Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Chers amis,
Je souhaite, tout d'abord, vous exprimer le plaisir que j'éprouve à vous recevoir à l'Hôtel Matignon. Je connais l'importance symbolique que ces lieux revêtent à vos yeux.
J'ai déjà rencontré la plupart d'entre vous, parfois à plusieurs reprises. Nous ne sommes pas des inconnus. J'espère que cela facilitera notre dialogue et l'esprit partagé de confiance qui doit le caractériser.
C'est la première fois cependant que je vous reçois tous ensemble et cela donne une importance singulière à cette rencontre.
Il y a quelques années, occupant d'autres fonctions, j'étais venu sur votre Territoire. J'étais alors chargé d'une mission précise par Jacques CHIRAC. Il s'agissait de vous confirmer, au nom du Rassemblement Pour la République, que l'alternance de 1993 ne se traduirait pas par une remise en cause des Accords de 1988. Nous avons, à ce moment, scellé un pacte de confiance et ce pacte a été respecté. Il continuera de l'être. Ma présence à la tête du gouvernement, celle de M. Jacques CHIRAC à la Présidence de la République en sont autant de garanties.
Notre discussion d'aujourd'hui, que j'ai voulu informelle dans son organisation, s'inscrit néanmoins dans le prolongement de cette responsabilité particulière que l'État, le FLNKS et le RPCR ont accepté d'assumer ensemble, dans le respect de leurs différences et de leurs convictions, en 1988. Je me félicite, à cet égard, de la composition particulièrement représentative des délégations que vous avez constituées.
Assumer ces responsabilités n'a pas été facile, en particulier pour les partenaires calédoniens. La réconciliation, le retour de la paix et du dialogue, ont été un combat et un défi. Beaucoup aujourd'hui ont tendance à les considérer comme allant de soi. Elles ne se sont pas construites pourtant sans sacrifices.
Pour ceux qui ont l'ambition de construire l'avenir, la première des sagesses est de ne pas oublier le passé.
Construire l'avenir, c'est bien l'enjeu de nos discussions. 1998 arrive à grands pas. Déjà, se profile la dernière ligne droite avant le référendum prévu par la loi.
S'il ne s'agissait que d'organiser techniquement cette consultation nous aurions du temps devant nous. Mais l'enjeu est tout autre.
L'enjeu c'est d'éviter un "référendum couperet" dont le résultat, quel qu'il soit, pourrait ranimer les antagonismes du passé ; tracer, au sein de la population calédonienne, un nouveau clivage entre les "vainqueurs" et les "vaincus" ; bref, ramener la Nouvelle-Calédonie dix ans en arrière.
L'alternative à ce scénario existe. Vous lui avez donné le nom de "solution consensuelle". Ces mots, la plupart d'entre vous les ont déjà employés publiquement. Je les utilise, en conséquence, sans précaution particulière.
Ces mots, il s'agit désormais de leur donner un sens. Il nous appartient aujourd'hui de confirmer cette volonté de consensus. Nous devrons démontrer, dans les mois à venir, que nous sommes capables d'en définir le contenu.
Dans cette entreprise, l'État jouera pleinement son rôle de partenaire et d'animateur. C'est à ce titre, que je voudrais, en premier lieu, vous livrer quelques commentaires généraux, qui me semblent de nature à clarifier cette discussion et à écarter d'emblée quelques sources de malentendus.
J'aimerais, en second lieu, vous proposer un cadre et une méthode de travail car c'est bien d'un important travail technique, juridique et politique qu'il s'agit.
Je souhaiterais, enfin, vous indiquer comment à mes yeux cette discussion doit s'insérer dans la politique globale que j'entends conduire avec le ministre de l'outre-mer, à l'égard de la Nouvelle-Calédonie.
Que peut être la "solution consensuelle" ?
Je crois qu'il n'est pas trop tôt pour commencer à aborder cette question. Je souhaiterais commencer par vous dire ce que dans mon esprit elle ne doit pas être.
- Elle ne doit pas être, en premier lieu, un moyen de contourner la liberté d'autodétermination reconnue en 1988 aux populations de Nouvelle-Calédonie. C'est autour du référendum prévu par la loi de 1988 que nous devons inscrire notre discussion. Le consensus, quel qu'il soit en définitive, ne doit pas apparaître comme le produit de discussions d'état-major, permettant de faire l'économie du libre choix des Calédoniens. Sans vouloir fermer, à ce stade, aucune porte, il me paraît hasardeux de penser que la solution consensuelle puisse déterminer le destin de la Nouvelle-Calédonie après 1998 sans recevoir l'approbation du suffrage populaire.
