Interview de M. Jean-Luc Bennahmias, secrétaire national des Verts, à RTL le 30 octobre 2000, sur la préparation du congrès des Verts, les diverses tendances au sein du mouvement et les relations avec la majorité plurielle.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle Vous êtes de la tendance Voynet au sein des Verts. Hier, les adhérents Verts ont participé à des votes en vue de leur congrès de la mi-novembre. La tendance Voynet, à la motion, a recueilli un tiers des voix des adhérents, mais tous les autres réunis posent la même question : "à quoi sert-on quand on est au Gouvernement ?". C'est cela dont on va débattre au congrès des Verts à Toulouse mi-novembre ?
- "C'est une bonne question, non ? Je ne suis pas de la tendance Voynet. Je soutiens évidemment D. Voynet mais je suis surtout le secrétaire national des Verts, de tous les Verts."
Vous êtes proche de D. Voynet.
- "C'est normal que le secrétaire national des Verts soit proche de D. Voynet. On a un jeu démocratique interne tout à fait intéressant et important qui est de voir comment, combien pèse chacun et chacune chez les militants selon les motions. L'important, c'est l'externe, c'est de savoir comment on pèse effectivement. Comment propose-t-on ? Qu'est-ce qui fait qu'on a des rapports de force dans la société qui sont parfois gagnants, parfois perdants ? L'intérêt de la politique, c'est de faire avancer les politiques publiques."
Faut-il être au sein du Gouvernement quand on est Vert ?
- "Je crois que c'est au sein des gouvernements, du Gouvernement au niveau national ou de gouvernements régionaux - les conseils régionaux et les municipaux -, que l'on fait avancer les politiques publiques."
On entend beaucoup dire chez les Verts : " D. Voynet, elle est bien gentille mais elle avale des couleuvres en permanence sur la chasse, sur le nucléaire, sur l'essence, etc.".
- "Dit comme cela, il vaut mieux sortir. Mais je crois que la vie est faite de compromis et il faut savoir quelle est la barre entre le compromis et la compromission. Je crois que nous sommes encore dans la phase de compromis. Ceci dit, nous ne pesons pas assez. Les militants Verts, hier dans les élections internes des différentes sensibilités, ont voulu dire un mot. Ils sont exigeants et impatients, ils disent par l'intermédiaire de ce vote, au Gouvernement et au Parlement : "il faut aller plus vite". Il faut aller plus vite sur l'amélioration de la qualité de l'air, sur les plans de déplacements urbains, sur la redistribution des fruits de la croissance. Je crois que les militants sont impatients."
La semaine dernière, L. Jospin décrochait son téléphone et il a grondé vos députés. Quand il se met en colère L. Jospin, vous avez envie de lui répondre ?
- "Je n'ai pas envie de lui répondre. Je ne sais pas s'il s'est vraiment mis en colère, je n'en sais strictement rien."
Il a dit, "prenez vos responsabilités sur le budget de l'Etat, parce que sinon ça va aller mal!".
- "Un vote est passé inaperçu dans le vote des militants. Je vous en livre la teneur : s'il n'y a pas la proportionnelle au niveau des élections législatives avant mars 2002- ce fut un vote majoritaire hier pendant le congrès, qui ressortira dans 15 jours -, il n'y aura pas d'accord de la majorité plurielle avec les Verts. Les militants sont impatients, ils sont exigeants, ils demandent que les accords, notamment ceux qui ont été signés en 1997 entre les Verts et le PS, soient respectés. Il était marqué qu'il y aurait une dose de proportionnelle pour les prochaines élections législatives, cela a été voté à 60 % des voix des militants."
Mais croire aujourd'hui que cela peut se faire, c'est croire au Père Noël!
- "Il ne s'agit pas de croire, je vous dis ce qui a été voté. A un moment donné, quand on fait une majorité, avec les Verts notamment, il faut que chacun soit entendu à son juste poids. Nous ne cessons de le dire, je ne cesse de le dire depuis trois ans. Ce que je pense, ce que nous pensons, c'est que nous ne sommes pas suffisamment écoutés dans la société par rapport à nos propositions et qu'il faut toujours hausser le ton. J'entends bien que L. Jospin, qui dirige le Gouvernement et la majorité, puisse hausser le ton par rapport à des votes de nos députés, mais quand nos députés font 33 amendements - suite à la crise pétrolière, suite à la crise des corporatismes de début septembre - et que sur les 33 amendements qui touchaient à l'énergie, qui touchaient à l'amélioration de la vie quotidienne, qui touchaient aux énergies renouvelables, aucun amendement n'a été pris, ce n'est pas sérieux."
Dose de proportionnelle pour 2002 ?
- "Je vous l'ai dit, c'est ce qui a été voté par les militants."
Sinon, que se passe-t-il ?
- "Sinon, il n'y a pas d'accord dans la majorité plurielle avec les Verts."
