Texte intégral
Le Président de la République, pendant la campagne des élections présidentielles, avait promis que la question scolaire ferait l'objet d'un examen ouvert et qu'un projet global en faveur de l'école serait soumis à la nation. Le Gouvernement n'a pas voulu différer la réalisation de cette promesse et il tiendra cet engagement essentiel pour notre jeunesse et pour notre avenir.
Mais dans ce domaine, il faut se garder des avis abrupts et des solutions miracles. L'intérêt est trop vif et trop général. On l'a vu : les querelles anciennes semblent toujours prêtes à rebondir. Il est vrai aussi que chacun se sent directement concerné : les jeunes (de la maternelle à l'université) comme les adultes (qu'ils soient parents, responsables ou employeurs). Tout le monde, par expérience, a un avis sur l'école. Voilà pourquoi le Gouvernement a choisi une voie nouvelle pour avancer sur cette question. Cette voie est celle de la transparence, de l'objectivité, du consensus. Rien ne changera utilement à l'école si on enferme le débat dans des querelles de spécialistes ou dans des affrontements idéologiques. Il y faut au contraire du pragmatisme et de la raison.
Comment procéder ? Le Gouvernement a voulu qu'une commission, composée de personnalités diverses, éminentes et indépendantes, se mette à l'écoute de tous ceux qui pourront apporter leurs lumières sur la question. Il faudra entendre les experts et les professionnels, bien entendu, et notamment les personnels ou leurs représentants. Mais la commission ne devra pas s'en tenir aux "institutionnels" et il sera utile qu'elle compare notre système à celui de nos voisins (un universitaire allemand est d'ailleurs membre de la commission). Autrement dit, rien de ce qui est scolaire et universitaire ne devra lui être étranger. Pour que la discussion ne soit pas confisquée ou confidentielle, la commission parcourra le territoire et recherchera partout témoignages et expériences. Je souhaite même que ses séances plénières, à la manière américaine, soient télédiffusées, en direct si possible. Il s'agit que la nation tout entière se ressaisisse d'un sujet qui la regarde au premier chef et qu'elle fasse connaître son sentiment et ses vux.
Ainsi sera rédigé un "livre blanc", à la fois bilan et propositions, soucieux de refléter l'accord le plus large et de répondre aux attentes de la société française, prémices d'un texte référendaire qui donnera au projet rassembleur l'accord solennel des Français.
Cette méthode ne peut réussir que si, d'emblée, le pluralisme et la tolérance caractérisent la commission et ses travaux. Le Gouvernement n'a pas voulu que l'on puisse reprocher aux membres de la commission d'être au service d'une politique partisane. Il a délibérément fait appel à une personnalité incontestée et indépendante. Il s'agit de Roger FAUROUX. Fils de proviseur, agrégé d'allemand, normalien, Roger FAUROUX a commencé sa carrière dans les milieux universitaires. Reçu au concours de l'ENA, il retrouve les problèmes scolaires en travaillant près de Louis JOXE, alors ministre de l'Éducation. Mais, à partir des années 60, il rejoint le monde de l'entreprise et en gravit tous les échelons, jusqu'aux fonctions de P.D.G. de Saint-Gobain et de Bull. En 1986, il retrouve l'ENA comme Directeur. Deux ans plus tard, il est Ministre de l'Industrie et de l'aménagement du territoire, jusqu'en 91. La diversité de cette expérience, la richesse de ce parcours d'homme libre constituent une garantie : la commission travaillera sans préjugés et sans doctrine toute faite. C'est au réel de dicter les idées.
Autour de lui, le président FAUROUX a rassemblé des hommes et des femmes d'exception. Il l'a fait, là encore, en toute indépendance et a surtout cherché la variété des compétences, comme on a pu le constater lors de la présentation qu'il a faite des personnalités qui travailleront avec lui.