- La solution consensuelle ne doit pas être, en second lieu, un moyen de gommer artificiellement les différences de convictions des uns et des autres. Pour certains d'entre vous, l'indépendance est l'objectif politique à atteindre ; d'autres refusent cette perspective. L'État, quant à lui, s'en remet à la volonté exprimée par les populations calédoniennes. Sachez cependant qu'à mes yeux, à ceux du gouvernement, la Nouvelle-Calédonie et la France ont encore - et pour longtemps - la vocation d'un destin commun.
Ces différences, il ne s'agit pas de les nier ou de les occulter. Ce qui fait la force de notre démarche, c'est précisément le respect des convictions des uns et des autres. La confiance que nous partageons de pouvoir -sans renier ce en quoi nous croyons- trouver, par le dialogue, la voie d'un accord.
- Ce sont donc, comme en 1988, les termes d'un accord, d'un nouvel accord qu'il nous faut désormais discuter, jusqu'à ce qu'il soit acceptable pour tous.
La tâche est considérable. Il faudra se prononcer sur la répartition des compétences entre les niveaux de collectivités ; sur la définition des responsabilités laissées à vos élus provinciaux et territoriaux ; sur la restitution à leur profit de pouvoirs aujourd'hui exercés par l'État.
Il va de soi, en effet, que ces responsabilités locales ont vocation à s'accroître. Mais dans quels domaines et jusqu'à quel point ? Dans quelle mesure, en particulier, les partenaires calédoniens souhaitent-ils voir l'État continuer d'être impliqué dans la direction de l'exécutif territorial ?
Il faudra évoquer l'équilibre entre les institutions locales. Le travail conduit en matière de développement économique et social au cours des six dernières années a montré l'importance essentielle d'un niveau de cohérence à l'échelle du Territoire tout entier. Comment traduire cette dimension ? Comment la concilier avec l'attachement exprimé en 1988, et qui reste très vivace, à la compétence première des provinces ?
Il faudra s'interroger sur la façon dont s'exprime la capacité qui vous est reconnue de trouver un chemin original sur la voie du développement en définissant vous même le cadre de votre réglementation économique et sociale, dans le respect des grands principes du droit français.
Il faudra, sans doute, parler de la représentation politique du Territoire ; des questions seront posées sur la définition des scrutins par lesquels elle s'exprime.
Il faudra s'accorder sur la durée de ce nouveau pacte, sur les conditions de son dénouement, sur les termes à employer pour le désigner.
Ce n'est qu'en trouvant peu à peu les solutions à ces différentes questions, et à bien d'autres encore, que nous définirons ensemble ce qui peut devenir la "solution consensuelle".
Ceci exige, et je l'ai précisé dans le courrier adressé à vos présidents de délégation, que nous donnions à nos relations un contenu plus dense, une forme plus efficace, une fréquence plus soutenue.
Le cadre de travail, la méthode que je souhaite vous proposer aujourd'hui tente de répondre à cette préoccupation en intégrant les différents éléments qu'il me semble indispensable de prendre en compte : la nécessité de discussions préalables approfondies, préservant, toutefois, le domaine de décision du politique ; celle d'associer l'ensemble des forces politiques, économiques et sociales du Territoire à ces discussions. En outre, il me semble important que la discussion sur l'avenir ne nous détourne pas du traitement des grands dossiers économiques et sociaux du développement sur lesquels il est nécessaire, au contraire, de faire preuve de davantage d'efficacité.
A ces trois préoccupations, il faut, à mon sens, répondre par trois dispositifs distincts qui donneront à nos efforts une cohérence d'ensemble.
