Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai répondu à l'invitation du Centre d'études sur l'intégration européenne d'intervenir en clôture de vos travaux. Je suis heureux de le faire à l'occasion de ce bref séjour à Bonn, qui doit me permettre, alors que la présidence allemande de l'Union vient de commencer, d'avoir des entretiens très utiles.
Je tenterai donc de saisir cette occasion pour vous exposer quelles sont les vues du gouvernement français sur l'état actuel de la construction européenne et les pistes qu'il conviendrait de suivre pour l'Europe de l'après-euro, afin de lui donner le sens politique qui lui fait encore défaut.
J'ai la conviction, en effet, que nous avons un peu perdu de vue la logique, le but final de l'entreprise. D'où les interrogations et les doutes ressentis par nos opinions publiques, en Allemagne comme en France, car elles ne perçoivent pas la forme qu'aura l'Europe dans 20 ans, à commencer par ses frontières ultimes.
Je voudrais privilégier trois axes de réflexion :
1.Après l'euro, l'Europe doit devenir un véritable espace de progrès économique et social, une Europe des solidarités.
2.Nous devons donner vie à l'Europe-puissance, celle des libertés et des sécurités.
3.Nous devons enfin renforcer et démocratiser les structures de l'Europe, afin de pouvoir l'élargir vers ses frontières naturelles.
Je vous ferai part, enfin, du rôle que je vois pour le " moteur " franco-allemand dans cette ambition.
1.Vers un véritable espace de progrès économique et social, l'Europe des solidarités.
Il n'est pas besoin d'insister sur la tâche qu'ont accomplie les pays européens pour parvenir à l'euro, en temps et en heure, le 1er janvier. Sans revenir sur l'ampleur du chemin parcouru depuis les années 70, il suffit de rappeler les doutes qui subsistaient encore il y a moins de deux ans, en France comme en Allemagne et chez nos autres partenaires. Je sais, en particulier, quel a été l'effort des autorités et du peuple allemands, compte tenu de l'attachement, légitime, que vous aviez pour le mark.
Rares sont les exemples où plusieurs Etats ont ainsi décidé, d'un commun accord, de renoncer à un élément essentiel de leur identité afin de mener un projet commun, porteur d'espérances mais aussi générateur de craintes bien compréhensibles.
Nous pouvons donc afficher notre satisfaction, sans insolence - je crois, d'ailleurs, que tel n'a pas été le cas en ce début janvier - mais également sans fausse modestie. L'euro est aujourd'hui parmi nous, sinon encore dans nos poches, et l'Europe peut véritablement s'affirmer comme une puissance économique majeure.
En cela, et c'est la meilleure réponse que l'on puisse donner à ses détracteurs, l'euro représente la reconquête d'une souveraineté, certes partagée, mais une souveraineté que nous avions perdue depuis des années avec nos seules monnaies nationales.
Nous pouvons en être d'autant plus satisfaits que nous avons conscience d'être parvenus à la naissance de l'euro dans des conditions beaucoup plus conformes à notre vision politique et économique que l'on aurait pu le craindre voici encore 18 mois.
En effet, l'ampleur du chantier de l'euro est telle que certains avaient pu finir par considérer la monnaie unique comme un but en soi, et non pas comme un instrument au service d'une véritable politique européenne. Ce danger, que j'oserais qualifier de " super-monétarisme ", n'était pas à négliger. Je pense qu'il est aujourd'hui largement écarté.
Alors que l'euro aurait pu se faire sans interlocuteur politique pour la Banque centrale européenne, le Conseil de l'euro est aujourd'hui en place, même s'il nous revient encore de consolider son action afin qu'il devienne un véritable lieu de coordination des politiques économiques.
De même, l'euro aurait pu se faire dans le seul environnement du pacte de stabilité. Or, depuis l'impulsion donnée lors du sommet d'Amsterdam de juin 1997, les Quinze ont décidé de mettre l'accent sur l'euro au service de la croissance et de l'emploi.
Que mes propos ne soient pas mal interprétés : il n'est nullement dans mes intentions de remettre en cause l'indépendance de la BCE ou son rôle légitime de garant de la stabilité de l'euro, ni la validité du pacte de stabilité, mais simplement d'établir un meilleur équilibre entre les différents objectifs.
En effet, au-delà du succès technique et financier, l'euro ne réussira que s'il est accepté par les citoyens de l'Europe. Or, il ne le sera que s'il est perçu comme un instrument de progrès social. En d'autres termes, aussi longtemps qu'en Europe, coexisteront la ferveur financière en faveur de l'euro et 16 millions de chômeurs - dont 7 millions dans nos deux pays réunis - soyons bien conscients que la monnaie unique restera en quelque sorte " sous surveillance ".
Les enjeux sont clairs. L'Europe de l'euro doit d'abord être celle de la croissance. Rien ne serait plus dommageable que la concomitance entre l'entrée en vigueur de l'euro et un affaiblissement durable de la croissance.
La monnaie unique doit en premier lieu confirmer sa capacité à protéger l'Europe des turbulences monétaires, notamment celles qui sont issues de la crise financière asiatique.
Nous souhaitons ensuite que le Conseil de l'euro soit le garant de politiques économiques tournées vers la croissance, face au nécessaire rôle de contrôle monétaire de la BCE.
Je pense, enfin, que nous devons réfléchir plus avant à réactiver le programme de grands travaux contenus dans le Livre blanc de Jacques Delors, qui avait trouvé une première traduction lors du Conseil européen d'Essen, à l'occasion de la précédente présidence allemande, mais qui n'a pas été mis en oeuvre comme il aurait dû l'être.
L'Europe de l'euro doit ensuite être celle de l'emploi. Les objectifs fixés à Luxembourg, en novembre 1997, doivent être poursuivis : réduire le chômage des jeunes, réduire le chômage de longue durée, augmenter l'effort de formation.
La France souhaite que le " pacte européen pour l'emploi ", dont le lancement a été décidé par le Conseil européen de Vienne, en décembre dernier, contienne bien des objectifs contraignants en matière d'emploi pour l'ensemble des Etats membres. Je crois que c'est aussi l'intention du nouveau gouvernement allemand. Il conviendra d'associer étroitement les partenaires sociaux à leur élaboration et à leur mise en oeuvre.
Le pacte constituera ainsi une étape nouvelle dans le rééquilibrage de l'Europe que souhaitent nos opinions publiques.
Ceci m'amène à évoquer le nécessaire renforcement de la dimension sociale de l'Europe. Donner un sens à l'Europe, c'est en faire le lieu où pourront le mieux s'affirmer les valeurs qui nous sont communes et qui peuvent forger notre identité : la solidarité sociale, l'égalité des chances, la recherche permanente de la meilleure articulation entre performance économique et cohésion sociale.
