Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur les mesures d'urgence pour l'emploi et le contrat initiative emploi, au Sénat le 19 juillet 1995.

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Circonstance : Présentation du projet de loi relatif au contrat initiative emploi et aux mesures d'urgence au Sénat, Paris le 19 juillet 1995

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Lors de mon discours de politique générale, il y a presque deux mois, j'avais déclaré que la politique du gouvernement serait orientée vers une seule et unique priorité : l'emploi.
Quatre semaines après cette déclaration, j'annonçais les mesures d'urgence proposées par le gouvernement pour l'emploi.
Me voici aujourd'hui devant vous, après les délais nécessaires à la consultation des Caisses de Sécurité Sociale et du Conseil d'État, pour vous présenter deux projets de loi pour l'emploi. Dans la bataille contre le chômage, ils forment en quelque sorte la première ligne de l'action gouvernementale.
Nous le savons bien, il n'y a en matière d'emploi aucune recette miracle. C'est pourquoi le gouvernement jouera sur tous les leviers pour favoriser la croissance et enrichir le contenu en emplois de cette croissance.
Pour cela, il faut d'abord que l'emploi devienne un investissement rentable, alors qu'il est aujourd'hui surtaxé par rapport à la machine. Nous devons donc alléger les cotisations qui pèsent directement sur le coût du travail, et freinent l'embauche en finançant autrement les dépenses sociales qui relèvent de la solidarité nationale. Là est l'urgence, là est la priorité.
De là découlent les deux mesures puissantes et cohérentes dont je vous propose l'adoption : le Contrat Initiative Emploi et l'allégement des charges sur les bas salaires. J'ai voulu que ces mesures d'urgence soient fortes et simples.
C'est le cas en particulier du Contrat Initiative Emploi. Le principe en avait été développé durant la campagne présidentielle. J'ai souhaité que le texte de loi qui vous est présenté soit pleinement fidèle à ce qui avait été annoncé, sans aucune restriction ou modalité compliquée. Il s'agit donc d'une exonération de charges et d'une aide de 2 000 F pendant deux ans, applicable à toute embauche de chômeurs de longue durée, RMistes ou handicapés. Cela représente un allégement de 40 % du coût du travail pour une telle embauche, soit un abaissement du coût du travail deux fois plus important que la plus forte mesure jusqu'ici en vigueur.
C'est un instrument puissant de lutte contre l'exclusion et le chômage de longue durée. Sa simplicité est la garantie de son efficacité.
Non seulement il contribuera très rapidement à diminuer le chômage de longue durée, à rendre leur dignité aux personnes exclues depuis longtemps du marché du travail, à leur redonner un avenir et de nouvelles espérances, mais il permettra également, comme tout système d'emploi aidé, d'intensifier le mouvement de création d'emplois. Ma conviction est que, au rythme de 350 000 bénéficiaires par an, le CIE aura créé 150 000 nouveaux emplois d'ici à la fin de 1997.
C'est l'objectif que j'ai fixé aux services de l'ANPE, en leur demandant de centrer plus spécifiquement leur action vers les chômeurs de très longue durée et les allocataires du RMI.
Forte et simple, la mesure d'allégement des charges sur les bas salaires l'est aussi. C'est une mesure attendue. Elle est massive et simple d'usage. Elle permettra un allégement de 10 % du coût du travail sur les embauches de personnes rémunérées au niveau du SMIC.
Elle favorisera la création d'emploi, à temps plein ou à temps partiel, au-delà des 3,5 millions de salariés dont la rémunération est inférieure à 1,2 fois le SMIC. C'est une mesure, sans précédent, d'abaissement du coût du travail, dont bénéficieront en tout premier lieu les petites et moyennes entreprises. C'est ainsi qu'elles pourront le plus efficacement être encouragées à créer les emplois dont elles ont besoin mais qu'elles hésitent aujourd'hui à pourvoir.
Ces deux mesures que vous examinerez aujourd'hui et demain sont, je l'ai dit, des mesures d'urgence.
Mais la deuxième étape est d'ores et déjà engagée. Elle vise à réformer profondément l'ensemble des prélèvements obligatoires, dont l'assiette nuit à l'emploi.
J'ai demandé à M. MADELIN de conduire une réforme de la taxe professionnelle pour rendre celle-ci moins pénalisante vis-à-vis de l'emploi et pour enrichir le contenu de la croissance en emplois.
Cette réforme sera accompagnée d'une réflexion d'ensemble sur les prélèvements fiscaux et sociaux, dans le cadre d'une politique de réduction rapide et forte des déficits publics.
Car le lien entre la lutte contre le chômage et la lutte contre les déficits est indéfectible.
Le chômage provoque une augmentation des déficits, celui de l'assurance chômage, de la sécurité sociale et du budget de l'État. Il accroît l'endettement, c'est-à-dire la ponction sur l'épargne nationale et la hausse des taux d'intérêt.
Le coup d'arrêt que le collectif budgétaire porte à la dérive des finances publiques a d'ores et déjà permis une sensible détente des taux à court terme.
Il faut impérativement poursuivre sur cette voie.
Deuxième levier contre le chômage : l'aménagement du temps de travail.
Il faut aller plus loin dans cette direction. Les salariés y aspirent fortement. Parfois, nous donnons du temps aux actifs quand ils ne le souhaitent pas vraiment, je pense en particulier aux préretraites couperets. Il faut maintenant donner du temps au moment souhaité.
Pour cela il faut audace et détermination, et n'exclure aucune idée, aucune initiative pour l'aménagement ou la réduction du temps de travail.