- Je vous propose, en premier lieu, de constituer un comité de discussion préalable entre les trois principaux partenaires que constituent l'État, le RPCR, le FLNKS. Ce comité devra être restreint, associer régulièrement les mêmes participants afin d'établir un rythme et un rapport de travail constructifs. Sans avoir de capacité propre de décision politique, les trois délégations qui le formeront devront être mandatées politiquement et rendre compte des progrès accomplis, des solutions évoquées, des alternatives possibles, à chacun des trois partenaires. Il travaillera dans la discrétion, à l'écart des curiosités médiatiques. Au fur et à mesure des progrès accomplis, les résultats de ces discussions préalables devront être actés par les responsables politiques. S'agissant de l'État, c'est bien entendu le ministre de l'outre-mer qui aura la charge de cette concertation avec les responsables du RPCR et du FLNKS. Ces rencontres donneront une première occasion de discussions avec les autres signataires des Accords, avec les formations politiques de votre Territoire. Elles permettront aussi d'éclairer les citoyens et les forces vives de Nouvelle-Calédonie sur le sens de nos discussions et d'engager le débat sur les solutions proposées.
- Cette dimension de transparence et de débat est à l'évidence essentielle pour le succès de notre démarche. Je ne fais pas partie de ceux qui jugent dépassée la légitimité des partenaires de 1988. Cette légitimité correspond à une prise de responsabilité historique ; elle est incontestable jusqu'à l'issue de la période de dix ans prévue par les Accords. Toutefois, depuis sept ans la Nouvelle-Calédonie a changé. Des forces politiques nouvelles s'expriment. En outre, le contexte de 1988 a privilégié les formations politiques alors que le retour de la paix et de la stabilité redonnent naturellement plus de place, dans la vie du Territoire, aux forces économiques et sociales.
La question nous est posée aujourd'hui de faire un pas de plus en direction de ces forces qui expriment un souhait compréhensible d'être davantage associées.
Si nous souhaitons répondre favorablement à ces aspirations, la solution me semble résider dans l'élargissement à leur profit du comité de suivi qui constitue l'enceinte institutionnelle de nos échanges.
L'État, pour sa part, n'est pas défavorable à cet élargissement dès lors que, s'inscrivant dans le cadre global de discussions que je propose, il ne contrarie pas l'impératif d'efficacité auquel nous sommes confrontés. Car l'élargissement du comité de suivi n'est pas une décision neutre : ce que l'on gagne en démocratie et en transparence, par l'accroissement du nombre des parties prenantes, peut se payer en termes d'efficacité. Il ne faut donc pas lâcher la proie pour l'ombre.
En toutes hypothèses, le gouvernement souhaite sur ce point recueillir votre opinion car une telle décision doit être prise collectivement.
- Enfin, l'accélération du traitement des dossiers économiques et sociaux doit plus que jamais être une priorité. Le développement équilibré du Territoire fait partie des objectifs premiers des signataires des accords de 1988. Bien des choses ont été entreprises en sept ans mais beaucoup reste encore à faire d'ici la fin de la décennie. Le ministre de l'outre-mer a lancé l'idée d'une commission du développement et du rééquilibrage. Cette commission pourrait associer, sous l'égide du Haut-Commissaire, les représentants des provinces et du territoire et peut être ceux d'autres institutions jouant un rôle effectif en matière de développement économique et social. Elle pourrait recevoir mission de dresser rapidement l'inventaire des problèmes à traiter pendant les deux ans qui viennent ; de définir des priorités claires ; d'examiner les actions que les différents partenaires peuvent entreprendre pour les mettre en uvre ; de soumettre au ministre de l'outre-mer et, le cas échéant à mon arbitrage, les questions sur lesquelles une aide ou une intervention de l'État est nécessaire pour avancer. Ce travail pourra se traduire si vous le souhaitez, et comme la demande m'en a déjà été présentée par l'un des exécutifs provinciaux, par une renégociation des contrats de développement destinée à mieux traduire les priorités du rééquilibrage et du développement.
Voici les instruments et les méthodes sur lesquelles il me semble à la fois possible et souhaitable que nous nous mettions d'accord pour que nos discussions avancent concrètement dans un cadre politique maîtrisé, au service d'un débat organisé sur des bases claires, en parallèle avec une gestion plus dynamique et plus efficace du rééquilibrage et du développement.
Nos rencontres sont rares et je souhaite quand elles se produisent qu'elles trouvent des conclusions concrètes et précises.
Aussi, si ces propositions correspondent à vos attentes, je pense utile que nous les annoncions dès maintenant d'un commun accord afin de témoigner clairement de notre volonté politique et de notre souci de transparence.
Il faudra, ensuite, les mettre en uvre dans les semaines à venir.
