Texte intégral
Mesdames, Messieurs, cher(e)s ami(e)s,
Je n'ai pas attendu de devenir ministre pour m'inviter au congrès du REAS. J'étais à Pantin en décembre 1994, et j'avais suivi avec intérêt les résultats des travaux d'Amiens il y a deux ans. Je suis donc heureuse d'être là, même si des contraintes d'emploi du temps m'empêchent de rester avec vous jusqu'au bout de ce débat.
On ne peut sûrement pas présenter le REAS, ainsi que le faisait récemment un quotidien national, comme une organisation " proche des Verts " ; vous êtes indépendants et pluriels, vous aussi. Mais je peux dire en revanche que je me sens depuis toujours proche de votre coopérative et attentive à son développement.
D'une manière générale, la mouvance que vous incarnez obtient un début de reconnaissance dans le paysage national. Qui pariait, il y a quinze ans, sur l'agriculture biologique, sur les énergies renouvelables, sur les services solidaires de proximité, les crèches parentales, les régies de quartiers ? Qui parlait alors de pluriactivité, de temps choisi, de capital risque solidaire ? Qui porte aujourd'hui l'écoconstruction et l'autoconstruction, les coopératives d'accès au Net, le commerce équitable, la réhabilitation des friches urbaines ? Qui expérimente et soutient les nouvelles formes de mobilité entre la ville et la campagne, la combinaison entre différentes sortes de revenus, l'initiative des jeunes, des femmes, des immigrés dans les quartiers ?
Le dynamisme et l'inventivité dont vous faites preuve, l'extension de vos réalisations, font de l'Economie Alternative et Solidaire une réponse montante à des questions fortes dans la société.
La plus significative de ces questions renvoie à la recherche de sens et de cohérence : elle concerne tout le monde, particulièrement aux deux bouts de la vie, les jeunes inquiets pour leur avenir comme les vieux, qui pressentent que les voyages organisés ne suffiront pas à remplir leur vie, les cadres, dont toutes les enquêtes d'opinion montrent la profonde insatisfaction au travail dans l'entreprise, comme les chômeurs.
Le dogme du " tout économique ", l'idolâtrie de la production et de la marchandise, l'enfermement dans une consommation standardisée, privent sans cesse les personnes et les groupes de marges de contrôle sur leur vie et sur leur quotidien. Producteur ou consommateur, est-ce réellement la question ?
Pour inverser cette tendance, vous organisez la reconquête d'espaces d'autonomie et de liberté ; vous cherchez, souvent dans des conditions difficiles, de nouvelles façons de combiner production et consommation ; activité et territoire ; travail et temps ; salariat et capital ; entreprise et environnement.
À travers tout cela, vous illustrez la possibilité d'une autre logique d'ensemble.
En créant une entreprise alternative et solidaire ou une coopérative, en aidant des ouvriers à relancer une activité, en installant un Système d'échange local ou un Réseau d'échange de savoirs, en appuyant une communauté de vie et de travail, on réinterroge en effet la productivité de toute la machine, et on se dit par exemple, au hasard :
·- Où est la performance d'un système de production énergétique qui n'intègre pas dans son bilan le coût de l'élimination de ses déchets?
·- Quelle est la durabilité d'une agriculture intensive dont les cours s'effondrent et qui fait exploser la facture sociale de la dépollution des eaux ? Et quelle est la facture territoriale de la désertification ? La facture humaine de la mort de dizaines de milliers de fermes chaque année ?
·- Peut-on parler de la rentabilité d'un circuit financier dans lequel ce que je gagne - pas toujours d'ailleurs - comme propriétaire de SICAV, je le perds comme salariée licenciée, ou comme mère de chômeur ?
En faisant de l'économie - j'allais dire " volontairement " ou " pour nous-mêmes ", c'est toute la pelote de la comptabilité sociale que l'on dévide
Le choix économique, ainsi ouvert, redevient alors un objet de démocratie ;
Pour cette raison, l'initiative solidaire emprunte forcément une dimension collective, communautaire ou locale.