L'Europe doit être un modèle social, alors qu'elle inspire encore parfois, aujourd'hui, des craintes d'un nivellement par le bas.
Le Traité d'Amsterdam, quelles que soient ses insuffisances, marque des avancées réelles dans ce domaine. Il nous faut cependant aller plus loin. Le gouvernement français a ainsi proposé à ses partenaires, au Conseil européen de Vienne, plusieurs pistes de discussion : l'organisation de la durée du travail, le principe d'un salaire minimum dans chaque Etat-membre, l'élaboration de conventions collectives dans certains secteurs, par exemple celui des transports routiers, pour lequel des conflits sociaux récents ont mis en lumière la dureté des conditions de travail.
Nous avons également la volonté de travailler en faveur d'un véritable dialogue social à l'échelle européenne. Seule la concertation entre partenaires sociaux permettra de dégager des solutions adaptées, acceptables et applicables par tous les intéressés. La concertation reste aujourd'hui beaucoup trop cantonnée à l'échelon national.
Agir en faveur des solidarités, c'est également veiller à l'avenir des politiques structurelles. La mise en place d'une solidarité à l'échelle régionale est l'un des acquis essentiels de la construction européenne, entre régions riches et régions pauvres, entre zones prospères et zones en déclin.
L'un des enjeux de l'élargissement sera de conserver cette solidarité, d'inscrire cette cohésion au coeur de l'Europe, alors même que l'écart de prospérité au sein de l'Union va sensiblement s'accroître. Dans ce but, il faut, dès à présent, réfléchir aux priorités que nous devons suivre. Quand plus de la moitié de la population européenne bénéficie des fonds structurels, la question se pose du sens d'une solidarité tellement large qu'elle finit par se diluer et perdre sa vocation première.
Les discussions actuelles sur le financement de l'Union pour les prochaines années et la réforme des politiques structurelles, " l'Agenda 2000 ", sur lesquelles je reviendrai, doivent être l'occasion de commencer ce travail difficile mais nécessaire de rééquilibrage.
2.Nous devons aussi - c'est le second axe de mes réflexions - donner vie à
" l'Europe-puissance ", celle des libertés et des sécurités
Il est clair que l'Europe ne peut se résumer au champ économique et social. Nous devons en faire un véritable espace politique.
Il s'agit encore d'une terre de conquêtes pour les Européens. Ce n'est que depuis le Traité de Maastricht que nous disposons d'une architecture cohérente, prenant en compte à la fois l'ambition d'une politique étrangère et de sécurité commune et celle d'un espace de liberté et de sécurité intérieure. Conçus au départ comme de simples champs de coopération intergouvernementale, avec les limites que cela implique, ces deux domaines ont été renforcés par le Traité d'Amsterdam. Pour autant, les faiblesses sont aujourd'hui claires, autant que les raisons d'aller de l'avant.
La faiblesse de la voix de l'Europe sur la scène internationale est malheureusement une réalité. La politique étrangère commune est encore un voeu pieux. Les crises récentes, sur notre continent - je pense à la Bosnie, à la terrible situation au Kossovo - mais aussi en Iraq, ont montré l'ampleur du chemin qui restait à parcourir.
Face à nos amis américains, les Européens ont montré trop de divergences. Les dommages en sont clairs auprès de nos opinions publiques, promptes à mettre en comparaison l'agencement, impressionnant de précision, de l'Union économique et monétaire, et les balbutiements de l'Europe politique sur la scène internationale. Nous devrons trouver rapidement des solutions si nous voulons donner une autre dimension à l'Europe, aux yeux du monde comme à ceux de ses propres citoyens.
Les directions sont connues. Certaines ont été ouvertes par le Traité d'Amsterdam, je pense par exemple aux " stratégies communes ", dont les dispositions pourront être adoptées à la majorité qualifiée, et qui permettront de définir, de façon globale, les relations de l'Union avec nos grands partenaires ou les zones géographiques proches de nous, de la Russie aux Balkans, de l'Ukraine à la Méditerranée.
Nous sommes aussi déterminés à ce que " Madame " ou " Monsieur PESC ", le " Haut représentant " de l'Union pour la politique étrangère puisse être nommé dans les prochains mois et, surtout, qu'il ou elle soit un véritable responsable politique, avec l'autorité et le poids nécessaires.
L'apparition d'une défense européenne sera un élément déterminant de cette ambition. L'intégration européenne resterait incomplète si elle n'offrait pas, par une défense commune, l'assurance à ses citoyens qu'elle peut contribuer aussi à leur sécurité extérieure.
Les dernières années, voire les derniers mois, ont vu des avancées réelles, du développement des capacités opérationnelles de l'UEO aux dispositions du Traité d'Amsterdam.
Il faut que les Européens acquièrent progressivement la capacité d'agir militairement. Une " agence de défense ", au sein de l'Union, résultant de l'intégration de l'UEO, pourrait regrouper ces instruments.
L'Union devra également être en mesure d'assurer la direction politique et stratégique d'opérations, y compris d'opérations conduites avec des moyens collectifs de l'OTAN.
Il faut enfin que les Européens puissent développer, comme ils ont commencé à le faire, la base industrielle de cette défense commune.
Il faudra naturellement veiller à définir les relations entre l'Union européenne, dotée de compétences en matière de défense et jouant effectivement un rôle dans ce domaine, et l'OTAN. Ce sera, comme vous le savez, l'un des enjeux du futur Sommet de l'Alliance, en avril prochain.
Il doit être clair, en tout cas, que cet effort européen ne saurait se faire au détriment de la cohésion de l'Alliance atlantique, mais que chacun devrait au contraire y gagner, qu'il s'agisse d'un fardeau mieux partagé ou d'un partenariat plus équilibré. Par ailleurs, nous ne méconnaissons pas les difficultés que ces évolutions pourront signifier pour certains de nos partenaires aux traditions et aux statuts différents ; nous devrons y réfléchir avec eux.
Bien entendu, au-delà des instruments, rien ne se fera sans une volonté politique décisive des Etats membres de voir l'Union européenne exister et peser dans le champ de la sécurité et de la défense.
Faisons le pari que cette prise de conscience se réalisera avec la même détermination que celle qu'il a fallu déployer pour que l'euro voit le jour, quand nos pays ont préféré la réalité d'une souveraineté partagée à l'illusion d'une souveraineté solitaire.