L'État, pour sa part, a un travail préparatoire important à fournir pour être en mesure de répondre rapidement à vos préoccupations.
D'un autre côté, il ne me semble pas inutile qu'entre partenaires calédoniens vous ayez le souci d'une première discussion préalable qui devrait j'en suis convaincu vous permettre d'identifier un certain nombre de convergences et de préoccupations communes.
Cette phase préparatoire de mise en route ne doit pas cependant s'éterniser. Il faut que dès les premiers jours de 1996 le travail effectif puisse commencer.
J'espère qu'au-delà de ces propositions, vous avez ressenti la volonté qui est la mienne de témoigner d'un engagement renouvelé du gouvernement et de l'État dans le traitement de la question calédonienne. Cet engagement, je le juge indispensable ; il doit trouver son reflet dans votre propre attitude car rien ne serait pire que de laisser le temps qui passe prendre à notre place les décisions importantes qu'appelle l'avenir de la Nouvelle-calédonie.
Cet engagement de l'État ne doit, bien entendu, pas être une cause d'affaiblissement du dialogue particulier qu'entre partenaires calédoniens vous avez vocation à poursuivre et à approfondir.
Car si une bonne organisation est l'un des facteurs du succès, la clé de la réussite c'est l'état d'esprit qui régnera entre nous.
Cet état d'esprit, je le résumerai en trois mots : confiance, sagesse et clarté.
La confiance est indispensable. Je crois qu'elle existe. Je suis déterminé à la maintenir. Elle doit s'appuyer sur le contrat solennel que rien de ce qui a été négocié et décidé en 1988 ne saurait être remis en cause en dehors du consensus. Elle doit se renforcer par le dialogue permanent, le respect des convictions de l'autre, le souci de construire un succès partagé.
La sagesse est nécessaire. Il serait illusoire de penser que nous tomberons d'emblée d'accord sur tout. Sur la route du consensus, il y aura sans doute quelques divergences. A nous de savoir mettre l'accent sur ce qui nous rassemble, sur ce que nous avons partagé et sur ce que nous pouvons vivre encore ensemble. A nous de savoir clairement distinguer la gestion du quotidien, ce qu'elle peut comporter d'oppositions politiques et la préparation de l'avenir qui ne peut se construire que sur la base de concessions mutuelles.
Faisons preuve, enfin, de plus de clarté. D'abord entre nous. Sachons nous parler avec franchise et sans détours. Le consensus ne peut se construire sur des non-dits, des arrière-pensées ou des frustrations. Il serait, dans ce cas, bâti sur du sable et s'effondrerait au premier coup de vent. Mais, clarté, aussi, envers les femmes et les hommes de Nouvelle-Calédonie, quelles que soient leurs origines, leurs croyances, leurs convictions. Car c'est de leur avenir qu'il s'agit et ce serait une grave erreur que de penser l'édifier sans eux ou malgré eux.
La responsabilité particulière des trois partenaires des accords existe. J'ai tenu à ce que cette réunion en soit l'expression. Encore ne faut-il pas se méprendre sur sa portée. Notre responsabilité est certes, par nos discussions, d'éclairer le chemin.
Mais, seul le débat, que nous devons engager et animer, sur les vrais enjeux de l'avenir, garantira que nous serons suivis sur ce chemin par l'immense masse de ceux dont le futur est en cause. Le consensus que nous recherchons ne peut être l'accord de quelques-uns uns. Il n'existera que par l'adhésion et le soutien du plus grand nombre.
Soyez assurés, en tout cas, que j'aborde pour ma part cette discussion, avec ambition et l'esprit dénué de tout préjugé. Ce destin commun de la France et de la Nouvelle-Calédonie, que j'évoquais tout à l'heure, me semble compatible avec les convictions de chacun d'entre nous. Il nous appartient d'essayer de l'écrire. Nous n'y arriverons pas en maniant des idées toutes faites, des conceptions dépassées, parfois héritées du XIXe siècle. La Nation, la République, la Souveraineté, l'Indépendance sont autant de belles valeurs. Ce que je vous propose, en définitive, c'est de réfléchir ensemble à leur modernité et à la signification que la Nouvelle-Calédonie et la France peuvent être capables de leur donner en se tournant résolument vers le XXIe siècle qui est déjà notre horizon commun.