En la matière, l'Economie Alternative et Solidaire rejoint les traditions positives de l'Economie Sociale, les acquis des mouvements coopératifs, mutualistes et associatifs.
J'habite une région, la Franche-Comté, dont l'histoire est marquée par cette tradition :
Je vous épargnerai Proudhon, un peu controversé : il proposait pourtant de ramener le crédit au taux zéro, ce que fit Solidarité-Emploi 177 ans plus tard. Il suggéra aussi une banque d'échange qui rappelle singulièrement les SEL !
Mais vous n'échapperez pas aux "Fruitières du Jura" coopératives de commercialisation de comté qui fonctionnent depuis le XIIe siècle, ni à Louis Milcent, créateur en 1884 du "Syndicat Agricole de l'arrondissement de Poligny", sorte d'association de crédit à vocation mutualiste !
Au delà de l'anecdote régionaliste, voilà qui nous rappelle combien l'auto-organisation des producteurs et des consommateurs s'est inscrite pendant des décennies comme une composante visible de la socialité populaire : qui n'a pas en tête la ristourne coopérative par laquelle les bénéfices retournaient aux consommateurs au prorata des achats effectués ?
Et quelles valeurs !
· Prévoyance, solidarité, entraide (article 1 du code de la mutualité 1945)
· Réduire le prix de revient au profit des membres, par l'effort commun, tout en améliorant la qualité des produits.
· Egalité dans la gestion
· Répartition au profit du travail fourni (articles 1-5 et 15 de la loi de 1947 portant statut de la coopérative)
Quelles que soient les vicissitudes, voire les dérives ultérieures de tel ou tel organisme, je crois que nous vivons dans un monde où il n'est pas mauvais d'assumer et d'essayer de pratiquer ces valeurs et ces principes.
Bien sûr, le temps a passé, et ces principes doivent être revus à la lumière d'exigences contemporaines, avec le souci de s'inscrire dans cette continuité.
Et puisqu'il est question de continuité, je me réjouis profondément de voir que commence à s'opérer le contact entre l'Economie Alternative et Solidaire, et l'Economie Sociale.
Les convergences, peut-être lentes, sont inévitables :
Au-delà du principe " l'Union fait la force ", ce rapprochement est une exigence de notre temps.
1. La poussée libérale, en effet, ne fait de cadeaux à personne. Voyez l'actualité planétaire : les fusions ou les concentrations en cours dans la chimie, la banque, l'assurance, l'automobile changent la donne. Elles relativisent le poids des Etats, déplacent les frontières, recomposent les marchés et suppriment des emplois. Localement, les concurrents de " l'autre façon de faire l'économie " s'appellent Mac Donald, Vivendi, AOL, les géants de la grande distribution ou du Bâtiment
Bien sûr, vous ne jouez pas " front contre front " ; vous vous décalez sur les marchés du sens ; aux logiques dures de filialisation et de prise de contrôle, vous préférez des modèles de prolifération ou de franchise en réseaux : il n'en reste pas moins que vous avez forcément besoin d'atteindre des seuils, de franchir des paliers, de trouver une visibilité plus grande encore.
Sinon, vous risquez de servir de têtes chercheuses pour les gros opérateurs, d'être laminés par la compétition, cantonnés dans des niches ou des créneaux de second rang.
2. Une deuxième raison milite pour un rapprochement entre économie alternative et économie sociale ; elle renvoie à des considérations d'ordre plus conjoncturel et plus politique.
En matière d'emploi, la gauche a traditionnellement une politique de soutien à l'emploi par un soutien mesuré à la consommation, avec une tendance à minimiser le fait qu'on produit de plus en plus de biens avec toujours moins de travail humain.
Depuis 18 mois, dans un contexte plus favorable, les enchaînements positifs traditionnels ont recommencé à mieux fonctionner. L'an dernier, 300 000 emplois nouveaux ont été créés.
Chacun sait cependant que les dérèglements internationaux sont des ralentisseurs, et surtout que la santé relative de nos grands équilibres macro-économiques ne suffira pas à éponger le chômage massif, ni la précarité galopante que nous laissent en héritage les 25 dernières années.
