Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur les négociations sur l'élargissement à l'Est de l'Union européenne, Bruxelles le 28 novembre 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Clôture du séminaire co-organisé par le groupement d'études et de recherche "Notre Europe" et la fondation Lucchini, Bruxelles le 28 novembre 2000

Texte intégral

Pardon, d'abord, aux organisateurs pour cette arrivée tardive (en raison de la tournée des capitales du président de la République, et notamment de son étape dans les pays scandinaves jusqu'à ce midi).
Quelques mots sur les deux sujets qui étaient soumis au débat cet après-midi, en commençant par la seconde question, qui concerne la stratégie de l'Union dans les négociations d'élargissement.

I. Au fond, à huit jours de Nice, ce débat d'aujourd'hui est particulièrement opportun, puisque la Présidence française souhaite que le Conseil européen puisse fixer une "vue d'ensemble" du processus d'élargissement, sur la base, notamment, des documents qui ont été remis par la Commission le 8 novembre dernier, et qui ont fait l'objet d'un débat approfondi lors du Conseil Affaires générales du 20 novembre.
Cette vue d'ensemble est particulièrement importante et nécessaire : les impatiences sont fortes, les pays candidats veulent être rassurés sur la suite - et, si possible - sur la conclusion des négociations d'adhésion. D'où le souhait de certains, y compris dans l'Union (et c'est aussi le cas de Jacques Delors, qui l'a encore dit à Sochaux, la semaine dernière) que les Quinze conviennent, à Nice, d'une date pour la finalisation des négociations d'adhésion.
Bien sûr, on peut comprendre l'impatience de certains candidats (dont Bronislaw Geremek s'est fait, une nouvelle fois, l'écho à Sochaux). En même temps, cette question de date relève largement d'un faux débat : nous l'avons dit clairement à Helsinki, dès le 1er janvier 2003, l'Union devra être prête à accueillir de nouveaux membres, si ceux-ci sont prêts pour adhérer. Pouvait-on aller plus loin, aller davantage à la rencontre des candidats ?
En ce qui concerne la "vue d'ensemble" qui sera discutée à Nice, et par-delà le caractère un peu austère des conclusions du Conseil européen, il ne faudra pas en sous-estimer le contenu. C'est ce que nous dirons aux pays candidats lors de la réunion de la Conférence européenne, le 7 décembre au matin, en prélude aux travaux des chefs d'Etat et de gouvernement. En effet, pour la première fois - et grâce en particulier au travail du commissaire Verheugen (que je félicite et remercie très chaleureusement, au nom de la Présidence) - nous aurons une vision précise des questions qui restent à régler avant de finaliser ces négociations :
- questions à régler du côté des pays candidats, bien sûr, sur la base de plusieurs principes, parfaitement connus de ces pays : différenciation, possibilité de "rattrapage", et, enfin, reprise de l'acquis, moyennant éventuellement certaines périodes transitoires, et mise en oeuvre, dans les pays candidats, des moyens d'assurer que cet acquis est effectivement appliqué ;
- du côté des Quinze : pour la première fois, nous avons décidé d'avancer avec méthode. La Commission a proposé, comme le souhaitait la Présidence française, une "feuille de route", qui répartit les difficultés qui nous restent à régler entre les trois semestres prochains, jusqu'à la mi-2002. C'est dire que nous ne nous contentons plus de dire où nous allons et avec qui, mais aussi comment nous allons atteindre cet objectif. En d'autres termes, nous ne voulons éluder aucune difficulté, pas même - le sujet est bien sûr très sensible pour la France - les questions liées à la reprise de l'acquis dans le secteur de la PAC.
Un exemple : les périodes transitoires. C'est un sujet majeur, dans lequel nous sommes entrés depuis quelques mois, et qui est désormais au cur des négociations. Comme cela était prévisible, la reprise de certains chapitres de l'acquis (environnement, la liberté de circulation des capitaux, l'énergie, etc.) exigera, de la part des candidats, plus de temps, ce qui leur permettra d'étaler leur effort dans la durée.
Par rapport à cette problématique, qui est centrale, il y avait deux façons de faire : la première, un peu doctrinaire, consistait à découper l'acquis en tranches, afin d'indiquer lesquelles étaient susceptibles ou pas de faire l'objet d'une entrée en vigueur différée ; et il y a la seconde, que la Présidence française a privilégiée, qui consiste à traiter ces demandes au cas par cas, de façon pragmatique, parce que cette manière permet, selon nous, de progresser mieux et plus vite dans les négociations.
Voilà donc où nous en sommes : les négociations ont reçu, au cours de ce semestre, une impulsion forte. En ce qui concerne les pays les mieux préparés à l'adhésion - un groupe de tête, qu'on voit bien se dessiner à présent - les difficultés à traiter sont à présent bien circonscrites et - j'y insiste - nous sommes convenus d'une méthode et d'un calendrier pour les traiter. J'espère que les pays candidats auront été sensibles à ce changement de rythme. Je crois aussi qu'on ne pourra plus parler, après cela, de quelconques réticences françaises vis-à-vis de l'élargissement.
Reste que - ce point est sous-jacent à toute la problématique de l'élargissement - certains considèrent, notamment au Parlement européen, que les moyens budgétaires que nous avons dégagés dans le cadre de l'Agenda 2000 sont insuffisants pour couvrir les frais des premiers élargissements, en clair pour que ces nouveaux adhérents puissent bénéficier des politiques communautaires. Je n'entre pas aujourd'hui dans ce débat. Pour nous, l'accord sur l'Agenda 2000 est suffisant pour permettre les premières adhésions. Ce qui est certain, c'est que le prochain paquet financier, vers 2005, sera probablement très délicat à négocier.

