Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur le développement local, Lille le 22 mai 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Cinquièmes rencontres des acteurs du développement local, à Lille le 22 mai 2000

Texte intégral

Monsieur le Président, Monsieur Le Délégué, Madame la Présidente d'Entreprise Territoire et Développement,
Mesdames Messieurs,
Je voudrais vous dire le plaisir que j'ai à être parmi vous aujourd'hui, et l'attente dans laquelle je suis de pouvoir profiter des enseignements de ces " cinquièmes rencontres des acteurs du développement local ".
Le nombre, la qualité et la diversité des participants doivent en faire un lieu de production collective, un lieu d'écoute, au moment où finit de se mettre en place le cadre nouveau du développement local.
Grands débats, tables rondes, ateliers, forums, stands et autres espaces d'échanges de ces rencontres vont permettre une meilleure appropriation de ce cadre et une confrontation constructive entre les protagonistes du développement local.
Je tiens à féliciter Entreprise Territoire et Développement, dont je salue la nouvelle présidente, Madame Martine BURON, les vice-présidents et les administrateurs, le directeur, Jean-Michel COULIER et l'ensemble de l'équipe ainsi que les partenaires qui se sont associés dans cette organisation. Je pense en premier lieu à la région Nord-Pas-de-Calais, mais aussi à la Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale et aux partenaires pour l'importance et à la qualité du travail préparatoire.
Ces rencontres se tiennent à un moment particulier pour l'aménagement du territoire
La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire ayant été adoptée, nous allons pouvoir passer à la phase de concrétisation et de mise en uvre d'un développement local partagé.
Le cadre législatif, a permis la définition des territoires de projets : les agglomérations, les pays, les parcs naturels régionaux.
C'est la formulation du principe que Jacques CHEREQUE résumait dans son rapport par la formule "un territoire + une stratégie + un projet font un contrat".
Des agglomérations, qui renforcent la solidarité entre les différentes composantes des territoires urbains ; qui maîtrisent leur étalement, souligné par le dernier recensement avec un espace " consommé " deux fois plus important que la croissance démographique et économique ; des agglomérations qui favorisent la qualité urbaine par le niveau de leurs services et de leurs équipements; qui proposent des stratégies cohérentes de développement économique dans une perspective de long terme.
Des pays reconnaissant les territoires vécus comme supports du développement ; proposant un mode d'organisation pour renforcer les solidarités entre les pôles urbains et les milieux ruraux ; des pays identifiant la mobilisation des ressources humaines et des forces vives locales ; renforçant la cohérence de l'action publique ; assurant une meilleure offre des services publics ; des pays adaptés à la diversité du monde rural, soumis ici à la pression de la ville ou à la surexploitation agricole, délaissé ailleurs, porteur d'un projet original et dynamique plus loin.
Des parcs naturels, souvent précurseurs de cette logique et qui saisiront ce moment pour prendre une nouvelle dimension et un nouvel essor.
Un cadre réglementaire ensuite, sera défini par les décrets relatifs aux pays d'une part, aux agglomérations d'autre part. Le Conseil d'Etat ayant achevé leur examen, les décrets devraient être prêts pour la plupart fin juin.
Elaborés en concertation avec les représentants des collectivités et des organisations professionnelles, syndicales et associatives impliquées dans leur émergence, les projets de décrets fixent les modalités de mise uvre des dispositions législatives concernant ces structures, tout en laissant la possibilité d'exprimer la diversité des situations régionales et locales.
C'est un exercice difficile, dans lequel il nous est reproché, tantôt de trop figer les choses, de trop les encadrer au risque de les rendre trop normatives et parfois impraticables; tantôt, de laisser trop de marge au risque de permettre leur "perversion" au regard de la logique retenue par le législateur.
Cadre contractuel enfin : Il est possible, à ce jour, de faire un premier point d'étape de la contractualisation, alors que 24 des 26 contrats de plans Etat-Régions sont signés ou en passe de l'être.
Seules les régions Auvergne et Languedoc Roussillon font encore l'objet de négociations difficiles entre l'Etat et la Région et, pour la seconde de ces régions, notamment sur la question de l'organisation et de la contractualisation territoriale.
