Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les mesures pour favoriser la solidarité nationale en faveur des anciens combattants et sur le travail de mémoire à l'occasion des manifestations du souvenir, Paris le 5 décembre 2000.

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Circonstance : 50ème anniversaire de la Fédération mondiale des anciens combattants, à Paris le 5 décembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le ministre [Messieurs les ministres],
Mesdames et Messieurs,
Il y a cinquante ans était créée à Paris la Fédération mondiale des anciens combattants. A l'occasion de cet anniversaire, je suis heureux de vous accueillir à l'Hôtel de Matignon. Je salue votre président, M. Serge WOURGAFT et, à travers lui, les vingt-sept millions d'adhérents que compte votre fédération sur les cinq continents. Je salue également M. Jacques GOUJAT, président de l'Union française des associations de combattants et de victimes de guerre, que j'ai déjà eu le plaisir de recevoir ici même le 27 juillet dernier. Je sais combien son organisation, adhérente à la Fédération mondiale, a contribué au succès de votre 23ème assemblée générale qui se tient ces jours-ci à Paris.
Vous recevoir, c'est manifester l'estime que le Gouvernement français porte à votre organisation. Votre réussite n'a pas seulement été de fédérer soixante-dix-huit pays membres, désormais bien plus nombreux que les huit fondateurs. Elle a surtout été de rassembler, dans un esprit de paix et de compréhension mutuelle, tous les anciens combattants, à la fois ceux qui ont lutté pour une même cause et ceux qui se sont battus dans des camps opposés. Car tous ont souffert de la guerre.
Vous recevoir, c'est aussi signifier mon respect pour ces hommes -et ces femmes- qui ont mis leur vie au service de leur patrie. C'est célébrer le courage dont vous avez fait preuve, avec tous ceux qui sont tombés à vos côtés, dans des conditions physiques et psychologiques extrêmes. La France sait ce qu'elle doit à ses anciens combattants.Ceux-ci peuvent compter sur la solidarité nationale.
La France a une tradition de soutien matériel et moral en faveur de ses anciens combattants. Depuis la loi du 31 mars 1919, adoptée au lendemain d'une guerre qui meurtrit tragiquement notre pays et brisa le destin de millions de femmes et d'hommes, la France aide ceux qui ont combattu en son nom.
Depuis 1997, le Gouvernement que je dirige s'est attaché à répondre aux légitimes attentes des anciens combattants. Il a veillé à l'élargissement de leurs droits. La pérennité de la reconnaissance de la Nation a été garantie à travers chaque budget annuel. La fiabilité des modes d'indexation des différentes pensions a été améliorée pour conserver l'intégrité du droit à réparation. Des conflits récents ont été reconnus ; les critères de qualification du combattant et de délivrance du titre de reconnaissance de la Nation ont pour cela été rénovés. La loi du 18 octobre 1999, votée à l'unanimité par le Parlement, a ainsi permis d'accorder aux anciens combattants la forme la plus élevée de la gratitude nationale, en qualifiant de " guerre " les conflits d'Afrique du Nord.
La solidarité nationale est renforcée grâce au budget 2001. Celui-ci poursuit le déplafonnement des pensions des grands mutilés et aménage les règles d'attribution de la carte du combattant. L'insécurité et les risques encourus par les militaires après la cessation officielle des combats seront pris en compte pour la délivrance du titre de reconnaissance de la Nation. Le Gouvernement développe également un plan de financement substantiel des actions sociales en faveur des veuves. Enfin, pour les ressortissants algériens qui ont combattu dans les armées françaises, le Gouvernement a décidé ce que l'on appelle précisément la " décristallisation " du droit à la retraite du combattant à 65 ans.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce qu'en France le Gouvernement accomplit pour conforter la solidarité nationale due aux anciens combattants. Nous exprimons aussi cette solidarité en faisant vivre la mémoire.
Le Gouvernement apporte son soutien aux grandes manifestations du souvenir, comme ce fut le cas lors du quatre-vingtième anniversaire de l'armistice du 11 novembre 1918. Mon Gouvernement reste attaché à la célébration du cinquante-cinquième anniversaire de l'armistice du 8 mai 1945. Ces actes de mémoire vous associent étroitement, vous qui avez participé aux combats et avez été les témoins directs de la guerre. Vous contribuez à en perpétuer le souvenir. Je tiens à saluer l'action menée par vos fédérations, en particulier à l'Ecole, auprès des jeunes générations, pour transmettre la mémoire de ce que furent les grands conflits du siècle. Je sais aussi que la communauté des historiens recueille auprès des anciens combattants de précieux témoignages.
Ce travail de mémoire exige vigilance et lucidité. Il nous faut lutter contre l'oubli, mais aussi contre la déformation des faits. Nous devons combattre les discours lénifiants qui prolongent les malentendus, déforment le passé, perpétuent la haine. Il nous faut refuser ce que le poète et résistant René CHAR appelait " la sainteté du mensonge ". Animés par la volonté de savoir, nous ne devons pas craindre de rechercher la vérité.
En ce domaine, la volonté politique peut beaucoup. Lors de ma visite à Craonne, sur le Chemin des Dames, le 5 novembre 1998, j'ai invité à la réintégration, dans la mémoire collective, de ces combattants de la Première Guerre mondiale qui, épuisés par des attaques condamnées à l'avance et donc irresponsables, refusèrent d'être des sacrifiés. De même, la responsabilité de l'Etat français dans la persécution des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale a été reconnue par les autorités de la République. A travers les travaux de la Commission MATTEOLI sur la spoliation des biens juifs, la France s'est efforcée d'établir les faits et de réparer ce qui pouvait encore l'être. Enfin, j'ai appelé à un travail de lucidité sur les moments sombres de la guerre d'Algérie.
Ainsi, la France apprend à regarder en face son propre passé. Loin d'affaiblir la communauté nationale, ce travail de vérité la renforce en lui permettant de mieux tirer les leçons de son passé pour construire son avenir. Cette exigence de mémoire est une condition de la réconciliation d'un pays avec lui-même et de la paix entre les Nations.
Mesdames et Messieurs,
A l'heure où de nouveaux conflits déchirent certaines parties de notre planète, le combat pour la paix est d'autant plus fort qu'il peut s'appuyer sur la volonté de celles et ceux qui, comme vous, ont vécu dans leur chair les horreurs de la guerre. C'est pourquoi j'accorde une importance particulière au message dont vous êtes porteurs : le respect des droits de l'Homme, le rapprochement entre les peuples, le dialogue entre les Nations. Avec la Fédération mondiale des anciens combattants, la France entend continuer à bâtir les conditions d'une fraternité entre les ennemis d'hier et à édifier les fondements d'une paix durable.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 6 décembre 2000)