Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les enjeux culturels, économiques et politiques de l'audiovisuel, Biarritz le 29 septembre 2000.

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Circonstance : Rencontres audiovisuelles de la Cita 2000 "Les lois de l'audiovisuel et du cinéma", à Biarritz le 29 septembre 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui à Biarritz, dans le cadre de La CITA 2000, pour ces rencontres consacrées au thème de la diversité culturelle et auxquelles votre présence prouve, s'il en était besoin, que le débat sur la diversité culturelle ne saurait se réduire, comme certains voudraient le faire croire, à une particularité française ou à un combat - pacifique certes, mais un combat tout de même - "franco-américain" ou "euro-américain". En réalité ce débat renvoie à une problématique essentielle de la société contemporaine, partagée par un nombre croissant de responsables politiques, d'intellectuels et plus généralement de citoyens. C'est d'ailleurs sans doute le principal mérite du glissement terminologique constaté depuis quelques années, à savoir le remplacement de la notion "d'exception culturelle" par celle de "diversité culturelle", que d'avoir mis en exergue cette prise de conscience bien au-delà des cercles politiques et culturels européens ou francophones.
De plus en plus de pays partagent en effet aujourd'hui l'objectif de préservation et de promotion de la diversité culturelle. Le souci de mettre en oeuvre des politiques de régulation du secteur audiovisuel, en pleine mutation, s'affirme chaque jour un peu plus dans le monde. A l'évidence, l'audiovisuel est un domaine unanimement considéré comme stratégique, contribuant de façon décisive à la vie culturelle d'une nation, quel que soit son niveau de développement économique.
Car chacun est bien conscient que l'audiovisuel réserve des enjeux culturels, économiques, mais aussi politiques.
Certes c'est d'abord un enjeu culturel.
Comme toute création de l'esprit, une oeuvre audiovisuelle ou cinématographique est en effet l'expression d'une identité. L'Europe, mais aussi le continent sud-américain, sont riches de traditions cinématographiques et audiovisuelles diversifiées, aujourd'hui renouvelées, comme en témoigne par exemple la jeune génération du cinéma argentin. La télévision génère aussi, selon les pays, des programmes bien spécifiques, dont les "télé-novela" - appréciées dans le monde entier - sont sans doute, pour l'Amérique du Sud, l'expression populaire la plus caractéristique. Dès lors la question cruciale à laquelle nous sommes confrontés est de savoir si la prolifération de programmes autorisée par le développement de la diffusion numérique permettra la promotion de cette diversité, notamment par une circulation accrue des programmes du monde entier, ou si, au contraire, elle favorisera l'hégémonie d'une production standardisée à l'aune des critères les plus médiocres.
Mais l'audiovisuel est aussi un enjeu économique. Certes, les revenus tirés du cinéma et de l'audiovisuel au niveau mondial ne représentaient en 1997 qu'un quart de ceux des télécommunications (215 milliards de dollars contre 900 milliards de dollars). Toutefois, le rythme de croissance annuelle du secteur audiovisuel - déjà fort remarquable - ne peut qu'être amené à s'accélérer, compte tenu de la nécessité d'alimenter en contenus la société de l'information. Nos industries audiovisuelles et cinématographiques seront-elles en mesure de répondre à cette explosion de la demande ? Nous ne sommes pas à ce jour certains de pouvoir répondre par l'affirmative.
Enfin, les enjeux plus politiques du secteur audiovisuel ne doivent pas être négligés. En particulier, le pluralisme de l'information est une condition essentielle du bon fonctionnement de nos démocraties. Or, malgré l'émergence de la société de l'information, la multiplication des chaînes de télévision et le développement des réseaux, on assiste à une diminution préoccupante du nombre des agences de presse dans le monde, à une concentration des sources d'information, à la constitution de groupes multimédias tentaculaires qui doivent nous rendre attentifs à la préservation d'une vie démocratique pluraliste.
Dans ce contexte, les responsables publics ont le devoir de porter une attention particulière au secteur audiovisuel.
