Point de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la reconnaissance par l'Union européenne de la nouvelle situation en Yougoslavie, le partenariat et les aides envisagés, sur la tension au Proche-Orient et la contribution européenne à la désescalade, sur la préparation de la réunion euro-méditerranéenne de Marseille, Luxembourg le 9 octobre 2000.

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Circonstance : Réunion du Conseil Affaires générales à Luxembourg le 9 octobre 2000

Texte intégral

La Serbie d'abord. On peut dire qu'aujourd'hui l'Union européenne avait rendez-vous avec la nouvelle Serbie démocratique. Nous avions fait une promesse, c'était l'engagement que nous avions pris à Evian de réviser notre politique en cas de victoire de la démocratie à Belgrade. Nous avions précisé cette promesse, étape après étape, au fur et à mesure que la situation évoluait. Aujourd'hui, nous étions là pour tenir ces promesses. Je peux vous dire que c'est chose faite. L'Union européenne vient de réviser de manière radicale sa politique à l'égard de la République fédérale de Yougoslavie. Nous avons pris des décisions précises : nous allons lever les sanctions prises à l'encontre de la République fédérale yougoslave depuis 1998, embargo aérien et embargo pétrolier. L'entrée en vigueur est immédiate, dès la publication des règlements en question au Journal officiel. Nous avons pris des décisions sur les investissements. Nous proposons à la Serbie une véritable coopération économique et financière : programme CARDS, Agence européenne de reconstruction, rétablissement de la navigation sur le Danube, reconstruction des infrastructures. De leur côté, les ministres des Finances vont examiner avec les institutions financières internationales comment réintégrer la République fédérale de Yougoslavie dans la communauté internationale. La Commission européenne et la Banque mondiale s'occuperont conjointement de l'évaluation des besoins et de la coordination. En ce qui concerne le rapprochement avec l'Europe, nous proposons à la République fédérale de Yougoslavie de participer au processus de stabilisation et d'association qui concerne, jusqu'à présent, les autres pays de la région. Ce processus ouvre une perspective d'intégration dans les structures européennes et définit des étapes. La première est la négociation d'un accord d'association et nous proposons à la République fédérale de Yougoslavie de créer une task-force conjointe chargée de préparer les premiers éléments nécessaires.
Voilà ce qui relève de l'Union européenne en tant que telle.
D'autre part, la République fédérale de Yougoslavie va trouver tout naturellement sa place au sein du pacte de stabilité. Chaque Etat membre a exprimé ses vux de succès à M. Vojislav Kostunica dans son entreprise de démocratisation, d'établissement de la démocratie, de construction d'une vraie démocratie, d'un vrai Etat de droit, en République fédérale de Yougoslavie.
Voilà ce que nous avons donc décidé aujourd'hui et je me rendrai demain à Belgrade pour communiquer directement au président Kostunica ces décisions et lui faire part de nos propositions et de notre disponibilité.
Nous avons également eu un échange sur le Proche-Orient. Nous lançons un appel aux deux parties, compte tenu de la gravité de la situation. Nous demandons que des mesures urgentes et parallèles de désescalade soient mises en uvre de part et d'autre.
Nous suggérons à M. Barak de s'adresser au peuple israélien et à M. Arafat au peuple palestinien pour que les peurs, les antagonismes, l'engrenage de la violence ne balayent pas tout sur leur passage, et que, en plus des mesures de désescalade indispensables, chacun trouve les mots pour dire qu'ils savent qu'ils ont à coexister et à faire leur avenir ensemble, même si ce moment est très difficile à traverser et à surmonter. Nous souhaitons bien sûr que la discussion sur le fond reprenne au plus tôt et redonne une perspective et qu'elle desserre l'étau des angoisses et des menaces.
D'autre part, nous avons demandé à Javier Solana de se rendre dans la région dès ce soir. Il aura notamment l'occasion d'intervenir auprès de ses interlocuteurs syriens et libanais à propos de la libération des trois soldats israéliens enlevés hier par des soldats chiites libanais du Hezbollah. Mais sa mission est plus large. Il apportera toute contribution utile de l'Europe aux discussions en cours.
