Interview de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, à RTL le 18 décembre 2000, sur la baisse des retraites complémentaires des fonctionnaires, les salaires et l'emploi public.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle Près de 500 000 retraités de la fonction publique ont appris récemment une baisse de 16 % du montant de leur retraite complémentaire. Vous y êtes pour quelque chose ?
- "Non, c'est une mutuelle qui s'est créée tout à fait librement et qui rassemble librement un certain nombre de membres. Je ne vais pas revenir sur les modalités de gestion. Ils ont un problème de gestion et d'équilibre de leurs comptes. Ce qui montre bien d'ailleurs, combien la solidarité, c'est-à-dire des régimes de retraites fondés avant toute chose sur tous et pas simplement sur quelques-uns, est en France un élément essentiel."
Il n'empêche que le motif invoqué par cette mutuelle est l'allongement de la durée de la vie ; il y a de moins en moins de cotisants pas rapport au nombre de retraités. C'est exactement le motif qu'avait évoqué au début de l'année le Premier ministre pour dire : "il va falloir réviser un peu le mode de fonctionnement des retraites des fonctionnaires ..."
- "Oui mais s'agissant de la retraite de base des fonctionnaires - 75 % du dernier salaire en activité -, c'est l'Etat qui la garantit. C'est donc un problème pour l'Etat - ce qui ne veut pas dire que c'est négligeable -, c'est un problème de financement public. Il faut suffisamment d'argent dans les caisses de l'Etat pour faire face à cela. Là, en l'occurrence, c'est un problème privé."
Mais quand le Premier ministre avait dit ...
- "Cela ne règle pas pour autant la question qui vaut pour les fonctionnaires comme pour les non-fonctionnaires. Ce n'est pas un problème de fonctionnaires, c'est un problème de système de régime français. Les retraites des Français doivent être garanties et donc il y a des mesures à prendre chez les fonctionnaires comme chez les non-fonctionnaires."
Le Premier ministre nous en avait parlé en mars ...
- "Oui, je crois que c'est toujours dans sa tête."
En décembre, où en est-on ? On a avancé ?
- "Oui, on avance. On a ce qu'on appelle le Conseil d'orientation des retraites qui permet de faire en sorte que des gens qui s'intéressent aussi bien au système public qu'au système privé puissent discuter entre eux avec des organisations syndicales. Les choses avancent très bien, et plutôt pour l'instant dans le consensus car c'est très important d'arriver à avoir un bilan sur lequel on est d'accord - on peut être en désaccord sur les mesures mais d'être d'accord sur le bilan. Avant on disait : il y a les tenants du rapport machin et du rapport truc. Aujourd'hui, chacun s'est bien mis d'accord sur le bilan, ce qui est déjà un élément très très important."
On avait parlé d'un allongement de la durée de la cotisation, donc de la durée du travail ?
- "La différence entre le public et le privé, c'est que dans le public c'est 37 annuités et demi alors que dans le privé, aujourd'hui, c'est 40 annuités. Mais on peut aussi trouver dans le privé des différences par rapport au public. C'est tout cela qu'il faut revoir pour faire en sorte que les Français, aujourd'hui, se disent : "ma retraite dans les 10, 15, 20 ans qui viennent, c'est assuré.""
On se hâte lentement ?
- "On se hâte aussi lentement que le mécanisme lui-même est lent. Sauf que je l'ai toujours dit et le Premier ministre aussi : nous arrivons au moment où des décisions devront être prises."
Avant 2002 ?
- "Peut-être avant 2002, car il y a des tas d'éléments qui peuvent être décidés avant 2002. Et surtout, je pense que la stratégie globale peut être décidée avant 2002."
En 2001 donc, l'année prochaine ...
- "2001 est avant 2002."
L'année prochaine, dans les mois qui viennent ?
- "Dans un temps qui ne sera bientôt plus l'année prochaine."
Les salaires : "Si c'est pour en rester à 0,5 % de hausse, c'est même pas la peine de se revoir" disent les syndicats qui ont pourtant rendez-vous cette semaine ...
- "Ils le disent parce qu'ils savent bien qu'on va parler d'autre chose que simplement des 0,5 % dont on a parlé à la dernière réunion. Nous allons parler de l'année 2000, celle qui a été marquée par 0,5 % d'augmentation, de l'année 2001 et de l'année 2002. Ce que je propose aux syndicats, c'est que nous ayons non pas des négociations par petites tranches - que se passe-t-il une année ? ; il ne se passe rien l'année suivante - mais que nous ayons des négociations qui couvrent un ensemble d'années, et si on prend les deux années passées, qui couvrent cinq années, les cinq années de cette législature. Je souhaite qu'il y ait cet accord, car dans la fonction publique, il faut traiter les gens correctement, il faut les payer correctement. Et il faut surtout que les jeunes - les jeunes filles ou les jeunes garçons - qui, peut-être, ont envie de rentrer dans la fonction publique - on va avoir de plus en plus besoin de jeunes filles et de jeunes garçons dans la fonction publique - sachent comment ils vont être traités sur la durée, et pas simplement, comme cela, un petit coup ici ou là. "Que vais-je pouvoir gagner dans la fonction publique ? Quelles vont être mes responsabilités ? Quelles vont être les évolutions de carrière ? " Ce n'est pas simplement une histoire de paye. Il y a beaucoup d'autres éléments."
