Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur le développement des métiers d'art, notamment l'action des pouvoirs publics et du Conseil des Métiers d'Art, Paris le 13 novembre 2000.

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Circonstance : Remise des titres aux six Maîtres d'art de la promotion 2000 à Paris le 13 novembre 2000

Texte intégral

Je me réjouis de vous accueillir au Ministère de la culture pour remettre les diplômes nationaux aux six nouveaux Maîtres d'art de la promotion 2000.
A travers cette cérémonie conviviale et " plurielle " je veux vous dire ma détermination à favoriser le développement des métiers d'art.
Je suis convaincue de l'importance de la mission que mon département ministériel doit remplir dans ce secteur. Vos savoir-faire sont vitaux pour la préservation, la restauration du patrimoine et la création artistique contemporaine. Les Maîtres d'art sont le symbole de ces savoir-faire d'excellence et d'exception, que nous distinguons aujourd'hui.
Je voudrais saluer et remercier les membres du Conseil des Métiers d'Art, professionnels reconnus de ce secteur, qui ont uvré bénévolement pour le devenir des métiers d'art sous la diligente et exigeante présidence d'Etienne VATELOT. Vous le savez tous, il a présidé à la naissance de ce Conseil, l'a porté à maturité durant ces six années avec un talent et une passion, une diplomatie et une efficacité, auxquels, avec vous tous, je veux rendre hommage en lui demandant de bien vouloir accepter la présidence d'honneur du futur Conseil des métiers d'art. Je le remercie vivement et chaleureusement, le Conseil est devenu grâce à lui le partenaire central du ministère et, plus largement de l'ensemble des métiers d'art en France. A ces remerciements, je voudrais associer Pascal Leclercq, secrétaire général du Conseil, et son équipe, qui ont uvré à vos côtés, Monsieur le Président, pour concrétiser les propositions du Conseil et organiser la sélection des Maîtres d'art.
A l'actif du Conseil, il faut mettre en premier lieu l'invention du titre de Maître d'art, la réflexion constamment enrichie menée sur la mission des Maîtres d'art et la participation active du Conseil à leur sélection ; je remercie Messieurs Pierre CHEVALIER, Jean-Louis PRONIER et Jacques LOIRE, trois professionnels de haut niveau, qui ont successivement animé la commission de présélection des Maîtres d'art ; je me réjouis que plusieurs pays, prenant exemple sur nous, souhaitent désormais nommer des Maîtres d'art ; nous songeons même à proposer la création d'un titre européen de Maître d'art.
L'originalité du titre de Maître d'art est double; d'une part, il consacre l'excellence d'un savoir-faire; d'autre part, ce titre n'étant pas un prix, il investit le récipiendaire d'une mission : la transmission de son savoir-faire rare et exceptionnel à un jeune professionnel, capable de recevoir l'enseignement du Maître d'art et de le développer à son tour ; cela avec l'aide financière et le soutien technique du ministère de la culture.
Nos concitoyens se passionnent pour le patrimoine monumental comme en témoignent, par exemple les Journées du Patrimoine ou encore le Salon International du Patrimoine, qui vient de se terminer au Carrousel du Louvre ; il ne nous faut jamais oublier que ce patrimoine immobilier ou mobilier est préservé, conservé et restauré avec le concours des compétences techniques et scientifiques des professionnels des métiers d'art, encore trop méconnus du public, car leurs talents sont anonymes.
Notre pays compte maintenant cinquante Maître d'art ; ils contribuent à l'enrichissement de notre patrimoine.
La nomination des Maîtres d'art s'inscrit dans une politique globale de soutien aux métiers d'art, que je souhaite conforter.
C'est dans ce but que j'ai demandé à l'Inspection générale du ministère et à celle de la délégation aux arts plastiques de dresser le bilan du travail accompli par le Conseil des métiers d'art, de consulter les professionnels et de me faire des propositions pour soutenir l'évolution de votre secteur d'activités. Les premières conclusions des deux rapporteurs, Madame Anne Chiffert et Monsieur Jean de Bengy, montrent, à l'évidence, l'intérêt que tous nos partenaires portent aux actions engagées.
