Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur la signature d'une convention triennale pour le premier centre culturel de rencontre de la région Rhône-Alpes, Ferney-Voltaire le 16 décembre 2000.

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Circonstance : Signature de la convention triennale du Centre culturel de rencontre à Ferney-Voltaire le 16 décembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Maire,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le vice-président du Conseil régional, représentant Mme Anne-Marie Comparini,
Monsieur le Président-Directeur du Centre des monuments nationaux,
Monsieur le Président de l'Association nationale des Centres culturels de rencontre,
Monsieur le Président et Monsieur le Directeur de l'Auberge de l'Europe,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Maître Pangloss aurait-il raison, et tout irait-il pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Notre présence, cet après-midi, dans le château de Voltaire à Ferney, semblerait le confirmer : en effet, au terme d'un parcours du combattant qui n'est pas sans rappeler, mon cher Hervé Loichemol, les aventures d'un certain Candide - jusqu'à la tempête de l'hiver dernier, qui a failli venir à bout de votre chapiteau et qui n'est sans doute que l'écho atténué du fameux tremblement de terre de Lisbonne-, nous sommes enfin rassemblés ici pour procéder à la signature de la convention triennale qui fera de l'Auberge de l'Europe le premier Centre culturel de rencontre de la région Rhône-Alpes.
J'ai plaisir à souligner, au moment où nous nous apprêtons à fêter le centenaire de la loi de 1901, que ce sont précisément les associations voltairiennes qui se sont mobilisé les premières pour que vive à Ferney l'héritage voltairien, avant même que vous ne preniez le relais, monsieur le maire et qu'avec l'enthousiasme que nous vous connaissons vous ne parveniez à mobiliser l'ensemble des collectivités publiques. Quel chemin parcouru en effet en quelques années ! Je voudrais rendre ici l'hommage qu'ils méritent à M. Alain Choudin, fondateur de Voltaire à Ferney et, à travers lui, à tous ceux qui ont entretenu la flamme allumée, il y a plus de deux siècles, par celui qui se désignait lui-même avec humour comme l'aubergiste de l'Europe. Quant à vous, mon cher Hervé Loichemol, cela fait onze ans déjà qu'à la tête de la compagnie Le Nouveau Fusier, vous avez entrepris de revisiter le théâtre voltairien puis, avec l'association Voltaire aujourd'hui, d'explorer par des lectures, des rencontres, des débats, des ateliers, des colloques et des expositions le patrimoine légué par Voltaire et d'interroger l'actualité de l'écrivain, de l'agitateur d'idées et du combattant de la liberté de pensée, sur les lieux mêmes où furent rédigés le Dictionnaire philosophique ou le Traité sur la Tolérance.
Cependant, la création artistique, l'animation culturelle, la réflexion philosophique ne pouvaient vous suffire. Impossible en effet d'être fidèle au message voltairien si on n'est pas aussi un homme d'action, pleinement engagé dans les combats de notre époque en faveur de la justice et de la liberté d'expression. C'est pourquoi, avant même que le projet de l'Auberge de l'Europe n'ait vu le jour, vous avez accueilli des artistes en exil, d'Algérie, de Bosnie ou d'ailleurs -, cependant, Monsieur le maire, que la commune de Ferney-Voltaire adhérait au réseau international des Villes-Refuges, lancé par le Parlement international des Ecrivains.
C'est pourquoi encore vous avez décidé de vous inscrire d'emblée dans de grands réseaux régionaux, nationaux et internationaux, à commencer par celui des institutions liées aux droits de l'homme et dont Genève si proche vous ouvre les portes.
C'est tout cela, bien sûr, qui s'est avéré déterminant lorsque les collectivités territoriales se sont tournées vers l'Etat pour qu'il les aide à faire en sorte que le château de Voltaire à Ferney, dont la mise en vente était imminente, entre dans le domaine public. Malgré toute l'admiration que j'éprouve pour le Siècle des Lumières, je ne suis pas sûr, voyez-vous, que l'Etat aurait subventionné l'acquisition du château - et encore moins qu'il se serait porté lui-même acquéreur - s'il ne s'était agi que d'acheter une maison d'écrivain. Si les maisons de nos grands écrivains appartiennent au patrimoine de la Nation, elles n'ont évidemment pas vocation à devenir toutes des biens nationaux : la littérature française est bien trop riche pour cela ou c'est l'Etat qui ne l'est pas assez ! En tout cas, ce n'est certainement pas son rôle.
