Interview de M. Charles Pasqua, président du RPF, à France Info le 29 août 2000, sur la démission de Jean-Pierre Chevènement, en désaccord sur le projet gouvernemental de réforme du statut de la Corse.

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Média : France Info

Texte intégral

L'invité aujourd'hui est Charles PASQUA, ancien Ministre de l'Intérieur, Président du RPF. Monsieur PASQUA, bonjour.
Bonjour.
Jean Pierre CHEVENEMENT démissionne sur le dossier corse. C'est un geste républicain ?
C'était un geste attendu, ce n'est pas un suspense qui est, finalement de ne tromper personne. Je crois qu'effectivement, compte tenu des convictions qui sont les siennes, Jean Pierre CHEVENEMENT est un républicain, même si c'est un homme de gauche, c'est un républicain attaché à un certain nombre de valeurs. Il est bien évident qu'il ne pouvait pas faire sien le processus qui était engagé. J'ajouterai que, d'autre part, il était dessaisi du dossier corse depuis plusieurs mois, et cela rendait sa position intenable.
Vous partagez ses deux raisons de rupture avec Lionel JOSPIN, c'est à dire le refus d'une dévolution de pouvoir législatif à une assemblée territoriale et le refus de lever le préalable de la violence ?
Oui, complètement. Je crois qu'il ne peut pas être question, dans un état républicain, de partager le pouvoir législatif avec qui que ce soit. Il n'y a qu'un souverain, c'est le peuple. Le peuple exprime sa volonté par l'intermédiaire de ses représentants élus, qui sont les députés et les sénateurs ou par la voie du référendum. Imaginer qu'on pourrait concéder une part de pouvoir législatif J'ajouterais que, de surcroît, sans préciser de quoi il pouvait s'agir, discuter de tout cela avec des gens qui sont irresponsables, je veux dire par là que l'assemblée de Corse est une assemblée administrative, elle n'a jamais été élue pour se faire ; institutionnaliser comme interlocuteurs reconnus des nationalistes qui n'ont jamais condamné l'assassinat du préfet ERIGNAC ; c'est totalement inacceptable.
Mais pourtant, vous même, en vote temps, vous aviez bien reçu, Place Beauvau, François SANTONI, qui était le patron du FLNC Canal Historique.
Ca c'est ce qu'il dit lui-même.
Il l'écrit, oui.
Il peut écrire ce qu'il veut.
Vous démentez ?
Il a aussi écrit qu'ils avaient reçu des valises de billets etc. Vous imaginez une seule minute Monsieur BALLADUR en train de me remettre des valises de billets pour les remettre aux nationalistes ? Non, c'est ridicule !
Charles PASQUA, vous démentez avoir reçu François SANTONI ?
J'ai eu l'occasion de rencontrer SANTONI, bien sûr. Pour le pousser à réintégrer le processus politique. Je crois que c'était une démarche indispensable mais j'avais mis comme condition, pour tous les mouvements nationalistes, non seulement que l'on cesse la violence, autrement dit que l'on décide et que l'on déclare que l'on arrêtait la violence comme moyen de lutte politique. Mais par dessus le marché, qu'ils rendent les armes qu'ils possédaient, autrement tout cela ne voulait rien dire.
Et la dernière rencontre selon lui, c'est Place Beauvau, dans les derniers jours de votre ministère, au moment de la présidentielle en 95.
Je ne suis pas capable de dire si c'était quelques jours avant les élections présidentielles. Je pense qu'à ce moment-là, j'avais autre chose à faire que recevoir Monsieur SANTONI.
Vous qui êtes corse, Charles PASQUA, trouvez-vous normal que l'apprentissage de la langue corse devienne, un jour, obligatoire pour les enfants résidant dans l'île ?