La mission confiée à la commission FAUROUX revêt, aux yeux du Gouvernement, une importance capitale. Le système scolaire et universitaire est au cur des préoccupations de la société française. Depuis une trentaine d'années, il a dû évoluer très vite et assumer des tâches nouvelles, au point qu'on exige beaucoup (peut-être trop) de l'école. Les vecteurs habituels de la culture et des savoirs se sont relâchés ou ont disparu : la famille, le quartier, les corporations et associations, la coutume etc ne jouent plus totalement leur rôle de relais et de cadre. Du coup, l'école doit répondre à des exigences multiples qui dépassent la stricte "instruction publique". Elle se soucie de former le citoyen, d'éduquer à la santé comme à la morale, de socialiser des jeunes souvent livrés à eux-mêmes. Dans une société marquée par le chômage, par la violence urbaine, par la faillite ou la mutation brusque des repères culturels, c'est l'école qui doit, très souvent, proposer des règles de vie et des méthodes de travail. Certes, l'État s'est soucié de s'adapter à ses nouvelles donnes, notamment dans les grandes banlieues. La création des zones d'éducation prioritaire (ZEP) en est un exemple. De même, l'accroissement rapide du nombre d'étudiants a pu être supporté grâce à l'application du plan "Université 2000" On a paré au plus pressé. Mais il faut sans doute aller plus loin et repréciser les missions de l'école de l'an 2000. Le ministre François BAYROU a parlé de "nouveau contrat pour l'école". La formule est en soi un programme et elle pourra être reprise.
Le public scolaire et universitaire aussi s'est élargi et a évolué. Tous les jeunes ont accès aux études et les prolongent bien au-delà de la limite obligatoire des seize ans. En ce domaine, les données ont changé en quelques années. Plus de 65 % des jeunes de vingt ans sont sous statut scolaire ou étudiant, soit un doublement en dix ans. Mais, face à cette explosion des effectifs, les effets sur l'emploi restent décevants : deux chômeurs sur cinq ont moins de trente ans, et moins de 20 % des jeunes de vingt ans occupent un emploi - au demeurant souvent précaire ou partiel - soit une diminution de moitié en dix ans. On en arrive à une situation absurde : d'un côté, des études prolongées et des diplômes élevés qui ont pour fonction essentielle de retarder l'entrée dans la vie active ; de l'autre, un chômage qui a triplé chez les jeunes de 15 à 29 ans. Ce n'est plus le diplôme qui commande l'emploi, ni la formation qui garantit le métier. Or, que vaut un système de formation qui ne permet pas l'insertion ?
A l'évidence, la formation professionnelle des jeunes - entendue au sens large : celle qui permet d'avoir une qualification, donc un emploi - doit constituer notre objectif premier. Aujourd'hui, alors que 65 % des jeunes d'une classe d'âge parviennent au niveau du baccalauréat, seuls 20 % d'entre eux choisissent la voie technologique et 5 % la voie professionnelle. Ils préfèrent des études générales longues - et souvent improductives. Or, la méconnaissance de la voie technique et professionnelle contribue au chômage des jeunes et à leurs difficultés d'adaptation aux réalités économiques. Il nous faut donc veiller à la bonne application de la "Loi quinquennale sur le travail, l'emploi et la formation professionnelle des jeunes", notamment dans quatre directions :
- la mise en place des plans régionaux de développement des formations professionnelles des jeunes, pour programmer, à moyen terme, des formations cohérentes avec les réalités économiques régionales ;
- le droit pour tout jeune de se voir offrir une formation professionnelle avant qu'il ne quitte le système éducatif, soit par des formations menant à un diplôme professionnel, soit par des formations en alternance, soit dans le cadre des plans régionaux ;
- la création de centres d'apprentissage dans le cadre des lycées ;
- le développement de l'information sur les métiers et sur les formations qui y préparent.
La réussite de cette réforme permettra à "l'ascenseur social" de fonctionner pour tous. Car il ne suffit pas que les jeunes s'éternisent dans le système scolaire : encore faut-il que ce soit de quelque utilité pour eux et pour la société qui compte sur leur concours.
J'ai souligné l'importance de la formation professionnelle, mais je n'oublie pas que notre sujet est plus vaste. Sans préjuger des orientations que la commission sera conduite à prendre au cours de ses consultations, le Gouvernement a indiqué quelques pistes qui lui paraissent s'imposer plus que d'autres.
Je citerai d'abord la question des premiers cycles universitaires. Je considère ce sujet comme prioritaire. Les données du problème sont bien connues :
- une croissance des effectifs (750 000 étudiants, soit près de 30 % de primo-inscrits supplémentaires en cinq ans) ;
- une hétérogénéité des étudiants qui rend difficile une formation générale unique (80 % des bacheliers technologiques vont vers l'université) ;
- des échecs nombreux qui pèsent sur la crédibilité des premiers cycles tels qu'ils fonctionnent actuellement (2 étudiants sur 3 n'accèdent pas aux seconds cycles) ;
- une population étudiante en déshérence qui n'obtient pas le DEUG, et qui se retrouve sans formation réelle (ni générale, ni professionnelle) donc en grave difficulté d'insertion.
