Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur la suppression de la vignette automobile pour les particuliers, Mulhouse, le 20 novembre 2000.

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Circonstance : "Adieu à la vignette pour les particuliers", au musée de l'automobile de Mulhouse le 20 novembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Directeur du musée automobile de Mulhouse,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux que nous soyons rassemblés aujourd'hui pour ce qu'il convient d'appeler l'adieu à la vignette. Une cérémonie d'adieu qui n'a rien de triste. Le Gouvernement, à la fin de l'été, a annoncé en effet la disparition de ce qui était naguère, étymologiquement, un élément d'ornement ou de brochure pour la couverture d'un livre, mais qui, dans l'esprit de tous, était devenu au fil des années, une taxe supplémentaire qui n'avait rien de décorative. Les députés, le mois dernier, ont voté sa suppression pour les particuliers et les entrepreneurs individuels. L'espérance de vie de la chère disparue aura été ainsi 44 fois plus longue que les 12 mois prévus en 1956.
Bossuet, qui a fait de l'oraison un art, avait coutume de dire qu'un hommage digne de ce nom ne peut manquer de reconnaître la bonne fortune du défunt, ni omettre de dresser l'inventaire, subtil et bref, de ses défauts ou de ses vices. Aujourd'hui c'est une oraison heureuse !
L'idée de taxer les voitures de tourisme n'est pas totalement née en 1956 avec Paul Ramadier. Une première tentative eut lieu entre 1924 et 1934. Le contexte de récession économique et de tension budgétaire motivait cette première mutation des chevaux-vapeurs en chevaux-fiscaux. A la fin des années 1940, nos voisins européens, singulièrement la Grande-Bretagne, accusèrent la France de pratiquer le dumping fiscal parce qu'elle n'obligeait pas alors ses automobilistes à acquitter un impôt sur le moteur de leur voiture.
La vignette fut instituée par la loi du 30 juin 1956 ou plutôt les vignettes puisque trois taxes - sur les véhicules des particuliers, sur ceux des sociétés et une troisième dite " spéciale " sur ceux de plus de 16 CV -. Sa feuille de route, si j'ose dire, était claire : il s'agissait d'alimenter pendant un temps court le Fonds national de solidarité en faveur des personnes âgées. La vérité veut que l'on reconnaisse que ni le calendrier et ni l'intention assignés à cet impôt ne furent respectés. La taxe provisoire a connu des existences successives, d'abord remisée dans les portefeuilles, ce qui en dit long sur sa cible, puis dans les boîtes à gants avec la carte grise, ce qui était plus discret, enfin sous forme d'autocollant apposé sur le pare-brise, ce qui avait le mérite de la franchise. Au fil du temps, la vignette épousa les modes, l'Etat s'efforçant de la rendre " tendance " comme on dit aujourd'hui : ronde dans les années 1970, géométrique et sévère dans les années 1990. Mais, quelle que soit sa couleur ou sa forme, la " pastille " était amère. Sa finalité évolua au fil des décennies : recette perçue au profit de l'Etat avant d'être transférée, dans le cadre de la décentralisation, aux départements et à la collectivité territoriale de Corse.
Lorsque le 31 août, dans le cadre d'un plan d'allégement et de réforme des impôts de 120 MdF sur trois ans, j'ai annoncé au nom du gouvernement la suppression de la vignette pour les particuliers, nous avions deux objectifs. Que les Français, pour lesquels la voiture est un moyen utile de se rendre au travail ou de chercher un emploi, de faire des courses ou d'aller chercher les enfants à l'école, constatent, outre un allègement général des impôts, la suppression de l'un d'entre eux. L'exonération de vignette pour les voitures particulières, les campings cars et les véhicules destinés au transport des personnes handicapées et l'extension de sa suppression, ainsi que l'a souhaité l'Assemblée nationale, aux associations, aux syndicats et aux entrepreneurs individuels, pour leurs voitures et leurs petits utilitaires, constituent une entorse au fameux principe gourmand du millefeuille fiscal : toujours empiler, ne jamais retrancher. Second objectif, le Gouvernement a voulu que le produit du prélèvement de la vignette soit compensé au franc le franc, sous forme d'une dotation, auprès des départements.
L'histoire retiendra, et la présence de ce pare-brise l'y aidera, que la vignette a été supprimée en l'an 2000, année à plusieurs zéros. L'année dernière, le zéro sur la vignette c'était le millésime ; à partir de cette année, c'est la somme à payer. En participant à cette cérémonie, j'ai conscience de briser une habitude. La vignette accompagnait chaque mois de novembre l'arrivée sur les tables du Beaujolais nouveau, chacun évitant ainsi de consommer l'un pour se consoler de l'autre. Le vin et la pastille - cela ferait un bon titre de fable - semblent d'ailleurs avoir destins liés puisque je note qu'au XIIIème siècle, le mot " vignette " désignait aussi un ornement en branche de vigne. La collection dite Schlumpf mais qui est aujourd'hui celle de Mulhouse disposera donc désormais d'un joyau supplémentaire. Notre plus célèbre carré de 74 millimètres de côté trouvera ainsi sa vraie place en devenant une pièce de choix du musée établi à Mulhouse, une sorte de mosaïque sur son socle de verre, bref, pour la première fois en presque un demi-siècle, un ornement que l'on se plaît à contempler. Adieu, la vignette !
(source http://www.finances.gouv.fr, le 22 novembre 2000)