De cela le gouvernement auquel j'appartiens est convaincu depuis le début.
Il a donc amorcé une politique de réduction du temps de travail sans équivalent pour l'instant en Europe : mais celle-ci, compte tenu des modalités choisies et surtout de l'incroyable résistance de certaines organisations patronales, ne donnera qu'à moyenne échéance toute la mesure de ses potentialités.
Du coup, les programmes politiques prendront de plus en plus largement en considération la nécessité de nouvelles activités économiques, notamment celles d'utilité sociale ou collective.
Les emplois du dispositif " nouveaux services ", le soutien aux PME-PMI, l'aide à la création d'entreprises, le développement local et le pouvoir économique des collectivités territoriales, les nouveaux espaces de projet que décrivent les pays et les agglomérations : autant de processus dans lesquels la nouvelle économie sociale et solidaire doit peser de tout son poids.
En combinant vos forces et vos ressources, vous donnerez au thème " entreprendre ensemble pour un développement durable " une audience et une crédibilité plus grande, non seulement auprès de pouvoirs publics, mais également auprès de l'opinion.
Incontestablement, une fenêtre s'ouvre ; il faut en profiter.
Mais le chemin est semé d'embûches. On ne sort pas facilement de la culture de la dépendance. Il n'est pas très aisé, du jour au lendemain, quand on est dans un quartier difficile ou dans une campagne désertifiée, d'apprendre à " entreprendre ensemble ".
Tâche d'autant plus difficile, comme le montrent les documents de votre congrès, que les obstacles ne manquent pas. Bouger les appareils administratifs et bancaires, résister à la routine, risquer l'échec, se voir imposer des normes d'excellence qu'on n'exige d'aucune entreprise classique : voilà qui ajoute à la difficulté proprement économique. Les chaînes de solidarité locale formées par l'innovateur, l'entrepreneur, le développeur, les militants ou les supporters ne suffisent pas toujours à résister.
En outre, la loi ou le règlement, adoptés en d'autres temps, sont parfois des obstacles à de nouvelles formes ou de nouvelles combinaisons d'activité.
La perspective du troisième secteur a donc besoin d'un appui de la part des pouvoirs publics.
Cet appui ou cette résonance n'ont pas qu'une dimension technique.
- Elles supposent des connivences de fond. Et d'abord que les politiques globales ne lui soient pas défavorables. À long terme : le retrait de la France de la négociation sur l'AMI ; l'action en faveur d'une instance de sécurité économique internationale, la lutte contre l'effet de serre comme opportunité pour un développement différent au Sud et un renouvellement de la coopération Nord-Sud, l'engagement dans la construction d'une Europe plus sociale, voilà qui peut paraître loin du quotidien.
Mais qui peut croire qu'on construira le tiers secteur sur les ruines d'un salariat totalement précarisé, d'un service public démantelé ou d'une dérégulation planétaire ?
Le tiers-secteur s'inscrit au contraire dans la perspective globale d'une transition vers un nouveau modèle social, où de nouvelles sécurités contractuelles seraient reconnues, où les stratégies préventives seraient considérées avec autant de sérieux et d'exigence que les démarches de réparation.
Votre perspective de Mouvement du Développement Solidaire relève, je pense, de cette approche.
- Cela dit, au-delà des conditions globales, il faut aussi des actes concrets. Ce point figurait explicitement dans l'accord PS-Verts de février 1997. Il devient urgent d'avancer ensemble.
À la suite de nombreux contacts avec le REAS, mais aussi avec la Fédération des Scops, l'inter-réseaux Economie Solidaire et le Groupe de travail " entreprendre ensemble ", je souhaite que nous puissions soumettre au débat une série de grandes questions.
Ces questions, nous en avons listé sept, avec Hugues Sibille, le Délégué Interministériel à l'Innovation Sociale et à l'Economie Sociale :
1. Economie Sociale, Economie Alternative et Solidaire : qu'est-ce qui les distingue, en termes de valeurs et de finalités, de l'économie de capital et de l'économie de service public ?
