Discours de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, devant le Congrès 2000 du Parti socialiste, sur l'aide internationale et l'aide publique au développement, Grenoble le 24 novembre 2000.

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Circonstance : Congrès 2000 du Parti socialiste à Grenoble, le 24 novembre 2000

Texte intégral

Charles JOSSELIN.- Merci, amis, camarades,
La relation au monde, le débat sur la mondialisation soulève une série de questions qui, presque toutes, renvoient à nos débats politiques idéologiques.
Je voudrais dire avec force ma volonté d'infirmer le postulat selon lequel en matière de politique extérieure il n'y aurait pas de différence entre la gauche et la droite.
Les chiffres qui fondent le constat de l'inégalité sont connus. Les chiffres contenus dans le rapport de la banque mondiale convergent. Le monde s'enrichit comme jamais et les inégalités continuent de se creuser : 3 milliards d'hommes et de femmes vivent avec moins de 2 dollars par jour et 1 milliard avec moins de 1 dollar par jour.
800 millions d'affamés dont 200 millions d'enfants, 5 millions d'individus qui meurent chaque année du manque d'eau potable.
10 % en Afrique des 15-49 ans sont infectés par le Sida qui a déjà fait 17 millions de morts et qui est en train de réduire à néant 40 années de développement.
Un pays sur trois en Afrique subsaharienne est en guerre ou connaît l'insécurité intérieure. Là encore, une année de conflits c'est dix années de perdues pour le développement.
Les questions qui sont au cur de notre débat politique, celle de l'équité, celle de la solidarité se posent à l'international avec bien plus de brutalité encore et de manière aveuglante. C'est peut-être pour cela que parfois on a le sentiment que nous ne les voyons pas suffisamment.
Régis Passérieux, il y a quelques instants, rappelait les points forts de notre politique et de nos ambitions de Socialistes :
Aides publiques au développement, désendettement du sud, mobilisation de l'Europe, sont les trois axes sur lesquels actuellement se fonde notre action.
Premier donateur du G7, en termes d'effort relatif - 0,39 % du PIB contre 10 % pour les Etats-Unis - cette comparaison vaut la peine d'être faite. Si l'aide publique française au développement a diminué, elle se maintient à un niveau plus tolérable mais je veux le dire avec force elle doit augmenter.
J'espère bien que l'ambition affichée par la motion finale de ce congrès nous encouragera tous, gouvernements, partis, opinion, à augmenter cette aide publique au développement.
Désendettement du sud : dans toute l'histoire du traitement de la dette, la France a consenti pour l'instant 10 milliards d'euros d'effacement de dette. Les décisions prises par Lionel Jospin vont doubler cet effort en le portant à 20 milliards d'euros dans le cadre de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés.
Troisième axe : la mobilisation de l'Europe dans le combat contre les inégalités du monde.
La déclaration de politique générale européenne en matière de développement a été adoptée sous présidence française par le dernier conseil des ministres du développement, c'est un premier résultat. Nous allons évidemment continuer.
Je veux dire que cette déclaration pose la nécessité de rendre l'Europe plus efficace dans son aide : réforme de la convention de Lomé, définition d'un cadre commun pour l'ensemble des aides extérieures européennes. Vous connaissez les projets phares DASIS, MEDA qui sont des fonds importants dotés souvent richement mais mal utilisés sous consommés parce que les procédures sont lourdes et longues chez nous comme ailleurs.
On ne peut pas se satisfaire d'une situation dont la volonté était affichée de payer alors que nous ne sommes pas en mesure de financer ces projets de développement.
Il faut amplifier surtout la voix de l'Europe dans les enceintes où se joue l'avenir du monde.
L'Europe et les pays membres pèsent 55 % de l'aide publique au développement. D'évidence, le poids de l'Europe au fonds monétaire ou à la banque mondiale dans le système onusien n'est pas à cette hauteur.
Nous voulons surtout qu'en lieu et place du consensus de Washington qui conjuguait rigueur monétaire et libéralisme, qui n'a pas donné les résultats partout convaincants que nous tenions compte des effets de tel ou tel plan d'ajustement structurel en obligeant à des privatisations ou à des réductions de fonctionnaires, nécessaires sans doute, mais qui à un moment donné dans les démocraties qui sont à peine apprivoisées, vont aboutir à des violences immaîtrisables par des états qui ne sont pas encore construits.
Nous voulons un développement humain, nous voulons que les échanges soient de vrais échanges équitables, ce qui signifie sans doute ouverture de nos marchés, et Pascal Lamy s'y emploie.
