Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à "Nice-matin" le 4 décembre 2000, sur l'importance du conseil européen de Nice sur le plan de la réforme des institutions communautaires.

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Média : Le Var Nice matin - Nice matin

Texte intégral

Q - Les enjeux du Sommet de Nice sont-ils, selon vous, bien perçus ?
R - Ils sont simples et fondamentaux. Il faut absolument réformer l'Europe pour qu'elle fonctionne mieux. Ce qui ne marche pas toujours à quinze actuellement risque de ne plus marcher du tout à trente bientôt. Car c'est l'élargissement de la Communauté qu'on doit préparer.
Q - Ce sera aussi l'occasion de faire le point sur la Présidence française qui s'y terminera et qui a parfois suscité des critiques ici et là ?
R - En matière sociale, sociétale et économique des résultats absolument considérables ont été obtenus. L'accord sur la fiscalité de l'épargne traînait depuis 11 ans et l'agenda social est une première absolue ! S'agissant de sécurité alimentaire, de sports, de services publics, des avancées citoyennes décisives ont eu lieu. Sans aucun doute le Sommet de Nice sera un des plus chargés de la décennie. Non seulement il sera un des plus importants mais peut-être un des plus longs aussi.
Q - Etes-vous optimiste sur la signature d'un traité final ?
R - Je commence à avoir un peu de bouteille, comme on dit, dans mes fonctions. A la veille d'un tel rendez-vous, les tensions sont naturelles et fortes. Il y a aussi une part de tactique pour défendre des intérêts nationaux.
Je sais d'expérience, par ailleurs, que la négociation est toujours très difficile. Mais, en même temps, je suis confiant parce que je crois que chacun à en tête l'enjeu.
Q - Aussi important que Maastricht donc, le rendez-vous de Nice ?
R - C'est un nouveau carrefour. Ou l'Europe se réforme et l'aventure continue ! Ou elle échoue et nous vivrons tous un moment extrêmement difficile, fait de beaucoup d'interrogations pouvant aboutir à une crise.
Q - Ce qui surprend, c'est l'antagonisme récent entre la France et l'Allemagne. Un Traité de Nice, au printemps 1538, réglait (provisoirement) un conflit entre François 1er et Charles Quint. Il n'y a plus de querelles d'empires mais des deux côtés du Rhin, la méfiance persiste-t-elle ?
R - Cela tombe bien cette évocation de Charles Quint l'année où l'on fête aussi les 500 ans de sa naissance ! Je crois que, du coup, il serait logique de signer un nouveau traité à Nice.
Q - Mais depuis l'idylle Mitterrand-Kohl, il semble que ce ne soit plus une grande histoire d'amour entre les deux pays sinon les hommes qui les dirigent ?
R - Le couple franco-allemand reste le cur et le moteur de l'Union européenne, on s'en apercevra à Nice. Des sensibilités différentes s'expriment toutefois sur certains points. Les Allemands sont plus nombreux que les Français.
Ils en concluent qu'ils doivent obtenir plus de voix au Conseil européen. Nous, Français, défendons un principe philosophique : l'égalité de voix entre la France et l'Allemagne. Pas de quoi créer des tensions ! Il n'y en a d'ailleurs pas au niveau politique.
Q - Reste que vous avez été personnellement l'objet de méchantes attaques dans la presse germanique. En avez-vous été affecté ?
R - C'est une presse qui sait défendre ses intérêts nationaux Je regrette que certains organes, en France même, aient repris des rumeurs véhiculées de façon injuste.
Q - Il y a aussi - comme l'a montré le Sommet informel de Biarritz - un certain clivage, pour le présent et l'avenir, entre grands et petits pays. Une Europe à plusieurs vitesses est-elle imaginable ?
R - Non, ce n'est pas souhaitable ! L'Europe du futur sera sans doute plus souple et hétérogène. N'oublions jamais qu'on est en train de réunifier un continent divisé par la guerre froide. 30 pays à réunir ? Il faudra des modes de décisions permettant d'avancer par groupes de 5, 10, 15 ou 20.
C'est ce que nous avons commencé à faire avec l'euro qui ne se fait pas à quinze mais à douze. Je ne crois pas à l'opposition entre petits et grands pays. Il y a des pays plus ou moins peuplés. Il y a aussi les pays fondateurs de l'Europe et les autres qui l'ont rejointe ou vont la rejoindre.
Q - Ces derniers qui frappent à la porte de l'Europe donnent des signes d'impatience. Quand seront-ils admis au sein du club ?
R - Il y a une date fixée : c'est le 1er janvier 2003. L'Union européenne devra être prête à les accueillir. C'est pour cela, comme disent les Anglais, qu'il faut un "nice traity of Nice" (un bon Traité de Nice).
Q - Paris a dit qu'il préférait "une crise à un mauvais accord". Que serait un mauvais accord ?
R - Nous verrons bien. Ce qui est certain, c'est que nous allons entrer dans le Conseil européen de Nice avec un haut niveau d'ambition pour l'Europe.
Q - Et un bon accord qu'affirmerait-il ?
R - Un bon accord permettra d'avancer sur chacune des quatre questions qui sont sur la table. A savoir : 1, une commission qui fonctionne mieux. 2, un système où l'on votera à la majorité qualifiée de façon générale y compris dans les domaines sensibles. 3, plus de souplesse dans une Union élargie, ce qu'on appelle les coopérations renforcées. 4, une répartition des voix au Conseil des ministres qui permette de prendre des décisions sans crainte de paralysie par des majorités absurdes ou des coalitions de petits pays. Des enjeux qui pourront apparaître parfois techniques mais qui sont décisifs.
Q - La question de la vache folle est devenue une affaire d'Etat en France. Elle a tendu encore plus les rapports entre MM. Chirac et Jospin. La cohabitation pourrait-elle aussi être soumise à l'épreuve de l'Europe ?
R - Elle ne l'a pas été, c'est ce que je constate. Je fais partie des ministres appelés à se trouver avec l'un ou avec l'autre ou avec les deux en même temps. En matière européenne, dès lors qu'il s'agissait de sujets de fond toutes les décisions ont été définies et prises ensemble entre le président de la République et le Premier ministre. Il n'y a pas eu de divergence. C'était important parce que par rapport à l'étranger la France doit parler d'une seule voix.
Q - Quels transferts de souveraineté les Français sont-ils prêts à accepter selon vous ?
R - Les Français sont très Européens. L'Europe est pour eux une de leurs premières valeurs. Mais, en même temps, ils s'interrogent sur l'Europe telle qu'elle est. C'est une attitude intelligente.
Et c'est pourquoi il nous faut remettre la charrue avant les bufs. Autrement dit faire en sorte que l'Europe fonctionne dans la transparence, la clarté, la lisibilité. Qu'elle soit surtout capable de décider.
Tant que la réforme institutionnelle n'aura pas abouti, on ne peut envisager de nouveaux partages de souveraineté. Vers qui et vers quoi ? Vers quel pouvoir légitime surtout ?
Q - Certaines de ces opinions publiques mécontentes s'exprimeront, parfois contradictoirement d'ailleurs, dans la rue à Nice. Imaginons que vous croisiez José Bové sur la Promenade des Anglais, quel message lui feriez-vous passer ?
R - Je lui dirais que nous pouvons avoir des points d'accord sur l'analyse de la mondialisation. Il s'agit d'un phénomène à maîtriser. Mais je lui dirai encore que face à la mondialisation l'Europe n'est pas un handicap, c'est une réponse. L'Europe sera plus forte unie dans la mondialisation qu'elle ne le serait s'il n'y a pas de régulation par son intermédiaire.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2000)