Chers amis,
Je souhaite, tout d'abord, vous exprimer le plaisir que j'éprouve à vous recevoir à l'Hôtel Matignon. Je connais l'importance symbolique que ces lieux revêtent à vos yeux.
J'ai déjà rencontré la plupart d'entre vous, parfois à plusieurs reprises. Nous ne sommes pas des inconnus. J'espère que cela facilitera notre dialogue et l'esprit partagé de confiance qui doit le caractériser.
C'est la première fois cependant que je vous reçois tous ensemble et cela donne une importance singulière à cette rencontre.
Il y a quelques années, occupant d'autres fonctions, j'étais venu sur votre Territoire. J'étais alors chargé d'une mission précise par Jacques CHIRAC. Il s'agissait de vous confirmer, au nom du Rassemblement Pour la République, que l'alternance de 1993 ne se traduirait pas par une remise en cause des Accords de 1988. Nous avons, à ce moment, scellé un pacte de confiance et ce pacte a été respecté. Il continuera de l'être. Ma présence à la tête du gouvernement, celle de M. Jacques CHIRAC à la Présidence de la République en sont autant de garanties.
Notre discussion d'aujourd'hui, que j'ai voulu informelle dans son organisation, s'inscrit néanmoins dans le prolongement de cette responsabilité particulière que l'État, le FLNKS et le RPCR ont accepté d'assumer ensemble, dans le respect de leurs différences et de leurs convictions, en 1988. Je me félicite, à cet égard, de la composition particulièrement représentative des délégations que vous avez constituées.
Assumer ces responsabilités n'a pas été facile, en particulier pour les partenaires calédoniens. La réconciliation, le retour de la paix et du dialogue, ont été un combat et un défi. Beaucoup aujourd'hui ont tendance à les considérer comme allant de soi. Elles ne se sont pas construites pourtant sans sacrifices.
Pour ceux qui ont l'ambition de construire l'avenir, la première des sagesses est de ne pas oublier le passé.
Construire l'avenir, c'est bien l'enjeu de nos discussions. 1998 arrive à grands pas. Déjà, se profile la dernière ligne droite avant le référendum prévu par la loi.
S'il ne s'agissait que d'organiser techniquement cette consultation nous aurions du temps devant nous. Mais l'enjeu est tout autre.
L'enjeu c'est d'éviter un "référendum couperet" dont le résultat, quel qu'il soit, pourrait ranimer les antagonismes du passé ; tracer, au sein de la population calédonienne, un nouveau clivage entre les "vainqueurs" et les "vaincus" ; bref, ramener la Nouvelle-Calédonie dix ans en arrière.
L'alternative à ce scénario existe. Vous lui avez donné le nom de "solution consensuelle". Ces mots, la plupart d'entre vous les ont déjà employés publiquement. Je les utilise, en conséquence, sans précaution particulière.
Ces mots, il s'agit désormais de leur donner un sens. Il nous appartient aujourd'hui de confirmer cette volonté de consensus. Nous devrons démontrer, dans les mois à venir, que nous sommes capables d'en définir le contenu.
Dans cette entreprise, l'État jouera pleinement son rôle de partenaire et d'animateur. C'est à ce titre, que je voudrais, en premier lieu, vous livrer quelques commentaires généraux, qui me semblent de nature à clarifier cette discussion et à écarter d'emblée quelques sources de malentendus.
J'aimerais, en second lieu, vous proposer un cadre et une méthode de travail car c'est bien d'un important travail technique, juridique et politique qu'il s'agit.
Je souhaiterais, enfin, vous indiquer comment à mes yeux cette discussion doit s'insérer dans la politique globale que j'entends conduire avec le ministre de l'outre-mer, à l'égard de la Nouvelle-Calédonie.
Que peut être la "solution consensuelle" ?
Je crois qu'il n'est pas trop tôt pour commencer à aborder cette question. Je souhaiterais commencer par vous dire ce que dans mon esprit elle ne doit pas être.
- Elle ne doit pas être, en premier lieu, un moyen de contourner la liberté d'autodétermination reconnue en 1988 aux populations de Nouvelle-Calédonie. C'est autour du référendum prévu par la loi de 1988 que nous devons inscrire notre discussion. Le consensus, quel qu'il soit en définitive, ne doit pas apparaître comme le produit de discussions d'état-major, permettant de faire l'économie du libre choix des Calédoniens. Sans vouloir fermer, à ce stade, aucune porte, il me paraît hasardeux de penser que la solution consensuelle puisse déterminer le destin de la Nouvelle-Calédonie après 1998 sans recevoir l'approbation du suffrage populaire.