2. Comment compter et évaluer le développement durable dans l'entreprise ? Peut-on parler de bilan sociétal, ou de comptabilité sociétale spécifique ?
3. Le statut des entreprises : peut-être savez-vous que Martine Aubry a demandé à Alain Lipietz, ici présent, une réflexion sur les " entreprises à but social ". Elles font partie des formes possibles des organisations du tiers-secteur. Il y en a d'autres, par exemple la coopérative d'utilité collective ou la coopérative d'emplois.
4. Le statut des personnes : y a-t-il besoin d'un statut particulier pour les salariés / coopérateurs / entrepreneurs du tiers-secteur ? Ce problème renvoie à la question de savoir s'il faut une aide publique au poste de travail, à l'activité, ou à l'usager.
Il pose aussi la question brûlante, soulevée par Alain CaillÉ, d'un revenu minimum de citoyenneté pour tout créateur d'activité collective, cumulable avec le revenu procuré par cette activité.
5. L'organisation corporative ou professionnelle du tiers-secteur. De même que l'économie de capital labellise et protège ses propres structures, à travers les chambres consulaires, a-t-on besoin de quelque organisation de ce type pour le tiers-secteur ? Faut-il ouvrir - j'y suis favorable - les chambres régionales d'Economie Sociale à l'économie solidaire, et élargir leurs prérogatives et leurs moyens ?
Pour protéger les marchés fragiles ou en émergence, et pour favoriser une réelle concurrence, est-il nécessaire de renforcer les règles anti-trusts ?
6. Le partage du risque au niveau local : comment les particuliers et les collectivités peuvent-ils, tout en préservant l'autonomie des entrepreneurs, intervenir pour réduire le risque inhérent à toute forme d'initiative, même collective ? Faut-il une fiscalité propre pour cette intervention ? Comment étendre l'épargne de proximité ?
7ème et dernière question : Comment s'appuyer sur le dispositif " nouveaux services " pour promouvoir l'associativité économique et le tiers-secteur ?
En tant que ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, en charge d'un septième des emplois-jeunes, je veux être particulièrement attentive à leur qualité, à leur pérennisation, au fait qu'ils viennent en écho et non en concurrence avec les réalisations existantes.
Sur ces sept questions, nous allons réfléchir, Martine Aubry et moi-même, aux formes et aux conditions dans lesquelles peut se faire le débat. Je me réjouis d'y travailler avec d'autres. Avec Hugues Sibille et la délégation à l'Innovation sociale, mais aussi avec Marylise Lebranchu, chargée des PMI-PME, qui se sent peut-être parfois un peu seule à Bercy.
Il est important également que les associations, convoquées en Assises Nationales en février 1999 par le Premier ministre, puissent apporter leur contribution à cette discussion, tant elles sont désormais concernées par l'activité économique sur le terrain concurrentiel.
Au terme de ce processus, c'est-à-dire d'ici environ un an, nous disposerons d'une nouvelle vision d'ensemble, et nous pourrons regrouper les propositions qui se dégageront, dans un dispositif plus solide. J'aurai plaisir alors à en reparler avec vous.
Voilà, cher(e)s ami(e)s, les quelques réflexions et informations que je voulais vous transmettre à l'occasion de votre congrès.
Vous êtes probablement parvenu(e)s - mais la formule à un petit côté rhétorique rituelle qui va vous agacer - à un moment carrefour de votre histoire.
J'ai lu que vous disiez vouloir " passer du prototype ou de l'expérimentation à la petite ou à la moyenne série ", " des plis du système au cur ".
Ces passages présentent de nombreux risques, mais ils ouvrent en général de réelles perspectives. J'en sais quelque chose Vous avez, je crois, l'habitude d'aller du local au global, du quotidien au long terme, de l'expérience au concept, et du concept à la diffusion concrète.
L'économique est aujourd'hui une des clefs par lesquelles se concrétise la perspective du changement : c'est un lieu décisif de reconstruction de nouvelles identités et de nouvelles organisations sociales.
