Déclaration de M. Georges Sarre, président délégué du Mouvement des citoyens, sur le rôle de l'Etat en faveur de l'égalité et de la laïcité, Paris le 4 mars 2000.

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Circonstance : IXèmes rencontres citoyennes organisées par le comité parisien du Mouvement des Citoyens, à Paris le 4 mars 2000

Texte intégral

Chers Amis, Chers Camarades,
Comme vous avez pu le constater tout au long de la journée, ces 9ème rencontres citoyennes organisées par le comité parisien du Mouvement des Citoyens, ont été, je le crois, à la fois utiles et captivantes. Aujourd'hui, le principe d'égalité est ouvertement contesté.
Le rôle de l'Etat, et en particulier son rôle en faveur de l'égalité, est plus que jamais en question. Alors, il convient, comme nous le faisons, de rappeler quelques principes et quelques vérités premières. L'Etat met en uvre l'intérêt général, dont il est le garant. L'intérêt général n'est ni une abstraction éthérée, ni la somme des intérêts particuliers. C'est une notion au contenu mouvant, qui s'adapte sans cesse aux besoins et aux contraintes de la nation. Dans la République, tel un plébiscite de tous les jours, l'intérêt général est perpétuellement défini et redéfini par le débat démocratique entre les citoyens.
Aujourd'hui, donc, s'amoncellent les menaces sur l'essence de la République pour n'en retenir que les apparences. Les fondements mêmes de la nation française s'en trouvent ébranlés. Un large rassemblement est nécessaire pour s'opposer à ce démantèlement, pour reconstruire un avenir à la France . Nous en avons eu une esquisse cet après-midi. Avec Florence Rulhmann, Anicet Le Pors, François Lucas et Henri Guaino nous ont montré que nos analyses sont partagées au-delà des clivages traditionnels. En votre nom à tous, qu'ils soient tous les trois chaleureusement remerciés pour leur participation.
Ces 9ème rencontres citoyennes sont donc intervenues au moment où débutent, à grand frais médiatique, les états-généraux de l'écologie politique, qui vont s'étaler sur plusieurs mois. Je ne sais ce qu'il sortira de ces affrontements internes de nature surtout politicienne. Un discours qui se voudra très à gauche n'est pas à exclure. Mais, le véritable objectif pour les verts est de se positionner dans le magma européïste et atlantiste afin de négocier des honneurs et des places.
Ils se présentent en conscience environnementale, quand certains, avec Alain Madelin, se veulent les gardiens intransigeants du dogme libéral. D'autres, avec François Bayrou, se drapent dans les plis improbables du juste milieu. N'ayons garde d'oublier tous ceux qui se bercent d'illusions sociales, parce qu'ils possèdent la carte de tel ou tel parti. Tous font de l'individu le primat de la société. Tous considèrent le marché comme le moteur de l'histoire. Tous laissent à la politique un espace résiduel. En revanche, peu d'entre eux exposent en toute clarté, en toute lucidité, sans fausse honte, sans hypocrisie, leurs véritables idées, leurs véritables conceptions.
L'un d'entre eux vient d'avoir l'honnêteté intellectuelle de le faire. Daniel Cohn-Bendit vient de publier son manifeste de la " Troisième Gauche Verte " charte du libéralisme libertaire. Alors, je le dis, sincèrement, sans ironie, remercions Daniel Cohn-Bendit pour sa franchise.
J'ai d'abord été frappé en lisant ce texte par des absences. " République " " laïcité " " service public " voilà autant de mots qui ne sont pas mentionnés. Il ne s'agit pas d'oubli, bien au contraire. Pour l'auteur, ces termes représentent de telles vieilleries, de tels archaïsmes qu'il ne lui semble même plus la peine de les citer. Sa philosophie avouée est le libéralisme, un libéralisme qu'il veut d'abord politique. En fait, un libéralisme qui étend à la politique la logique du marché sous prétexte d'en atténuer les conséquences les plus déplorables dans l'économie.
Selon l'auteur, la société doit devenir une démocratie d'individus, c'est-à-dire un agglomérat de groupes et de minorités. Le modèle est celui du différentialisme communautaire, tel qu'il se pratique aux Etats-Unis. L'individu est classé en catégories selon ses origines ethniques, la couleur de sa peau, ses penchants sexuels ou encore bien d'autres considérations. La réconciliation de l'intime et du public doit permettre à l'espace privé de s'interposer entre l'Etat et le marché. La démocratie consiste à gérer les équilibres perpétuellement instables entre tous les intérêts particuliers. L'Etat devient un acteur banalisé parmi tant d'autres. La logique du marché s'étend sur tout le champ politique.
L'objectif n'est plus de convaincre les électeurs sur un projet. L'objectif est de séduire l'opinion sur un sujet.
L'esprit de la publicité domine l'ensemble de la société. Les élections sont une affaire de communication. Tout est marchandise. Tout se vend. Tout s'achète. Dans le respect de quelques règles, toutefois. L'apparence l'emporte sur le fond, l'immédiat sur le long terme, la compassion sur la réflexion. Toutes les manipulations deviennent possibles. Loin d'être un contre-pouvoir, le médiatique est l'enjeu permanent de tous les pouvoirs.
Le marché n'est ni limité, ni contenu ; il est universel. Il est simplement régulé par quelques instances de type juridictionnel, par toutes ces commissions dites indépendantes qui se multiplient comme des parasites.
Alors intervient à l'aval du système le principe d'équité, non tellement pour réparer les dégâts à la marge, mais pour montrer à chacun qu'il existe plus démuni que soi. Par souci d'efficacité, je veux dire par sens du spectacle, l'équité ne s'intéresse qu'aux victimes. Avec l'équité, il faut savoir se présenter en victime, victime de qui ? victime de Quoi ? Peu importe. Il faut être victime. Il faut être une victime avec un coupable, un coupable contre lequel porter des accusations. La pénalisation de la société est en marche, pénalisation qui par elle-même produit à son tour des victimes. L'équité agit à travers l'humanitaire. L'humanitaire modernise et socialise l'archaïque charité.