- La solution consensuelle ne doit pas être, en second lieu, un moyen de gommer artificiellement les différences de convictions des uns et des autres. Pour certains d'entre vous, l'indépendance est l'objectif politique à atteindre ; d'autres refusent cette perspective. L'État, quant à lui, s'en remet à la volonté exprimée par les populations calédoniennes. Sachez cependant qu'à mes yeux, à ceux du gouvernement, la Nouvelle-Calédonie et la France ont encore - et pour longtemps - la vocation d'un destin commun.
Ces différences, il ne s'agit pas de les nier ou de les occulter. Ce qui fait la force de notre démarche, c'est précisément le respect des convictions des uns et des autres. La confiance que nous partageons de pouvoir -sans renier ce en quoi nous croyons- trouver, par le dialogue, la voie d'un accord.
- Ce sont donc, comme en 1988, les termes d'un accord, d'un nouvel accord qu'il nous faut désormais discuter, jusqu'à ce qu'il soit acceptable pour tous.
La tâche est considérable. Il faudra se prononcer sur la répartition des compétences entre les niveaux de collectivités ; sur la définition des responsabilités laissées à vos élus provinciaux et territoriaux ; sur la restitution à leur profit de pouvoirs aujourd'hui exercés par l'État.
Il va de soi, en effet, que ces responsabilités locales ont vocation à s'accroître. Mais dans quels domaines et jusqu'à quel point ? Dans quelle mesure, en particulier, les partenaires calédoniens souhaitent-ils voir l'État continuer d'être impliqué dans la direction de l'exécutif territorial ?
Il faudra évoquer l'équilibre entre les institutions locales. Le travail conduit en matière de développement économique et social au cours des six dernières années a montré l'importance essentielle d'un niveau de cohérence à l'échelle du Territoire tout entier. Comment traduire cette dimension ? Comment la concilier avec l'attachement exprimé en 1988, et qui reste très vivace, à la compétence première des provinces ?
Il faudra s'interroger sur la façon dont s'exprime la capacité qui vous est reconnue de trouver un chemin original sur la voie du développement en définissant vous même le cadre de votre réglementation économique et sociale, dans le respect des grands principes du droit français.
Il faudra, sans doute, parler de la représentation politique du Territoire ; des questions seront posées sur la définition des scrutins par lesquels elle s'exprime.
Il faudra s'accorder sur la durée de ce nouveau pacte, sur les conditions de son dénouement, sur les termes à employer pour le désigner.
Ce n'est qu'en trouvant peu à peu les solutions à ces différentes questions, et à bien d'autres encore, que nous définirons ensemble ce qui peut devenir la "solution consensuelle".
Ceci exige, et je l'ai précisé dans le courrier adressé à vos présidents de délégation, que nous donnions à nos relations un contenu plus dense, une forme plus efficace, une fréquence plus soutenue.
Le cadre de travail, la méthode que je souhaite vous proposer aujourd'hui tente de répondre à cette préoccupation en intégrant les différents éléments qu'il me semble indispensable de prendre en compte : la nécessité de discussions préalables approfondies, préservant, toutefois, le domaine de décision du politique ; celle d'associer l'ensemble des forces politiques, économiques et sociales du Territoire à ces discussions. En outre, il me semble important que la discussion sur l'avenir ne nous détourne pas du traitement des grands dossiers économiques et sociaux du développement sur lesquels il est nécessaire, au contraire, de faire preuve de davantage d'efficacité.
A ces trois préoccupations, il faut, à mon sens, répondre par trois dispositifs distincts qui donneront à nos efforts une cohérence d'ensemble.
