Texte intégral
P. Lapousterle Où vous situez-vous en ce moment ? On se rappelle de vous, ministre très actif de l'environnement. C'était dans le Gouvernement Rocard, il y a dix ans. Et depuis, on a du mal à vous suivre...
- "Je m'occupe d'environnement et Génération Ecologie défend l'environnement. Pour vous dire franchement mon sentiment, devant le spectacle des Verts que je trouve pour l'instant un peu pitoyable, il me semble qu'il faudrait lancer les Bleus, c'est-à-dire un mouvement écologiste qui s'occupe vraiment d'environnement."
Pourquoi ? C'est à cause de ce vous avez vu à Toulouse ?
- "Ils ont sans doute cédé au poison du pouvoir. Ils s'occupent plus de politique, ou ils ont vite appris la politique, et ils ont oublié l'écologie. C'est quand même incroyable de voir en ce moment tout ce qui se passe ! On a besoin d'une force écologiste, on en a d'ailleurs besoin à l'échelle européenne tellement les problèmes sont transnationaux. Au lieu d'avoir un congrès pour savoir si c'est N. Mamère ou D. Voynet qui sera le candidat à la prochaine élection présidentielle, on aurait bien aimé une stratégie d'action pour empêcher les bateaux pourris de traverser la Manche, pour essayer d'avoir partout les mêmes mesures contre la vache folle etc. On n'a pas cela !"
Pensez-vous que les Verts auraient pu faire plus dans le Gouvernement ? Mais les Verts ne sont que les Verts : ils pèsent 6 ou 7 % !
- "Au moins, qu'ils s'occupent d'environnement ! Quand on regarde les différents pays, la comparaison est cruelle pour madame Voynet. Quand je vois ce qui se passe en Allemagne : vous avez 100 000 toits solaires, l'Allemagne est le premier pays au monde à développer l'énergie éolienne... Mais en France, il n'y a rien de tout cela ! Même le Danemark, l'Espagne, l'Italie sont en avance sur la France. Quand on fera le bilan, on se demandera ce qu'elle a fait. C'est quand même terrible : je suis obligé de dire qu'il y a une régression en ce moment de la politique de l'environnement. Une grande partie des financements qui étaient accordés à l'environnement - notamment chaque fois que dans une commune on payait la taxe d'enlèvement des ordures ménagères - servaient l'environnement. Depuis que madame Voynet est là, cela va aux 35 heures. C'est-à-dire que l'argent de l'environnement a été pris à l'environnement pour être donné aux 35 heures. Régression donc de la politique de l'environnement ! C'est pour cela qu'il va falloir créer les Bleus."
Vous dressez un bilan sévère, pour l'écologie, de la présence de madame Voynet au Gouvernement ?
- "Regardez la vache folle ! Voilà un domaine où enfin, semble-t-il, le Gouvernement va prendre la mesure que tout le monde attendait depuis plusieurs années : interdire les farines animales. Que se passait-il au Gouvernement ? A quoi cela sert-il d'avoir un écologiste au gouvernement si on ne le dit pas, et si l'écologiste, depuis tant d'années, ne pousse pas..."
Elle l'a dit !
- "Elle l'a dit avant-hier, formidable ! Je me demande si ce n'est pas le journaliste qui lui a demandé de le dire tellement on attendait ! Pour les cantines de nos enfants, il faut se rendre compte que nous n'avons pas, dans les différents pays de l'Union européenne, les mêmes mesures. La France - et le Royaume-Uni, depuis très longtemps, enlèvent les organes à risque - les abats, une partie de l'intestin, la cervelle, les yeux, la moelle épinière etc. - alors que l'Allemagne ne le fait pas, l'Italie ne le fait pas, et je ne crois pas que l'Espagne le fasse non plus. Ces pays-là mélangent la cervelle de leurs boeufs pour faire de la saucisse, et ensuite, ils exportent leurs saucisses partout. La viande hachée en provenance d'Allemagne, d'Italie ou d'Espagne se retrouve dans les cantines de nos enfants parce qu'elle est souvent moins chère. Qu'attendons-nous ? Il faudrait accuser le gouvernement en lui disant qu'il ne fait pas son travail - les Verts les premiers - car il devrait nous protéger davantage."
Qui est fautif ? Les Verts à l'Intérieur du Gouvernement ou le Gouvernement lui-même ?
- "Il me semble que c'est la même chose ! Le Gouvernement est fautif - ce n'est pas faute d'avoir été prévenu, tout le monde le sait - parce que les hommes politiques ne font pas assez leur travail de protection. La même chose vous a choqué avec le deuxième naufrage. Qu'a-t-on fait depuis ?"
Depuis l'Erika ?
