Déclarations de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur l'intercommunalité et le développement culturel en milieu rural, Flixecourt le 30 novembre 2000.

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Circonstance : Visite de la communauté de communes du Val de Nièvre à Flixecourt (Somme) le 30 novembre 2000

Texte intégral

Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui et ce que je viens d'entendre me conforte, s'il en était besoin, dans ma conviction que l'intercommunalité, au coeur de cette nouvelle responsabilité publique partagée qui définit aujourd'hui le champ artistique et culturel, joue un rôle novateur et donc déterminant.
Je ne m'attarderai pas sur les conséquences de la montée en puissance de ce nouvel échelon au sein de notre organisation administrative et institutionnelle, je voudrais seulement souligner ce qui m'apparaît être la principale vertu des lois dites Voynet et Chevènement.
La réponse massive à l'incitation de la loi, témoigne de sa valeur citoyenne. Car vous répondez, à travers elle, aux aspirations concrètes et aux nécessités exprimées au plus près du terrain.
Vous illustrez notre capacité à réformer, ensemble, et en profondeur les institutions, le fonctionnement de notre démocratie.
Permettez-moi d'emblée de vous féliciter de cet engagement et le Secrétaire d'Etat à la décentralisation culturelle que je suis ne peut que se réjouir de constater votre dynamisme et votre ambition pour les habitants de votre Vallée.
Notre démocratie est trop souvent décriée à tort, elle possède une vitalité et des atouts qu'il nous faut valoriser. C'est le constat qui s'impose à moi, à travers ces rencontres avec le pays culturel que j'ai systématisées depuis mon arrivée au gouvernement.
Je veux insister sur les raisons qui font que la culture, sans être une compétence obligatoire dévolue par la loi, joue un rôle moteur dans ces nouveaux dispositifs, pour à la fois s'emparer et s'enrichir des nouveaux développements qui ne manqueront pas très rapidement de surgir.
L'apport essentiel de l'approche intercommunale en matière culturelle tient en un seul mot, le territoire. Car il prédomine et commande l'organisation intercommunale, et de la sorte, nous oblige à penser la culture différemment. Parce qu'il s'agit du territoire, vous avez construit des logiques de solidarité culturelle.
Pour que les aspirations culturelles de tous soient mieux prises en compte, pour que l'accès à la culture soit plus aisé, l'intercommunalité entraîne le développement des mises en réseaux et des complémentarités.
Parce que vous êtes au plus près des pratiques, grâce à l'écoute qui est la vôtre, vous êtes ainsi mieux en mesure de placer le citoyen au cur du projet culturel et de lui apporter des réponses nouvelles.
L'intercommunalité enrichit ainsi l'action culturelle, pour que les écarts creusés par les inégalités sociales et géographiques se réduisent. Cette ambition n'est pas mince, car elle oblige, de surcroît, à moderniser notre façon d'appréhender le domaine culturel. L'intercommunalité rationalise, mutualise, innove, afin de jouer pleinement des solidarités.
L'approche territoriale porte en elle une autre vertu. Celle de la valorisation de l'identité culturelle. L'intercommunalité de projet est fondée sur un espace vécu, sur une ou des identités affirmées qui renvoient inéluctablement à une culture partagée. Pour vivre et se développer, cette culture a besoin de l'intelligence et de la mémoire des lieux et des hommes. Je sais que vous avez engagé un important travail de mémoire sur l'industrie textile, socle identitaire de la Vallée.
Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de la visite que vous m'avez préparée. J'ai la conviction que l'intercommunalité construira ainsi les formes nouvelles du service public culturel dont le pays a besoin. Car elle agit de façon privilégiée sur des domaines essentiels de l'offre culturelle, tels que l'enseignement musical ou la lecture publique.
La convention de développement culturel qui sera prochainement signée entre l'Etat, le Conseil Général et la Communauté de communes du Val de Nièvre est sur tous ces aspects exemplaire. Exemplaire parce qu'elle est portée par une Communauté de communes dynamique, qui s'est dotée de la compétence culturelle, qui a élaboré un projet de développement culturel ambitieux en prise avec le territoire et qui a su se donner les moyens de sa politique en mettant en place un service culturel avec une équipe jeune et inventive.
Je tiens à saluer et à féliciter, à travers l'intercommunalité, les maires qui la composent. Vous êtes à l'échelon municipal, ceux qui ont permis, certainement le plus, à la France culturelle d'être aujourd'hui un pays riche, de le devenir en moins de trente années.
Si le paysage artistique et culturel s'est à ce point transformé, s'il n'est plus possible de parler de "désert culturel français" - malgré bien sûr, des retards, des disparités, des inégalités qui perdurent entre les territoires -, c'est en grande partie à votre engagement en ce domaine que nous le devons.
Mes nombreux déplacements depuis huit mois, à la rencontre de tous ceux qui font la culture dans ce pays, me confortent toujours davantage dans l'idée que nous devons exploiter ce formidable foisonnement pour réussir les transferts, les mutations dont notre pays a besoin.
Je vous remercie de votre attention.

