Texte intégral
D'abord un mot pour remettre le sujet en perspective. Si la problématique de la dette est plus ancienne, la crise de la dette proprement dite a éclaté voici deux décennies. C'est le temps d'une génération. Dans les pays concernés, une génération entière a donc vécu sous le signe et sous le fardeau de la dette. Notre souci à tous, ici, est que la prochaine génération connaisse un autre destin. Tel est l'enjeu.
Ma seconde remarque touche au traitement de la dette. Il emprunte forcément un chemin de crête car il faut concilier deux exigences contradictoires : le devoir de solidarité, d'un côté, mais aussi, d'un autre côté, l'impératif de crédibilité : le fait est que toute annulation de dette se paye d'un double prix : une perte budgétaire pour le créancier, une perte de confiance pour le débiteur. Et ceci explique que sur ce chemin de crête, il y a eu plusieurs étapes.
- Dans un premier temps, on a opéré de simples rééchelonnements de dette. On différait les échéances, on les reprofilait mais sans élément concessionnel. En gros, durant toute la décennie 80, même la dette des pays pauvres a été traitée sans élément concessionnel.
- Avec les années 90, une deuxième phase s'est ouverte grâce aux décisions arrêtées en 1988 par le Sommet de Toronto. On a commencé à réduire la valeur de la dette pour les pays à faible revenu qui accomplissaient des efforts de bonne gestion. Il fallait à la fois être un pays à faible revenu et consentir des efforts de bonne gestion. Mais, même pour ceux qui remplissaient ce double critère, il subsistait des restrictions : elles portaient sur le taux de réduction de la dette et sur son champ (dont la dette multilatérale demeurait exclue). D'où, vingt ans après, le caractère encore insoutenable de la dette d'un grand nombre de pays pauvres. Ce caractère insoutenable n'a pas empêché le retour de "transferts nets" positifs en leur faveur. Ce fut le grand apport des années 90. Mais l'insoutenabilité de la dette avait pour conséquence un retour récurrent devant le Club de Paris. Cette loi de l'éternel retour ôtait à leurs efforts une partie de leur portée : ils ne pouvaient reconstruire la confiance puisque l'horizon était fait d'un rééchelonnement toujours recommencé.
- D'où la troisième étape, celle d'aujourd'hui. Elle se caractérise par la levée des deux restrictions dont je parlais à l'instant : on admet qu'il faut pouvoir aller jusqu'à l'annulation et, en outre, la dette multilatérale n'est plus taboue. Elle est incluse dans le processus.
La France n'a pas ménagé ses effort pour en arriver là : efforts diplomatiques, efforts financiers. François Huwart a été assez précis pour que je ne m'y étende pas. En revanche, je dirai un mot sur ce que ce tournant signifie pratiquement. Une des caractéristiques, des "marques de fabrique", de l'initiative PPTE, sera de délivrer les pays dont la dette aura été traitée, de l'obligation de repasser devant le Club de Paris. Pour beaucoup ce sera là le vrai changement. Et il est lourd de signification, notamment du point de vue de la confiance.
Si j'avais un seul souhait à formuler au seuil de ce processus, c'est que le traitement de la dette s'inscrive dans le cadre d'une reconstruction durable de la confiance entre pays industriels et pays en développement. Pour ouvrir une période véritablement nouvelle, il faut trois niveaux de confiance.
D'abord, il y a un acte de confiance des pays donateurs envers les pays endettés. C'est le pari que ces pays, vos pays, vont peu à peu poursuivre par eux-mêmes l'effort de bonne gestion. De ce point de vue, la convergence dont nous parlions plus tôt dans la matinée sera forcément, dans les années qui viennent, sous le feu des regards.
Il faut ensuite - et j'y tiens - que les pays en développement aient eux-mêmes confiance dans les pays riches. Confiance dans leur sens de la solidarité et confiance dans l'authenticité des efforts d'annulation de la dette.
Il faut enfin que les populations, nos populations, reprennent confiance dans l'aide au développement. Je pense aux opinions publiques des pays du Nord dont l'engagement a été déterminant pour faire pression sur les gouvernements et obtenir l'annulation de la dette. Leur confiance sera nécessaire pour tenir l'engagement d'additionnalité qui a été souscrit à Cologne, afin que l'annulation de la dette ne vienne pas en soustraction des autres dépenses d'APD. Mais je pense aussi à votre propre opinion publique car je ne suis pas sûr que l'homme de la rue ait toujours, en Afrique, une totale confiance dans le fait que l'aide est bien utilisée. S'il fallait une justification, une seule, à la notion de lutte contre la pauvreté, ce serait celle-là : reconstruire la confiance des populations dans l'aide au développement.