Nous avons travaillé sur l'efficacité de l'action extérieure de l'Union européenne. Je vous rappelle que nous avions consacré une après-midi entière à Evian à travailler sur ce point avec le commissaire Patten et les ministres. Au Conseil Affaires générales de septembre, ensuite, nous avions identifié les insuffisances des instruments de l'action extérieure de l'Union européenne et l'ensemble des éléments nécessaires à son renforcement. Aujourd'hui, nous avons décidé des premières mesures concrètes et opérationnelles qui concernent à la fois la coordination à Bruxelles et dans les pays tiers, les instruments d'analyse et de suivi, les débats annuels d'orientation. C'est un travail de fond, qui suppose une révision importante de nos méthodes et, en premier lieu, la réforme de la Commission. Grâce aux choix énergiques qu'a fait le commissaire Patten, nous pouvons avancer ensemble dans cette voie. Nous ferons le point régulièrement.
Nous allons poursuivre la préparation de la réunion euro-méditerranéenne de Marseille.
Nous avons également travaillé sur des questions comme celle de la banane, écouté le rapport du commissaire Lamy sur ce point ainsi que sa communication sur l'accès libre au marché pour les pays les moins avancés. Il y a eu, enfin, hier après-midi, un conclave ministériel de la Conférence intergouvernementale présidé par M. Moscovici, qui a permis, cette fois-ci, d'avancer un peu.
Q - Avez-vous des précisions sur l'ordre du jour de la rencontre de demain avec le président Kostunica ?
R - Je vais le voir au nom de la Présidence en exercice de l'Union européenne. Je vais lui communiquer directement les décisions qui avaient été promises et qui ont été annoncées et prises, les engagements qui ont été tenus par l'Union européenne à travers ce Conseil Affaires générales et je vais l'interroger sur ses projets. D'abord je lui demanderai, s'il n'a pas pu nous le dire avant, s'il peut ou non venir à Biarritz lors du Conseil européen informel, auquel le président de la République l'a invité. Je lui ferai part d'un certain nombre de souhaits, de suggestions et d'attentes concernant les temps à venir et les étapes de la construction de la démocratie en République fédérale de Yougoslavie, du rapprochement de celle-ci avec l'Europe. Je lui demanderai de m'expliquer plus précisément ses projets. C'est le début d'un dialogue. Nous n'allons pas épuiser en une fois l'ensemble des sujets qui apparaîtront au cours des jours et des semaines qui vont venir.
Q - Bernard Kouchner, ce matin, a reparlé de son inquiétude concernant l'aide au Kosovo. Il paraît redouter que l'aide européenne à la Serbie ait des répercussions négatives sur l'aide a priori octroyée au Kosovo ?
R - La Serbie n'a pas demandé d'aide pour le moment. Il n'y a rien qui engage officiellement la nouvelle Serbie. D'autre part, je ne sais pas s'il faut vraiment parler d'aide alors qu'il s'agit d'établir des partenariats à partir d'évaluations et de réflexions communes sur les besoins véritables. Il ne s'agit pas de questions d'aide en temps de crise, c'est totalement différent. Nous sommes en train d'établir une relation nouvelle, saine, respectueuse de part et d'autre. Nous allons entamer le processus par le biais de la Présidence et de la Commission, pour savoir ce qui est utile à la nouvelle Serbie de M. Kostunica, qui entre dans une période de transition, où il faut l'aider à consolider cette nouvelle situation. Il ne faut pas réagir précipitamment. L'Union européenne a de grandes ambitions et des moyens importants et doit être capable de tenir ses différents engagements et de répondre aux différents besoins. La question se pose par rapport à l'ensemble de ces programmes. Il ne faut pas seulement "raisonner Kosovo". Il y a la Méditerranée, l'Afrique, les Balkans. Nous pensons que l'Union européenne est capable de répondre à ces différentes demandes mais il faut qu'elles soient traitées de façon rationnelle et, le moment venu, hiérarchisées. Je n'ai pas d'inquiétude a priori et il n'y a pas, à ce stade, à mettre en avant la seule question particulière du Kosovo.
Q - S'agissant du programme MEDA, va-t-on vers une réduction en deçà des 6,7 milliards prévus par la Commission ?
R - Nous n'avons pas conclu sur ce point, donc vous ne pouvez pas parler de réduction. Il n'y a pas de conclusion. Et vous aurez compris que, compte tenu de l'actualité, c'est par manque de temps que nous n'avons pas pu conclure. La discussion se poursuit.