II. A côté du débat sur les négociations d'adhésion, il y a celui qui était soulevé par la première question, qui concerne notre "vision commune" d'une Union élargie.
Les organisateurs de ce débat ont souhaité que le débat sur la "vision d'une Union élargie" mette moins l'accent sur la dimension institutionnelle" - que je viens d'évoquer en quelques mots, et qui effectivement justifierait un autre débat tout aussi passionnant - que sur la "dynamique politique" susceptible de transcender les problèmes qui ont été évoqués ce matin : construction européenne et mondialisation, libre circulation et protection des individus dans l'espace européen et, enfin, la problématique extrêmement importante des relations entre marché et cohésion sociale et territoriale.
Quelques mots, cependant, sur les aspects politiques et institutionnels.
Je ne reviens pas sur le diagnostic : nous sommes conscients d'être entrés dans une phase de transformation très profonde de l'Europe qui a été construite depuis 50 ans. A 25 ou 30, peut-être davantage, il nous faudra trouver de nouveaux modes de fonctionnement, ce qui suppose que nous soyons capables d'inventer l'avenir. En d'autres termes, il est bien clair que la CIG que nous espérons conclure à Nice ne dessinera pas définitivement - mais ce n'était d'ailleurs pas son objet - le schéma de cette Union élargie à 25 ou 30.
La Présidence française a été extrêmement attentive à ne rien dire sur l'après-Nice qui puisse conduire à dévaloriser les résultats de Nice, et donc à compromettre l'issue de l'actuelle CIG. En même temps, il est normal que la question soit posée, et elle le sera sans doute à Nice : nombre de nos partenaires le souhaitent, l'Allemagne allant même jusqu'à préconiser la date de 2004 pour une nouvelle CIG.
Ce futur politique et institutionnel de l'Union élargie, nous devons l'organiser, le préparer : des idées ont été exprimées (qui trouvent un écho chez certains intervenants à ce colloque, notamment Jacques Delors), sur la répartition des compétences, sur la réécriture et la simplification des traités, voire sur la constitutionnalisation des traités.
Quelles idées sur l'après-Nice seront-elles exprimées à Nice ? Ces idées devront-elles se limiter aux trois que je viens d'indiquer ? Ne faut-il pas réfléchir aussi en termes de méthode de préparation : et là encore, plusieurs scenarii sont possibles (du "Groupe de Sages" à la "Convention", à l'instar de l'instance qui a préparé, avec le succès qu'on sait, le projet de Charte européenne des droits fondamentaux), tous devant, selon moi, inclure les pays candidats, nouveaux et futurs adhérents. Mais là encore, ne brûlons pas les étapes et attendons que le traité de Nice ait été signé - et ratifié - avant de fixer un nouvel objectif : l'idée belge d'un rendez-vous, dans un an, à la fin de son semestre de Présidence, me semble ainsi très sage.
En même temps, il ne faut pas se cacher que cet élargissement, que nous souhaitons, auquel nous travaillons, suscite aussi beaucoup de questions et des inquiétudes qui ont, sans nul doute, été exprimées dans le débat que vous avez eu ce matin.
Ces inquiétudes sont d'ailleurs au moins autant liées à l'élargissement qu'à la construction européenne elle-même. Qui fait quoi ? Qui décide de quoi ? Qui décide pour qui ? Nous voyons bien déjà, à Quinze, les problèmes qui se posent et les difficultés à les résoudre (chacun connaît les difficultés autour des questions de sécurité alimentaire ou de sécurité des transports maritimes). Nous voyons bien nos difficultés, au jour le jour, à expliquer ce que fait l'Europe, et pourquoi parfois elle ne fait pas. Dans ce contexte, comment ferons-nous à 25 ou 30, ce que nous parvenons parfois péniblement à faire à Quinze ? Tel me semble être, avant tout, le questionnement qu'expriment les sondages sur l'élargissement.
Au fond, tout ceci montre que, par-delà un vrai accord sur ce qui nous rapproche, sur ce qui fait que nous voulons bâtir l'Union ensemble, le jeu est ouvert. Beaucoup d'idées s'expriment sur l'avenir politique et institutionnel de l'Union, autant d'idées qui, d'ailleurs, ne sont pas toujours exclusives l'une de l'autre. Il n'y a, de toute façon, pas de réponse toute faite : il faut aussi tenir compte des résistances, comprendre les inquiétudes. Il faut donc avancer en tenant compte de tous ces éléments. L'Union est une construction permanente et ce n'est pas manquer d'ambition que de tenir compte de la réalité.
Voilà. Je n'en dirai pas plus aujourd'hui. La construction européenne ne s'arrêtera pas à Nice, bien entendu. Mais il n'en demeure pas moins que Nice sera un test politique fort de la volonté des Quinze de poursuivre l'intégration - car c'est cela que nous souhaitons - tout en se préparant à accueillir très prochainement de nouveaux membres.
Et comme Jacques Delors, je suis convaincu que nous ne bâtirons l'avenir politique de l'Union qu'en renforçant le modèle communautaire, et pas en le détruisant. Car si l'avenir de l'Union ne se règle pas à Nice, il reste que ce que nous visons, à Nice, c'est le "rehaussement" des Institutions de l'Union - je pense notamment à la Commission européenne, mais aussi à l'extension du champ de la majorité qualifiée ainsi qu'aux coopérations renforcées.
Sans un tel "rehaussement", un tel renforcement, je suis convaincu que la méthode communautaire, qui nous a permis d'avancer depuis 50 ans, se heurtera définitivement aux obstacles que sont une Union plus nombreuse, plus hétérogène. Il reste toutefois encore à inventer, en marchant, la façon de faire fonctionner, de façon plus différenciée, ce schéma communautaire rénové.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er décembre 2000)