Interview de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, dans "Le Progrès" le 30 septembre 2000, sur l'enseignement professionnel, notamment dans le cadre de la pénurie de main d'oeuvre dans certains secteurs d'activité et la formation professionnelle.

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Média : La Tribune Le Progrès - Le Progrès

Texte intégral

Les entreprises déplorent une pénurie de main-d'uvre, alors qu'il reste près de trois millions de chômeurs. Pourquoi ?
Nous vivons une situation radicalement nouvelle. Mais nous continuons à penser comme si nous étions encore dans une période de chômage de masse, où les actifs, en particulier les jeunes, n'avaient pas le choix. Aujourd'hui un formidable aspirateur à emplois s'est mis en place, créant de spectaculaires pénuries de main d'uvre dans certains secteurs : il manque par exemple chaque année 30 000 personnes dans le bâtiment, pour seulement remplacer les partants. La responsabilité de cette situation est partagée. La profession du bâtiment propose des salaires assez bas, et n'a pas su promouvoir l'image de ses métiers : on ignore par exemple qu'un plâtrier prend maintenant ses mesures avec un outil au laser
Et on n'arrive pas, à former ces plâtriers ?
Justement, je dois aussi balayer devant ma porte. L'éducation nationale a des formations excellentes, adaptées aux métiers d'aujourd'hui. Nos équipements sont également très modernes. Tout le problème est dans la manière dont est perçue la filière professionnelle par les jeunes, leurs parents et le monde de l'éducation lui-même : une très vieille tradition française veut que la voie de l'excellence soit l'enseignement général, qui produit les élites administratives et politiques, et que tout le reste ne soit qu'une voie de garage Par exemple, quand les effectifs de l'ensemble des lycées diminuent de 21 000 élèves, comme l'année dernière, les seuls lycées professionnels en perdent 15 000 ! C'est le résultat de la tendance à toujours privilégier l'enseignement général dans l'orientation des élèves.
Aimé Jacquet a pourtant fait la pub de l'enseignement général
Ça ne me paraît pas la bonne méthode. Mieux vaut d'abord prouver que l'enseignement professionnel ça marche ! Qu'un jeune peut partir du Cap pour finir en école d'ingénieur Pour cela, il faut augmenter l'offre de formations, la rendre plus fluide. Il faut ensuite augmenter la lisibilité des enseignements : honnêtement, personne n'y comprend rien ! Qui sait que le CAP de " matériaux souples " conduit aux métiers de la mode ? Il faut aussi établir une carte des formations que le grand public puisse consulter. Enfin, il faut que les diplômes soient crédibles : la France, pourquoi ne pas le dire, est le pays qui forme le mieux ses ouvriers et ses cadres.
Pour tout cela, il faut de l'argent ?
Non, c'est d'abord une question d'organisation, c'est pourquoi je dis que je suis un ajusteur régleur Ne nous payons pas de grands mots, quand il s'agit de réglages techniques. Prenons l'exemple de l'orientation des élèves. Dès que j'ai parlé de cela, beaucoup ont grimpé aux rideaux, m'accusant de vouloir rétablir les classes couperets. J'ai réglé cette difficulté. Mon idée est simple, il s'agit de proposer à chaque jeune, un an avant l'âge de la fin de l'obligation scolaire (16 ans), un entretien de plan de carrière.
N'est-ce pas trop tôt ?
Mais à 15 ans, vous pouvez être en seconde ou en première, et ça ne choque personne que l'on vous demande si vous voulez faire des sciences ou des lettres ! Alors pourquoi le refuser à des jeunes de 15 ans qui sont en quatrième ou en cinquième ? Pourquoi n'auraient-ils pas aussi le droit de choisir entre productique, électronique ou lettres, de se préparer une carrière ? Je pense surtout aux jeunes des milieux populaires, chez qui la culture du projet, du plan de carrière existe peu. Je lance l'expérience dans cinq académies
Dont nos régions ?
Non, cela viendra. Concernant l'académie du Rhône, comme ailleurs je souhaite qu'on réfléchisse à deux fois avant d'ouvrir de nouvelles classes de secondes générales et technologiques tant que les classes d'enseignement professionnel se vident.
Revenons aux pénuries de main d'uvre : pourquoi ne pas faire appel à l'immigration ?
Ce serait radicalement irresponsable. En premier lieu, parce qu'elle nous dispenserait de réfléchir à la manière dont nous pouvons remettre les deux millions et demi de chômeurs au travail. Ensuite, parce que nous avons besoin d'une main d'uvre qualifiée, et qu'il serait criminel, après avoir pillé les matières premières des pays en développement, de leur piller maintenant leur matière grise.
Et sur la formation professionnelle ?
C'est le domaine des partenaires sociaux. Je plaide seulement mais avec insistance, pour que les 138 milliards qu'elle coûte soient mieux utilisés, pour que les formations soient mieux distribuées, c'est-à-dire pas en priorité aux catégories déjà les plus qualifiées, et pour que le système soit plus cohérent.
Avec les régions ?
Oui, ce sont des partenaires essentiels, de qualité, droite et gauche confondus. Le vieux jacobin que je suis citera Robespierre : "Gardez-vous de gouverner trop, faites confiance aux collectivités et aux communes ".
(source http://www.education.gouv.fr, le 6 octobre 2000)