Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, sur l'identité politique de l'UDF et la volonté de rassemblement pour l'élection présidentielle, Angers le 3 décembre 2000.

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Circonstance : Congrès de l'UDF à Angers (Maine-et-Loire), du 1er au 3 décembre 2000

Texte intégral

Mes chers amis, permettez-moi tout d'abord de saluer les organisateurs de ce magnifique congrès. Vous le savez, lorsqu'une famille se réunit pour prendre une décision qui engage son avenir, elle se tourne d'abord vers ce passé qui l'a faite. Elle commence par évoquer, presque naturellement, le souvenir de ceux qui l'ont marqué et de ceux qui ont disparu. Une à une les images de ces femmes et de ces hommes qui ont construit cette famille, qui lui ont donné une voix et des visages, qui l'ont aimée, défendue et agrandie, resurgissent. On se rend compte alors que leurs joies et leurs épreuves, leurs espoirs et leurs déceptions ont laissé une marque profonde dans les esprits. Ce réveil de la mémoire ne se contente pas de rendre des couleurs à des visages effacés. Il rappelle l'identité d'une famille, donne un sens à la complexité des destins.
Toutes les familles se posent un jour ces questions : " Que faisons-nous de ce qui nous a été légué? ", " Que faisons nous de "la maison" ? ", " Que faisons-nous de la maison pour qu'elle soit toujours plus ouverte, plus jeune, plus accueillante à tous ? ".
Réunis, ici, en Congrès, unis les uns aux autres par le lien que nous avons tissé par notre engagement et par nos combats communs, réunis, aujourd'hui, en famille, nous devons dire ce que nous voulons faire de cet héritage, de cet héritage qui, chez nous, n'a nul besoin du droit d'inventaire. Cet héritage est, chers amis, un et indivisible. Nos valeurs forment un bloc. Toute notre force politique est là. Et c'est le respect et de cet héritage qui peut nous permettre de répondre démocratiquement à deux questions simples.
La première engage notre identité politique : " Quelle société voulons-nous proposer aux Français, sur quel projet pouvons-nous constituer une majorité de gouvernement ? ". La deuxième engage notre avenir politique : " Comment se préparer à affronter victorieusement cette formidable course d'obstacles qui commence dans quelques mois par les élections municipales et qui se poursuit par deux élections nationales ? ".
Pour répondre à la première question, je dirai que ce congrès a été une étape heureuse pour construire notre discours programmatique. Vous l'avez dit, notre projet doit être celui d'une société de confiance. La liberté ne peut être promue sans la sécurité. La responsabilité ne peut être étendue sans la solidarité. Devant un gouvernement qui reste sourd à leurs inquiétudes, les Français attendent d'être rassurés car les risques existent. Ils sont nouveaux. Ils sont d'actualité. Les avancées médicales et scientifiques ne sont plus vécues comme des progrès mais comme un danger pour l'intégrité de la personne humaine. Sachons la défendre et la préserver. Est-il normal que des parents portent plainte contre un médecin au nom de leur enfant, parce que cet enfant est handicapé depuis sa naissance ? Est-il normal que nous fabriquions des embryons en série, de manière industrielle, pour des raisons purement financières, alors que des cellules de souche permettraient de produire les mêmes médicaments mais seraient plus chères ?
La libéralisation économique n'est plus vécue comme un enrichissement, mais comme une menace pour l'environnement et la santé de l'Homme. Ne laissons pas aux écologistes le monopole de la défense du bien-être et de la nature. La croissance économique n'est plus synonyme d'un partage des richesses. Elle réveille des attentes déçues chez les salariés. Soyons, à l'UDF, ceux qui inventeront les nouvelles formes de la récompense du travail. Sachons enfin relever le défi social de la croissance retrouvée et inventer les armes qui permettront de lutter contre les nouvelles formes de pauvreté, de rendre leur dignité à ceux que la croissance abandonne. Aujourd'hui, dans notre pays, 1,3 million de personnes travaillent et vivent en dessous du seuil de pauvreté. A quelques semaines de Noël, ce sont 800 000 enfants qui sont touchés par cette nouvelle forme de précarité. Je ne crois pas que la cohésion de notre société puisse résister longtemps à cette injustice. Mais alors il faut le dire clairement : les 35 heures gèlent les salaires, émiettent le travail et font cohabiter deux France, la France des temps pleins et la France des heures éparpillées. Monsieur le Premier Ministre, pas de leçons de social !