Des réponses ont déjà été esquissées par divers rapports, par exemple celui du professeur Lavroff (membre de la commission). D'autres documents utiles, quoique déjà anciens, existent et pourront apporter leur éclairage, tels que les rapports rédigés par le Collège de France, par Jacques Lesourne, par Pierre Bourdieu et François Gros, ou tel que le rapport publié l'an dernier par l'OCDE. Mais il faut maintenant les traduire dans les faits, notamment en se fondant sur une meilleure collaboration entre le second degré et les universités, et grâce à une meilleure identification des filières ou à leur simplification, surtout en lettres et sciences humaines. Il est clair que nous devons modifier les actuelles méthodes de formation, en assurant aux étudiants un encadrement pédagogique plus efficace, mieux adapté à leurs besoins. Il est souhaitable que les étudiants puissent disposer d'une information plus précise sur les débouchés et sur les perspectives de réussite. Plus encore, chaque académie devrait établir des plans de formation, clairs et largement diffusés, permettant des passerelles, facilitant les dispositifs transversaux et mettant en évidence les reconversions possibles.
Nous ne porterons d'ailleurs pas remède à l'engorgement des DEUG si nous ne revitalisons pas une grande filière technologique supérieure, comme je l'indiquais tout à l'heure à propos de la formation professionnelle. Rien ne serait plus dommageable, par exemple, que de laisser les BTS et DUT se dévaloriser ou n'être que des paliers sans débouchés propres et directs. Ainsi faudra-t-il gérer globalement et de façon cohérente l'ensemble des formations post-baccalauréat, et veiller aux implantations en fonction des offres d'emploi potentielles, grâce à une coordination qui s'inscrira dans le schéma d'aménagement du territoire.
Je voudrais indiquer une autre piste de réflexion, bien différente. Elle concerne les rythmes scolaires. L'opinion des utilisateurs de l'école est manifestement ouverte à l'idée d'une évolution de la gestion du temps scolaire. On voit fleurir partout des initiatives en ce sens, tendant à concevoir la semaine de travail selon des modalités différentes, notamment avec la libération du samedi et avec une prépondérance des activités d'éveil dans l'après-midi, la matinée étant réservée aux disciplines plus abstraites. Mais cette réforme ne peut être entièrement le fait d'initiatives isolées. Je souhaite qu'on aille vers une organisation commune à tout le territoire. Non par rigidité ou centralisme, bien entendu, mais parce que la nouvelle organisation du temps scolaire suppose des accords avec les diverses collectivités locales, pour le bon emploi des équipements sportifs et culturels, et pour la mise en place de "contrats d'aménagement du temps de l'enfant". Faute de ces orientations générales et de ces accords, une disparité, donc une inégalité, risquerait de s'installer entre les jeunes des diverses communes de France.
Le problème des rythmes scolaires intéresse d'ailleurs tout le système éducatif, y compris l'enseignement supérieur. Il sera utile de réfléchir (comme le Ministre de l'Éducation nationale vient de le faire à propos des dates du baccalauréat et du dernier trimestre des lycées) à l'année universitaire, trop courte et inégale selon les formations suivies. Il faut, partout, faire la chasse au temps gaspillé ou mal utilisé. Là encore, la comparaison avec nos voisins, notamment anglo-saxons, sera instructive.
Voilà quelques pistes, non exhaustives. Mais je ne souhaite pas anticiper sur les thèmes dont la commission devra se saisir et qu'elle découvrira en avançant dans ses auditions et dans ses réflexions. Elle a le champ libre : qu'elle fasse l'état des lieux ; qu'elle évalue les attentes de la nation ; qu'elle recense les questions auxquelles notre système éducatif et universitaire devra apporter une réponse dans la décennie qui vient. La puissance publique prendra ensuite ses responsabilités pour passer à l'action.
L'effort de la nation pour son école est considérable, puisqu'il représente 7,3 % du produit intérieur brut, soit près de 10 000 francs par habitant. La dépense moyenne annuelle pour un élève s'établit à plus de 35 000 francs et à près de 45 000 pour un étudiant. Cet effort est consenti par l'État, principal financeur, parce qu'il sait que cette dépense est un investissement sur l'avenir. La formation, garante de l'emploi futur, est aussi une arme contre l'exclusion dont j'ai déjà dit qu'elle constitue une priorité de l'action publique, soucieuse du maintien de la cohésion nationale. Mais nous voulons éviter la dispersion et une progression aveugle. Nous attendons des travaux de la commission FAUROUX qu'elle nous aide à prévoir, c'est-à-dire à gouverner. Il n'est guère de sujet où l'analyse imaginative et la prospective soient plus indispensables.