Mais il s'agissait de tout autre chose, comme l'a fort bien compris la Commission nationale des Centres culturels de rencontre, présidée par M. Jacques Rigaud. Après avoir pris en considération le dossier de l'Auberge de l'Europe le 20 janvier 1998, la Commission émettait un avis favorable à la labellisation définitive par un vote unanime du 24 février 2000. Catherine Tasca pouvait alors annoncer que l'octroi du label serait effectif dès la signature de la convention d'objectifs triennale entre l'Etat, les collectivités territoriales partenaires et l'association Auberge de l'Europe.
Ce que la Commission nationale a voulu saluer, c'est cela même qui nous réunit ici cet après-midi et c'est ce qui donne toute sa force à la belle aventure des Centres culturels de rencontre : c'est l'unité retrouvée entre un haut-lieu du patrimoine et un projet artistique et culturel, la double revendication d'un enracinement naturel au cur d'un territoire et d'une vocation universelle, l'harmonie subtile entre la recherche et la création d'une part, l'ouverture et l'accueil de l'autre, ou, si vous voulez, entre la pensée et l'action.
Et c'est bien pour cela que l'Etat a acheté le château, avec son parc et sa collection d'objets mobiliers. Après les travaux d'urgence qui ont permis l'ouverture au public dès 1999, nous engagerons bientôt la restauration proprement dite et je sais que M. Jean Naviglio, l'architecte en chef des monuments historiques de l'Ain est déjà à l'uvre, cependant que M. Jean-Paul Desbat, chef du service départemental de l'architecture et du patrimoine, veille à l'entretien de l'édifice. Le Centre des monuments nationaux (qui a eu la bonne idée de nommer M. Loichemol administrateur du monument, afin que la mémoire et le projet, la mise en valeur du patrimoine et le projet culturel marchent d'un même pas) accueille déjà les visiteurs qui, à la belle saison, se pressent aux visites guidées et sont impatients de découvrir ce lieu dont le nom résonne familièrement aux oreilles de tout lycéen français : le château de Voltaire à Ferney, désormais rendu aux Fernésiens pour leur permettre de se réapproprier la mémoire de leur héros éponyme et de l'offrir à leur tour au monde entier.
Mais la défense authentique du patrimoine ne passe pas seulement par la restauration à l'identique ; elle repose avant tout sur la fidélité aux valeurs qui l'ont inspiré un jour. Je ne puis songer sans émotion que c'est ici même que Voltaire a entrepris de réhabiliter la mémoire de Calas, victime innocente du fanatisme et de l'intolérance.
Et comment oublier, si près du village d'Izieu et du Mémorial des enfants juifs exterminés, qu'à chaque génération, nous sommes appelés à prendre les armes contre l'infamie ? C'est bien pourquoi, avec le Conseil régional, nous avons choisi, monsieur le Vice-Président, d'inscrire au Contrat de plan non pas seulement l'Auberge de l'Europe mais l'ensemble du réseau régional des lieux de mémoire et de lutte pour les droits de l'homme dans lequel il s'inscrit, de la Maison d'Izieu à la villa Gillet de Lyon, et du Centre pour l'accueil et la tolérance qui s'élèvera bientôt sur le plateau du Vivarais-Lignon, où je me rends après-demain, jusqu'à cette usine de la soie à Vaulx-en-Velin, où j'étais il y a quelques semaines et où devrait voir le jour un centre consacré à l'étude des migrations humaines.
Mesdames et Messieurs, la famille des Centres culturels de rencontre s'enrichit aujourd'hui d'un nouveau membre, grâce au soutien de la ville de Ferney-Voltaire, de la Communauté de communes du Pays de Gex, qui, pour cette année, a préféré passer avec l'Auberge de l'Europe une convention séparée, du Conseil général de l'Ain, qui participe déjà en investissement à cette aventure, du Conseil régional de Rhône-Alpes, du Centre des monuments nationaux et du ministère de la Culture et de la Communication. Grâce à vous surtout, militants associatifs, artistes et professionnels regroupés autour de Voltaire à Ferney, de Voltaire aujourd'hui, du Nouveau Fusier et des nombreux réseaux qui, accompagnent votre action du Pays de Gex à Genève et d'Oxford à Sarajevo, qui l'amplifient et qui lui donnent tout son sens.
Après une éclipse de deux siècles, les portes de l'Auberge de l'Europe vont donc se rouvrir. Je sais avec quelle ténacité, monsieur l'Aubergiste, cher Hervé Loichemol, vous avez défendu l'idée que cette maison était d'abord celle des artistes et plus particulièrement de ceux que l'on bâillonne, que l'on censure et que l'on persécute. Car pour vous, comme pour Voltaire, la défense de la liberté d'expression se confond tout simplement avec celle de la liberté d'être. Comme vous le proclamiez déjà dans votre beau dossier de candidature, la mission que vous avez assignée à l'Auberge de l'Europe, c'est de " défendre les droits imprescriptibles de l'imaginaire "
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 18 décembre 2000)