Il existe par ailleurs le risque de la paralysie des institutions européennes. A quelques heures du sommet de Nice, disons haut et fort au Président de la République et au Premier Ministre que nous estimerons, à l'UDF, que ce sommet ne sera un succès que si la CIG aboutit, que si la conférence intergouvernementale aboutit, s'agissant de la pondération des voix, du nombre de commissaires et de la majorité qualifiée.
Enfin, le risque le plus grave, le plus sournois et le plus dangereux pour nous et pour ceux qui croient à l'engagement politique, quelles que soient leurs convictions, est le risque de la désaffection politique. Oui, avec la multiplication des affaires, nous allons nous engager dans des combats électoraux à un moment crucial de notre vie politique. A un moment qui voit les Français se détourner de la Cité, s'abstenir, ne plus accepter que les difficultés qu'ils rencontrent, que les questions qu'ils se posent soient réduite à des passes d'armes politiciennes, dans le climat ingrat, malsain et périlleux de la cohabitation. Oui, l'UDF doit proposer des adaptations institutionnelles à la Vème République. La cohabitation est peut-être adaptée aux peuples sans histoires, mais notre peuple n'est pas de ceux-là. Notre peuple veut que la politique soit l'action. La cohabitation que nous vivons aujourd'hui n'est pas l'action. Dans la tempête, les peuples ont besoin de se rassembler et d'entendre une seule parole. Il leur faut la certitude. André Froissard, a eu, avant sa mort, cette pensée qui m'a marqué. Il disait : " Les Français attendent simplement l'occasion de faire confiance à quelqu'un ". La confiance ne se divise pas ! La dyarchie au sommet de l'Etat laisse les Français démunis face au doute et à l'angoisse. Le débat sur le calendrier électoral de 2002 est ouvert. Je vous ai parfaitement entendus et compris hier.
Nous devons saisir cette occasion pour ouvrir le chantier de la refondation de nos Institutions. Ce sera pour notre force politique l'occasion de défendre comme elle l'a toujours fait le rôle et les droits du Parlement. Mais attention ! Gardez vous, Monsieur le Premier Ministre, d'abaisser le débat au niveau des petites tactiques politiciennes et des petits enjeux personnels ! Gardez vous bien, Monsieur le Premier Ministre, d'instaurer un débat qui ne serait pas à la hauteur de l'enjeu institutionnel ! Dans ce débat, le groupe UDF répondra en prenant de l'altitude sur les institutions, mais ne vous attendez pas, Monsieur le Premier Ministre, à ce que nous rentrions dans vos combines politiciennes !
Tels sont, mes chers amis, les risques et les défis qui sont devant nous. Pour les relever, nous ne devons nous poser qu'une seule question : "Quelle stratégie pour notre famille politique ?". Ces idées, nous pouvons les risquer dans des combats généreux, ceux d'aujourd'hui, de demain et d'après-demain, mais en aucun cas, je dis bien en aucun cas, nous n'avons le droit de les dilapider. Un jour viendra où nous remettrons les clés de la maison entre les mains des générations suivantes. Entre les mains de ces jeunes militants qui sont aujourd'hui venus nombreux, qui nous écoutent et dont la seule présence est déjà le gage de notre refondation. Ce jour-là, nous devrons rendre des comptes et nous souvenir de la parabole des talents. Nous devrons rendre plus que ce que nous avons reçu. Il nous faudra dire : " Voilà ce que nous avons reçu, c'est notre histoire et souvent ce fut l'Histoire, voilà ce que nous sommes en mesure de vous remettre aujourd'hui : la promesse d'un avenir possible ".
Or il n'existe que deux moyens de préserver ce que l'on a reçu. Le premier est simple, est facile et rassurant, mais il est aussi dangereux. Il consiste à enfermer en secret le bien légué. Il nous conduirait à jouer le rôle des partis d'appoint ou d'un parti charnière. Non pas un parti qui compte, mais un parti qui se compte. Notre destin n'est pas de nous glisser entre deux forces d'alternance. Il est d'être la force d'alternance.
Notre destin n'est pas de diviser, de rejeter ou d'exclure, mais au contraire de rassembler, au-delà de nos rangs, tous ceux qui cherchent un nouveau port d'attache. Ces Français que tout rassemble même s'ils se reconnaissent dans des histoires différentes. Nos idées ont besoin d'espace, pas de barrières. Nos idées ne sont pas des reliques. Nos idées sont vivantes, elles n'attendent qu'une chose, que nous les mettions enfin en action dans un projet de société qui disqualifie définitivement le socialisme et ses archaïsmes.