D'ailleurs, la monnaie et l'affirmation politique de l'Europe dans le monde sont deux éléments complémentaires de la préservation de notre modèle politique, économique et social dans un monde globalisé dominé par une seule " hyper-puissance ".
Ainsi pourrons-nous également répondre au véritable besoin d'Europe, que je ressens, et qui émane de tous ceux qui refusent un monde unipolaire et uniformisé. L'Europe doit avoir pour ambition d'être forte, elle doit également être généreuse.
Les libertés et la sécurité intérieure doivent être une autre orientation majeure de notre politique européenne. Là aussi, l'adhésion des populations au projet européen ira de pair avec la prise de conscience progressive que l'échelon européen peut représenter un " plus " pour elles.
Beaucoup de chemin reste à parcourir. Nos concitoyens n'ont qu'une très vague idée de ce que l'Europe peut leur apporter, quand ils ne perçoivent pas cette dimension comme synonyme, soit de laxisme par une trop large ouverture des frontières, soit, au contraire, de menace potentielle pour les libertés par la mise en place de procédures policières supranationales.
De fait, le champ couvert par ce que l'on appelle, depuis le Traité de Maastricht, le " troisième pilier ", est relativement neuf pour l'Europe. Des étapes importantes ont été franchies au cours des dernières années, les dernières dans le cadre du Traité d'Amsterdam, qui fixe clairement comme objectif la " mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice ". On doit également se féliciter que le traité intègre, dans le cadre de l'Union, l'acquis des Accords de Schengen : cela va permettre de conserver les éléments positifs d'un système qui a commencé à faire ses preuves, mais aussi de corriger ses lacunes.
D'une façon générale, le gouvernement français est résolu à faire avancer ces dossiers, à démontrer la pertinence et la légitimité de l'action de l'Union européenne dans ce domaine. Une action équilibrée entre les mesures destinées à assurer la sécurité des citoyens, qui gagneront en efficacité en se plaçant au niveau européen, et celles devant permettre la mise en place d'un espace de liberté européen, notamment de liberté de circulation.
Nous devons également montrer que la question des flux migratoires appelle aujourd'hui des réponses coordonnées, fondées sur des orientations politiques communes. Plus aucun pays ne peut apporter seul une réponse à ces phénomènes. Les exemples, certains très récents, sont suffisamment nombreux. Là comme ailleurs, la souveraineté partagée doit être préférée à l'illusion des solutions solitaires.
J'en viens maintenant aux réflexions que nous souhaitons engager sur les structures politiques de l'Europe des dix ou vingt prochaines années.
3.Renforcer l'Europe tout en l'élargissant.
La question est fondamentale. Non seulement parce qu'il n'y aura pas d'Europe forte avec des institutions faibles, mais aussi parce que cette problématique est au coeur des interrogations des peuples européens sur leur avenir, sur la façon dont l'espace européen peut se concilier avec leurs conceptions identitaires et nationales.
Je crois que nous devons préférer, à un débat de principes, un peu vain, sur la question fédérale, une conception plus pragmatique, en faisant la part entre les responsabilités qui demeureront, en tout état de cause, nationales - ou régionales - et celles qui gagneront à être transférées au niveau européen.
Il existe, pour cela, la notion de subsidiarité, bien qu'un terme aussi abscons soit de nature à décourager les meilleures volontés ! Nous avons, pour notre part, adopté le concept de " fédération d'Etats-nations ", suggéré par Jacques Delors, qui nous parait bien caractériser cette construction originale qui s'établit progressivement.
Pour donner chair et vie à ce concept, pour faire de l'Europe le lieu où pourra s'affirmer une nouvelle identité démocratique et citoyenne, nous devons d'abord rendre les institutions européennes plus efficaces et plus transparentes. La nécessité d'une telle réforme se fait sentir aujourd'hui, dans l'Europe des Quinze, elle sera tout simplement vitale en vue d'une Europe à 25 ou 30.
C'était, comme vous le savez, l'objectif principal de la Conférence intergouvernementale qui s'est réunie en 1996 et 1997 et a abouti au Traité d'Amsterdam. Je ne ferai preuve d'aucune originalité ni de sévérité excessive, en soulignant les lacunes, sur ce point, du Traité d'Amsterdam. L'ouvrage devra donc être remis sur le métier.
Accroître l'efficacité des institutions, cela voudra d'abord dire renforcer le rôle et le mode de désignation de la Commission européenne, notamment pour rehausser son profil politique. Une Commission plus efficace, plus collégiale, cela passe notamment par la maîtrise de ses effectifs. Nous devrons accepter de nous limiter à un seul commissaire par Etat-membre et, sans doute, d'introduire une hiérarchie, à l'instar de ce qui se fait dans les gouvernements, entre commissaires et commissaires-adjoints.
Cela signifie aussi revoir le fonctionnement du Conseil des ministres. Je pense au rôle du Conseil " Affaires générales ", qui réunit les ministres des Affaires étrangères et des Affaires européennes et a perdu progressivement son rôle originel, mais essentiel, de coordination ; je pense plus largement à la multiplication mal contrôlée et, pour tout dire, injustifiée, du nombre des formations ministérielles du Conseil ; je pense enfin, bien sur, à la question centrale de la généralisation du vote à la majorité qualifiée, qui va de pair avec celle de la pondération des voix. Celle-ci devra être plus en rapport avec le poids démographique de chacun, afin d'éviter la perspective, que nous ne pourrions accepter, de voir, par exemple, la France et l'Allemagne mis en minorité par une coalition d'Etats peu ou très peu peuplés.
Nous ne devons cependant pas nous leurrer. L'Europe à 20, 25 ou 30, cela signifiera, de toute façon, un autre mode de fonctionnement qu'à 15. Il est évident que l'élargissement de l'Union se traduira par une hétérogénéité croissante des situations et des ambitions. Tous les Etats ne pourront ou ne voudront pas mener les mêmes actions au même rythme. Il faudra prendre acte de cette diversité, notamment au travers des " coopérations renforcées ", qu'institue le Traité d'Amsterdam. Il s'agira autant d'éviter l'Europe " self-service ", comme l'a appelée Jacques Delors, que l'immobilisme.
Démocratiser, cela signifie aussi renforcer la légitimité du Parlement européen, que nous renouvellerons dans moins de six mois. La question de son mode d'élection demeure posée, de même que la réflexion sur l'extension de ses pouvoirs et, dans le même temps, sur l'association des Parlements nationaux à la construction européenne.