(Source http://www.culture.gouv.fr, le 1er décembre 2000)
Je tiens d'abord à vous remercier, tous, pour cette visite ; cet itinéraire " Saint-Ouen/Saint-Frères " qui sera une étape de la route du textile en Picardie. J'ai pu ainsi me rendre compte combien le projet culturel de la Communauté de communes du Val de Nièvre, alliant mémoire et projet, stimule création et imagination. Il s'agit bien d'une construction sociale et culturelle commune et partagée.
Comme le dit Leslie Kaplan, " Aucun discours ne peut dire l'usine. Il faut des mots suspendus et discordants, ouverts. " Vous êtes en train de chercher ces mots en convoquant dans la Vallée toutes les disciplines, toutes les formes de la création et de la pensée qui constituent notre patrimoine à tous.
Au XIXe siècle, des esprits plus conservateurs que le nôtre, tenaient le patrimoine comme une chose morte qu'on entretenait, quand tout simplement on ne l'abandonnait pas, avec l'idée qu'on ne devait avoir pour seul dessein que de le transmettre tel quel aux générations futures, sans ajouts, ni conversion. Nous savons aujourd'hui qu'un objet patrimonial n'est appropriable par les nouvelles générations qu'à la condition de se transformer en une chose vivante et renouvelée. Il devient alors lieu et moyen de l'échange.
Mais par dessus tout, ce vers quoi doit nous entraîner ce travail sur la mémoire industrielle, c'est à faire effort pour trouver l'Homme vivant derrière ces témoins de l'industrie textile, ces femmes et ces hommes littéralement absorbés par le travail : la première embauche encore enfant, la souffrance, l'exigence de productivité, les salaires très bas, mais aussi la fierté du travail bien fait, l'esprit de solidarité, les luttes syndicales.
La Famille Saint était l'une de ces grandes dynasties d'entrepreneurs, qu'on qualifiait autrefois de "barons de l'industrie", et qui mettait en place pour compenser ou illustrer une domination sociale sans partage, un système que les historiens ont qualifié de "paternalisme social d'inspiration chrétienne". Ce qu'il produisait de concret n'a rien eu de négligeable. L'entreprise nourrissait, élevait, logeait, transportait, divertissait et encadrait. "On naissait Saint-Frères, on mourrait Saint-Frères". Pendant un siècle, les ouvriers de cette Vallée de la Nièvre ont presque vécu en autarcie.
On peut alors comprendre le choc, le traumatisme, le désastre pour la population dépendant de cet employeur presque unique sur la Vallée quand l'usine a fermé. Ce n'était pas seulement la perte d'un emploi mais toute une vie qui basculait.
Le travail culturel que vous avez engagé aujourd'hui, vingt ans après la fermeture, est admirable. Il ne peut en effet y avoir de projection dans l'avenir sans travail de mémoire et il n'y a pas de mémoire vivante sans projet, sans prospective.
Les artistes qui travaillent ici aujourd'hui s'inscrivent dans la continuité de la créativité et de l'inventivité dans la Vallée. Créativité et inventivité technique, créativité artistique d'Alfred Manessier, enfant du pays, né et enterré à Saint-Ouen, qui a porté en lui, à sa manière, la richesse textile de la Vallée ; ses uvres tissées en témoignent.
Je tiens ici à saluer l'inventivité du service culturel, la pugnacité des associations notamment " Mérites ", l'engagement des services du patrimoine de la DRAC, au risque d'en oublier bien d'autres.
Je souhaite que l'ancienne coopérative "La Prévoyance" puisse devenir une véritable coopérative culturelle alliant des fonctions de lieu de mémoire et de laboratoire pluridisciplinaire pour la création artistique contemporaine. Le monde du travail constitue un riche vivier dans lequel les artistes peuvent puiser sans fin, des expériences, des couleurs, des rythmes, des tensions, des matières premières, des savoir-faire, des énergies nouvelles. Ce gisement-là n'en finit pas de surprendre, de renouveler, de réenchanter celles et ceux qui ont choisi d'en faire leur source d'inspiration ou leur matière première, le sujet ou l'objet de leurs création.
Le travail engagé par "La Forge" en est un bon exemple. La composition de l'équipe qui va travailler pendant trois ans sur la vie en Val de Nièvre laisse augurer de beaux moments d'échanges et de rencontres : un musicien, des graphistes, un photographe, des historiens, un sociologue, une plasticienne, un écrivain.
Je suis particulièrement sensible à ces démarches interdisciplinaires où l'artiste et le chercheur retrouvent leur place au cur de la Cité, à l'écoute des habitants, de la vie tout simplement. La visite du bureau des objets prêtés, la lecture des premiers textes issus des cafés parlés et les photos prises sur la place du marché me laissent penser que l'ensemble des oeuvres et des ouvrages qui seront produits par cette démarche viendront enrichir le patrimoine culturel du Val de Nièvre et surtout valoriseront la mémoire vivante de ce territoire.
Cette dignité de la parole offerte permettra de donner du sens au présent et d'inventer l'avenir.
Je vous remercie.

(Source http://www.culture.gouv.fr, le 5 décembre 2000)