Il faut souligner l'importance et la qualité des engagements réciproques de l'Etat et des régions. Ce sont 120 milliards de Francs de crédits Etat et un montant identique de crédits régionaux, 60 milliards de Francs de crédits des départements et des autres collectivités qui seront mobilisés, soit au total environ 300 Milliards de Francs sur 7 ans.
60 milliards de francs de crédits européens s'y ajouteront, grâce à la convergence entre les actions nationales et européennes en faveur des politiques territoriales permise par le choix d'une " stratégie unique " et d'une élaboration coordonnée et décentralisée.
Au total, celles-ci bénéficieront donc de 50 milliards de francs par an d'ici à 2006. A nous ,tous ensemble d'en faire bon usage pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens.
A quelles conditions pourront nous considérer que nous aurons fait bon usage de ces crédits publics ?
Très simplement si nous pouvons dire, dans six ans, que nous avons progressé dans les réponses apportées aux enjeux du développement local.
Quels sont ces enjeux et ces défis ?
Ils sont économiques, bien sûr et se nomment ouverture des marchés à l'échelle européenne et mondiale, exigence accrue de fiabilité des produits et des processus de production, élargissement de l'offre de biens de services avec la concurrence accrue qui en résulte.
Un tissu local solide, c'est un tissu divers par la nature de ses activités, la taille de ses entreprises, l'orientation de ses échanges ; c'est un tissu réactif par le niveau des ces qualifications et son aptitude à s'inscrire dans de vastes réseaux d'informations.
Il s'agit aussi, pour le territoire, de répondre à l'évolution du contexte social : la mobilité professionnelle, la mobilité géographique, la mobilité sociale recomposent les comportements, créant à la fois de nouveaux besoins et de nouveaux champs d'activités. La réduction du temps de travail
va dans le même sens.
Il est hors de question par ailleurs, de succomber à l'euphorie : la reprise de l'activité, indépendamment même de sa fragilité, ne suffira pas à elle seule à réparer les déchirures d'un quart de siècle de déstabilisation du travail et des espaces.
L'exclusion reste massive ; la précarité se reproduit jour après jour...
Nous avons collectivement à répondre, y compris par nos choix locaux, à la question de l'usage social et du partage que nous ferons des richesses produites massivement dans cette nouvelle phase d'accumulation.
Les enjeux et les défis, ils sont également environnementaux :
Lentement, trop lentement, s'installe la prise de conscience des limites des ressources naturelles, considérées hier comme inépuisables, et dont la préservation constitue la condition première de notre existence et de la poursuite de quelque développement que ce soit.
A cet égard, chaque acteur local est désormais en situation de se sentir co-responsable des engagements internationaux de la France, par exemple en matière de lutte contre l'effet de serre ou de respect de la biodiversité.
Il faut enfin répondre à la montée de l'exigence de démocratie participative exprimée par les citoyens qui veulent pouvoir intervenir réellement dans la définition et la mise en uvre des politiques publiques qui les concernent.
On l'a vu il y a quelques mois à propos de la négociation sur
l'Organisation Mondiale du Commerce.
On le voit aujourd'hui en matière de sécurité alimentaire et d'Organismes génétiquement Manipulés : les dimensions locales et globales sont totalement inséparables.
Nos concitoyens aspirent à la prise en compte simultané de ces différentes facettes de notre existence...
Développement durable, Pays, agglomérations, développement local, tout cela constitue un ensemble de notions, certaines nouvelles et encore à préciser, d'autres mieux installées dans votre réflexion quotidienne.
C'est vrai, il n'existe pas de modèle tout prêt, qu'il suffirait de reproduire.
Le développement local, vous le savez bien, implique la multiplication des passerelles et des alliances entre les acteurs de la société, l'articulation entre différents outils : systèmes productifs locaux ; plates-formes d'initiatives locales ; mesures de mobilisation des fonds propres ou de garantie en faveur des entreprises ; échanges avec les réseaux consulaires, action conjointe avec les réseaux du développement local sur les emplois jeunes, la pluriactivité, le logement en zone rurale ; diffusion et de développement des technologies de l'information et de la communication ; mise en réseaux des écoles ou des maternités, équipement multimédia des bibliothèques ; formation des très petites entreprises aux téléservices ; coopérations interentreprises ; mobilisation de l'épargne de proximité...