Cette société, on essaye déjà de nous l'imposer en France. Nous avons tous à l'esprit de multiples exemples. Je n'en retiendrai qu'un, celui qui me semble peut-être le plus grave. L'introduction de la notion de minorité ethnique. Oui, il faut le dire : la charte des langues régionales et minoritaires s'inscrit dans la logique de l'ethnicisme. Chacun est renvoyé à ses ancêtres, invité à s'enfermer dans sa communauté d'origine. Comme le montrent les Etats-Unis, le métissage culturel n'est qu'un paravent superficiel. En France, nous en voyons une conséquence immédiate. Ceux qui se qualifient de " nationalistes corses " exigent l'obligation de l'enseignement de la langue dite corse. Ils souhaitent enfermer leurs enfants et inciter les autres au départ. C'est le développement de la version corse des thèses de Le Pen. Dans la République, l'individu est libre de ses adhésions. Sa seule contrainte est de respecter les lois. Mais, en tant que citoyen, il participe à l'élaboration de ces lois. Les seules minorités sont politiques.
Toute minorité politique a vocation à devenir majorité, si les citoyens en décident ainsi. Dans la République, il y a l'espace du politique, qui se confond avec le champ de la citoyenneté : c'est le lieu du débat public, là où se détermine l'intérêt général. Pour le reste, dans son particulier, chacun peut apprendre une langue, pratiquer un religion ou établir sa généalogie. Cette séparation entre la sphère publique et les occupations privées a pour nom la laïcité, laïcité inséparable d'un autre des fondements de la République : l'égalité.
Dans son article premier, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen stipule que " les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ". Si le texte précise " en droits ", c'est bien pour signifier que les faits ne sont pas conformes. Tout le projet de la République, de la République sociale est de réconcilier, dans le domaine de l'égalité, les droits et les faits. Le contenu de ce projet est fixé par la loi dans le respect des droits inaliénables de chacun. Le champ de l'égalité se modifie selon les époques. L'égalité n'est pas abstraite. Elle ne se confond pas non plus avec l'égalitarisme prôné par gauchistes et anarchistes. Au contraire, les distinctions sociales fondées sur l'utilité commune sont reconnues comme pleinement légitimes. Les citoyens sont égaux dans la reconnaissance de leur capacité, de leurs vertus et de leurs talents.
L'égalité se situe en amont. Elle présente un idéal qui ne s'atteint jamais. Elle constitue un objectif permanent pour la République. Parallèlement, l'équité conforte les inégalités en masquant les conséquences les plus choquantes du marché L'égalité se situe en amont. Elle présente un idéal qui ne s'atteint jamais. Elle constitue un objectif permanent pour la République. Parallèlement, l'équité conforte les inégalités en masquant les conséquences les plus choquantes du marché. Cet effort constant vers l'égalité ne saurait être spontané. Il demande une volonté politique continue. Il a besoin d'un instrument, et cet instrument s'appelle l'Etat. L'Etat est l'expression de l'intérêt général. Il ne se compare à aucun autre acteur de la société. Son intervention est légitime pour limiter la logique du marché en instaurant, par exemple, le service public dans un secteur. La mondialisation ne modifie pas ces principes ; elle en change seulement les modalités. Face à la mondialisation l'impératif industriel justifie l'apparition de nouveaux types de service public. A la France, nation souveraine, de faire accepter par ses partenaires la coexistence de plusieurs modèles d'entreprises. D'ailleurs, les fusions et les méga-fusions auxquelles nous assistons sont des entraves beaucoup plus graves à la libre concurrence que le monopole d'EDF ou le statut de France-Télécom.
Mais, l'Etat, c'est aussi la protection de tous dans le cadre de la loi. Ce n'est pas la protection des seuls " plus démunis ", simultanément stigmatisés par des discours larmoyants. L'Etat, tout au moins quand l'Etat n'est pas empêché de remplir ses fonctions, l'Etat donc, c'est la sécurité des personnes et des biens ; c'est la protection sociale pour les malades, les familles, les vieux. C'est le droit au travail reconnu à chacun selon ses compétences. L'Etat, c'est la réponse aux aspirations du peuple par les moyens que se donne le peuple. L'Etat n'est pas un but en soi ; il n'a d'existence que par la volonté de la nation. Ignorant la nation forcément " nationaliste ", méprisant le peuple évidemment populiste, dénonçant l'Etat automatiquement étatiste, libéraux et libertaires nous conduisent au marché de tous les affrontements.
Chers Amis, chers camarades, Chacun d'entre nous connaît trop bien la difficile lutte idéologique que nous devons mener. La " bien-pensance " a tout le loisir de s'exprimer dans la diversité de ses nuances. Elle a pour elle l'avantage de présenter la ligne du moindre effort. Il est toujours plus facile de renoncer, de se soumettre, de se laisser aller, que de réagir, que de lutter, que de dire non. La République est une exigence, une ascèse, un combat permanent. Pourtant, si nous sommes là aujourd'hui, c'est que nous croyons à la République, C'est aussi que nous sommes décidés à poursuivre ensemble ce beau combat. Le Mouvement des Citoyens n'est qu'une arme, un support, un moyen. Il en existe d'autres, avec d'autres histoires, mais avec un même but. Continuons le dialogue pour nous rassembler, pour que vive la République et pour que vive la France.
(Source http://www.mdc-france.org, le 2 avril 2002)