Mais dans ce domaine, il faut se garder des avis abrupts et des solutions miracles. L'intérêt est trop vif et trop général. On l'a vu : les querelles anciennes semblent toujours prêtes à rebondir. Il est vrai aussi que chacun se sent directement concerné : les jeunes (de la maternelle à l'université) comme les adultes (qu'ils soient parents, responsables ou employeurs). Tout le monde, par expérience, a un avis sur l'école. Voilà pourquoi le Gouvernement a choisi une voie nouvelle pour avancer sur cette question. Cette voie est celle de la transparence, de l'objectivité, du consensus. Rien ne changera utilement à l'école si on enferme le débat dans des querelles de spécialistes ou dans des affrontements idéologiques. Il y faut au contraire du pragmatisme et de la raison.
Comment procéder ? Le Gouvernement a voulu qu'une commission, composée de personnalités diverses, éminentes et indépendantes, se mette à l'écoute de tous ceux qui pourront apporter leurs lumières sur la question. Il faudra entendre les experts et les professionnels, bien entendu, et notamment les personnels ou leurs représentants. Mais la commission ne devra pas s'en tenir aux "institutionnels" et il sera utile qu'elle compare notre système à celui de nos voisins (un universitaire allemand est d'ailleurs membre de la commission). Autrement dit, rien de ce qui est scolaire et universitaire ne devra lui être étranger. Pour que la discussion ne soit pas confisquée ou confidentielle, la commission parcourra le territoire et recherchera partout témoignages et expériences. Je souhaite même que ses séances plénières, à la manière américaine, soient télédiffusées, en direct si possible. Il s'agit que la nation tout entière se ressaisisse d'un sujet qui la regarde au premier chef et qu'elle fasse connaître son sentiment et ses vux.
Ainsi sera rédigé un "livre blanc", à la fois bilan et propositions, soucieux de refléter l'accord le plus large et de répondre aux attentes de la société française, prémices d'un texte référendaire qui donnera au projet rassembleur l'accord solennel des Français.
Cette méthode ne peut réussir que si, d'emblée, le pluralisme et la tolérance caractérisent la commission et ses travaux. Le Gouvernement n'a pas voulu que l'on puisse reprocher aux membres de la commission d'être au service d'une politique partisane. Il a délibérément fait appel à une personnalité incontestée et indépendante. Il s'agit de Roger FAUROUX. Fils de proviseur, agrégé d'allemand, normalien, Roger FAUROUX a commencé sa carrière dans les milieux universitaires. Reçu au concours de l'ENA, il retrouve les problèmes scolaires en travaillant près de Louis JOXE, alors ministre de l'Éducation. Mais, à partir des années 60, il rejoint le monde de l'entreprise et en gravit tous les échelons, jusqu'aux fonctions de P.D.G. de Saint-Gobain et de Bull. En 1986, il retrouve l'ENA comme Directeur. Deux ans plus tard, il est Ministre de l'Industrie et de l'aménagement du territoire, jusqu'en 91. La diversité de cette expérience, la richesse de ce parcours d'homme libre constituent une garantie : la commission travaillera sans préjugés et sans doctrine toute faite. C'est au réel de dicter les idées.
Autour de lui, le président FAUROUX a rassemblé des hommes et des femmes d'exception. Il l'a fait, là encore, en toute indépendance et a surtout cherché la variété des compétences, comme on a pu le constater lors de la présentation qu'il a faite des personnalités qui travailleront avec lui.
La mission confiée à la commission FAUROUX revêt, aux yeux du Gouvernement, une importance capitale. Le système scolaire et universitaire est au cur des préoccupations de la société française. Depuis une trentaine d'années, il a dû évoluer très vite et assumer des tâches nouvelles, au point qu'on exige beaucoup (peut-être trop) de l'école. Les vecteurs habituels de la culture et des savoirs se sont relâchés ou ont disparu : la famille, le quartier, les corporations et associations, la coutume etc ne jouent plus totalement leur rôle de relais et de cadre. Du coup, l'école doit répondre à des exigences multiples qui dépassent la stricte "instruction publique". Elle se soucie de former le citoyen, d'éduquer à la santé comme à la morale, de socialiser des jeunes souvent livrés à eux-mêmes. Dans une société marquée par le chômage, par la violence urbaine, par la faillite ou la mutation brusque des repères culturels, c'est l'école qui doit, très souvent, proposer des règles de vie et des méthodes de travail. Certes, l'État s'est soucié de s'adapter à ses nouvelles donnes, notamment dans les grandes banlieues. La création des zones d'éducation prioritaire (ZEP) en est un exemple. De même, l'accroissement rapide du nombre d'étudiants a pu être supporté grâce à l'application du plan "Université 2000" On a paré au plus pressé. Mais il faut sans doute aller plus loin et repréciser les missions de l'école de l'an 2000. Le ministre François BAYROU a parlé de "nouveau contrat pour l'école". La formule est en soi un programme et elle pourra être reprise.