Le chantier est immense, les difficultés rencontrées par la CIG ont montré la diversité des points de vue et des traditions au sein de l'Union. Qu'il soit bien clair pourtant que nous n'avons plus le droit à l'échec. Il en va du succès de l'élargissement, il en va plus simplement de la crédibilité et de la cohérence de l'édification européenne au yeux de ses citoyens.
Nous devrons être très attentifs à la méthode à suivre pour réussir cette réforme. La présidence allemande devrait faire des propositions à ce sujet lors du Conseil européen de Cologne. J'appuie pour ma part l'idée d'un Comité des sages qui serait chargé d'élaborer une sorte de " rapport sur l'état de l'Union ", lequel déboucherait sur une conférence intergouvernementale, tout cela devant aboutir, pour bien faire, avant 2001.
Pour autant, il serait regrettable de n'envisager l'élargissement que sous l'angle institutionnel, comme, d'ailleurs, sous le seul angle financier. Cette nouvelle étape ne doit pas être vécue, selon moi, comme une contrainte qu'il s'agirait de négocier avec le moins de répercussions négatives possibles.
Elle doit être considérée, sans qu'il soit, bien sur, question de négliger les défis qu'elle pose, comme une chance historique pour l'Europe, comme la dynamique qui, en faisant se rapprocher l'Union européenne de ses frontières " naturelles ", peut lui donner tout son sens.
Elargir l'Union à nos voisins d'Europe centrale et orientale, c'est parachever l'oeuvre fondatrice entamée au lendemain du second conflit mondial, contrainte pendant plus de quarante ans par le rideau de fer, et consolider la démocratie dans ces pays. C'est redonner son unité à l'Europe qui a existé, sous une certaine forme, dès le XVIème siècle, quand elle était celle de l'esprit et des grands marchands, en bref, lui permettre de se rapprocher de ses frontières naturelles.
A Prague ou à Varsovie, le coeur de l'Europe bat aussi fort qu'à Paris ou à Francfort. Réunie, elle pourra mieux s'affirmer, notamment sur le plan de ses valeurs culturelles, qui seront un élément déterminant de l'affirmation du sentiment européen.
Les négociations ont commencé avec un premier groupe de six pays. D'autres seront engagées plus tard. Pour tous, nous avons soutenu l'idée de la " Conférence européenne ", qui doit être le lieu où tous les pays concernés vont apprendre à travailler ensemble, à mettre en oeuvre des coopérations nouvelles.
Nous sommes déterminés à poursuivre cette grande oeuvre de l'élargissement, sans réticence, ni démagogie, avec réalisme et exigence, avec également la conviction de participer ainsi à la mise en place de l'Europe de demain. Telle est notre attitude dans les négociations et j'observe que c'est également, de plus en plus, celle de l'Allemagne.
Permettez-moi, en guise de conclusion à cette intervention, de vous donner mon sentiment sur le rôle actuel et futur du " moteur franco-allemand ".
Je viens de tracer à grands traits ce que me paraissent être les grands chantiers de l'Europe de l'après-euro. Me trouvant à Bonn, je veux réaffirmer que, sur l'ensemble de ces chantiers, nous aurons besoin, plus que jamais, d'une synergie étroite entre les efforts français et allemands, ou, en des termes plus familiers, d'un moteur franco-allemand qui conserve son efficacité maximale.
Je voudrais tout d'abord souligner que le gouvernement français voit une grande opportunité pour l'Europe dans la présence, à la tête de votre gouvernement fédéral et, aujourd'hui, de l'Union européenne, de Gerhard Schroeder. Sans oublier le rôle historique joué par Helmut Kohl, alors que François Mitterrand était président, nous ne pouvons que nous réjouir de l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération de dirigeants en Allemagne.
Bien entendu, nous ne devons pas masquer nos différences, mais les aborder avec sérénité.
A court terme, il est clair que les discussions sur " l'Agenda 2000 ", c'est-à-dire à la fois la réforme du financement de l'Europe pour les années à venir et celle des politiques structurelles et de la politique agricole commune, vont être difficiles. Les intérêts sont considérables dans chaque pays, les points de départ assez éloignés les uns des autres. Nous ne pouvons écarter l'hypothèse de moments de blocage, de crise même. Mais nous voulons croire qu'un compromis sera finalement trouvé et nous aiderons la présidence allemande à les trouver. Une chose est sûre, chacun des Etats membres, je dis bien chacun d'entre eux, Allemagne comprise, devra faire un pas en direction du consensus. Nul n'en sera exonéré, nul ne sera sacrifié.
Nous sommes, pour notre part, prêts à cette démarche. Mais, autant nous sommes favorables à une réforme raisonnable de la PAC, autant il est hors de question que l'accord que nous souhaitons se fasse à nos dépens, au travers du cofinancement, c'est-à-dire de la renationalisation de la PAC.
Au-delà de cette échéance, nous devons examiner sereinement nos éventuels points de divergence. Tout doit pouvoir être exposé et expliqué : c'est en suivant cette méthode que nous avons fait de nos deux pays les moteurs de la construction européenne.
D'ailleurs, en l'espace de quelques mois, je crois que nous avons engagé un bon travail et que nous avons démontré, notamment dans le domaine social et économique, que le moteur franco-allemand conservait toute son importance et toute son énergie.
Notre volonté commune, depuis l'entrée en fonction de votre nouveau gouvernement, de faire de l'euro un instrument au service de l'emploi et de la croissance a permis d'avancer, de façon décisive je l'espère. Jusqu'alors, les réticences de l'ancienne majorité en Allemagne avait ralenti cet effort et laissé les autorités françaises un peu isolées.
Ceci montre bien que, même si l'Europe a changé, même s'il est naturel que d'autres affinités, d'autres solidarités trouvent à s'exprimer entre les Etats européens, rien ne remplacera la dynamique franco-allemande pour faire avancer l'Europe. Les défis sont immenses : tirer tout le profit du succès de l'euro, construire l'Europe des libertés et des sécurités, concevoir et mettre en oeuvre l'architecture de l'Europe à 25 ou à 30. Nous ne réussirons pas si nos énergies ne sont pas unies.
Pour finir, je voudrais simplement vous dire ma gratitude pour l'opportunité que vous m'avez offert d'exposer ainsi les grandes lignes que le gouvernement français se fixe pour la construction européenne de ces prochaines années et l'importance du rôle que continuera d'y jouer le " moteur " franco-allemand.
Nous abordons ces échéances avec confiance, avec également un sentiment de responsabilité à la hauteur des enjeux. Une telle occasion ne se représentera peut-être pas de pouvoir maîtriser ainsi le devenir de notre continent. A nous de la saisir et de faire de l'Europe le creuset des ambitions du siècle prochain.
Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)
C'est avec plaisir que j'ai répondu à l'invitation du Centre d'études sur l'intégration européenne d'intervenir en clôture de vos travaux. Je suis heureux de le faire à l'occasion de ce bref séjour à Bonn, qui doit me permettre, alors que la présidence allemande de l'Union vient de commencer, d'avoir des entretiens très utiles.
Je tenterai donc de saisir cette occasion pour vous exposer quelles sont les vues du gouvernement français sur l'état actuel de la construction européenne et les pistes qu'il conviendrait de suivre pour l'Europe de l'après-euro, afin de lui donner le sens politique qui lui fait encore défaut.
J'ai la conviction, en effet, que nous avons un peu perdu de vue la logique, le but final de l'entreprise. D'où les interrogations et les doutes ressentis par nos opinions publiques, en Allemagne comme en France, car elles ne perçoivent pas la forme qu'aura l'Europe dans 20 ans, à commencer par ses frontières ultimes.
Je voudrais privilégier trois axes de réflexion :
1.Après l'euro, l'Europe doit devenir un véritable espace de progrès économique et social, une Europe des solidarités.
2.Nous devons donner vie à l'Europe-puissance, celle des libertés et des sécurités.
3.Nous devons enfin renforcer et démocratiser les structures de l'Europe, afin de pouvoir l'élargir vers ses frontières naturelles.
Je vous ferai part, enfin, du rôle que je vois pour le " moteur " franco-allemand dans cette ambition.
1.Vers un véritable espace de progrès économique et social, l'Europe des solidarités.
Il n'est pas besoin d'insister sur la tâche qu'ont accomplie les pays européens pour parvenir à l'euro, en temps et en heure, le 1er janvier. Sans revenir sur l'ampleur du chemin parcouru depuis les années 70, il suffit de rappeler les doutes qui subsistaient encore il y a moins de deux ans, en France comme en Allemagne et chez nos autres partenaires. Je sais, en particulier, quel a été l'effort des autorités et du peuple allemands, compte tenu de l'attachement, légitime, que vous aviez pour le mark.
Rares sont les exemples où plusieurs Etats ont ainsi décidé, d'un commun accord, de renoncer à un élément essentiel de leur identité afin de mener un projet commun, porteur d'espérances mais aussi générateur de craintes bien compréhensibles.
Nous pouvons donc afficher notre satisfaction, sans insolence - je crois, d'ailleurs, que tel n'a pas été le cas en ce début janvier - mais également sans fausse modestie. L'euro est aujourd'hui parmi nous, sinon encore dans nos poches, et l'Europe peut véritablement s'affirmer comme une puissance économique majeure.
En cela, et c'est la meilleure réponse que l'on puisse donner à ses détracteurs, l'euro représente la reconquête d'une souveraineté, certes partagée, mais une souveraineté que nous avions perdue depuis des années avec nos seules monnaies nationales.
Nous pouvons en être d'autant plus satisfaits que nous avons conscience d'être parvenus à la naissance de l'euro dans des conditions beaucoup plus conformes à notre vision politique et économique que l'on aurait pu le craindre voici encore 18 mois.
En effet, l'ampleur du chantier de l'euro est telle que certains avaient pu finir par considérer la monnaie unique comme un but en soi, et non pas comme un instrument au service d'une véritable politique européenne. Ce danger, que j'oserais qualifier de " super-monétarisme ", n'était pas à négliger. Je pense qu'il est aujourd'hui largement écarté.
Alors que l'euro aurait pu se faire sans interlocuteur politique pour la Banque centrale européenne, le Conseil de l'euro est aujourd'hui en place, même s'il nous revient encore de consolider son action afin qu'il devienne un véritable lieu de coordination des politiques économiques.
De même, l'euro aurait pu se faire dans le seul environnement du pacte de stabilité. Or, depuis l'impulsion donnée lors du sommet d'Amsterdam de juin 1997, les Quinze ont décidé de mettre l'accent sur l'euro au service de la croissance et de l'emploi.
Que mes propos ne soient pas mal interprétés : il n'est nullement dans mes intentions de remettre en cause l'indépendance de la BCE ou son rôle légitime de garant de la stabilité de l'euro, ni la validité du pacte de stabilité, mais simplement d'établir un meilleur équilibre entre les différents objectifs.
En effet, au-delà du succès technique et financier, l'euro ne réussira que s'il est accepté par les citoyens de l'Europe. Or, il ne le sera que s'il est perçu comme un instrument de progrès social. En d'autres termes, aussi longtemps qu'en Europe, coexisteront la ferveur financière en faveur de l'euro et 16 millions de chômeurs - dont 7 millions dans nos deux pays réunis - soyons bien conscients que la monnaie unique restera en quelque sorte " sous surveillance ".
Les enjeux sont clairs. L'Europe de l'euro doit d'abord être celle de la croissance. Rien ne serait plus dommageable que la concomitance entre l'entrée en vigueur de l'euro et un affaiblissement durable de la croissance.
La monnaie unique doit en premier lieu confirmer sa capacité à protéger l'Europe des turbulences monétaires, notamment celles qui sont issues de la crise financière asiatique.
Nous souhaitons ensuite que le Conseil de l'euro soit le garant de politiques économiques tournées vers la croissance, face au nécessaire rôle de contrôle monétaire de la BCE.
Je pense, enfin, que nous devons réfléchir plus avant à réactiver le programme de grands travaux contenus dans le Livre blanc de Jacques Delors, qui avait trouvé une première traduction lors du Conseil européen d'Essen, à l'occasion de la précédente présidence allemande, mais qui n'a pas été mis en oeuvre comme il aurait dû l'être.
L'Europe de l'euro doit ensuite être celle de l'emploi. Les objectifs fixés à Luxembourg, en novembre 1997, doivent être poursuivis : réduire le chômage des jeunes, réduire le chômage de longue durée, augmenter l'effort de formation.
La France souhaite que le " pacte européen pour l'emploi ", dont le lancement a été décidé par le Conseil européen de Vienne, en décembre dernier, contienne bien des objectifs contraignants en matière d'emploi pour l'ensemble des Etats membres. Je crois que c'est aussi l'intention du nouveau gouvernement allemand. Il conviendra d'associer étroitement les partenaires sociaux à leur élaboration et à leur mise en oeuvre.
Le pacte constituera ainsi une étape nouvelle dans le rééquilibrage de l'Europe que souhaitent nos opinions publiques.