Je vous souhaite pleine réussite sur ce chemin.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 20 septembre 2001)
Je n'ai pas attendu de devenir ministre pour m'inviter au congrès du REAS. J'étais à Pantin en décembre 1994, et j'avais suivi avec intérêt les résultats des travaux d'Amiens il y a deux ans. Je suis donc heureuse d'être là, même si des contraintes d'emploi du temps m'empêchent de rester avec vous jusqu'au bout de ce débat.
On ne peut sûrement pas présenter le REAS, ainsi que le faisait récemment un quotidien national, comme une organisation " proche des Verts " ; vous êtes indépendants et pluriels, vous aussi. Mais je peux dire en revanche que je me sens depuis toujours proche de votre coopérative et attentive à son développement.
D'une manière générale, la mouvance que vous incarnez obtient un début de reconnaissance dans le paysage national. Qui pariait, il y a quinze ans, sur l'agriculture biologique, sur les énergies renouvelables, sur les services solidaires de proximité, les crèches parentales, les régies de quartiers ? Qui parlait alors de pluriactivité, de temps choisi, de capital risque solidaire ? Qui porte aujourd'hui l'écoconstruction et l'autoconstruction, les coopératives d'accès au Net, le commerce équitable, la réhabilitation des friches urbaines ? Qui expérimente et soutient les nouvelles formes de mobilité entre la ville et la campagne, la combinaison entre différentes sortes de revenus, l'initiative des jeunes, des femmes, des immigrés dans les quartiers ?
Le dynamisme et l'inventivité dont vous faites preuve, l'extension de vos réalisations, font de l'Economie Alternative et Solidaire une réponse montante à des questions fortes dans la société.
La plus significative de ces questions renvoie à la recherche de sens et de cohérence : elle concerne tout le monde, particulièrement aux deux bouts de la vie, les jeunes inquiets pour leur avenir comme les vieux, qui pressentent que les voyages organisés ne suffiront pas à remplir leur vie, les cadres, dont toutes les enquêtes d'opinion montrent la profonde insatisfaction au travail dans l'entreprise, comme les chômeurs.
Le dogme du " tout économique ", l'idolâtrie de la production et de la marchandise, l'enfermement dans une consommation standardisée, privent sans cesse les personnes et les groupes de marges de contrôle sur leur vie et sur leur quotidien. Producteur ou consommateur, est-ce réellement la question ?
Pour inverser cette tendance, vous organisez la reconquête d'espaces d'autonomie et de liberté ; vous cherchez, souvent dans des conditions difficiles, de nouvelles façons de combiner production et consommation ; activité et territoire ; travail et temps ; salariat et capital ; entreprise et environnement.
À travers tout cela, vous illustrez la possibilité d'une autre logique d'ensemble.
En créant une entreprise alternative et solidaire ou une coopérative, en aidant des ouvriers à relancer une activité, en installant un Système d'échange local ou un Réseau d'échange de savoirs, en appuyant une communauté de vie et de travail, on réinterroge en effet la productivité de toute la machine, et on se dit par exemple, au hasard :
·- Où est la performance d'un système de production énergétique qui n'intègre pas dans son bilan le coût de l'élimination de ses déchets?
·- Quelle est la durabilité d'une agriculture intensive dont les cours s'effondrent et qui fait exploser la facture sociale de la dépollution des eaux ? Et quelle est la facture territoriale de la désertification ? La facture humaine de la mort de dizaines de milliers de fermes chaque année ?
·- Peut-on parler de la rentabilité d'un circuit financier dans lequel ce que je gagne - pas toujours d'ailleurs - comme propriétaire de SICAV, je le perds comme salariée licenciée, ou comme mère de chômeur ?
En faisant de l'économie - j'allais dire " volontairement " ou " pour nous-mêmes ", c'est toute la pelote de la comptabilité sociale que l'on dévide
Le choix économique, ainsi ouvert, redevient alors un objet de démocratie ;
Pour cette raison, l'initiative solidaire emprunte forcément une dimension collective, communautaire ou locale.