Il me semble aussi très important d'intensifier la coopération entre les autres ministères, particulièrement avec le Secrétariat d'Etat chargé de l'artisanat -et je connais l'attachement que mon collègue et ami Monsieur François Patriat porte à ce secteur.
Il nous faut poursuivre la concertation avec les professionnels des métiers d'art et aider les initiatives qui permettront de mieux organiser le secteur professionnel et de soutenir la promotion des métiers d'art en France et à l'étranger en développant les programmes expérimentaux en région, et les projets européens.
Ce ne sont là que quelques éléments de réflexion ; je souhaite que le travail se poursuive pour développer les actions du Conseil des métiers d'art, tout en le réformant.
Je vais maintenant remettre aux six nouveaux maîtres d'art leur titre ; je note qu'ils sont issus de cinq régions différentes : la Bourgogne, la Lorraine, les Pays de Loire, la Provence-Alpes-Côte d'azur et l'Ile-de-France, et je m'en réjouis, c'est aussi la preuve de l'excellence du travail mené en région par le Conseil des métiers d'art. Soyez en tous remerciés et félicités.

Monsieur Christian BONNET, Vous êtes écailliste, l'un des derniers en France à travailler l'écaille de tortue, comme vos père et grand-père, installé dans votre atelier de l'Yonne.
Vous avez été formé dès 14 ans dans l'atelier de votre père avant d'entrer à l'Institut Supérieur d'Optique de Paris ; votre science, vous la tenez aussi de la rencontre de deux grands artisans d'art, Jacques RAMEAU et François MONDON, qui ont complété votre formation.
Votre métier est le façonnage ou la restauration d'objets en écaille de tortue véritable. Le travail de l'écaille de tortue est très ancien, il remonte au Japon traditionnel et à la Renaissance Italienne ; en France, cette technique connaît son apogée sous Louis XIV avec les chefs-d'uvre d'ébénisterie de Charles-André BOULLE.
Les matériaux modernes, comme les matières plastiques, ont concurrencé le travail de l'écaille et réduit drastiquement l'activité des lunetiers ou tabletiers traditionnels.
La tortue de mer étant protégée par la convention Internationale de Washington, l'écaille se fait rare ; vous avez, respectant cette convention, obtenu l'autorisation d'utiliser votre stock pour restaurer des oeuvres anciennes ou créer des objets nouveaux.
Vous concevez et montez des bijoux et autres objets précieux en associant à l'écaille d'autres matières comme le métal et l'ivoire - vous travaillez actuellement pour un grand créateur de haute couture, après avoir connu des clients célèbres en particulier le Président François Mitterrand.
Vous êtes membre des Grands Ateliers de France et vous avez participé à de nombreuses expositions au Carrousel du Louvre, au Couvent des Cordeliers, à la Bibliothèque Forney.
C'est pour toutes ces raisons que je me réjouis de vous remettre ce diplôme de maître d'art.

Monsieur Jean GIREL, Vous êtes céramiste, mais un céramiste pas comme les autres, tant vous êtes passionné par la recherche technique et esthétique.
Après votre apprentissage dès 14 ans, auprès d'un potier dans l'Isère, vous faites vos études à l'Ecole des Beaux-Arts de Mâcon, puis passez une licence d'arts plastiques à Paris, avant d'être peintre et professeur de dessin.
Enfin, il y a 25 ans, fidèle à votre vocation initiale, vous décidez d'être définitivement céramiste et installez votre atelier dans le Clunisois.
Ce qui vous intéresse, c'est bien sûr la recherche des formes, mais plus encore la structure interne de la matière terre ; vous poursuivez avec passion cette recherche sur les composants des argiles, les émaux et les méthodes de cuisson.
Vous avez emprunté les bases de votre savoir à la plus antique tradition de la porcelaine chinoise des Xe et XIe siècles, connue pour ses formes très simples, monochromes et pures.
Vous poursuivez ce que vous appelez le " devisement du monde " avec les moyens de la technologie la plus contemporaine : la quête dans la nature de la matière première, la recherche sur le temps et la vitesse de tournage, la cuisson et le refroidissement : rien n'est laissé au hasard.