Ceci m'amène à évoquer le nécessaire renforcement de la dimension sociale de l'Europe. Donner un sens à l'Europe, c'est en faire le lieu où pourront le mieux s'affirmer les valeurs qui nous sont communes et qui peuvent forger notre identité : la solidarité sociale, l'égalité des chances, la recherche permanente de la meilleure articulation entre performance économique et cohésion sociale.
L'Europe doit être un modèle social, alors qu'elle inspire encore parfois, aujourd'hui, des craintes d'un nivellement par le bas.
Le Traité d'Amsterdam, quelles que soient ses insuffisances, marque des avancées réelles dans ce domaine. Il nous faut cependant aller plus loin. Le gouvernement français a ainsi proposé à ses partenaires, au Conseil européen de Vienne, plusieurs pistes de discussion : l'organisation de la durée du travail, le principe d'un salaire minimum dans chaque Etat-membre, l'élaboration de conventions collectives dans certains secteurs, par exemple celui des transports routiers, pour lequel des conflits sociaux récents ont mis en lumière la dureté des conditions de travail.
Nous avons également la volonté de travailler en faveur d'un véritable dialogue social à l'échelle européenne. Seule la concertation entre partenaires sociaux permettra de dégager des solutions adaptées, acceptables et applicables par tous les intéressés. La concertation reste aujourd'hui beaucoup trop cantonnée à l'échelon national.
Agir en faveur des solidarités, c'est également veiller à l'avenir des politiques structurelles. La mise en place d'une solidarité à l'échelle régionale est l'un des acquis essentiels de la construction européenne, entre régions riches et régions pauvres, entre zones prospères et zones en déclin.
L'un des enjeux de l'élargissement sera de conserver cette solidarité, d'inscrire cette cohésion au coeur de l'Europe, alors même que l'écart de prospérité au sein de l'Union va sensiblement s'accroître. Dans ce but, il faut, dès à présent, réfléchir aux priorités que nous devons suivre. Quand plus de la moitié de la population européenne bénéficie des fonds structurels, la question se pose du sens d'une solidarité tellement large qu'elle finit par se diluer et perdre sa vocation première.
Les discussions actuelles sur le financement de l'Union pour les prochaines années et la réforme des politiques structurelles, " l'Agenda 2000 ", sur lesquelles je reviendrai, doivent être l'occasion de commencer ce travail difficile mais nécessaire de rééquilibrage.
2.Nous devons aussi - c'est le second axe de mes réflexions - donner vie à
" l'Europe-puissance ", celle des libertés et des sécurités
Il est clair que l'Europe ne peut se résumer au champ économique et social. Nous devons en faire un véritable espace politique.
Il s'agit encore d'une terre de conquêtes pour les Européens. Ce n'est que depuis le Traité de Maastricht que nous disposons d'une architecture cohérente, prenant en compte à la fois l'ambition d'une politique étrangère et de sécurité commune et celle d'un espace de liberté et de sécurité intérieure. Conçus au départ comme de simples champs de coopération intergouvernementale, avec les limites que cela implique, ces deux domaines ont été renforcés par le Traité d'Amsterdam. Pour autant, les faiblesses sont aujourd'hui claires, autant que les raisons d'aller de l'avant.
La faiblesse de la voix de l'Europe sur la scène internationale est malheureusement une réalité. La politique étrangère commune est encore un voeu pieux. Les crises récentes, sur notre continent - je pense à la Bosnie, à la terrible situation au Kossovo - mais aussi en Iraq, ont montré l'ampleur du chemin qui restait à parcourir.
Face à nos amis américains, les Européens ont montré trop de divergences. Les dommages en sont clairs auprès de nos opinions publiques, promptes à mettre en comparaison l'agencement, impressionnant de précision, de l'Union économique et monétaire, et les balbutiements de l'Europe politique sur la scène internationale. Nous devrons trouver rapidement des solutions si nous voulons donner une autre dimension à l'Europe, aux yeux du monde comme à ceux de ses propres citoyens.
Les directions sont connues. Certaines ont été ouvertes par le Traité d'Amsterdam, je pense par exemple aux " stratégies communes ", dont les dispositions pourront être adoptées à la majorité qualifiée, et qui permettront de définir, de façon globale, les relations de l'Union avec nos grands partenaires ou les zones géographiques proches de nous, de la Russie aux Balkans, de l'Ukraine à la Méditerranée.
Nous sommes aussi déterminés à ce que " Madame " ou " Monsieur PESC ", le " Haut représentant " de l'Union pour la politique étrangère puisse être nommé dans les prochains mois et, surtout, qu'il ou elle soit un véritable responsable politique, avec l'autorité et le poids nécessaires.
L'apparition d'une défense européenne sera un élément déterminant de cette ambition. L'intégration européenne resterait incomplète si elle n'offrait pas, par une défense commune, l'assurance à ses citoyens qu'elle peut contribuer aussi à leur sécurité extérieure.
Les dernières années, voire les derniers mois, ont vu des avancées réelles, du développement des capacités opérationnelles de l'UEO aux dispositions du Traité d'Amsterdam.
Il faut que les Européens acquièrent progressivement la capacité d'agir militairement. Une " agence de défense ", au sein de l'Union, résultant de l'intégration de l'UEO, pourrait regrouper ces instruments.
L'Union devra également être en mesure d'assurer la direction politique et stratégique d'opérations, y compris d'opérations conduites avec des moyens collectifs de l'OTAN.
Il faut enfin que les Européens puissent développer, comme ils ont commencé à le faire, la base industrielle de cette défense commune.
Il faudra naturellement veiller à définir les relations entre l'Union européenne, dotée de compétences en matière de défense et jouant effectivement un rôle dans ce domaine, et l'OTAN. Ce sera, comme vous le savez, l'un des enjeux du futur Sommet de l'Alliance, en avril prochain.
Il doit être clair, en tout cas, que cet effort européen ne saurait se faire au détriment de la cohésion de l'Alliance atlantique, mais que chacun devrait au contraire y gagner, qu'il s'agisse d'un fardeau mieux partagé ou d'un partenariat plus équilibré. Par ailleurs, nous ne méconnaissons pas les difficultés que ces évolutions pourront signifier pour certains de nos partenaires aux traditions et aux statuts différents ; nous devrons y réfléchir avec eux.
Bien entendu, au-delà des instruments, rien ne se fera sans une volonté politique décisive des Etats membres de voir l'Union européenne exister et peser dans le champ de la sécurité et de la défense.
Faisons le pari que cette prise de conscience se réalisera avec la même détermination que celle qu'il a fallu déployer pour que l'euro voit le jour, quand nos pays ont préféré la réalité d'une souveraineté partagée à l'illusion d'une souveraineté solitaire.