Les partenaires sociaux négocient depuis le début de l'année sur le sujet. Je souhaite que ces négociations aboutissent rapidement, car je suis persuadé que la voie conventionnelle est la meilleure, dans l'intérêt du salarié, dans celui de l'entreprise et de notre société tout entière.
Bien des expériences existent. Il faut les étendre pour les finaliser sans tarder.
Le troisième moyen d'action pour l'emploi consiste à activer les dépenses passives d'indemnisation, pour les transformer en dépenses d'insertion.
Le gouvernement avait souhaité, dans ce domaine, que les partenaires sociaux renforcent le dispositif des conventions de coopération mis en uvre dans le cadre du régime d'assurance chômage.
Je me félicite que, par les accords des 4 et 6 juillet, ils aient décidé de réformes prometteuses qui modifient radicalement l'ampleur des efforts engagés.
Je pense en particulier à la création du Fonds Paritaire d'Intervention, financé par l'UNEDIC, qui interviendra dans le paiement de préretraites de salariés de plus de 58 ans, ayant au moins 40 annuités, sous condition d'un nombre d'embauches équivalentes de salariés plus jeunes.
Je pense également aux conventions de coopération, qui après une phase expérimentale, prennent maintenant l'ampleur d'une véritable mesure d'activation des dépenses passives pour les demandeurs d'emploi d'au moins 8 mois d'ancienneté.
Les enjeux de ces deux accords sont très importants et le gouvernement souhaite que leur mise en uvre et leur montée en puissance soient très rapides.
L'accès des jeunes à l'emploi est aussi un enjeu majeur de notre bataille contre le chômage.
Dans un premier temps, le gouvernement s'est, en ce domaine, tourné vers les partenaires sociaux qui ont proposé la mise en place d'un complément d'accès à l'emploi pour les jeunes en difficulté et le doublement de l'aide au premier emploi des jeunes pour les diplômés.
Le projet de loi que vous allez examiner propose une prolongation des incitations à la signature des contrats de qualification et des contrats d'apprentissage, avec dans cedernier cas, une augmentation de la prime à l'embauche de 7 000 F à 10 000 F.
Il s'agit là d'une mesure importante qui marque la volonté du gouvernement de développer la formation en alternance.
Un projet de loi spécifique sur ce sujet vous sera soumis à l'automne. J'ai demandé à M. BARROT d'organiser dès maintenant une table ronde pour remettre à plat le fonctionnement et le financement des contrats d'apprentissage et des contrats dits en alternance.
Il convient en effet de ne pas se tromper de modèle et de n'attendre le salut que de la création d'emplois peu qualifiés.
Il faut parier au contraire sur l'intelligence et sur la qualification. Cela implique aussi une réforme des premiers cycles universitaires pour éviter qu'ils ne soient, comme c'est trop souvent le cas, des filières de l'échec en raison des mauvaises orientations initiales.
Cinquième arme contre le chômage : le développement sur une grande échelle des emplois de service dont a besoin notre société, qui a rompu les anciennes solidarités de personne à personne, essentielles à son équilibre.
J'ai demandé à Mme COUDERC de préparer un plan de développement des emplois de proximité.
Ce plan devra en particulier donner leur place aux métiers de convivialité et de solidarité qui répondent aux attentes des familles, des personnes âgées, des handicapés, des jeunes.
Il faut reconnaître ces emplois pour ce qu'ils sont : de vrais emplois, avec possibilités de formation et des rémunérations convenables.
Il faut pour cela se baser sur une logique claire, simple et opérationnelle pour sortir de la politique du coup par coup qui est pour l'instant la règle. Le gouvernement a la volonté d'avancer rapidement, dans le cadre d'une réforme d'ampleur, dans ce domaine.
Dès l'automne, M. BARROT vous présentera un projet de loi visant à étendre l'application du chèque-service. La simplicité est en effet un facteur crucial pour le développement des emplois de proximité pour lesquels il faudra, par ailleurs, imaginer des dispositifs de solvabilisation de la demande plus efficaces.
Promouvoir l'emploi, c'est enfin prévenir les licenciements.
C'est là un des signes du changement d'état d'esprit que j'ai demandé à tous. Les entreprises ont certes pour finalité de faire des bénéfices et de satisfaire à la fois leurs clients et les actionnaires. Mais dans la situation où se trouve notre pays, elles ont aussi une responsabilité sociale. C'est la définition de l'entreprise citoyenne celle qui examine toutes les possibilités d'ajustement interne y compris la réduction du temps de travail avant de recourir au licenciement. Dans cet esprit, j'ai demandé aux services de l'État d'être particulièrement vigilants sur l'élaboration des plans sociaux.
Le gouvernement, je le répète, a un objectif prioritaire : tout faire pour l'emploi.
Cela implique des réformes profondes, au-delà des mesures d'urgence dont vous allez débattre aujourd'hui et demain.
J'en ai cité quelques-unes. Elles vous seront proposées à partir de septembre.
Ma méthode consistera à prendre appui sur les avancées des partenaires sociaux, et tout faire pour stimuler et enrichir le dialogue social.
Ce qui n'exclut de la part du gouvernement ni volonté, ni détermination.
Ma méthode, c'est aussi de mener ensemble le combat contre le chômage et contre le déficit, parce qu'ils sont indissociables.
C'est la condition d'une croissance durable et d'un emploi pour tous. C'est ce qu'inspirera la loi de finances pour 1996 que nous sommes en train de mettre au point.
Mais au-delà des textes, seul un effort collectif, seul un élan national qui dépasse les intérêts individuels, si légitimes puissent-ils être, seuls la confiance et l'enthousiasme de tous les Français nous mèneront vers le succès.
A nous, gouvernement, et vous élus de créer ce mouvement et de le conduire.