Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la coopération entre l'Union européenne et l'Afrique australe pour la prévention des conflits et le maintien de la paix en Afrique australe, Paris le 3 octobre 2000.

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Circonstance : Cérémonie d'ouverture de la 9ème rencontre UE - SADC (Southern African Development Community) au niveau des hauts fonctionnaires, Paris le 3 octobre 2000

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter la bienvenue à Paris à l'occasion de la 9ème rencontre Union européenne/SADC au niveau des Hauts fonctionnaires. La régularité de vos rencontres témoigne de l'intensité du partenariat existant entre nos deux organisations régionales.
C'est à une initiative allemande, concrétisée par la Conférence ministérielle de Berlin en 1994, que l'on doit la structuration de notre relation autour de grands thèmes comme le dialogue politique, l'intégration régionale et la coopération.
Après Berlin, les conférences de Windhoek, en 1996, et de Vienne en 1998, ont donné au dialogue toute sa richesse. Dans deux mois, J'aurai le plaisir de conduire la délégation européenne qui se rendra à Gaborone. Dans cette perspective, je tiens à assurer nos amis de la SADC de notre volonté de voir cette réunion déboucher sur un approfondissement de notre dialogue.
Au fil des ans, l'Union européenne est devenue le partenaire majeur d'une organisation qui a su développer une stratégie face à l'évolution - parfois quelque peu heurtée - de son environnement. Nous ne pouvions rester insensibles à une ambition qui privilégie des principes que l'Europe met elle-même en avant dans sa politique de coopération : le respect des Droits de l'Homme et des principes démocratiques, l'exigence d'une bonne gestion des affaires publiques.
Appartenant à deux ensembles géopolitiques différents, nos deux organisations sont confrontées aux exigences d'un monde en évolution rapide. La globalisation des échanges pousse les forces économiques au gigantisme. Elle attise les luttes d'influence et tend à affaiblir les Etats qui ne font pas l'effort de coopérer entre eux. Les régulations internationales, souvent conçues dans un autre contexte, piétinent encore trop souvent. Or, elles sont indispensables face au foisonnement des acteurs de la vie internationale, publics ou privés, pour ne pas dire, dans certains cas, légaux ou illégaux.
La conférence de Gaborone - que vous aller préparer - doit être l'occasion de mettre une nouvelle fois en commun nos réflexions sur les grands défis de demain et d'approfondir notre partenariat, notamment en matière de développement.
Mais, je ne vous l'apprendrai pas, aucune politique de développement n'est possible sans un environnement stable et sûr. Il existe, entre la paix et le développement, un lien fondamental. C'est pourquoi j'ai tenu à évoquer avec vous, ce matin, la problématique de la paix et de la sécurité, qui sera largement débattue à Gaborone.
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Pour les "afro-réalistes" que nous sommes, selon la formule du secrétaire d'Etat britannique, Peter Hain, le dernier rapport de la Banque mondiale ne fait que confirmer ce que nous savons : le continent africain demeure celui où l'on compte le plus grand nombre de conflits, de pertes de vies humaines, de destructions et de personnes déplacées. Les images affligeantes que nous diffusent les médias frappent durablement l'opinion internationale. Sur 22 millions de réfugiés dans le monde, plus de 6 millions en Afrique. 120 000 enfants-soldats s'y trouvent enrôlés dans des combats qui ne devraient pas être les leurs.
L'Afrique a été le théâtre de 90 % des conflits apparus dans le monde durant la dernière décennie. Un tiers des 110 millions de mines antipersonnel actives y ont été posées. Plus de deux millions de ses enfants sont handicapés à vie.
Les conflits obéissent à des mécanismes qui, une fois mis en uvre, sont difficiles à stopper. Ils puisent souvent leur source dans une volonté de prédation et d'accaparement des richesses naturelles. Ce faisant, ils ont le triste privilège de s'autofinancer et d'alimenter les trafics de toute nature. On y observe des recrutements de jeunes privés de structures familiales ou sociales. Tout cela crée parfois une sorte "d'insertion par le bas" de l'Afrique dans l'économie mondiale, fondée sur des modes d'enrichissement puissants dans l'immédiat, mais destructeurs sur le long terme.
La prévention est donc vitale pour éviter que ne se produise une structuration régionale négative, remettant en cause l'intégration positive que recherchent les Etats responsables et qu'encouragent les bailleurs de fonds.