D'ailleurs, la monnaie et l'affirmation politique de l'Europe dans le monde sont deux éléments complémentaires de la préservation de notre modèle politique, économique et social dans un monde globalisé dominé par une seule " hyper-puissance ".
Ainsi pourrons-nous également répondre au véritable besoin d'Europe, que je ressens, et qui émane de tous ceux qui refusent un monde unipolaire et uniformisé. L'Europe doit avoir pour ambition d'être forte, elle doit également être généreuse.
Les libertés et la sécurité intérieure doivent être une autre orientation majeure de notre politique européenne. Là aussi, l'adhésion des populations au projet européen ira de pair avec la prise de conscience progressive que l'échelon européen peut représenter un " plus " pour elles.
Beaucoup de chemin reste à parcourir. Nos concitoyens n'ont qu'une très vague idée de ce que l'Europe peut leur apporter, quand ils ne perçoivent pas cette dimension comme synonyme, soit de laxisme par une trop large ouverture des frontières, soit, au contraire, de menace potentielle pour les libertés par la mise en place de procédures policières supranationales.
De fait, le champ couvert par ce que l'on appelle, depuis le Traité de Maastricht, le " troisième pilier ", est relativement neuf pour l'Europe. Des étapes importantes ont été franchies au cours des dernières années, les dernières dans le cadre du Traité d'Amsterdam, qui fixe clairement comme objectif la " mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice ". On doit également se féliciter que le traité intègre, dans le cadre de l'Union, l'acquis des Accords de Schengen : cela va permettre de conserver les éléments positifs d'un système qui a commencé à faire ses preuves, mais aussi de corriger ses lacunes.
D'une façon générale, le gouvernement français est résolu à faire avancer ces dossiers, à démontrer la pertinence et la légitimité de l'action de l'Union européenne dans ce domaine. Une action équilibrée entre les mesures destinées à assurer la sécurité des citoyens, qui gagneront en efficacité en se plaçant au niveau européen, et celles devant permettre la mise en place d'un espace de liberté européen, notamment de liberté de circulation.
Nous devons également montrer que la question des flux migratoires appelle aujourd'hui des réponses coordonnées, fondées sur des orientations politiques communes. Plus aucun pays ne peut apporter seul une réponse à ces phénomènes. Les exemples, certains très récents, sont suffisamment nombreux. Là comme ailleurs, la souveraineté partagée doit être préférée à l'illusion des solutions solitaires.
J'en viens maintenant aux réflexions que nous souhaitons engager sur les structures politiques de l'Europe des dix ou vingt prochaines années.
3.Renforcer l'Europe tout en l'élargissant.
La question est fondamentale. Non seulement parce qu'il n'y aura pas d'Europe forte avec des institutions faibles, mais aussi parce que cette problématique est au coeur des interrogations des peuples européens sur leur avenir, sur la façon dont l'espace européen peut se concilier avec leurs conceptions identitaires et nationales.
Je crois que nous devons préférer, à un débat de principes, un peu vain, sur la question fédérale, une conception plus pragmatique, en faisant la part entre les responsabilités qui demeureront, en tout état de cause, nationales - ou régionales - et celles qui gagneront à être transférées au niveau européen.
Il existe, pour cela, la notion de subsidiarité, bien qu'un terme aussi abscons soit de nature à décourager les meilleures volontés ! Nous avons, pour notre part, adopté le concept de " fédération d'Etats-nations ", suggéré par Jacques Delors, qui nous parait bien caractériser cette construction originale qui s'établit progressivement.
Pour donner chair et vie à ce concept, pour faire de l'Europe le lieu où pourra s'affirmer une nouvelle identité démocratique et citoyenne, nous devons d'abord rendre les institutions européennes plus efficaces et plus transparentes. La nécessité d'une telle réforme se fait sentir aujourd'hui, dans l'Europe des Quinze, elle sera tout simplement vitale en vue d'une Europe à 25 ou 30.
C'était, comme vous le savez, l'objectif principal de la Conférence intergouvernementale qui s'est réunie en 1996 et 1997 et a abouti au Traité d'Amsterdam. Je ne ferai preuve d'aucune originalité ni de sévérité excessive, en soulignant les lacunes, sur ce point, du Traité d'Amsterdam. L'ouvrage devra donc être remis sur le métier.
Accroître l'efficacité des institutions, cela voudra d'abord dire renforcer le rôle et le mode de désignation de la Commission européenne, notamment pour rehausser son profil politique. Une Commission plus efficace, plus collégiale, cela passe notamment par la maîtrise de ses effectifs. Nous devrons accepter de nous limiter à un seul commissaire par Etat-membre et, sans doute, d'introduire une hiérarchie, à l'instar de ce qui se fait dans les gouvernements, entre commissaires et commissaires-adjoints.
Cela signifie aussi revoir le fonctionnement du Conseil des ministres. Je pense au rôle du Conseil " Affaires générales ", qui réunit les ministres des Affaires étrangères et des Affaires européennes et a perdu progressivement son rôle originel, mais essentiel, de coordination ; je pense plus largement à la multiplication mal contrôlée et, pour tout dire, injustifiée, du nombre des formations ministérielles du Conseil ; je pense enfin, bien sur, à la question centrale de la généralisation du vote à la majorité qualifiée, qui va de pair avec celle de la pondération des voix. Celle-ci devra être plus en rapport avec le poids démographique de chacun, afin d'éviter la perspective, que nous ne pourrions accepter, de voir, par exemple, la France et l'Allemagne mis en minorité par une coalition d'Etats peu ou très peu peuplés.
Nous ne devons cependant pas nous leurrer. L'Europe à 20, 25 ou 30, cela signifiera, de toute façon, un autre mode de fonctionnement qu'à 15. Il est évident que l'élargissement de l'Union se traduira par une hétérogénéité croissante des situations et des ambitions. Tous les Etats ne pourront ou ne voudront pas mener les mêmes actions au même rythme. Il faudra prendre acte de cette diversité, notamment au travers des " coopérations renforcées ", qu'institue le Traité d'Amsterdam. Il s'agira autant d'éviter l'Europe " self-service ", comme l'a appelée Jacques Delors, que l'immobilisme.
Démocratiser, cela signifie aussi renforcer la légitimité du Parlement européen, que nous renouvellerons dans moins de six mois. La question de son mode d'élection demeure posée, de même que la réflexion sur l'extension de ses pouvoirs et, dans le même temps, sur l'association des Parlements nationaux à la construction européenne.