Pour donner de l'espace à nos idées, je ne connais qu'un seul chemin, celui de la victoire. Alors souvenons nous du jour où nous avons gagné l'élection présidentielle. Souvenons nous de la grande victoire de 1974. Je voyais hier avec beaucoup d'émotion les images de nos aînés qui ont remporté cette victoire, aboutissement d'une stratégie patiente, réfléchie et solidement étayée par des accords et des alliances politiques, commencée onze ans plus tôt, dès 1963, à une époque où Giscard d'Estaing n'était pas encore Giscard. Je le dis ici avec force : son équation personnelle seule ne lui aurait jamais permis d'atteindre 33 % des suffrages au premier tour de l'élection présidentielle. Oui, Giscard d'Estaing s'est un jour éloigné du Général De Gaulle, mais il ne s'est éloigné de lui qu'à partir du moment où la nouvelle force politique qu'il construisait patiemment avait atteint une masse critique, des idées, des femmes et des hommes, des élus. Giscard d'Estaing était, en 1969, avec Georges Pompidou. Ils appartenaient à deux familles qui, comme on dit chez moi, ne se parlaient pas. Pourtant, ils ont trouvé des choses à se dire. Ainsi, ils ont pu parler à tous. Alors la France les a entendus. L'un était l'héritier du Général De Gaulle, l'autre allait fonder l'UDF. Et l'UDF a gagné. Oui, mes chers amis, nous avons gagné !
Nous, avec les Républicains Indépendants, et je salue amicalement et affectueusement François Léotard et Gérard Longuet. Nous, avec le Parti Social Démocrate, nous, avec le Parti Radical, et enfin, nous les amis de Jean Lecanuet et de Jacques Duhamel. Je souhaite ici exprimer ma gratitude à Jacques Barrot et à Pierre Méhaignerie.
Vous pouvez vous demander pourquoi je vous rappelle cette histoire, notre histoire ? Parce que je sais qu'elle est encore possible. Si je ne le pensais pas, je ne serais pas ici aujourd'hui, et vous non plus. Notre force, votre force, était telle à cette époque que nous avons réussi à faire basculer le centre de gravité de la vie politique française vers le Centre. Mais cette fois, nous ne gagnerons pas en fédérant le Centre, mais en fédérant autour du Centre. Oui, notre famille veut et doit rassembler pour gouverner. Or on ne gouverne pas en ignorant le principe incontournable des institutions de la Vème République dans lesquelles les élections essentielles se jouent à deux tours et où pour figurer au second tour, il faut avoir gagné le premier. Ce projet politique d'une grande fédération construite autour de nos valeurs, nous le portons depuis longtemps.
Comme le disait Jean Lecanuet, " Le Centre n'est pas une aile de je ne sais quelle majorité, c'est une volonté d'élargissement ". A ce discours et à ce principe, je resterai toujours fidèle. C'est pour eux que je me suis engagé dans le combat politique et c'est eux que je m'emploie à mettre en uvre chaque jour à Toulouse dans une campagne municipale qui rassemble dans une même équipe, bien au-delà des frontières partisanes. Je souhaite ici saluer un homme qui a joué un rôle très important dans la vie politique de notre famille, qui a su faire basculer la majorité de la région la plus à Gauche de France, qui a été considéré par tous les observateurs comme le meilleur maire de France, qui a su dépasser les 25 % aux élections européennes de 1994 malgré toutes les trahisons. Je souhaite saluer Dominique Baudis.
Pour conclure, je dirai que nous devons achever ce patient et passionnant travail de refondation en fondant définitivement le grand parti populaire à la française dont nous avons besoin, ce grand parti populaire qui puisse demain redevenir majoritaire pour que l'un des nôtres, oui, je dis bien l'un d'entre nous, puisse à nouveau rassembler autour de son nom pour gagner les élections présidentielles. Construisons une majorité autour de nos idées. Nous aurons alors accompli la vocation de notre famille politique, qui est d'être un parti de gouvernement et de rassemblement. Alors les vieux rêves seront devenus réalité, alors nous pourrons, avoir dessiné l'Europe, redessiner la France. Comme l'a dit hier Hervé de Charrette, n'ayons pas peur de nous-mêmes, sachons ouvrir des portes, ouvrir nos maisons, rejoindre ceux qui veulent construire un nouvel espace politique. Je vous le dis avec confiance, avec plénitude et avec ce bonheur que nous pouvons éprouver ensemble lorsque nous envisageons notre avenir, nous pourrons regarder en face ceux qui nous ont précédés. Nous aurons accompli leurs espérances.
(source http://www.udf.org, le 8 janvier 2001)