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Face à cette situation, de quels moyens disposons-nous ?
La prévention des conflits et le maintien de la paix sont essentiellement du ressort des organisations internationales, et au premier chef du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies qui demeure la seule enceinte universelle et la "conscience collective" de l'humanité.
Le continent africain a fait l'objet d'une attention particulière des chefs d'Etat ou de gouvernement, réunis au "Sommet du Millénaire", début septembre. Si leurs travaux ont permis de dégager des consensus sur les grands thèmes traités, ils ont aussi mis en lumière les difficultés auxquelles fait face l'organisation dans les opérations de maintien de la paix.
En juillet dernier, le G8, réuni à Okinawa, a confirmé le maintien des Nations unies au cur de la culture de prévention. Elles seules disposent de la légitimité et de l'expertise nécessaires en la matière. Mais il a aussi souligné le besoin de coordination avec les organisations régionales. Celles-ci sont en mesure de faciliter l'utilisation de l'ensemble des instruments. Je pense, en amont, aux actions sur l'environnement politique, économique et social ; à l'alerte précoce et à l'action diplomatique préventive. En aval, les instruments concernés sont le déploiement de troupes et les mesures de reconstruction de la paix.
Le "rapport Brahimi", a mis l'accent sur la nécessité de renforcer les capacités de l'Organisation des Nations unies dans le domaine du maintien de la paix. Ses propositions, qui se fondent notamment sur les échecs et les difficultés enregistrés au cours des dix dernières années, visent à mettre en adéquation les moyens et les méthodes de l'ONU avec les missions que lui confient les Etats membres. L'accueil favorable qui lui a été réservé, lors du Sommet du millénaire notamment, devra être confirmé à l'occasion de l'examen prochain et approfondi de ses recommandations. A la demande de Kofi Annan, la Vice-secrétaire générale, Mme Frechette, devrait à cet effet soumettre aux Etats membres dans les prochaines semaines un plan détaillé de mise en uvre.
Réuni récemment au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, le Conseil de sécurité des Nations unies a accueilli avec satisfaction le rapport Brahimi, et décidé d'examiner à bref délai les recommandations qui le concerne. Il a également fait part, à cette occasion, de sa détermination à accorder une attention spéciale à la stabilité du continent africain. Il a souligné l'importance d'une coopération étroite entre l'ONU, l'OUA et les organisations sous régionales africaines.
Nous, Européens, considérons la prévention et le règlement des conflits en Afrique comme une priorité. L'Union continuera, dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, à favoriser les capacités et les moyens d'action africains, selon une approche à la fois volontariste, globale et intégrée. Elle s'efforcera d'améliorer la coordination de ses efforts avec ceux des Africains, et placera son action en cohérence avec la coopération au développement, le soutien aux Droits de l'Homme, à la démocratie et à la bonne gestion des affaires publiques. Elle fera preuve d'une attitude responsable en matière d'exportation de matériel militaire, et s'emploiera à lutter contre les trafics.
En pratique, le plan d'action agréé lors du Sommet Afrique/Union européenne du Caire, en avril dernier, se traduira par un renforcement des mécanismes de l'OUA, par un appui au Centre de gestion des conflits et au système d'alerte rapide.
Ces dispositions générales ont eu des prolongements régionaux : lors de la 8ème rencontre UE - SADC au niveau des Hauts fonctionnaires d'Harare, en octobre 1999, la mise sur pied d'un groupe de travail conjoint sur les armes de petit calibre a été évoquée ; L'Union a participé au financement de l'exercice régional "Blue Crane" qui s'est déroulé en Afrique du Sud, en avril 1999 ; nous sommes engagés en matière de lutte contre les mines terrestres et les trafics d'armes de petit calibre.
Des partenariats plus restreints se sont établis. Les pays nordiques ont mis sur pied en 1995, le programme "entraînement pour la paix", qui vient d'être reconduit pour 4 ans. Il apporte aux pays de la SADC une expérience en matière de maintien de la paix, par le biais, notamment de séminaires et de conférences.
Les structures d'engagement sont donc multiples. Si c'est avant tout aux Africains qu'il appartient d'agir en cas de crise sur leur sol, il est réaliste de reconnaître que ce continent ne peut, à ce stade, se passer de l'appui international. Le président en exercice de l'OUA, propose d'ailleurs de créer, avec l'aide des Nations unies, un "Institut africain pour la paix et la prévention des conflits".