Le chantier est immense, les difficultés rencontrées par la CIG ont montré la diversité des points de vue et des traditions au sein de l'Union. Qu'il soit bien clair pourtant que nous n'avons plus le droit à l'échec. Il en va du succès de l'élargissement, il en va plus simplement de la crédibilité et de la cohérence de l'édification européenne au yeux de ses citoyens.
Nous devrons être très attentifs à la méthode à suivre pour réussir cette réforme. La présidence allemande devrait faire des propositions à ce sujet lors du Conseil européen de Cologne. J'appuie pour ma part l'idée d'un Comité des sages qui serait chargé d'élaborer une sorte de " rapport sur l'état de l'Union ", lequel déboucherait sur une conférence intergouvernementale, tout cela devant aboutir, pour bien faire, avant 2001.
Pour autant, il serait regrettable de n'envisager l'élargissement que sous l'angle institutionnel, comme, d'ailleurs, sous le seul angle financier. Cette nouvelle étape ne doit pas être vécue, selon moi, comme une contrainte qu'il s'agirait de négocier avec le moins de répercussions négatives possibles.
Elle doit être considérée, sans qu'il soit, bien sur, question de négliger les défis qu'elle pose, comme une chance historique pour l'Europe, comme la dynamique qui, en faisant se rapprocher l'Union européenne de ses frontières " naturelles ", peut lui donner tout son sens.
Elargir l'Union à nos voisins d'Europe centrale et orientale, c'est parachever l'oeuvre fondatrice entamée au lendemain du second conflit mondial, contrainte pendant plus de quarante ans par le rideau de fer, et consolider la démocratie dans ces pays. C'est redonner son unité à l'Europe qui a existé, sous une certaine forme, dès le XVIème siècle, quand elle était celle de l'esprit et des grands marchands, en bref, lui permettre de se rapprocher de ses frontières naturelles.
A Prague ou à Varsovie, le coeur de l'Europe bat aussi fort qu'à Paris ou à Francfort. Réunie, elle pourra mieux s'affirmer, notamment sur le plan de ses valeurs culturelles, qui seront un élément déterminant de l'affirmation du sentiment européen.
Les négociations ont commencé avec un premier groupe de six pays. D'autres seront engagées plus tard. Pour tous, nous avons soutenu l'idée de la " Conférence européenne ", qui doit être le lieu où tous les pays concernés vont apprendre à travailler ensemble, à mettre en oeuvre des coopérations nouvelles.
Nous sommes déterminés à poursuivre cette grande oeuvre de l'élargissement, sans réticence, ni démagogie, avec réalisme et exigence, avec également la conviction de participer ainsi à la mise en place de l'Europe de demain. Telle est notre attitude dans les négociations et j'observe que c'est également, de plus en plus, celle de l'Allemagne.
Permettez-moi, en guise de conclusion à cette intervention, de vous donner mon sentiment sur le rôle actuel et futur du " moteur franco-allemand ".
Je viens de tracer à grands traits ce que me paraissent être les grands chantiers de l'Europe de l'après-euro. Me trouvant à Bonn, je veux réaffirmer que, sur l'ensemble de ces chantiers, nous aurons besoin, plus que jamais, d'une synergie étroite entre les efforts français et allemands, ou, en des termes plus familiers, d'un moteur franco-allemand qui conserve son efficacité maximale.
Je voudrais tout d'abord souligner que le gouvernement français voit une grande opportunité pour l'Europe dans la présence, à la tête de votre gouvernement fédéral et, aujourd'hui, de l'Union européenne, de Gerhard Schroeder. Sans oublier le rôle historique joué par Helmut Kohl, alors que François Mitterrand était président, nous ne pouvons que nous réjouir de l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle génération de dirigeants en Allemagne.
Bien entendu, nous ne devons pas masquer nos différences, mais les aborder avec sérénité.
A court terme, il est clair que les discussions sur " l'Agenda 2000 ", c'est-à-dire à la fois la réforme du financement de l'Europe pour les années à venir et celle des politiques structurelles et de la politique agricole commune, vont être difficiles. Les intérêts sont considérables dans chaque pays, les points de départ assez éloignés les uns des autres. Nous ne pouvons écarter l'hypothèse de moments de blocage, de crise même. Mais nous voulons croire qu'un compromis sera finalement trouvé et nous aiderons la présidence allemande à les trouver. Une chose est sûre, chacun des Etats membres, je dis bien chacun d'entre eux, Allemagne comprise, devra faire un pas en direction du consensus. Nul n'en sera exonéré, nul ne sera sacrifié.
Nous sommes, pour notre part, prêts à cette démarche. Mais, autant nous sommes favorables à une réforme raisonnable de la PAC, autant il est hors de question que l'accord que nous souhaitons se fasse à nos dépens, au travers du cofinancement, c'est-à-dire de la renationalisation de la PAC.
Au-delà de cette échéance, nous devons examiner sereinement nos éventuels points de divergence. Tout doit pouvoir être exposé et expliqué : c'est en suivant cette méthode que nous avons fait de nos deux pays les moteurs de la construction européenne.
D'ailleurs, en l'espace de quelques mois, je crois que nous avons engagé un bon travail et que nous avons démontré, notamment dans le domaine social et économique, que le moteur franco-allemand conservait toute son importance et toute son énergie.
Notre volonté commune, depuis l'entrée en fonction de votre nouveau gouvernement, de faire de l'euro un instrument au service de l'emploi et de la croissance a permis d'avancer, de façon décisive je l'espère. Jusqu'alors, les réticences de l'ancienne majorité en Allemagne avait ralenti cet effort et laissé les autorités françaises un peu isolées.
Ceci montre bien que, même si l'Europe a changé, même s'il est naturel que d'autres affinités, d'autres solidarités trouvent à s'exprimer entre les Etats européens, rien ne remplacera la dynamique franco-allemande pour faire avancer l'Europe. Les défis sont immenses : tirer tout le profit du succès de l'euro, construire l'Europe des libertés et des sécurités, concevoir et mettre en oeuvre l'architecture de l'Europe à 25 ou à 30. Nous ne réussirons pas si nos énergies ne sont pas unies.
Pour finir, je voudrais simplement vous dire ma gratitude pour l'opportunité que vous m'avez offert d'exposer ainsi les grandes lignes que le gouvernement français se fixe pour la construction européenne de ces prochaines années et l'importance du rôle que continuera d'y jouer le " moteur " franco-allemand.
Nous abordons ces échéances avec confiance, avec également un sentiment de responsabilité à la hauteur des enjeux. Une telle occasion ne se représentera peut-être pas de pouvoir maîtriser ainsi le devenir de notre continent. A nous de la saisir et de faire de l'Europe le creuset des ambitions du siècle prochain.
Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)