Or, compte tenu des très forts déséquilibres commerciaux en matière audiovisuelle entre les Etats-Unis, d'une part, et le reste du monde, d'autre part, on ne peut en effet s'en remettre aux seules lois du marché, au risque de voir nos industries audiovisuelles balayées en quelques années. N'oublions pas l'exemple frappant de la disparition brutale de plusieurs cinématographies de haut niveau. Certains pays européens sont d'ailleurs revenus des approches ultra-libérales qui avaient réduit en miettes leur création : l'instauration de systèmes de soutien, intervenant selon des modalités de plus en plus diversifiées, a généralement remis sur pieds leurs industries. La France, pour sa part, a mis en place dès l'après-guerre un système de soutien qu'elle n'a cessé depuis de perfectionner et d'adapter aux évolutions économiques et technologiques. L'Union européenne s'est à son tour dotée d'une politique audiovisuelle commune visant à créer un environnement juridique propice au développement durable des opérateurs audiovisuels - c'est la directive "Télévision sans frontières" - et à soutenir une production locale et européenne - ce sont les fameux quotas et le programme MEDIA, qui va connaître une nouvelle étape à partir de 2001.
Les débats d'aujourd'hui, et c'est leur rôle essentiel, doivent nous permettre d'apprécier si, pour les responsables politiques d'Amérique latine, ce secteur audiovisuel a la même importance.
Dernier point, technique, mais capital à relever : un pays ne peut pas décider de mener de politiques publiques de soutien à l'audiovisuel national ou régional, par nature discriminatoires, s'il a fait à l'Organisation mondiale du commerce des offres de libéralisation du secteur audiovisuel. Rares sont les pays à avoir fait de telles offres de libéralisation : une vingtaine seulement. Mais ce sont autant de pays, dont d'ailleurs quelques-uns uns d'Amérique latine, qui ne sont plus en mesure de mener à bien ces politiques. On ne peut se satisfaire d'une telle situation. C'est la raison pour laquelle la France se félicite qu'une réflexion approfondie soit désormais entamée à l'UNESCO sur les moyens de préserver et de promouvoir la diversité culturelle.
Si j'ai souhaité inviter ici des parlementaires, c'est parce que je crois, pour avoir été longtemps parlementaire moi-même et rapporteur du budget sur la culture, que les Parlements, alors même que toutes ces questions essentielles relèvent légitimement de leur compétence, ne sont pas toujours suffisamment informé sur ces sujets, dont les enjeux sont souvent dissimulés sous quelques oripeaux technocratiques. Je n'oublie pas qu'en France, lors de la négociation avortée du fameux Accord multilatéral sur les investissements - AMI - à l'OCDE, ce sont les professionnels, la société civile, qui ont, non pas, à proprement parler, alerté les politiques, mais apporté un éclairage nouveau sur ce débat jusque-là resté très technique.
Je crois enfin que ce débat sur la diversité culturelle est un débat profondément humaniste et que, en cela, il touche à une valeur propre, issue de la Renaissance, et commune à l'ensemble du monde latin. Et il est peut-être grand temps de faire entendre, dans ce débat mondial, cette voix latine.
Afin que ces deux journées soient les plus fructueuses possibles, je vous propose un programme en trois étapes :
- ce matin, parlementaires et fonctionnaires débattront ensemble des enjeux de la diversité culturelle et des implications multilatérales de ce dossier ;
- cette après-midi, les discussions porteront plus précisément sur les moyens de promouvoir cette diversité et donc sur les législations en matière audiovisuelle et cinématographique ;
- enfin, demain matin, parlementaires et professionnels de l'audiovisuel se retrouveront pour aborder ensemble ces questions ainsi qu'un autre sujet, celui des partenariats stratégiques entre pays latins de l'Europe et les pays de l'Amérique latine.
Je conclus en espérant que des échanges de vues nourris et marqués par une grande franchise permettront de définir des lignes d'actions communes et, en tout état de cause, de resserrer nos liens autour de certains objectifs politiques fondamentaux des démocraties que nous avons l'honneur de représenter.
Je vous remercie./
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 octobre 2000)