La palette de ces instruments, la complémentarité de ces processus vous sont familiers.
Mais je ne saurais, ici dans le Nord en oublier une dimension essentielle :
Dans deux semaines jour pour jour, nous rendrons compte des premiers résultats des vingt consultations régionales de l'économie sociale et solidaire, organisées conjointement à mon initiative et à celle de Martine AUBRY. Elles ont rassemblé, preuve de la vitalité de ce tiers-secteur, plus de quatre mille participants.
Je souhaite vivement que, dans la montée en puissance des contractualisations locales, cette "autre façon de faire de l'économie " trouve pleinement sa place.
Je compte bien travailler étroitement avec Guy HASCOET pour que nous progressions ensemble dans ces domaines.
Au total on voit bien comment à travers les exigences qu'implique une bonne animation des territoires, apparaissent de nouvelles qualifications, de nouvelles professions, et comment d'autre se recomposent.
J'ai ouvert il y a deux mois, la première session de l'Institut des Hautes Etudes en Aménagement du Territoire. Elle mêle dans une heureuse convivialité, des Directeurs d'administration centrale, départementale ou régionale, des responsables associatifs, des cadres supérieurs d'établissements publics ou d'entreprises privées, des Préfets des Syndicalistes, chacun y venant pour apprendre, formaliser et échanger des savoirs...
Il serait excellent, comme c'est d'ailleurs l'intention de la DATAR qu'on puisse régionaliser les prochaines promotions, afin de nourrir localement la même démarche de mutualisation d'intelligence et de constitution de réseaux.
Dans le même ordre d'idée le temps vient je crois, de donner plus de cohérence et plus d'efficacité aux formations universitaires pour les métiers du développement local : je prendrai des initiatives en ce sens dans les mois qui viennent, ainsi que pour ce qui concerne la validation des compétences acquises dans le cadre des emplois "nouveaux services" par plusieurs milliers de jeunes dans toute la France.
Mesdames, Messieurs,
Les cadres, les acteurs, les procédures du développement local connaissent donc de très fortes évolutions...
Il y aurait cependant quelque paradoxe et même quelque hypocrisie à ne pas souligner les efforts à accomplir pour que l'Etat lui même s'adapte à ces évolutions.
Le Gouvernement ne doit donc pas s'exonérer de ses propres responsabilités :
Responsabilité financière d'abord. Le Fonds National d'Aménagement et de Développement du Territoire consacrera 4 milliards de francs sur les sept prochaines années à l'appui direct aux agglomérations, pays et aux parcs naturels régionaux. Je souligne l'importance de l'ingénierie, parfois considérée comme superflue par les administrations, ainsi que les moyens nécessaires à la réalisation de diagnostics et à l'évaluation des projets et des contrats. Je n'ignore pas non plus que les conseils de développement auront besoin de moyens d'appréciation en propre et d'information et d'échange avec le public.
La responsabilité du gouvernement, c'est aussi de veiller à la convergence des politiques qu'il encourage.
Je voudrais à cet égard faire une mention particulière des contrats territoriaux d'exploitation qui sont en cours de discussion. Leur intitulé comporte, et ce n'est pas fortuit, le mot territorial, parce que la loi d'orientation agricole a pour ambition de faire de l'adéquation de la production agricole au territoire un de ses atouts. De ce point de vue, il me semble essentiel que les acteurs du développement local aient à cur de travailler de façon concertée à la préparation des contrats de pays et des contrats territoriaux d'exploitation.
Mais la convergence des politiques encouragées par la Gouvernement, c'est aussi la cohérence de leurs impacts sur le terrain...
Le CIADT de jeudi dernier a décidé d'un calendrier de mise en débat et d'adoption des schémas de services collectifs...
La construction de ces schémas concerne bien sûr les différents ministères. Mais ils auront aussi de grands effets sur les territoires : je vous demande donc avec insistance de vous mêler au maximum du débat public en la matière...
Que dirait ou par exemple, si les stratégies un peu fines élaborées en matière de tourisme local, d'urbanisme ou de revitalisation étaient d'un seul coup réduites à néant par une politique autoroutière sur-dimensionnée, mangeuse de crédits et déménageuse de territoires ?
· L'Etat doit donc lui-même beaucoup évoluer dans le processus d'élaboration et de mise en uvre de ses politiques publiques, a travers ces exercices de planification contractuelle.
