français, par téléphone portable, mais sans jamais y mettre un pied.
Telles sont certaines des difficiles questions que vous allez évoquer cet après-midi.
Les enjeux sont de taille. C'est pourquoi je souhaite que vos travaux soient très fructueux et servent à sensibiliser l'opinion publique à ce problème.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.senat.fr, le 21 novembre 2000)