Le public scolaire et universitaire aussi s'est élargi et a évolué. Tous les jeunes ont accès aux études et les prolongent bien au-delà de la limite obligatoire des seize ans. En ce domaine, les données ont changé en quelques années. Plus de 65 % des jeunes de vingt ans sont sous statut scolaire ou étudiant, soit un doublement en dix ans. Mais, face à cette explosion des effectifs, les effets sur l'emploi restent décevants : deux chômeurs sur cinq ont moins de trente ans, et moins de 20 % des jeunes de vingt ans occupent un emploi - au demeurant souvent précaire ou partiel - soit une diminution de moitié en dix ans. On en arrive à une situation absurde : d'un côté, des études prolongées et des diplômes élevés qui ont pour fonction essentielle de retarder l'entrée dans la vie active ; de l'autre, un chômage qui a triplé chez les jeunes de 15 à 29 ans. Ce n'est plus le diplôme qui commande l'emploi, ni la formation qui garantit le métier. Or, que vaut un système de formation qui ne permet pas l'insertion ?
A l'évidence, la formation professionnelle des jeunes - entendue au sens large : celle qui permet d'avoir une qualification, donc un emploi - doit constituer notre objectif premier. Aujourd'hui, alors que 65 % des jeunes d'une classe d'âge parviennent au niveau du baccalauréat, seuls 20 % d'entre eux choisissent la voie technologique et 5 % la voie professionnelle. Ils préfèrent des études générales longues - et souvent improductives. Or, la méconnaissance de la voie technique et professionnelle contribue au chômage des jeunes et à leurs difficultés d'adaptation aux réalités économiques. Il nous faut donc veiller à la bonne application de la "Loi quinquennale sur le travail, l'emploi et la formation professionnelle des jeunes", notamment dans quatre directions :
- la mise en place des plans régionaux de développement des formations professionnelles des jeunes, pour programmer, à moyen terme, des formations cohérentes avec les réalités économiques régionales ;
- le droit pour tout jeune de se voir offrir une formation professionnelle avant qu'il ne quitte le système éducatif, soit par des formations menant à un diplôme professionnel, soit par des formations en alternance, soit dans le cadre des plans régionaux ;
- la création de centres d'apprentissage dans le cadre des lycées ;
- le développement de l'information sur les métiers et sur les formations qui y préparent.
La réussite de cette réforme permettra à "l'ascenseur social" de fonctionner pour tous. Car il ne suffit pas que les jeunes s'éternisent dans le système scolaire : encore faut-il que ce soit de quelque utilité pour eux et pour la société qui compte sur leur concours.
J'ai souligné l'importance de la formation professionnelle, mais je n'oublie pas que notre sujet est plus vaste. Sans préjuger des orientations que la commission sera conduite à prendre au cours de ses consultations, le Gouvernement a indiqué quelques pistes qui lui paraissent s'imposer plus que d'autres.
Je citerai d'abord la question des premiers cycles universitaires. Je considère ce sujet comme prioritaire. Les données du problème sont bien connues :
- une croissance des effectifs (750 000 étudiants, soit près de 30 % de primo-inscrits supplémentaires en cinq ans) ;
- une hétérogénéité des étudiants qui rend difficile une formation générale unique (80 % des bacheliers technologiques vont vers l'université) ;
- des échecs nombreux qui pèsent sur la crédibilité des premiers cycles tels qu'ils fonctionnent actuellement (2 étudiants sur 3 n'accèdent pas aux seconds cycles) ;
- une population étudiante en déshérence qui n'obtient pas le DEUG, et qui se retrouve sans formation réelle (ni générale, ni professionnelle) donc en grave difficulté d'insertion.