En la matière, l'Economie Alternative et Solidaire rejoint les traditions positives de l'Economie Sociale, les acquis des mouvements coopératifs, mutualistes et associatifs.
J'habite une région, la Franche-Comté, dont l'histoire est marquée par cette tradition :
Je vous épargnerai Proudhon, un peu controversé : il proposait pourtant de ramener le crédit au taux zéro, ce que fit Solidarité-Emploi 177 ans plus tard. Il suggéra aussi une banque d'échange qui rappelle singulièrement les SEL !
Mais vous n'échapperez pas aux "Fruitières du Jura" coopératives de commercialisation de comté qui fonctionnent depuis le XIIe siècle, ni à Louis Milcent, créateur en 1884 du "Syndicat Agricole de l'arrondissement de Poligny", sorte d'association de crédit à vocation mutualiste !
Au delà de l'anecdote régionaliste, voilà qui nous rappelle combien l'auto-organisation des producteurs et des consommateurs s'est inscrite pendant des décennies comme une composante visible de la socialité populaire : qui n'a pas en tête la ristourne coopérative par laquelle les bénéfices retournaient aux consommateurs au prorata des achats effectués ?
Et quelles valeurs !
· Prévoyance, solidarité, entraide (article 1 du code de la mutualité 1945)
· Réduire le prix de revient au profit des membres, par l'effort commun, tout en améliorant la qualité des produits.
· Egalité dans la gestion
· Répartition au profit du travail fourni (articles 1-5 et 15 de la loi de 1947 portant statut de la coopérative)
Quelles que soient les vicissitudes, voire les dérives ultérieures de tel ou tel organisme, je crois que nous vivons dans un monde où il n'est pas mauvais d'assumer et d'essayer de pratiquer ces valeurs et ces principes.
Bien sûr, le temps a passé, et ces principes doivent être revus à la lumière d'exigences contemporaines, avec le souci de s'inscrire dans cette continuité.
Et puisqu'il est question de continuité, je me réjouis profondément de voir que commence à s'opérer le contact entre l'Economie Alternative et Solidaire, et l'Economie Sociale.
Les convergences, peut-être lentes, sont inévitables :
Au-delà du principe " l'Union fait la force ", ce rapprochement est une exigence de notre temps.
1. La poussée libérale, en effet, ne fait de cadeaux à personne. Voyez l'actualité planétaire : les fusions ou les concentrations en cours dans la chimie, la banque, l'assurance, l'automobile changent la donne. Elles relativisent le poids des Etats, déplacent les frontières, recomposent les marchés et suppriment des emplois. Localement, les concurrents de " l'autre façon de faire l'économie " s'appellent Mac Donald, Vivendi, AOL, les géants de la grande distribution ou du Bâtiment
Bien sûr, vous ne jouez pas " front contre front " ; vous vous décalez sur les marchés du sens ; aux logiques dures de filialisation et de prise de contrôle, vous préférez des modèles de prolifération ou de franchise en réseaux : il n'en reste pas moins que vous avez forcément besoin d'atteindre des seuils, de franchir des paliers, de trouver une visibilité plus grande encore.
Sinon, vous risquez de servir de têtes chercheuses pour les gros opérateurs, d'être laminés par la compétition, cantonnés dans des niches ou des créneaux de second rang.
2. Une deuxième raison milite pour un rapprochement entre économie alternative et économie sociale ; elle renvoie à des considérations d'ordre plus conjoncturel et plus politique.
En matière d'emploi, la gauche a traditionnellement une politique de soutien à l'emploi par un soutien mesuré à la consommation, avec une tendance à minimiser le fait qu'on produit de plus en plus de biens avec toujours moins de travail humain.
Depuis 18 mois, dans un contexte plus favorable, les enchaînements positifs traditionnels ont recommencé à mieux fonctionner. L'an dernier, 300 000 emplois nouveaux ont été créés.
Chacun sait cependant que les dérèglements internationaux sont des ralentisseurs, et surtout que la santé relative de nos grands équilibres macro-économiques ne suffira pas à éponger le chômage massif, ni la précarité galopante que nous laissent en héritage les 25 dernières années.