D. Vaillant qui est ministre de l'Intérieur et qui était hier soir sur cette antenne, au Grand Jury, a dit : "Les Verts feraient bien de se rappeler quand même qu'au moment des élections régionales ils ont plus d'élus sur les listes de la majorité plurielle que sur les listes autonomes vertes". Une manière aimable de dire : soyez avec nous parce que grâce à nous vous avez des élus.
- "Ce n'est pas comme cela qu'il faut voir les choses. Les Verts sont indispensables pour qu'il y ait des majorités dans la majorité plurielle. Bien sûr, pour que les Verts soient élus, il faut qu'ils soient dans une majorité d'alliance. Mais ce sont des vases communicants ! La majorité plurielle sans les Verts n'est plus une majorité, c'est une vieille union de la gauche qui est minoritaire. Tout cela pèse par rapport aux propositions, par rapport à l'amélioration qu'on doit faire dans nos propositions et dans ce que doit faire le Gouvernement."
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent finalement de pousser un peu le Gouvernement dans le mur, lorsque par exemple L. Jospin prend des mesures d'allégement de la taxe sur l'essence ? C'est très populaire.
- "Etre populaire ne suffit pas, il faut surtout voir comment les choses s'adaptent à la société d'aujourd'hui. Comment fait-on pour avoir un développement de la croissance qui permette d'aller vers un développement durable ? Un développement durable, c'est quoi ? C'est améliorer la redistribution des fruits de la croissance dans le sens où on n'épuise pas les ressources naturelles. C'est compliqué. Si on va directement dans la démagogie, dans le populisme ou dans le populaire rapide, évidemment, c'est facile à faire."
Jospin, c'est du populaire rapide ou c'est du populisme ?
- "Les baisses des impôts un peu indifférenciées, c'est du populaire rapide."
Populaire rapide, ce n'est pas encore populiste ?
- "Non, pas du tout."
Le 7 novembre, il doit y avoir un sommet de la majorité réunissant les partis de la gauche plurielle. Qu'attendez-vous de ce sommet ? Du côté du PS on dit : " il faut leur faire un petit peu de " calinothérapie, comme ça ils vont se calmer".
- "Les choses ne suffisent pas, la thérapie en politique n'est pas le meilleur moyen. Je crois qu'il faut surtout que la majorité plurielle décide ensemble de sortir des mesures sur les six mois, un an, qui soient des mesures réelles, justes, qui redistribuent réellement les fruits de la croissance par rapport aux plus démunis dans notre société."
En qui cela consiste-t-il ?
- "L'augmentation des minima sociaux."
De combien ?
- "Les minima sociaux ? 500 francs minimum par allocation, par personne."
Et par mois ?
- "Et par mois, bien évidemment. Aujourd'hui, on ne vit pas avec 2 500 francs par mois, c'est absolument impossible. Déjà avec 3000, c'est difficile, mais avec 2500, c'est encore plus difficile. Nous avons également demandé un certain nombre de mesures sur le développement des économies d'énergie, le développement des énergies renouvelables, le développement rapide des transports collectifs et du ferroutage - transport combiné du fret des marchandises sur les trains. Il faut que tout cela soit engagé rapidement. Il faut que l'on arrête d'en parler, il faut que ce soit engagé."
On entend beaucoup parler en ce moment de la possibilité d'un assouplissement du passage aux 35 heures pour les PME. Vous allez le combattre ou vous êtes favorable ?
- "Non. L'assouplissement, je ne sais pas, mais l'aide aux PME pour le passage aux 35 heures est un vrai débat, qui aurait dû être posé depuis le début et sur lequel il doit y avoir des réponses. Ce n'est pas une question d'assouplissement. La question est de savoir comment on permet aux PME d'y passer et de savoir quelles sont les aides qu'on peut apporter."
On parle beaucoup, par exemple, d'un allégement du quota d'heures supplémentaires.
- "Non, cela ne serait pas la bonne solution. La bonne solution serait de savoir, par rapport aux charges sociales, comment on fait pour aider les PME à passer aux 35 heures."
D'une façon plus globale, beaucoup disent "les Verts dans le fond, c'est plutôt un mouvement associatif, ils sont ingérables, ce n'est pas un parti de Gouvernement, d'ailleurs il y avait encore cinq ou six motions présentées hier à 8 500 adhérents". Quelle dispersion !
- "On peut le dire comme cela mais quand on regarde les résultats, on s'aperçoit qu'effectivement les gens ont voté pour M.-C. Blandin, d'autres ont voté plutôt pour N. Mamère ou d'autres ont voté plutôt pour D. Voynet. Vous croyez vraiment que ces gens-là n'existent pas ?"
Les adhérents Verts ont compris ce qu'était un parti de Gouvernement ?
- "Oui, je le crois. Ils ont même terriblement compris parce qu'ils savent ce que c'est que de créer du rapport de forces. Je vous le dis et je le répète : sans les Verts il n'y a pas de majorité plurielle. On le sait maintenant, les Verts le savent. L'ensemble des militants sait qu'il faut passer des alliances, mais pour que les alliances soient respectées il faut que les accords tels qu'ils ont été passés soient respectés."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 30 octobre 2000)