Non, moi j'ai toujours été contre. D'ailleurs, je l'avais dit aux nationalistes lorsque je les avais rencontrés. Je veux dire par là, les représentants des mouvements nationalistes à l'assemblée de Corse. Il y avait d'ailleurs eu un mouvement assez intéressant, parce que ils m'avaient remis un ouvrage dans lequel figuraient leurs revendications. Et l'intitulé de cet ouvrage était en langue corse, enfin en dialecte, dirons-nous. Et puis, quant j'ai ouvert l'ouvrage, il était entièrement rédigé en français. Alors je me suis adressé à eux en corse et je leur ai dit "no sapete mita scrire in corse ?" (phon) : vous ne savez pas écrire le corse ? Ils m'ont dit oui, mais si on l'avait écrit en corse, personne ne l'aurait lu. Alors, ça voulait dire par là qu'eux même connaissaient la limite. Et je leur ai dit, d'ailleurs, que personne n'accepterait jamais que l'enseignement soit obligatoire. Autant il était normal de donner le maximum de moyens pour permettre à tous ceux qui veulent l'apprendre qu'ils l'apprennent. autant il était inacceptable de faire de cet enseignement un enseignement obligatoire. Puis-je ajouter un mot là-dessus ?
Je voudrais qu'on passe, si vous voulez, pour qu'on revienne une seconde, si vous permettez, au départ de Jean-Pierre CHEVENEMENT. Sa liberté reprise permet-elle d'envisager une action commune entre républicains des deux rives ?
Il est bien tôt pour dire cela. Mais il est bien évident que sur un certain nombre de problèmes de fond, nous avons des positions très proches. Que nous soyons amenés à avoir des actions qui se rejoignent, pourquoi pas ?
Il y a une autre hypothèse, c'est qu'il ait, lui aussi envie, comme vous, d'être présent au premier tour de l'élection présidentielle.
C'est son droit. C'est son droit le plus absolu. Mais je dirais que ce qu'il y a de plus étonnant dans la situation actuelle de ce gouvernement, c'est de voir partir du gouvernement les personnalités les plus éminentes. Mais dans le même temps aussi, c'est de voir qu'un certain nombre de partis dont les ministres sont au gouvernement combattent ce même gouvernement. C'est une situation absurde. Ce qu'on peut dire de cette affaire, en tous les cas, c'est qu le gouvernement JOSPIN, je ne sais pas s'il coulera, mais en tous les cas, il a pris l'eau ; ça, ça me paraît évident.
Et le silence du Président de la République qui persiste sur la Corse. Comment l'appréciez-vous ?
Il faut croire que ce qui pollue un peu le dossier corse, ce sont les échéances présidentielles. Je crois que ce qui a motivé JOSPIN dans la démarche qui est la sienne, qui est une démarche aventureuse dont nul ne sait, même pas lui, sur quoi elle peut déboucher, ce qui a motivé certainement Lionel JOSPIN, c'est la volonté de se débarrasser du dossier corse. Quant au Président de la République, il ne faut pas oublier non plus qu'il est renouvelable. Voir JOSPIN s'empêtrer dans le dossier corse, ça n'a pas dû lui être désagréable. Mais dans le même temps, il est bien évident que tout le monde était en droit d'attendre que le Président de la République, sur des problèmes comme l'indivisibilité de la république, de la nation, puis l'intégrité du territoire, se manifeste. Je comprends très bien que certains ont dû lui dire "il vaut mieux attendre de disposer des textes", mais je crois personnellement, je pense que le Président de la République aurait dû se manifester d'une manière beaucoup plus ferme et beaucoup plus claire et beaucoup plus tôt.
Quel lien faites-vous, si vous en faites un, entre la Corse et le prochain référendum sur le quinquennat ?
Ecoutez, vous savez, le référendum sur le quinquennat, manifestement, n'intéressait pas grand monde. Mais dans le même temps, les gens se rendent compte qu'il y a un certain nombre de problèmes qui ne sont pas résolus et ils sont obligés d'imaginer que ce n'est pas parce qu'on va réduire la durée du mandat du Président de la République qu'on réduira ces problèmes plus facilement. Et le dossier corse sera au premier rang de la campagne référendaire.
Donc, vous en ferez quasiment un anti-plébiscite, en quelque sorte. Vous élargirez, vous la question posée ?
De toutes façons, ce n'est pas un plébiscite puisqu'il y deux personnes qui sont d'accord pour poser cette question, qui sont le Premier Ministre et le Président de la République. Mais le dossier corse sera au premier plan du débat, c'est clair.
Charles PASQUA, merci.
Merci.
(source http://www.rpfie.org, le 16 janvier 2001)