Cela me conduit tout droit au mécanisme que nous voulons mettre en place afin que les marges de manuvre dégagées par l'annulation des créances françaises d'APD soient consacrées à des projets et à des programmes de lutte contre la pauvreté.
(Nous parlons là, non pas des mesures générales d'annulation qui vont être opérées au plan multilatéral en vue de rendre la dette soutenable, mais de la dose supplémentaire que la France a ajoutée en décidant d'annuler l'ensemble de ses créances bilatérales d'aide au développement pour les pays bénéficiant de l'initiative PPTE, en allant ainsi au-delà des annulations qui auront été jugées nécessaires pour assurer la viabilité financière des pays concernés.)
L'an dernier, avec Dominique Strauss-Kahn, nous avions lancé l'idée d'un tel mécanisme et vous pouvez légitimement vous attendre à ce que nous en disions un peu plus aujourd'hui.
Pour moi, ce mécanisme doit être en quelque sorte un contrat, un contrat de désendettement et de développement.
Premier terme du contrat : l'effectivité de l'annulation. Notre volonté est bel et bien de délivrer les pays intéressés de toute la charge de la dette concernée, et ce pour chacune des échéances à courir.
Deuxième terme du contrat : le ré-emploi des marges de manuvre dans des programmes et dans des projets induisant un réel progrès dans la lutte contre la pauvreté.
Et là, il faut dire un mot du contenu de ces actions.
Pour le contenu, il me semble que quatre domaines devraient être privilégiés : la santé, l'éducation, l'environnement et le développement local, bref le développement humain et le développement durable. Telle est notre définition de la lutte contre la pauvreté. Elle ne se limite pas à la santé et à l'éducation. Elle inclut l'environnement, qui est une manifestation de la solidarité envers les générations futures. Elle intègre le développement local qui ancre la démocratie dans le territoire et permet de consolider le lien social à tous les niveaux.
Pour ce qui concerne la forme, les modalités du mécanisme, nous entendons concilier innovation et simplicité. Innovation pour montrer que l'aide évolue, qu'il se passe quelque chose de neuf. Simplicité car, sinon, nous risquons des lenteurs qui seraient la négation même de l'annulation de la dette.
Dans un souci de simplicité, les actions de lutte contre la pauvreté devront être menées à travers les budgets des Etats récipiendaires et elles pourront se servir des outils existants de l'aide française, notamment dans les dons-projets, l'assistance technique et l'aide budgétaire.
Ces actions devront inclure un appui au renforcement des capacités en matière de gestion et de suivi des finances publiques. C'est le corollaire de la stratégie consistant à emprunter le canal de vos budgets. Ces actions devront également être étroitement concertées avec l'ensemble des bailleurs de fonds, notamment avec ceux de l'Union européenne. Il en va d'ailleurs de même du mécanisme proprement dit, qui gagnerait beaucoup à être le même pour tous les pays européens concernés par l'annulation des créances d'APD.
L'innovation pourrait s'appliquer de trois manières :
Premièrement, il convient de réserver une partie des ressources à des actions dans lesquelles les ONG soient parties prenantes et une autre partie à des opérations conduites par les collectivités locales. Je veux dire un mot des ONG à cet égard. Je sens monter chez certains de nos interlocuteurs africains des réserves sur le rôle que les ONG jouent. Moi-même, je souhaite un lien et une complémentarité entre la société et l'Etat. Mais rappelons-nous que les ONG ont joué un rôle majeur dans la campagne en faveur de l'annulation de la dette.
Deuxièmement, nous devons témoigner notre confiance aux Etats en renforçant la part de l'évaluation a posteriori dans le suivi de l'aide. C'est le sens de l'aide programme qui pourrait être mise en place en faveur des secteurs sociaux.
Troisièmement, si vous me passez l'expression, il me semble que nous devons rester "souples dans nos baskets" quant à l'évolution dans le temps du partenariat noué avec chaque pays. Je veux dire par là qu'il faudra combiner différents instruments et jouer d'une palette suffisamment large pour pouvoir, à la lumière de l'expérience, donner une prime aux outils qui s'avéreront les plus opérationnels, les plus efficaces et les plus rapides. C'est comme cela que nous tiendrons l'engagement du désendettement.
Voilà l'état de nos réflexions, tel que je souhaitais le verser au débat./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 2000)