- "Oui, le Ievoli Sun. Les hommes politiques se reposent sur des experts, on attend leur avis, et on ne va pas chercher soi-même le dossier. Ce n'était pas sorcier de voir qu'en Allemagne, on ne prenait pas les mêmes dispositions qu'en France ou que dans le Royaume-Uni. Donc, l'Union Européenne est une passoire ! Vous avez une muraille d'un côté : les Français ont boycotté la viande anglaise - à tort me semble-t-il car les Anglais ont pris des précautions extrêmement sévères depuis de longues années - tandis qu'ils ont laissé tout arriver depuis l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie."
Dans trois heures, monsieur Jospin va annoncer un moratoire sur les farines animales. A-t-il raison ou tort ?
- "Il a raison. Heureusement que le Président de la République l'a poussé à le faire ! On ne comprend pas pourquoi il ne l'a pas fait depuis de longues années. Depuis très longtemps, nous savons qu'avec les farines animales, on ne peut pas garantir que les sacs ne se mélangent pas : on a appris avec stupéfaction que même l'aliment pour les bovins, en principe indemne de farine carnée, était contaminé à 0,3 %. Un prion peut passer ! On ignorait ce détail. Les scientifiques nous ont toujours dit qu'il fallait éviter le cannibalisme - qu'on donne des restes de porcs à du porc, des restes de volailles à de la volaille - car on risque sans cesse de recycler et d'exalter un pathogène. Le cannibalisme est très dangereux. Comment se fait-il que la France continue sans cesse cette pratique ? C'est bizarre ! Maintenant, on va le faire en catastrophe, on va avoir des difficultés pour tout incinérer. Il faudra donc construire des incinérateurs. Entre nous, qui est contre les incinérateurs ? Les Verts !"
Vous voulez créer les Bleus ? Mais politiquement, vous êtes allé à droite, avec monsieur Madelin, dont vous avez dit que c'était "un type formidable" ?
- "Politiquement, l'écologie se fout de la gauche et de la droite. Il va bien falloir un jour..."
Mais vous êtes bien allé à droite !
- "Je suis allé à gauche et à droite, et cela m'est complètement égal, excusez-moi de vous le dire aussi brutalement ! Je suis un écologiste. Je récuse donc la division droite-gauche. D'ailleurs beaucoup de Français la récusent ! On ne voit pas très bien quel est le fondement de la droite et de la gauche autrement qu'en y voyant des clans autour d'un tel ou d'un tel. Je mets mon honneur, en tant qu'écologiste, à travailler avec tout le monde, parce que l'écologie doit être indemne de cette coupure droite-gauche."
Allez-vous ouvrir votre guichet en disant que vous allez appeler tout le monde, de gauche et de droite, à venir faire de l'écologie ?
- "Je voudrais que les écologistes soient une force importante, unie en France."
"Ni droite, ni gauche" comme on dit ?
- "Et droite, et gauche ! Les écologistes doivent être capables de négocier avec la droite et la gauche, en fonction des intérêts de l'écologie. Il ne sert à rien de dire que vous êtes d'un côté ou de l'autre, puisque de toute manière, à ce moment là, le côté est sûr de pouvoir compter sur vous, quelque soit la situation. Si au contraire vous êtes une force indépendante, capable de peser et d'aller soit d'un côté soit de l'autre, en fonction des intérêts de l'écologie, vous êtes beaucoup plus fort. Et vous obtenez ce que vous voulez."
Quand allez-vous commencer ?
- "Pourquoi ne pas commencer maintenant ? Et pourquoi ne pas créer cette force ? L'erreur des écologistes sont ces divisions permanentes, cette espèce de nid de guêpes permanent. Il faudrait un jour sans doute être adulte, se sortir complètement des divisions que les autres veulent nous imposer. La droite et la gauche veulent nous imposer la division droite et gauche, et nous forcer à dire de quel côté on se situe. Mais quand on réfléchit bien à ces questions de droite et de gauche, on ne sait plus très bien où on en est, on ne sait plus sur quels sujets on serait de gauche ou on serait de droite. On voit bien qu'aujourd'hui, être de gauche, c'est plutôt être du côté des fonctionnaires. Mais les fonctionnaires, ce ne sont pas les ouvriers ! Il y a donc une transformation profonde des partis politiques depuis une vingtaine d'années, et on n'en tient pas compte."
Pensez-vous que le moment est venu d'ouvrir une brèche ?