Vous associez harmonieusement en vous-même l'ingénieur-chercheur, l'enseignant et l'artiste : votre uvre est reconnue et plusieurs de vos pièces figurent dans les collections publiques du FNAC, de plusieurs FRAC et dans celles du Musée National de céramique de Sèvres, par exemple.
Vous avez préparé la transmission de votre savoir-faire à votre Elève, Emmanuel BOOS, très motivé, avec lequel vous travaillez à la rédaction d'un traité sur la céramique.
Le diplôme de maître d'art que je vous remets aujourd'hui témoigne de votre parfaite maîtrise d'artiste et d'artisan d'art.
Monsieur Jean-Louis HURLIN, Vous êtes forgeron, installé depuis plus de 20 ans à PLAPEVILLE, près de Metz où vous êtes né.
Après un C.A.P., vous êtes parti dans le Lot où vous avez travaillé chez un ferronnier, puis chez un forgeron d'art, qui vous initie à la technique de la forge.
Vous avez alors cherché à approfondir cette technique allant même rencontrer les forgerons du Tassili en Algérie ; vous vous êtes ensuite rapproché du travail d'artistes de renommée internationale, comme Joseph BEUYS et Richard SERRA.
Mais c'est à une technique très spécifique et très ancienne, à laquelle vous vous consacrez alors : le damas.
Le damas consiste à étirer par battage au marteau des plaques d'aciers durs et d'aciers doux chauffées à blanc pour les souder.
Si dans l'histoire, le damas est associé aux armes et aux couteaux, et leur donne solidité et souplesse à la fois, vous avez créé des objets d'art entièrement nouveaux, vos fameuses lames rondes, en utilisant cette très ancienne technique.
Ces créations vous ont valu le 1er prix européen des métiers d'art et de création contemporaine en 1999 et vous avez exposé à l'Union Centrale des Arts Décoratifs.
Vous avez acquis une très grande maîtrise des techniques de travail des métaux ; vous poursuivez vos recherches, créant des objets nouveaux ; je voudrais citer votre lame enveloppée de métal, intitulée " mentale " en hommage à Arthaud.
Vous avez choisi de transmettre votre savoir-faire à Gabriel GOERGER, qui manifeste la même passion que vous pour ces matériaux, et vous ne concevez pas la vie à l'atelier autrement que comme un échange constant d'idées et d'expériences.
Votre volonté de transmettre vos connaissances est pleinement reconnue avec l'obtention de ce diplôme national de maître d'art que je suis heureuse de vous remettre.
Monsieur Patrick ROBIN, Vous êtes luthier, jeune luthier et déjà reconnu par vos pairs et en particulier par Etienne VATELOT, le Maître de cet art, qu'il a contribué à faire renaître et à développer.
Si grâce à Etienne VATELOT et à l'Ecole de lutherie de Mirecourt, près de 350 luthiers exercent leur métier dans près de 180 ateliers, dans lesquels ils réparent, restaurent et fabriquent des violons, vous êtes l'un des seuls à être exclusivement un créateur fabricant d'instruments ; vous vous consacrez à la facture d'instruments de quatuor à cordes, à partir du relevé des plus beaux instruments du monde ; vous excellez dans le choix difficile des bois et le travail du vernis.
Après le baccalauréat, vous passez un C.A.P. d'ébénisterie, puis vous entrez à l'Ecole de lutherie de Newark-on-Trent en Grande-Bretagne ; vous poursuivez votre formation auprès d'ateliers célèbres en Allemagne avant de vous installer à Angers en 1988 avec votre épouse Andrea FRANDSEN, elle aussi luthier de réputation internationale, que vous voulez associer naturellement à votre nomination au titre de Maîtres d'art.
Vos instruments sont joués par des solistes et musiciens d'ensembles et d'orchestres prestigieux : le Philharmonique de Berlin, l'Orchestre de Chambre de Vienne, l'Orchestre de Paris, le Quatuor Jean Sibelius...
La qualité de votre travail vous a déjà valu une reconnaissance internationale et de nombreuses distinctions, notamment les médailles d'or de violon et de violoncelle du 1er concours international de lutherie de Paris.
Vous souhaitez maintenant transmettre vos savoir-faire, votre passion de la recherche à un Elève et c'est pour vous encourager dans cette voie que j'ai le plaisir de vous remettre le diplôme de maître d'art.