Des réponses ont déjà été esquissées par divers rapports, par exemple celui du professeur Lavroff (membre de la commission). D'autres documents utiles, quoique déjà anciens, existent et pourront apporter leur éclairage, tels que les rapports rédigés par le Collège de France, par Jacques Lesourne, par Pierre Bourdieu et François Gros, ou tel que le rapport publié l'an dernier par l'OCDE. Mais il faut maintenant les traduire dans les faits, notamment en se fondant sur une meilleure collaboration entre le second degré et les universités, et grâce à une meilleure identification des filières ou à leur simplification, surtout en lettres et sciences humaines. Il est clair que nous devons modifier les actuelles méthodes de formation, en assurant aux étudiants un encadrement pédagogique plus efficace, mieux adapté à leurs besoins. Il est souhaitable que les étudiants puissent disposer d'une information plus précise sur les débouchés et sur les perspectives de réussite. Plus encore, chaque académie devrait établir des plans de formation, clairs et largement diffusés, permettant des passerelles, facilitant les dispositifs transversaux et mettant en évidence les reconversions possibles.
Nous ne porterons d'ailleurs pas remède à l'engorgement des DEUG si nous ne revitalisons pas une grande filière technologique supérieure, comme je l'indiquais tout à l'heure à propos de la formation professionnelle. Rien ne serait plus dommageable, par exemple, que de laisser les BTS et DUT se dévaloriser ou n'être que des paliers sans débouchés propres et directs. Ainsi faudra-t-il gérer globalement et de façon cohérente l'ensemble des formations post-baccalauréat, et veiller aux implantations en fonction des offres d'emploi potentielles, grâce à une coordination qui s'inscrira dans le schéma d'aménagement du territoire.
Je voudrais indiquer une autre piste de réflexion, bien différente. Elle concerne les rythmes scolaires. L'opinion des utilisateurs de l'école est manifestement ouverte à l'idée d'une évolution de la gestion du temps scolaire. On voit fleurir partout des initiatives en ce sens, tendant à concevoir la semaine de travail selon des modalités différentes, notamment avec la libération du samedi et avec une prépondérance des activités d'éveil dans l'après-midi, la matinée étant réservée aux disciplines plus abstraites. Mais cette réforme ne peut être entièrement le fait d'initiatives isolées. Je souhaite qu'on aille vers une organisation commune à tout le territoire. Non par rigidité ou centralisme, bien entendu, mais parce que la nouvelle organisation du temps scolaire suppose des accords avec les diverses collectivités locales, pour le bon emploi des équipements sportifs et culturels, et pour la mise en place de "contrats d'aménagement du temps de l'enfant". Faute de ces orientations générales et de ces accords, une disparité, donc une inégalité, risquerait de s'installer entre les jeunes des diverses communes de France.
Le problème des rythmes scolaires intéresse d'ailleurs tout le système éducatif, y compris l'enseignement supérieur. Il sera utile de réfléchir (comme le Ministre de l'Éducation nationale vient de le faire à propos des dates du baccalauréat et du dernier trimestre des lycées) à l'année universitaire, trop courte et inégale selon les formations suivies. Il faut, partout, faire la chasse au temps gaspillé ou mal utilisé. Là encore, la comparaison avec nos voisins, notamment anglo-saxons, sera instructive.
Voilà quelques pistes, non exhaustives. Mais je ne souhaite pas anticiper sur les thèmes dont la commission devra se saisir et qu'elle découvrira en avançant dans ses auditions et dans ses réflexions. Elle a le champ libre : qu'elle fasse l'état des lieux ; qu'elle évalue les attentes de la nation ; qu'elle recense les questions auxquelles notre système éducatif et universitaire devra apporter une réponse dans la décennie qui vient. La puissance publique prendra ensuite ses responsabilités pour passer à l'action.
L'effort de la nation pour son école est considérable, puisqu'il représente 7,3 % du produit intérieur brut, soit près de 10 000 francs par habitant. La dépense moyenne annuelle pour un élève s'établit à plus de 35 000 francs et à près de 45 000 pour un étudiant. Cet effort est consenti par l'État, principal financeur, parce qu'il sait que cette dépense est un investissement sur l'avenir. La formation, garante de l'emploi futur, est aussi une arme contre l'exclusion dont j'ai déjà dit qu'elle constitue une priorité de l'action publique, soucieuse du maintien de la cohésion nationale. Mais nous voulons éviter la dispersion et une progression aveugle. Nous attendons des travaux de la commission FAUROUX qu'elle nous aide à prévoir, c'est-à-dire à gouverner. Il n'est guère de sujet où l'analyse imaginative et la prospective soient plus indispensables.