- "Les questions les plus importantes sont des questions internationales aujourd'hui, en tout cas l'environnement. Dans les questions internationales, les divisions ne sont plus les divisions internes, qui étaient naguère sans doute très importantes en France, entre droite et gauche. Ce sont des questions beaucoup plus larges et importantes. Aujourd'hui, l'une des principales menaces est sans doute la menace islamiste. Est-ce que vous voyez un parti politique en France s'occuper de cela ? Malheureusement non."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 novembre 2000)
- "Je m'occupe d'environnement et Génération Ecologie défend l'environnement. Pour vous dire franchement mon sentiment, devant le spectacle des Verts que je trouve pour l'instant un peu pitoyable, il me semble qu'il faudrait lancer les Bleus, c'est-à-dire un mouvement écologiste qui s'occupe vraiment d'environnement."
Pourquoi ? C'est à cause de ce vous avez vu à Toulouse ?
- "Ils ont sans doute cédé au poison du pouvoir. Ils s'occupent plus de politique, ou ils ont vite appris la politique, et ils ont oublié l'écologie. C'est quand même incroyable de voir en ce moment tout ce qui se passe ! On a besoin d'une force écologiste, on en a d'ailleurs besoin à l'échelle européenne tellement les problèmes sont transnationaux. Au lieu d'avoir un congrès pour savoir si c'est N. Mamère ou D. Voynet qui sera le candidat à la prochaine élection présidentielle, on aurait bien aimé une stratégie d'action pour empêcher les bateaux pourris de traverser la Manche, pour essayer d'avoir partout les mêmes mesures contre la vache folle etc. On n'a pas cela !"
Pensez-vous que les Verts auraient pu faire plus dans le Gouvernement ? Mais les Verts ne sont que les Verts : ils pèsent 6 ou 7 % !
- "Au moins, qu'ils s'occupent d'environnement ! Quand on regarde les différents pays, la comparaison est cruelle pour madame Voynet. Quand je vois ce qui se passe en Allemagne : vous avez 100 000 toits solaires, l'Allemagne est le premier pays au monde à développer l'énergie éolienne... Mais en France, il n'y a rien de tout cela ! Même le Danemark, l'Espagne, l'Italie sont en avance sur la France. Quand on fera le bilan, on se demandera ce qu'elle a fait. C'est quand même terrible : je suis obligé de dire qu'il y a une régression en ce moment de la politique de l'environnement. Une grande partie des financements qui étaient accordés à l'environnement - notamment chaque fois que dans une commune on payait la taxe d'enlèvement des ordures ménagères - servaient l'environnement. Depuis que madame Voynet est là, cela va aux 35 heures. C'est-à-dire que l'argent de l'environnement a été pris à l'environnement pour être donné aux 35 heures. Régression donc de la politique de l'environnement ! C'est pour cela qu'il va falloir créer les Bleus."
Vous dressez un bilan sévère, pour l'écologie, de la présence de madame Voynet au Gouvernement ?
- "Regardez la vache folle ! Voilà un domaine où enfin, semble-t-il, le Gouvernement va prendre la mesure que tout le monde attendait depuis plusieurs années : interdire les farines animales. Que se passait-il au Gouvernement ? A quoi cela sert-il d'avoir un écologiste au gouvernement si on ne le dit pas, et si l'écologiste, depuis tant d'années, ne pousse pas..."
Elle l'a dit !
- "Elle l'a dit avant-hier, formidable ! Je me demande si ce n'est pas le journaliste qui lui a demandé de le dire tellement on attendait ! Pour les cantines de nos enfants, il faut se rendre compte que nous n'avons pas, dans les différents pays de l'Union européenne, les mêmes mesures. La France - et le Royaume-Uni, depuis très longtemps, enlèvent les organes à risque - les abats, une partie de l'intestin, la cervelle, les yeux, la moelle épinière etc. - alors que l'Allemagne ne le fait pas, l'Italie ne le fait pas, et je ne crois pas que l'Espagne le fasse non plus. Ces pays-là mélangent la cervelle de leurs boeufs pour faire de la saucisse, et ensuite, ils exportent leurs saucisses partout. La viande hachée en provenance d'Allemagne, d'Italie ou d'Espagne se retrouve dans les cantines de nos enfants parce qu'elle est souvent moins chère. Qu'attendons-nous ? Il faudrait accuser le gouvernement en lui disant qu'il ne fait pas son travail - les Verts les premiers - car il devrait nous protéger davantage."
Qui est fautif ? Les Verts à l'Intérieur du Gouvernement ou le Gouvernement lui-même ?
- "Il me semble que c'est la même chose ! Le Gouvernement est fautif - ce n'est pas faute d'avoir été prévenu, tout le monde le sait - parce que les hommes politiques ne font pas assez leur travail de protection. La même chose vous a choqué avec le deuxième naufrage. Qu'a-t-on fait depuis ?"
Depuis l'Erika ?