Je ne peux à ce propos laisser de côté la question des services publics et de l'évolution de leur organisation sur l'ensemble du territoire. La réaction suscitée à la campagne, par la fermeture ou la menace de fermeture qui pèse sur certains services publics, et la prise de conscience de l'insuffisance de certains de ces services publics dans des zones urbaines ou en forte croissance démographique, (je pense notamment aux mouvements survenus en Seine Saint-Denis ou dans le Gard), ont montré les limites des plans de réorganisation des services publics, décidés uniquement par en haut.
L'évolution rapide du contexte économique et juridique, au plan européen, et l'évolution de l'attente de services des populations en terme de qualité et d'accessibilité enfin imposent un renouvellement profond des méthodes de modernisation de ces services publics.
Ils doivent mieux intégrer les attentes des habitants et s'inscrire à une échelle adaptée.
Les réorganisations appellent une plus grande concertation avec les personnels, les usagers et les élus, la constitution d'espaces de projet appropriés et reconnus localement . Les pays et agglomérations peuvent représenter un cadre adapté pour mener cette approche et définir à cette échelle une réponse négociée avec les intéressés et décloisonnant les logiques sectorielles.
Elle pourrait s'appuyer sur l'idée de contrats locaux de services publics et présuppose que le cadre soit fixé par le Gouvernement et les Administrations centrales, la mise en uvre étant déléguée aux Préfets et aux Administrations déconcentrées.
Comme vous le constatez, les champs d'intervention du Ministère et de la DATAR sont très diversifiés. Mes priorités vont très clairement dans l'année qui vient à la mise en place des volets territoriaux des contrats de plan Etat - Régions, et à la définition des modalités d'intervention du fonds national d'aménagement du développement du territoire.
C'est également dans ce sens qu'est réorientée l'intervention et l'action d'"Entreprises, Territoires et Développement ": renforcement des coopérations avec les différentes administrations de l'Etat, les collectivités locales, régions, départements et les grandes collectivités, avec les acteurs économiques, et ceux du développement local ; implication accrue dans les champs européen et du développement durable.
Je voudrais en troisième lieu renforcer cette année, l'appui aux associations et réseaux susceptibles d'améliorer l'expression et la visibilité des acteurs du développement local dans leur relation avec l'Etat et les grandes collectivités.
Je tiens en particulier à saluer le travail fait par les associations telles que l'UNADEL, le CELAVAR et bien d'autres.
Certains de ces réseaux travaillent à la perspective des secondes rencontres mondiales du développement local durable : ils ont mon soutien pour cette initiative qui aura, je crois lieu l'an prochain au Portugal.
Pour conclure, il m'apparaît que les conditions sont réunies, à partir du travail patient mené depuis trois ans, pour organiser et renforcer les bases d'un développement local partagé.
La constitution de communautés urbaines et de communautés d'agglomération, l'effervescence constatée dans l'élaboration ou la préparation de pays, le travail mené avec les associations d'élus locaux à la fois sur des agglomérations tests ou dans la suite des appels à projet de pays, la sélection prochaine des lauréats du deuxième appel à projet "Agenda 21", représentent une évolution encore discrète mais profonde du paysage local et des conditions concrètes de mise en uvre de la décentralisation.
Nul ne doute que la Commission, présidée par Pierre MAUROY, saura en tirer les conséquences pour l'avenir...
Il s'agit d'une tâche importante dans laquelle vous avez bien sûr un rôle irremplaçable : c'est votre engagement, votre détermination, votre action qui, dans la réalité, feront évoluer la mise en uvre des politiques publiques et permettront de dépasser les habitudes qui tendent à perpétuer la logique de guichet, à ne trouver de salut que dans l'investissement ou l'équipement lourd...
Je vous assure de mon soutien déterminé dans vos démarches.
Place aux tables rondes, aux ateliers, aux forums, place à ce moment d'échanges et d'inventions.
Bon courage à vous et merci encore aux collectivités qui se sont engagées dans l'organisation de ces cinquièmes rencontres, à Entreprise Territoire et Développement et aux Associations, Fédérations de Développement local qui permettent le succès de cette manifestation...

(Source : http://www.environnement.gouv.fr, le 5 juin 2000)