- Je vous propose, en premier lieu, de constituer un comité de discussion préalable entre les trois principaux partenaires que constituent l'État, le RPCR, le FLNKS. Ce comité devra être restreint, associer régulièrement les mêmes participants afin d'établir un rythme et un rapport de travail constructifs. Sans avoir de capacité propre de décision politique, les trois délégations qui le formeront devront être mandatées politiquement et rendre compte des progrès accomplis, des solutions évoquées, des alternatives possibles, à chacun des trois partenaires. Il travaillera dans la discrétion, à l'écart des curiosités médiatiques. Au fur et à mesure des progrès accomplis, les résultats de ces discussions préalables devront être actés par les responsables politiques. S'agissant de l'État, c'est bien entendu le ministre de l'outre-mer qui aura la charge de cette concertation avec les responsables du RPCR et du FLNKS. Ces rencontres donneront une première occasion de discussions avec les autres signataires des Accords, avec les formations politiques de votre Territoire. Elles permettront aussi d'éclairer les citoyens et les forces vives de Nouvelle-Calédonie sur le sens de nos discussions et d'engager le débat sur les solutions proposées.
- Cette dimension de transparence et de débat est à l'évidence essentielle pour le succès de notre démarche. Je ne fais pas partie de ceux qui jugent dépassée la légitimité des partenaires de 1988. Cette légitimité correspond à une prise de responsabilité historique ; elle est incontestable jusqu'à l'issue de la période de dix ans prévue par les Accords. Toutefois, depuis sept ans la Nouvelle-Calédonie a changé. Des forces politiques nouvelles s'expriment. En outre, le contexte de 1988 a privilégié les formations politiques alors que le retour de la paix et de la stabilité redonnent naturellement plus de place, dans la vie du Territoire, aux forces économiques et sociales.
La question nous est posée aujourd'hui de faire un pas de plus en direction de ces forces qui expriment un souhait compréhensible d'être davantage associées.
Si nous souhaitons répondre favorablement à ces aspirations, la solution me semble résider dans l'élargissement à leur profit du comité de suivi qui constitue l'enceinte institutionnelle de nos échanges.
L'État, pour sa part, n'est pas défavorable à cet élargissement dès lors que, s'inscrivant dans le cadre global de discussions que je propose, il ne contrarie pas l'impératif d'efficacité auquel nous sommes confrontés. Car l'élargissement du comité de suivi n'est pas une décision neutre : ce que l'on gagne en démocratie et en transparence, par l'accroissement du nombre des parties prenantes, peut se payer en termes d'efficacité. Il ne faut donc pas lâcher la proie pour l'ombre.
En toutes hypothèses, le gouvernement souhaite sur ce point recueillir votre opinion car une telle décision doit être prise collectivement.
- Enfin, l'accélération du traitement des dossiers économiques et sociaux doit plus que jamais être une priorité. Le développement équilibré du Territoire fait partie des objectifs premiers des signataires des accords de 1988. Bien des choses ont été entreprises en sept ans mais beaucoup reste encore à faire d'ici la fin de la décennie. Le ministre de l'outre-mer a lancé l'idée d'une commission du développement et du rééquilibrage. Cette commission pourrait associer, sous l'égide du Haut-Commissaire, les représentants des provinces et du territoire et peut être ceux d'autres institutions jouant un rôle effectif en matière de développement économique et social. Elle pourrait recevoir mission de dresser rapidement l'inventaire des problèmes à traiter pendant les deux ans qui viennent ; de définir des priorités claires ; d'examiner les actions que les différents partenaires peuvent entreprendre pour les mettre en uvre ; de soumettre au ministre de l'outre-mer et, le cas échéant à mon arbitrage, les questions sur lesquelles une aide ou une intervention de l'État est nécessaire pour avancer. Ce travail pourra se traduire si vous le souhaitez, et comme la demande m'en a déjà été présentée par l'un des exécutifs provinciaux, par une renégociation des contrats de développement destinée à mieux traduire les priorités du rééquilibrage et du développement.
Voici les instruments et les méthodes sur lesquelles il me semble à la fois possible et souhaitable que nous nous mettions d'accord pour que nos discussions avancent concrètement dans un cadre politique maîtrisé, au service d'un débat organisé sur des bases claires, en parallèle avec une gestion plus dynamique et plus efficace du rééquilibrage et du développement.
Nos rencontres sont rares et je souhaite quand elles se produisent qu'elles trouvent des conclusions concrètes et précises.
Aussi, si ces propositions correspondent à vos attentes, je pense utile que nous les annoncions dès maintenant d'un commun accord afin de témoigner clairement de notre volonté politique et de notre souci de transparence.
Il faudra, ensuite, les mettre en uvre dans les semaines à venir.