C'est-à-dire : les promotions, les gratification pour les heures supplémentaires ?
- "La promotion interne, les heures supplémentaires. Il y a beaucoup d'autres éléments. Le point, comme on dit dans le jargon, c'est le coeur de la discussion : comme dans une entreprise la question du salaire est le coeur des discussions. Mais il n'y a pas que cela. Il y a d'autres éléments qui sont très importants pour les fonctionnaires."
Quelles sont vos marges de manoeuvres parce qu'on sait également qu'à cette époque de l'année le Gouvernement doit envoyer à Bruxelles, à l'Europe, ses prévisions budgétaires pour les trois années qui viennent et L. Fabius veut arriver à un budget en équilibre en 2004 ? Vous avez un peu d'argent pour payer tout ça ?
- "Ce dont le Gouvernement est en train de discuter actuellement, c'est l'évolution des finances publiques sur 2002, 2003 et 2004, avec un objectif qu'à la fin de 2004 non pas le budget de l'Etat mais l'ensemble des financements publics - cela comprend la Sécurité sociale, les collectivités locales - soient à l'équilibre. C'est un bon objectif : il faut atteindre cet objectif. Dans ce cadre, nous avons les moyens pour traiter correctement et dignement ceux qui travaillent pour les autres et pour l'intérêt général."
Tout en augmentant le nombre de fonctionnaires ? Vous allez traiter dignement ceux qui sont là et les nouveaux arrivants ?
- "Je ne sais pas si le nombre de fonctionnaires augmentera."
C'est le Premier ministre qui l'a dit.
- "L'année prochaine il y aura des créations d'emplois dans l'éducation nationale, dans la police, dans la justice. Il suffit d'écouter tel ou tel sujet d'actualité pour savoir que dans ces trois domaines il est absolument indispensable de renforcer les effectifs. Et puis ensuite les choses évoluent, les choses avancent."
Vous êtes en train de nous expliquer que s'il y en a plus dans certains secteurs il peut y en avoir moins dans d'autres ?
- "L'année prochaine, l'ensemble, le bilan global, c'est une augmentation de l'ordre de 10 000 emplois. Ce qui paraît beaucoup mais qui, par rapport à 2 242 000 et quelques fonctionnaires, n'est pas considérable, surtout dans les secteurs en question. Et puis ensuite les choses évoluent. Le problème fondamental de la fonction publique dans les dix ans qui viennent, ce n'est pas tellement le nombre des fonctionnaires c'est de savoir si on va être capables de trouver suffisamment de gens pour être candidat pour être professeur, pour être policier, pour être magistrat ou pour aider dans nos villes à nettoyer les rues ou à ramasser les ordures ménagères ? On n'est même pas sûrs que, compte tenu du nombre des départs à la retraite, il y aura suffisamment de candidats. C'est cela l'élément fondamental. Il faut donner envie aux uns et aux autres de servir l'intérêt général de servir les citoyens."
Vous arrivez à tenir les comptes ? J'ai lu un rapport de la direction générale de l'administration qui dit : finalement on ne sait pas du tout combien il y a de fonctionnaires en France. En 1998, il y en aurait eu 174 000 de plus qu'annoncés. Les variations vont de 8 à 10 % de plus que les chiffres annoncés. C'est sérieux ? On peut tenir le budget de l'Etat comme cela ?
- "Oui, la preuve ! Depuis que je suis là, je dis et je répète qu'on ne peut pas continuer avec des approximations de cette nature-là. Ce rapport, c'est mon rapport, c'est le rapport de la direction générale qui est sous mon autorité parce que je veux que chacun prenne conscience, au sein de l'Etat, que l'on doit changer la manière de faire et la manière de gérer. Il faut le faire de la manière la plus sérieuse possible. C'est vrai que plus de 2 millions de personnes, c'est beaucoup pour savoir au jour le jour. Mais là, on ne le sait que deux ans après. Je souhaite que, dorénavant, et grâce au travail de ce qu'on appelle l'Observatoire de l'emploi public, nous sachions à peu près chaque mois le nombre de fonctionnaires. De plus, les chiffres dont vous parlez, c'est quoi ? Ce ne sont pas des titulaires, ceux qu'on appelle les fonctionnaires, ce sont ceux qu'on appelle les contractuels, des gens qu'on prend par ci par là pendant deux mois. Je viens de faire adopter par le Parlement un projet de loi sur la résorption de la précarité qui prend des mesures pérennes, durables, pour éviter la facilité qui consiste à dire : "J'ai un problème à tel endroit, je vais recruter quelqu'un pendant deux mois, six mois ou pendant un an." Je pense que c'est cet ensemble de mesures qui nous permettra, de rendre plus sérieuse encore et plus efficace la gestion des personnels de l'Etat."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 18 décembre 2000)