Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur l'état des négociations sur la réforme des institutions communautaires, notamment l'extension de la majorité qualifiée et les coopérations renforcées, Bruxelles le 3 décembre 2000.

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Circonstance : Conclave CIG (Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions communautaires), Bruxelles le 3 décembre 2000

Texte intégral

Nous utilisons ce dernier conclave pour vérifier exactement où nous en sommes. Tout le monde sait à quel point c'est difficile. Nous avons calculé qu'il y aura eu, à l'ouverture de Nice, trois cent vingt cinq heures de négociation dans le cadre de la Conférence intergouvernementale au niveau des chefs d'Etats et de gouvernements, ministres, ministres délégués, représentants permanents. Mais les problèmes demeurent difficiles. Nous travaillons, nous reprenons l'ensemble des points. La Présidence a eu une vue d'ensemble à l'issue de la tournée des capitales effectuée par le président de la République. Nous examinons s'il y a des éléments nouveaux depuis cette tournée auquel cas nous vérifions pour voir si cela donne des marges nouvelles aux uns et aux autres. Ainsi, nous aurons pour l'ouverture de Nice, le point exact.
Sur quelques sujets, nous avons eu un échange plus approfondi, sur les coopérations renforcées, notamment pour appliquer le 2ème pilier, et sur ce que pourrait être, dans l'hypothèse où le travail porterait là-dessus, un système de rotation égalitaire. Mais sur ces deux sujets les positions des différents pays n'ont pas changé. Donc on ne peut pas dire, à ce stade, qu'il y ait un sujet qui soit réglé. D'abord tous les pays attendront d'avoir la vision d'ensemble pour confirmer leur accord éventuel à tel ou tel partie. Chaque partie étant reliée au tout.
L'ambiance est bonne, nous travaillons vite et bien. Voilà tout simplement la situation.
Q - Concernant les provisions dans le 2ème pilier pour les coopérations renforcées, pourrait-on savoir pourquoi vous voulez encore refaire ces provisions, ne sont-elles pas suffisantes ?
R - Je ne vais pas reprendre toutes les négociations : simplement le fait d'assouplir les coopérations renforcées qui sont considérées comme très importantes par beaucoup de pays qui considèrent que les dispositions d'Amsterdam sont trop rigides et trop contraignantes et c'est pour cela que personne ne les a utilisées. Un bon nombre de pays, dont la France d'ailleurs, considèrent que cela sera d'autant plus difficile que l'Europe ne peut pas ne pas s'élargir. A partir du moment où on assouplit le système de coopération renforcée, une majorité de pays considère que c'est logique et que cela s'applique aussi au deuxième pilier. Mais là aussi, on se heurte à des difficultés particulières puisque beaucoup de pays considèrent que cela pose des problèmes tout à fait spécifiques. Politique étrangère, politique de sécurité et plus encore la question de la défense, posent des problèmes très particuliers à plusieurs pays. Alors on cherche à concilier ce désir de pouvoir faire appliquer cet assouplissement utile pour l'avenir de l'Europe et, également, à l'appliquer au second pilier malgré les obstacles réels que rencontrent quelques pays compte tenu de la sensibilité de leurs opinions à ce sujet. Mais d'une façon générale plus personne ne considère que les dispositifs existants étaient, jusqu'à présent, suffisants en terme d'assouplissement car dans cette négociation vous voyez bien on réfléchit à 15 mais aussi à 27 (en même temps donc c'est une protection). Mais cela n'est pas un nouvel élément.
Q - M. Fischer, en arrivant aujourd'hui a dit qu'il ne voyait pas comment on pouvait résoudre les problèmes espagnol et néerlandais notamment sur la pondération sans un décrochage entre la France et l'Allemagne. Comment croyez-vous que l'on pourra sortir de cela ?
R- La question de la repondération sera traitée de nouveau à Nice et c'est un sujet sur lequel nous travaillons particulièrement parce que nous n'avons pas d'éléments nouveaux après les positions des uns et des autres qui ont été reconfirmées pendant la tournée du président de la République. C'est un des sujets de Nice et nous verrons comment on arrivera à améliorer le système de décision en tenant compte de tous les critères que vous connaissez. Je n'ai pas d'éléments nouveaux à apporter là-dessus.
Q - inaudible
R - L'ambition porte sur les quatre sujets principaux. Les trois "left over" d'Amsterdam et sur l'assouplissement des coopérations renforcées. La France n'est pas le pays qui bloque sur le sujet que vous évoquez. Il y a 12 pays sur 15 qui ont des problèmes sérieux concernant l'application de la majorité qualifiée à tel ou tel sujet. Il n'y a pas de raison de citer "le" sujet sur lequel la France a un problème en oubliant les 11 autres Etats qui en ont. Et beaucoup de pays posent beaucoup plus de problèmes que la France qui a un ou deux problèmes à propos de l'extension à la majorité qualifiée. Certains pays en ont 8 à 10. Donc il faut que vous ayez une vision peut-être plus complète, plus synthétique de cet élément. C'est un élément de difficulté mais l'ambition ne veut pas dire que des pays peuvent faire disparaître, comme par enchantement, les problèmes réels qu'ils rencontrent. Sur certains des sujets quand il y a des difficultés ce n'est jamais par un caprice de tel ou tel pays. On voit bien qu'il y a une volonté globale d'aboutir et je suis personnellement convaincu que ce voeux d'aboutir l'emportera sur les autres considérations lorsque nous serons à Nice. Mais les problèmes qui se rencontrent sont réels. Ils existaient déjà dans la Conférence intergouvernementale de 1996/1997. Ce sont des réalités. Ce n'est pas contradictoire avec l'ambition. La bonne façon d'être ambitieux c'est de trouver une façon de surmonter ces problèmes, de trouver une solution dynamique et c'est ce que nous faisons sur chacun des sujets, en cherchant. En tant que France, nous disons ce que nous avons à dire par rapport à notre position mais en tant que Présidence nous cherchons à faire émerger les compromis dynamiques, constructifs. Ceci n'est pas nouveau, c'est une ligne constante.