- "Oui, le Ievoli Sun. Les hommes politiques se reposent sur des experts, on attend leur avis, et on ne va pas chercher soi-même le dossier. Ce n'était pas sorcier de voir qu'en Allemagne, on ne prenait pas les mêmes dispositions qu'en France ou que dans le Royaume-Uni. Donc, l'Union Européenne est une passoire ! Vous avez une muraille d'un côté : les Français ont boycotté la viande anglaise - à tort me semble-t-il car les Anglais ont pris des précautions extrêmement sévères depuis de longues années - tandis qu'ils ont laissé tout arriver depuis l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie."
Dans trois heures, monsieur Jospin va annoncer un moratoire sur les farines animales. A-t-il raison ou tort ?
- "Il a raison. Heureusement que le Président de la République l'a poussé à le faire ! On ne comprend pas pourquoi il ne l'a pas fait depuis de longues années. Depuis très longtemps, nous savons qu'avec les farines animales, on ne peut pas garantir que les sacs ne se mélangent pas : on a appris avec stupéfaction que même l'aliment pour les bovins, en principe indemne de farine carnée, était contaminé à 0,3 %. Un prion peut passer ! On ignorait ce détail. Les scientifiques nous ont toujours dit qu'il fallait éviter le cannibalisme - qu'on donne des restes de porcs à du porc, des restes de volailles à de la volaille - car on risque sans cesse de recycler et d'exalter un pathogène. Le cannibalisme est très dangereux. Comment se fait-il que la France continue sans cesse cette pratique ? C'est bizarre ! Maintenant, on va le faire en catastrophe, on va avoir des difficultés pour tout incinérer. Il faudra donc construire des incinérateurs. Entre nous, qui est contre les incinérateurs ? Les Verts !"
Vous voulez créer les Bleus ? Mais politiquement, vous êtes allé à droite, avec monsieur Madelin, dont vous avez dit que c'était "un type formidable" ?
- "Politiquement, l'écologie se fout de la gauche et de la droite. Il va bien falloir un jour..."
Mais vous êtes bien allé à droite !
- "Je suis allé à gauche et à droite, et cela m'est complètement égal, excusez-moi de vous le dire aussi brutalement ! Je suis un écologiste. Je récuse donc la division droite-gauche. D'ailleurs beaucoup de Français la récusent ! On ne voit pas très bien quel est le fondement de la droite et de la gauche autrement qu'en y voyant des clans autour d'un tel ou d'un tel. Je mets mon honneur, en tant qu'écologiste, à travailler avec tout le monde, parce que l'écologie doit être indemne de cette coupure droite-gauche."
Allez-vous ouvrir votre guichet en disant que vous allez appeler tout le monde, de gauche et de droite, à venir faire de l'écologie ?
- "Je voudrais que les écologistes soient une force importante, unie en France."
"Ni droite, ni gauche" comme on dit ?
- "Et droite, et gauche ! Les écologistes doivent être capables de négocier avec la droite et la gauche, en fonction des intérêts de l'écologie. Il ne sert à rien de dire que vous êtes d'un côté ou de l'autre, puisque de toute manière, à ce moment là, le côté est sûr de pouvoir compter sur vous, quelque soit la situation. Si au contraire vous êtes une force indépendante, capable de peser et d'aller soit d'un côté soit de l'autre, en fonction des intérêts de l'écologie, vous êtes beaucoup plus fort. Et vous obtenez ce que vous voulez."
Quand allez-vous commencer ?
- "Pourquoi ne pas commencer maintenant ? Et pourquoi ne pas créer cette force ? L'erreur des écologistes sont ces divisions permanentes, cette espèce de nid de guêpes permanent. Il faudrait un jour sans doute être adulte, se sortir complètement des divisions que les autres veulent nous imposer. La droite et la gauche veulent nous imposer la division droite et gauche, et nous forcer à dire de quel côté on se situe. Mais quand on réfléchit bien à ces questions de droite et de gauche, on ne sait plus très bien où on en est, on ne sait plus sur quels sujets on serait de gauche ou on serait de droite. On voit bien qu'aujourd'hui, être de gauche, c'est plutôt être du côté des fonctionnaires. Mais les fonctionnaires, ce ne sont pas les ouvriers ! Il y a donc une transformation profonde des partis politiques depuis une vingtaine d'années, et on n'en tient pas compte."
Pensez-vous que le moment est venu d'ouvrir une brèche ?
- "Les questions les plus importantes sont des questions internationales aujourd'hui, en tout cas l'environnement. Dans les questions internationales, les divisions ne sont plus les divisions internes, qui étaient naguère sans doute très importantes en France, entre droite et gauche. Ce sont des questions beaucoup plus larges et importantes. Aujourd'hui, l'une des principales menaces est sans doute la menace islamiste. Est-ce que vous voyez un parti politique en France s'occuper de cela ? Malheureusement non."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 14 novembre 2000)