Interview de M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants, dans "Valeurs actuelles" du 1er décembre 2000, sur le débat sur la torture pendant la guerre d'Algérie.

Prononcé le 1er décembre 2000

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Média : Valeurs actuelles

Texte intégral

Le secrétaire d'Etat à la Défense chargé des anciens combattants et du lien armée-nation, Jean-Pierre Masseret explique les limites et les exigences de la recherche de vérité. Agé de dix-huit ans en 1962, il n'a pas fait la guerre d'Algérie, mais ce dossier des anciens combattants et de la mémoire dont il est chargé, aux côtés d'Alain Richard, a fait de lui le plus grand voyageur du gouvernement. Ce qui n'effraie pas ce marathonien, dix fois champion de Lorraine (et vainqueur dans sa catégorie du marathon de Paris). Ancien sénateur de la Moselle et maire d'Hayange, membre du bureau national du parti socialiste, M. Masseret a renoncé à la bataille des municipales à Metz. Il réagit à la polémique sur la torture en Algérie.
Comment expliquez-vous ce nouveau débat sur la torture ?
Le débat a été relancé car il a déjà existé. Relancé par la presse principalement, relancé aussi par des victimes, par des militaires, par des initiatives politiques. Nous sommes dans un temps où l'on parle de devoir de mémoire et c'est un progrès. Ce n'est plus discutable. Ce qui compte en démocratie, c'est l'exigence de vérité. Car la vérité sert la démocratie. Toute démarche sociale et politique qui s'inscrit dans cette perspective est un progrès, mais l'exigence de vérité exclut l'approche politicienne, subjective, partisane, tacticienne...
... Ce qui ne semble pas être le cas avec l'exploitation du dossier par le parti communiste, acharné à rallumer une sorte de "guerre civile" !
La question de la torture en Algérie trouble les esprits. Elle peut, si elle est mal abordée, provoquer des tensions, raviver des plaies, ouvrir des débats biaisés, susciter des divisions, créer des dissensions et rouvrir des fractures collectives et individuelles anciennes.
En Algérie, c'était la guerre et la guerre est destructrice de l'humanité. La vérité, c'est qu'en Algérie il y a eu torture, personne n'en doute. Ce sont les pouvoirs publics qui ont validé ou accepté sciemment ou non la politique de la torture. Qu'il faille replacer tout cela dans son contexte historique relève de l'histoire et donc des historiens. Les pouvoirs publics doivent faciliter leurs travaux en tant que démarche nécessaire.
Au risque de mettre en cause telle ou telle catégorie de citoyens, de fonctionnaires, sans aucune réciprocité chez ceux qui étaient dans le camp d'en face ?
Il faut absolument se garder de la dérive qui nous conduirait de la reconnaissance d'une vérité à la condamnation absolue et globale de la communauté militaire. La vérité est qu'à l'exception de quelques-uns 1,7 million de soldats ayant servi en Algérie ont fait leur devoir tout simplement, quel qu'ait été leur sentiment personnel, sans se livrer à des actes criminels. N'oublions pas que c'est la nation qui a confié à ses soldats la charge de combattre et de battre l'adversaire. Nos militaires ne doivent pas être assimilés à des tortionnaires ni servir de boucs émissaires, ni être utilisés à quelque règlement de comptes politiques.
Que peut nous apporter un tel débat ?
Il doit offrir aux hommes impliqués, malgré eux, dans la réalisation d'actes contraires aux valeurs l'occasion de parler, d'ouvrir leur conscience. Beaucoup de nos soldats ont gardé enfouis dans leur mémoire des moments, des bruits, des images douloureuses et terrifiantes. Il faut aller à leur rencontre pour partager le fardeau qui encombre leur conscience. C'est la responsabilité de la nation toute entière que de le permettre.
"Ce devoir de mémoire" n'ouvre t-il pas la voie à des procédures judiciaires qui pourraient être à sens unique ?
Aller au-delà, envisager de convoquer devant des tribunaux tel ou tel responsable, conduirait à tout évoquer : les crimes du FLN, les désertions, les actes de collaboration ou de sabotage (c'est le dossier des "porteurs de valises" du FLN). Ce chemin serait semé d'embûches. Il faut trouver d'autres voies, d'abord le chemin de l'histoire, celui de la mémoire, enfin la réparation, si celle-ci est nécessaire, et en tirer les conséquences pour la formation des cadres militaires.
Aujourd'hui les militaires ne seraient pas conduits à de telles pratiques. L'éthique est plus que jamais au coeur de leurs responsabilités. Dans un monde incertain, aux menaces multiples, au moment où les organisations mafieuses s'arrogent des moyens dévolus traditionnellement aux Etats, les actions militaires s'inscrivent dans la défense des droits et la promotion des valeurs démocratiques.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 12 décembre 2000)