Q - ()Parmi les Etats membres il n'y aurait pas beaucoup de volonté d'élargir la codécision au Parlement européen en même temps que la majorité qualifiée au Conseil. Est-ce que la France s'engage à promouvoir cette extension de la co-décision avec la même passion avec laquelle elle propose d'autres réformes à Nice ? Y a-t-il à votre avis des problèmes à ce sujet ?
R - Là-dessus nous agirons en tant que Présidence pour faire émerger la meilleure solution acceptable par tout le monde.
Q - (inaudible)
R - La tournée du président de la République a permis d'avoir une vue exacte de la situation qui sera complétée par ce conclave sur quelques points. C'est indispensable avant un Conseil européen aussi important. Ceci a permis de mieux mesurer les marges de manuvre qui ne sont pas très nombreuses en réalité pour les uns et pour les autres sur l'ensemble des sujets puisque je le répète, quand un pays dit qu'il ne peut pas aller plus loin sur tel ou tel sujet ce n'est jamais pour ralentir la construction européenne. Donc cette tournée, qui s'est passée dans un climat très serein, m'a-t-il semblé, durant lequel tous les partenaires ont été tout à fait conscients de l'importance d'aboutir. Et chacun a expliqué ses problèmes. Le travail de la Présidence est compliqué, tout le monde le sait, nous avons essayé de dégager les solutions finales.
Comme tous ces problèmes sont liés, il n'a été possible, malgré les très longues heures de négociations, que de dégager des accords partiels. Parce qu'aucun pays n'est en mesure de donner son accord à un élément de la solution s'il n'a pas aperçu l'ensemble. Donc on aura conduit le plus loin possible les hypothèses de solutions, les hypothèses d'accord, de compromis en faisant en quelque sorte des scénarii de solutions et des "brain storming" sur les solutions régionales. On en a quelques uns possibles mais il ne peut pas y avoir de corps séparé. Parce que finalement la négociation forme un tout et cette discussion, qui est à l'ordre du jour de Nice qui commence le vendredi après-midi, va être extrêmement importante et très difficile et, je le pense, malgré tout, conclusive. Parce qu'on voit, pour l'Union européenne, la nécessité absolue de trouver une solution et ce besoin est quand même plus fort chez tous les responsables que les difficultés qu'ils rencontrent chez eux pour surmonter tel ou tel obstacle. Tout cela c'est la configuration de Nice et je crois qu'elle est maintenant bien perçue notamment grâce à cette tournée. Outre le climat d'énervement de ces derniers jours, ce qui n'est pas étonnant à l'aube d'un Conseil européen aussi important avant lequel tout le monde est un peu tendu et toute sorte de déclarations sont faites dans lesquelles chacun explique les points sur lesquels il ne peut pas bouger, il y a quand même un esprit européen, une sorte de dynamique, une capacité de dépassement qui, à un moment donné fait son uvre. Je crois que les choses se sont un peu calmées devant la gravité de l'enjeu. Et puis maintenant il ne s'agit plus de spéculer mais d'aboutir et j'espère que notre travail de ce soir va y contribuer.
Q - Une question plus générale sur la négociation : tant en 1991 qu'en 1997 on n'avait jamais autant assisté à autant d'accusations d'arrogance à l'égard de la France. N'y a-t-il pas un élément nouveau dans cette négociation effectivement ?
R - Je pense que simplement que, ce n'est pas la première fois, en consultant vos propres articles d'ailleurs, qu'avant des Conseils européens importants il y a un peu de tension ou de procès d'intention. C'est arrivé plusieurs fois, j'ai des souvenirs précis sur la période des 20 années écoulées. Je pense que cela traduit le fait que c'est une Présidence qui a une responsabilité lourde, que cette Conférence intergouvernementale est vraiment difficile, si elle ne l'était pas elle aurait été conclue en 1997. Il y a un sujet en plus qui est la coopération renforcée qui paraissait facile et qui ne l'est pas tant que ça puisque le principe même a été contesté, que maintenant les modalités de son application au 2ème pilier ne vont pas de soi. Donc je crois que cela traduit tout simplement la difficulté objective de la négociation. A ce moment-là, une Présidence, quelle qu'elle soit, court toujours le risque d'être placée en position de bouc émissaire. Alors si c'est un "grand pays" on va dire certaines choses, pour un "pays moyen" d'autres choses, pour un "petit pays" cela sera encore autre chose. Mais tout cela ne sont que des stéréotypes et cela traduit la difficulté. On est sorti de cette phase, je pense que nous ne sommes plus dans ce climat, que maintenant nous sommes face à l'enjeu de Nice et qu'avec une certaine gravité, une très grande volonté de parvenir nous allons y travailler et aboutir, j'en suis convaincu. Merci./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 décembre 2000)