L'État, pour sa part, a un travail préparatoire important à fournir pour être en mesure de répondre rapidement à vos préoccupations.
D'un autre côté, il ne me semble pas inutile qu'entre partenaires calédoniens vous ayez le souci d'une première discussion préalable qui devrait j'en suis convaincu vous permettre d'identifier un certain nombre de convergences et de préoccupations communes.
Cette phase préparatoire de mise en route ne doit pas cependant s'éterniser. Il faut que dès les premiers jours de 1996 le travail effectif puisse commencer.
J'espère qu'au-delà de ces propositions, vous avez ressenti la volonté qui est la mienne de témoigner d'un engagement renouvelé du gouvernement et de l'État dans le traitement de la question calédonienne. Cet engagement, je le juge indispensable ; il doit trouver son reflet dans votre propre attitude car rien ne serait pire que de laisser le temps qui passe prendre à notre place les décisions importantes qu'appelle l'avenir de la Nouvelle-calédonie.
Cet engagement de l'État ne doit, bien entendu, pas être une cause d'affaiblissement du dialogue particulier qu'entre partenaires calédoniens vous avez vocation à poursuivre et à approfondir.
Car si une bonne organisation est l'un des facteurs du succès, la clé de la réussite c'est l'état d'esprit qui régnera entre nous.
Cet état d'esprit, je le résumerai en trois mots : confiance, sagesse et clarté.
La confiance est indispensable. Je crois qu'elle existe. Je suis déterminé à la maintenir. Elle doit s'appuyer sur le contrat solennel que rien de ce qui a été négocié et décidé en 1988 ne saurait être remis en cause en dehors du consensus. Elle doit se renforcer par le dialogue permanent, le respect des convictions de l'autre, le souci de construire un succès partagé.
La sagesse est nécessaire. Il serait illusoire de penser que nous tomberons d'emblée d'accord sur tout. Sur la route du consensus, il y aura sans doute quelques divergences. A nous de savoir mettre l'accent sur ce qui nous rassemble, sur ce que nous avons partagé et sur ce que nous pouvons vivre encore ensemble. A nous de savoir clairement distinguer la gestion du quotidien, ce qu'elle peut comporter d'oppositions politiques et la préparation de l'avenir qui ne peut se construire que sur la base de concessions mutuelles.
Faisons preuve, enfin, de plus de clarté. D'abord entre nous. Sachons nous parler avec franchise et sans détours. Le consensus ne peut se construire sur des non-dits, des arrière-pensées ou des frustrations. Il serait, dans ce cas, bâti sur du sable et s'effondrerait au premier coup de vent. Mais, clarté, aussi, envers les femmes et les hommes de Nouvelle-Calédonie, quelles que soient leurs origines, leurs croyances, leurs convictions. Car c'est de leur avenir qu'il s'agit et ce serait une grave erreur que de penser l'édifier sans eux ou malgré eux.
La responsabilité particulière des trois partenaires des accords existe. J'ai tenu à ce que cette réunion en soit l'expression. Encore ne faut-il pas se méprendre sur sa portée. Notre responsabilité est certes, par nos discussions, d'éclairer le chemin.
Mais, seul le débat, que nous devons engager et animer, sur les vrais enjeux de l'avenir, garantira que nous serons suivis sur ce chemin par l'immense masse de ceux dont le futur est en cause. Le consensus que nous recherchons ne peut être l'accord de quelques-uns uns. Il n'existera que par l'adhésion et le soutien du plus grand nombre.
Soyez assurés, en tout cas, que j'aborde pour ma part cette discussion, avec ambition et l'esprit dénué de tout préjugé. Ce destin commun de la France et de la Nouvelle-Calédonie, que j'évoquais tout à l'heure, me semble compatible avec les convictions de chacun d'entre nous. Il nous appartient d'essayer de l'écrire. Nous n'y arriverons pas en maniant des idées toutes faites, des conceptions dépassées, parfois héritées du XIXe siècle. La Nation, la République, la Souveraineté, l'Indépendance sont autant de belles valeurs. Ce que je vous propose, en définitive, c'est de réfléchir ensemble à leur modernité et à la signification que la Nouvelle-Calédonie et la France peuvent être capables de leur donner en se tournant résolument vers le XXIe siècle qui est déjà notre horizon commun.