De cela le gouvernement auquel j'appartiens est convaincu depuis le début.
Il a donc amorcé une politique de réduction du temps de travail sans équivalent pour l'instant en Europe : mais celle-ci, compte tenu des modalités choisies et surtout de l'incroyable résistance de certaines organisations patronales, ne donnera qu'à moyenne échéance toute la mesure de ses potentialités.
Du coup, les programmes politiques prendront de plus en plus largement en considération la nécessité de nouvelles activités économiques, notamment celles d'utilité sociale ou collective.
Les emplois du dispositif " nouveaux services ", le soutien aux PME-PMI, l'aide à la création d'entreprises, le développement local et le pouvoir économique des collectivités territoriales, les nouveaux espaces de projet que décrivent les pays et les agglomérations : autant de processus dans lesquels la nouvelle économie sociale et solidaire doit peser de tout son poids.
En combinant vos forces et vos ressources, vous donnerez au thème " entreprendre ensemble pour un développement durable " une audience et une crédibilité plus grande, non seulement auprès de pouvoirs publics, mais également auprès de l'opinion.
Incontestablement, une fenêtre s'ouvre ; il faut en profiter.
Mais le chemin est semé d'embûches. On ne sort pas facilement de la culture de la dépendance. Il n'est pas très aisé, du jour au lendemain, quand on est dans un quartier difficile ou dans une campagne désertifiée, d'apprendre à " entreprendre ensemble ".
Tâche d'autant plus difficile, comme le montrent les documents de votre congrès, que les obstacles ne manquent pas. Bouger les appareils administratifs et bancaires, résister à la routine, risquer l'échec, se voir imposer des normes d'excellence qu'on n'exige d'aucune entreprise classique : voilà qui ajoute à la difficulté proprement économique. Les chaînes de solidarité locale formées par l'innovateur, l'entrepreneur, le développeur, les militants ou les supporters ne suffisent pas toujours à résister.
En outre, la loi ou le règlement, adoptés en d'autres temps, sont parfois des obstacles à de nouvelles formes ou de nouvelles combinaisons d'activité.
La perspective du troisième secteur a donc besoin d'un appui de la part des pouvoirs publics.
Cet appui ou cette résonance n'ont pas qu'une dimension technique.
- Elles supposent des connivences de fond. Et d'abord que les politiques globales ne lui soient pas défavorables. À long terme : le retrait de la France de la négociation sur l'AMI ; l'action en faveur d'une instance de sécurité économique internationale, la lutte contre l'effet de serre comme opportunité pour un développement différent au Sud et un renouvellement de la coopération Nord-Sud, l'engagement dans la construction d'une Europe plus sociale, voilà qui peut paraître loin du quotidien.
Mais qui peut croire qu'on construira le tiers secteur sur les ruines d'un salariat totalement précarisé, d'un service public démantelé ou d'une dérégulation planétaire ?
Le tiers-secteur s'inscrit au contraire dans la perspective globale d'une transition vers un nouveau modèle social, où de nouvelles sécurités contractuelles seraient reconnues, où les stratégies préventives seraient considérées avec autant de sérieux et d'exigence que les démarches de réparation.
Votre perspective de Mouvement du Développement Solidaire relève, je pense, de cette approche.
- Cela dit, au-delà des conditions globales, il faut aussi des actes concrets. Ce point figurait explicitement dans l'accord PS-Verts de février 1997. Il devient urgent d'avancer ensemble.
À la suite de nombreux contacts avec le REAS, mais aussi avec la Fédération des Scops, l'inter-réseaux Economie Solidaire et le Groupe de travail " entreprendre ensemble ", je souhaite que nous puissions soumettre au débat une série de grandes questions.
Ces questions, nous en avons listé sept, avec Hugues Sibille, le Délégué Interministériel à l'Innovation Sociale et à l'Economie Sociale :
1. Economie Sociale, Economie Alternative et Solidaire : qu'est-ce qui les distingue, en termes de valeurs et de finalités, de l'économie de capital et de l'économie de service public ?
