Extraits de l'interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à France 2 le 9 février 2000, sur la vigilance exercée par l'Union européenne à l'égard du gouvernement coalition constitué avec le parti d'extrême-droite de M. Haider et l'éventualité d'une suspension de ses droits de vote en cas de blocage des institutions de l'Union européenne par l'Autriche.

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Texte intégral

Q . Vous avez, à plusieurs reprises, parlé de devoir d'ingérence en ce qui concerne le choix qu'a fait l'Autriche d'une coalition conservateurs-extrême-droite pour gérer le pays .
R . J'ai plutôt expliqué qu'il n'y avait pas d'ingérence dans les affaires d'un pays, mais qu'il y avait finalement le fait que les Européens se préoccupaient de ce qui était désormais une affaire intérieure pour eux. Je suis français et je suis européen. On est autrichien et européen. Cela veut dire, à partir de ce moment-là, que lorsqu'on choisit un gouvernement, on doit respecter à la fois des valeurs nationales mais aussi les valeurs de l'ensemble plus vaste que nous avons construit, qui est l'Europe, qui n'est pas qu'un grand marché, qui n'est pas qu'une communauté d'intérêts. Nous devons respecter les valeurs d'un ensemble politique, pleinement politique. Parmi ces valeurs, il y a la démocratie et le rejet de toutes les discriminations, d'où qu'elles viennent.
Q . On se souvient effectivement qu'on avait fait entrer la Grèce en Europe après justement la fin d'une dictature, celle des généraux, pour l'ancrer dans la démocratie. Là, on est dans une situation totalement inverse. Quels sont les moyens aujourd'hui de l'Europe ? On ne va pas dire à l'Autriche : . au revoir, restez chez vous, on ne veut plus vous voir puisque vous renoncez aux valeurs qui nous sont chères ? .
R . On a fait entrer la Grèce, on a fait entrer l'Espagne, le Portugal, trois pays qui avaient connu dans les 20 années précédentes des régimes dictatoriaux Et là, par rapport à l'Autriche, on est obligé de marquer le coup pour dire . non ! . . Ce qui se passe là-bas n'est pas quelque chose d'ordinaire. C'est quelque chose qui est contraire à nos valeurs : l'alliance avec un parti d'extrême droite, dont le leader, M. Haider, continue d'ailleurs de montrer tous les jours qu'il est un provocateur populiste et qu'il a envie au fond de faire casser cette coalition et de faire casser l'Europe. Mais c'est vrai que l'Union européenne n'a pas les moyens, ni d'ailleurs le souhait, parce que nous respectons le peuple autrichien, d'exclure l'Autriche. Ce qu'on peut faire est éventuellement suspendre l'Autriche de ses droits de vote, c'est l'article 7 du Traité.
Q . Cela existe dans le Traité ?
R . Absolument, s'il y a des violations graves et persistantes des droits fondamentaux de l'Union européenne, parmi lesquels, il y a tout ce qui concerne les Droits de l'Homme qui sont reconnus dans l'article 6 dudit traité. Nous n'en sommes pas là. Mais en même temps, ce qui est claire c'est qu'à travers les mesures fermes qu'a prises l'Union européenne, on a montré que l'Autriche était sous surveillance et qu'il y avait des bornes à ne pas franchir. Le gouvernement autrichien les connaît. On ne peut pas dire, par exemple, que l'on va peser de l'extérieur, mettre son veto à tous égards, parce qu'un comportement négatif de l'Autriche à l'intérieur de l'Union européenne, ne laisserait pas l'Union européenne sans réaction. C'est ce qu'a dit d'ailleurs le président actuel de l'Union européenne, Antonio Guterres, et je l'approuve complètement.
Q . Justement, les Portugais occupent la présidence. Mais n'y a-t-il pas parfois aussi un risque de double discours ? Parce qu'effectivement, il y a eu ces déclarations de grande fermeté et dans le même temps, on apprend que le ministre autrichien des Affaires sociales, qui appartient au parti de Jörg Haider, va être reçu à une réunion. Franchement, comme mesure de fermeté, on a vu mieux, non ?
R . Les mesures de fermeté que nous avons prises, et qu'il faut absolument faire durer, si on veut bien faire sentir à l'Autriche qu'elle risque un isolement politique de fait de ses choix néfastes, sont des mesures dites bilatérales. Ce sont des mesures d'Etat à Etat. Pour ce qui concerne l'Union européenne, on vient d'en parler, les possibilités juridiques sont faibles. De plus, nous ne voulons pas paralyser l'Union européenne, nous tirer en quelque sorte une balle dans le pied, en ayant des comportements qui ne nous apporteraient pas grand chose par ailleurs. Ces ministres seront invités aux Conseils des ministres de l'Union, qu'ils soient formels ou informels, et notamment celui-là qui est fait pour préparer un sommet sur l'emploi, au mois de mars. Si on n'avait pas convoqué cette réunion, à ce moment-là, c'est nous-mêmes que nous aurions pénalisé. Mais en même temps, il me semble que dans ces Conseils, on doit être capables de marquer à chaque fois, par son comportement personnel, par le comportement général, que ces ministres, sont là aussi sous surveillance, et qu'il faut à chaque fois marquer le coup avec beaucoup de fermeté. Martine Aubry a eu des formules assez justes sur ce qu'elle ferait si elle rencontrait ce ministre ou cette ministre d'extrême-droite, elle a dit . je ferais comme s'il n'existait pas .. Cela paraît tout à fait parlant.
Q . La France va occuper la présidence de l'Europe juste après le Portugal. J'imagine qu'il y a un certain nombre de rencontres qui vont avoir lieu, qui sont déjà sans doute prévues sur votre agenda Comment allez-vous faire ? Vous avez revu votre agenda en fonction de cela, des déplacements en Autriche que vous n'allez pas faire, ou des choses comme cela ?
R . Nous verrons tout cela. Il y a plusieurs choses que l'on peut envisager. Il y a d'abord ce système des réunions où l'on peut ne pas inviter le gouvernement autrichien. Il y a ce qu'on appelle les tournées des capitales où l'on peut ne pas faire l'étape autrichienne. Nous verrons bien. Il va y avoir quelque chose qui va s'installer, qui est de l'ordre du rapport entre l'Autriche et l'Union européenne. Je suis pour que l'on continue à manifester avec beaucoup, beaucoup de fermeté notre réprobation totale par rapport à ce qui est en train de se passer. J'avoue que les propos quotidiens de Haider, le jour où il dit que . le renard est dans le poulailler . , quand il explique qu'il veut accorder des réparations aux Allemands des Sudètes, je trouve quand même une déformation historique grande et tout cela continue de m'inquiéter.
Q . sous la présidence française, il va y avoir des enjeux importants, comme l'approfondissement de l'intégration de l'Europe politique, l'élargissement. Sur ces dossiers, que faut-il faire ? Continuer à avancer ou au contraire faut-il voir un peu comment cela évolue ?
R . Il faut absolument réformer les institutions avant d'élargir de nouveau l'Union européenne. Là-dessus, je prends le gouvernement autrichien au mot : il a dit qu'il n'y aurait pas de veto, mais nous attendons de lui qu'il ait une attitude constructive. Si en revanche, pour des raisons de politique intérieure ou pour des raisons de relation avec les pays européens, il adoptait une attitude négative, à ce moment-là, comme l'a dit le Premier ministre portugais, il faudrait en tirer les conséquences. Donc, c'est leur intérêt en fait que d'être constructifs, et je dirais presque . profil bas . d'une certaine manière.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 avril 2000)