Je veux saluer le travail considérable qu'il fait à cet égard.
Il faut que nous le fassions comprendre à nos concitoyens, c'est indispensable.
Ceci rejoint le besoin de cohérence de nos politiques, une politique généreuse, ouverte en matière de développement qui serait contrariée par d'autres politiques françaises et aux voies auxquelles j'ai tendance à faire allusion.
Cela ne peut être considéré non pas comme une contradiction finalement mais par un refus de solidarité de la part des pays du sud.
Solidarité, investissement : j'insiste beaucoup sur ce volet de l'investissement. Chers camarades, les statistiques de l'année 1999 font apparaître que l'investissement direct étranger aura d'abord servi l'économie américaine. C'est de très loin les Etats-Unis qui reçoivent l'investissement étranger du monde.
L'investissement étranger de l'Europe, c'est d'abord aux Etats-Unis que nous le faisons, nous savons pourquoi : le besoin d'un marché solvable de technologie avancée.
Mais le résultat, nous le connaissons : l'Afrique, tout entière, ne reçoit que 1,5 % de l'investissement mondial et les pays les moins avancés 0,45 % seulement.
Parler de libre échange, parler d'échanges entre un nord qui produit et un sud qui consomme et qui ne peut, pour consommer, compter que sur notre aide est une tromperie.
N'ignorons pas le développement sans investissements. Il faut que nous prenions aussi conscience de cela. Il faut que l'aide publique au développement aide l'investissement. Ne comptons pas seulement sur le commerce pour réaliser le développement des pays du sud.
Et puis, la solidarité. La solidarité dans l'aménagement, dans l'avènement de la démocratie aussi, avènement de la démocratie, avènement des Droits de l'Homme, une démocratie qui ne se décrète pas, qui se conquiert, qui se construit, qui se défend et je voudrais que nous ayons à cet égard une attitude positive avec la volonté, non pas d'abord de condamner, mais d'aider à vaincre les résistances, les poids des cultures, les organisations ethniques ou tribales qui, évidemment, se conjuguent souvent mal avec nos principes démocratiques.
Je voudrais simplement rappeler cette phrase de prix Nobel de la paix qui rappelait qu'aussi pauvre soit-elle, une démocratie n'a jamais connu la famine. C'est un encouragement très fort à demander que la démocratie soit la reine aussi dans les pays pauvres. (applaudissements)
Je voudrais dire enfin le besoin que nous avons de convaincre nos partenaires au sud du sud qu'il y a surtout besoin de régulation publique. Il est clair qu'à Seattle, ce n'était pas la mondialisation seulement qui était en cause, c'est l'impuissance du politique à la réguler. Cette régulation publique s'appelle OIT, s'appelle Organisation Mondiale pour l'Environnement, s'appelle Organisation Mondiale du Commerce. Je crois qu'il faut rappeler, et nous rappeler à nous aussi, cette phrase que je me plais souvent à dire quand j'ai l'occasion de m'exprimer dans une enceinte internationale : dans la relation du fort au faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui protège.
Mes camarades, historiquement, l'Internationale Socialiste renvoit à une classe ouvrière qui, hier, n'existait qu'au nord. Est-ce la raison, à tout le moins l'explication, de l'intérêt trop inégal des socialistes du nord, et plus généralement de la gauche, pour les peuples du sud ?
Alors que la mondialisation met sur Internet la conscience universelle, est-ce parce que la classe politique, à quelques exceptions notables près (j'espère que nous en sommes, que vous en êtes, vous, qui êtes encore ici à cette heure), ne s'est pas réellement investie dans le débat sur le développement que la question de l'inégalité du monde est aujourd'hui d'abord portée par la société civile ?
Il est bon, il est bien que la société civile s'en empare, mais je ne m'en satisfais pas totalement. Si l'irruption de la société civile dans le champ de l'international est importante, elle est relayée, magnifiée par un système de médias qui est parfois plus enclin à décrire la rue parce qu'il est écarté des enceintes où se discutent les problèmes et je veux insister sur le besoin pour le politique de se saisir de ce dossier.
Nous savons l'extraordinaire diversité, parfois les contradictions, de cette société civile, sa capacité à s'opposer, sa difficulté souvent à proposer. J'appelle à une alliance entre les socialistes, la gauche, les forces de progrès et la société civile internationale. Aidons-là à vivre là où son absence se fait cruellement sentir, dialoguons avec elle en tenant compte, bien sûr, de nos responsabilités, mais aussi de l'exigence de citoyenneté dont elle est porteuse. C'est aussi comme cela que nous saurons revivifier la démocratie ailleurs, mais chez nous aussi, merci.
(applaudissements)
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 27 novembre 2000)