Un séminaire de haut niveau sera organisé par la Grande-Bretagne et la France à Abuja, à la fin octobre. Les pays de la Communauté économique des pays d'Afrique de l'Ouest, la CEDEAO sont invités à participer aux débats qui s'articuleront autour de l'exercice "Pélican Bleu".
La France, comme certains de ses partenaires, a tenu à apporter sa contribution à la recherche des moyens de renforcer et de coordonner les structures opérationnelles existantes, en proposant le concept "RECAMP", qui signifie Renforcement des Capacités africaines de Maintien de la Paix.
Il s'agit, en s'appuyant sur un ensemble régional, de mettre les pays, même les plus démunis, en situation de faire respecter leurs droits, de leur donner l'occasion de confronter leur expérience avec celle des autres, et de parfaire leur équipement.
La France fait porter son effort dans trois domaines :
- la formation, en France et en Afrique, dans les Ecoles nationales à vocation régionale, dont celle de Zambakro, qui est encouragée à établir des partenariats avec les centres d'Accra et du Caire, ainsi qu'avec celui de la SADC, implanté à Harare ;
- l'équipement, sous la forme de matériels prépositionnés, à Dakar, à Libreville et prochainement à Djibouti ;
- l'entraînement, avec l'organisation, tous les deux ans, d'exercices d'envergure, accompagnés de séminaires politico-militaire, qui ont enregistré la participation d'autres pays européens et des Etats Unis. Après les exercices "Guidimakha" en 1998 et "Gabon 2000", le prochain devrait avoir lieu en Tanzanie, en 2002.
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Notre "afro-réalisme" nous contraint pourtant à un constat mitigé à propos des résultats sur le terrain. Que faire pour apporter une plus-value opérationnelle à ce dispositif ?
La fin durable des violences exige que l'on rende la paix plus attractive que le conflit, en consolidant ou en créant une situation telle que les uns et les autres aient "quelque chose à perdre" à un conflit et "quelque chose à gagner" à la paix.
Il s'agit d'une entreprise délicate nécessitant de la part des Etats et des organisations régionales, non seulement des moyens d'intervention, mais aussi une capacité particulière de réaction aux crises et à leur propagation.
Une telle orientation doit s'appuyer sur une "stratégie globale de traitement des conflits" développée par les Nations unies et intégrant des opérations de maintien de la paix renforcées, des embargos ciblés sur les trafics liés au pillage des ressources nationales, des mesures contre les chefs de guerre et la suppression des aides financières aux gouvernements qui ne respectent pas les engagements internationaux auxquels ils sont parties. Face à une situation de conflit, la responsabilité particulière d'un belligérant me semble devoir, le cas échéant, être stigmatisée.
S'agissant des procédures, la nécessité d'articuler les interventions des organisations régionales avec celles des Nations unies s'impose.
Le besoin de renforcement des capacités politiques des organisations à faire face aux crises et à leur propagation, en agissant sur les mécanismes existants - au niveau de l'OUA ou des organes spécialisés des organisations régionales - me semble également souhaitable.
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Mesdames, Messieurs, les dirigeants de la planète lors du "Sommet du Millénaire ont marqué leur préoccupation devant l'intensité, le nombre et la pérennité des crises en Afrique ".
Il nous appartient maintenant, chacun dans la mesure de ses capacités, de donner corps à cette nouvelle solidarité internationale, en faisant face à ces crises.
Le dialogue entre l'Union européenne et les organisations régionales africaines doit permettre d'aller de l'avant et de relever un tel défi.
Imaginons le niveau de développement que pourraient atteindre les pays de la SADC si les crises qui frappent durement certains de ses membres s'apaisaient durablement ? L'enjeu de nos travaux est tout simplement l'amélioration du niveau de vie de près de 200 millions de personnes.
Soyons des Afro-réalistes de progrès. C'est dans cette perspective, Mesdames et Messieurs, que je vous souhaite de fructueux débats. Vos conclusions devront constituer la base solide et opérationnelle des échanges entre ministres, à Gaborone.
Je vous remercie de votre attention et déclare ouverte la 9ème rencontre Union européenne/SADC au niveau des Hauts fonctionnaires./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2000)