Monsieur Erhard STIEFEL, Vous exercez un métier d'art rare et original : celui de sculpteur de masques, essentiellement pour le théâtre.
Vous imaginez, dessinez et fabriquez seul des masques de théâtre uniques, très légers et faits sur mesure pour chaque acteur, à partir de techniques perdues que vous avez retrouvées comme le cuir repoussé, le bois ou le lin, par exemple, ou de techniques nouvelles, que vous inventez en utilisant les résines.
Votre itinéraire traduit votre passion pour l'art du masque ; après une école de danse, puis l'école des arts appliqués de Zurich, comme plusieurs autres Maîtres d'art, vous partez autour du monde et découvrez l'art du masque au Japon et décidez d'en faire votre métier.
Rentré à Paris pour faire l'Ecole Nationale des Beaux Arts, vous fréquentez aussi l'Ecole du Mouvement de Jacques LECOQ et l'atelier de GIACOMETTI ; vous dessinez vos premiers masques, que vous réalisez dans votre petite chambre de bonne pour " Monsieur Carnaval ", comédie musicale de Maurice LEHMAN au théâtre du Châtelet.
Vous faîtes de nombreux séjours d'étude et de recherche à l'étranger, en Europe, à Bali et bien sûr au Japon, où vous retournez régulièrement ; vous êtes introduit par Issey MIYAKE auprès du cercle très fermé des familles liées au théâtre Nô ; admis dans ce milieu fermé, vous êtes choisi pour recréer certains masques anciens.
En France, vous avez participé à la réalisation de plus de 40 spectacles avec Maurice BEJART et les plus grands metteurs en scène : Georges LAVELLI, Jean-Pierre VINCENT, Antoine VITEZ, Yannis KOKKOS, Alfredo ARIAS, notamment sa récente création " Peines de cur d'une chatte française "...
Vous accompagnez, au sens littéral et fort du mot, Ariane MNOUCHKINE et le Théâtre du Soleil dans leurs créations au point d'installer votre atelier à la Cartoucherie de Vincennes.
Vous êtes un érudit du théâtre, de l'histoire du mouvement et de l'art du masque ; cet art et ces techniques vous avez choisi de les transmettre à un élève, Sigfrido RIVERA que vous avez estimé digne d'accompagner votre recherche. Le diplôme de maître d'art 2000 illustre tout le respect que nous avons pour votre art.

Monsieur Renaud VERNIER, Vous êtes relieur. Pour vous, la reliure est un art appliqué au service du livre ; elle protège le livre afin que les idées circulent le plus longtemps possible.
Vous possédez la maîtrise parfaite des techniques de la reliure, acquise d'abord dans l'atelier de votre père, puis à l'école Estienne ; vous reprenez ensuite l'atelier Constant DRENEAU à Paris, avant de vous installer, en 1983, à Aix-en-Provence, où vous vous consacrez à vos propres créations.
Vous ne reliez que des livres d'art, des ouvrages numérotés, des manuscrits, ceux de Maupassant, Genet ou Céline, par exemple. Vous avez également travaillé pour la Bibliothèque Nationale pour laquelle vous avez relié un manuscrit de travail de Matisse sur un texte de Ronsard.
Vous utilisez beaucoup de matériaux, outre le cuir, que vous incrustez : métal, bois, altuglass ou pierre ; vous avez un talent artistique, soucieux que vous êtes de la cohérence entre le contenu et le contenant ; c'est ainsi que vous avez choisi la couleur grise des pavés de Paris avec un chaînage d'angle de murs en trompe l'il pour relier " Courir les rues " de Raymond Queneau, par exemple.
Vous faites preuve d'une extrême exigence et d'une incomparable rigueur dans l'exercice de votre métier ; ces qualités vous valent la reconnaissance de toute votre profession et une excellente réputation auprès des bibliophiles.
Vous avez choisi de transmettre, à votre élève Anne DORGEUILLE, vos savoir-faire incomparables et particulièrement cette technique oubliée de la reliure souple, que vous êtes le seul à maîtriser. C'est avec le plus grand plaisir que je vous remets ce diplôme national de maître d'art.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 16 novembre 2000)