2. Comment compter et évaluer le développement durable dans l'entreprise ? Peut-on parler de bilan sociétal, ou de comptabilité sociétale spécifique ?
3. Le statut des entreprises : peut-être savez-vous que Martine Aubry a demandé à Alain Lipietz, ici présent, une réflexion sur les " entreprises à but social ". Elles font partie des formes possibles des organisations du tiers-secteur. Il y en a d'autres, par exemple la coopérative d'utilité collective ou la coopérative d'emplois.
4. Le statut des personnes : y a-t-il besoin d'un statut particulier pour les salariés / coopérateurs / entrepreneurs du tiers-secteur ? Ce problème renvoie à la question de savoir s'il faut une aide publique au poste de travail, à l'activité, ou à l'usager.
Il pose aussi la question brûlante, soulevée par Alain CaillÉ, d'un revenu minimum de citoyenneté pour tout créateur d'activité collective, cumulable avec le revenu procuré par cette activité.
5. L'organisation corporative ou professionnelle du tiers-secteur. De même que l'économie de capital labellise et protège ses propres structures, à travers les chambres consulaires, a-t-on besoin de quelque organisation de ce type pour le tiers-secteur ? Faut-il ouvrir - j'y suis favorable - les chambres régionales d'Economie Sociale à l'économie solidaire, et élargir leurs prérogatives et leurs moyens ?
Pour protéger les marchés fragiles ou en émergence, et pour favoriser une réelle concurrence, est-il nécessaire de renforcer les règles anti-trusts ?
6. Le partage du risque au niveau local : comment les particuliers et les collectivités peuvent-ils, tout en préservant l'autonomie des entrepreneurs, intervenir pour réduire le risque inhérent à toute forme d'initiative, même collective ? Faut-il une fiscalité propre pour cette intervention ? Comment étendre l'épargne de proximité ?
7ème et dernière question : Comment s'appuyer sur le dispositif " nouveaux services " pour promouvoir l'associativité économique et le tiers-secteur ?
En tant que ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, en charge d'un septième des emplois-jeunes, je veux être particulièrement attentive à leur qualité, à leur pérennisation, au fait qu'ils viennent en écho et non en concurrence avec les réalisations existantes.
Sur ces sept questions, nous allons réfléchir, Martine Aubry et moi-même, aux formes et aux conditions dans lesquelles peut se faire le débat. Je me réjouis d'y travailler avec d'autres. Avec Hugues Sibille et la délégation à l'Innovation sociale, mais aussi avec Marylise Lebranchu, chargée des PMI-PME, qui se sent peut-être parfois un peu seule à Bercy.
Il est important également que les associations, convoquées en Assises Nationales en février 1999 par le Premier ministre, puissent apporter leur contribution à cette discussion, tant elles sont désormais concernées par l'activité économique sur le terrain concurrentiel.
Au terme de ce processus, c'est-à-dire d'ici environ un an, nous disposerons d'une nouvelle vision d'ensemble, et nous pourrons regrouper les propositions qui se dégageront, dans un dispositif plus solide. J'aurai plaisir alors à en reparler avec vous.
Voilà, cher(e)s ami(e)s, les quelques réflexions et informations que je voulais vous transmettre à l'occasion de votre congrès.
Vous êtes probablement parvenu(e)s - mais la formule à un petit côté rhétorique rituelle qui va vous agacer - à un moment carrefour de votre histoire.
J'ai lu que vous disiez vouloir " passer du prototype ou de l'expérimentation à la petite ou à la moyenne série ", " des plis du système au cur ".
Ces passages présentent de nombreux risques, mais ils ouvrent en général de réelles perspectives. J'en sais quelque chose Vous avez, je crois, l'habitude d'aller du local au global, du quotidien au long terme, de l'expérience au concept, et du concept à la diffusion concrète.
L'économique est aujourd'hui une des clefs par lesquelles se concrétise la perspective du changement : c'est un lieu décisif de reconstruction de nouvelles identités et de nouvelles organisations sociales.
Je vous souhaite pleine réussite sur ce chemin.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 20 septembre 2001)