Mais je voudrais souligner que l'Union européenne est autre chose qu'un énorme organisme d'aides. L'Union européenne est une entité politique, qui joue un rôle politique très important, qui a une politique d'action extérieure dont l'importance est énorme et que nous sommes en train d'améliorer, une politique d'aide, une politique de coopération. Mais ne ramenez pas l'Union européenne, encore une fois, à un organisme qui distribue des paquets d'euros ici et là. Ce que nous faisons est, je crois, beaucoup plus ambitieux et beaucoup plus complet. Et le rôle de l'Europe dans le monde est attendu sur tous les plans. Pas uniquement sur le plan financier, même si c'est, bien sûr, très important.
Q - Estimez-vous nécessaire que Belgrade fasse un geste à l'égard du Kosovo, concernant les prisonniers par exemple comme l'a demandé M. Kouchner ?
R - J'aborderai, en effet, ce point avec M. Kostunica demain. De même que je lui demanderai de me parler de ses intentions par rapport à la question du Monténégro ainsi que par rapport aux voisins de la République fédérale de Yougoslavie puisque nous pensons tous que ce grand événement, l'arrivée au pouvoir de M. Kostunica, devrait permettre de changer complètement la physionomie de la région. Je lui demanderai quelle sont ses intentions et son calendrier.
Q - La levée des sanctions n'est-elle pas liée au sort de Milosevic ?
R - Ce sont deux questions très importantes mais qui ne sont pas juridiquement liées. Il y a une sorte de lien politique global entre tous les aspects de la construction d'une démocratie en République fédérale de Yougoslavie et tous les aspects de notre coopération, mais il n'y a pas de conditionnalité au sens strict.
Q - A Biarritz, évoquerez-vous l'enveloppe financière prévue pour les Balkans ?
R - L'éventuelle discussion de Biarritz n'est pas une discussion d'enveloppe financière. Nous sommes à un moment historique. M. Kostunica a gagné par le courage qu'a démontré le peuple serbe, ce peuple qui est en train d'imposer la construction d'une démocratie chez lui. Il est encore dans une période de transition sur le plan des pouvoirs, de l'organisation, de l'administration. Cette démocratie en République fédérale de Yougoslavie ne peut pas s'achever en un seul instant, uniquement parce que M. Kostunica a été élu et que l'ancien pouvoir a dû le reconnaître. Je peux vous dire qu'en général, les ministres, pour des raisons professionnelles, masquent leur émotion. C'est pourtant un moment très émouvant que de se dire qu'à partir d'aujourd'hui nous commençons à aider à la construction de cette démocratie yougoslave. C'est très émouvant pour tous ceux qui ont été engagés depuis des années et des années contre la politique nuisible du président Milosevic et tous ceux qui ont vécu intensément ces événements depuis le Kosovo ces derniers mois, ces dernières semaines et ces derniers jours. Nous dégageons donc des perspectives historiques. Il s'agit de parler d'une stratégie qui démarre maintenant et qui s'étend loin devant nous entre l'Union européenne et cette nouvelle Yougoslavie. Alors, il est évident que la dimension financière est un des éléments, la dimension de la coopération et de l'aide un autre élément de la question. Mais ce n'est pas aujourd'hui, ni ne sera à Biarritz, une discussion de boutique. C'est une vaste perspective. Et ces discussions viendront à leur heure normale, quand nous aurons travaillé un peu plus avec les nouvelles autorités de Yougoslavie pour savoir quels sont les besoins. Les décisions que nous prenons aujourd'hui consistent à lever l'embargo et auront, évidemment, tout de suite un impact tout à fait considérable sur l'économie de la Yougoslavie et sur l'économie de la région, des pays voisins. Cette économie étant liée à l'économie du Danube, cela a déjà une portée énorme.
Q - Pouvez-vous nous en dire plus sur la réunion de Marseille ?
R - Sur le sommet de Marseille, j'ai adressé une lettre à tous les ministres des Affaires étrangères des pays méditerranéens du Sud et j'ai envoyé une mission avec un ambassadeur et des représentants de la Commission et du Haut Représentant dans tous les pays concernés pour rassembler, avant la réunion ministérielle de Marseille, toutes les propositions et les suggestions d'avenir. Donc, la réunion de Marseille se prépare activement et très bien.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 2000)