Texte intégral
Monsieur le Président,
Messieurs les Ministres,
Madame et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Cest un grand plaisir de me trouver aujourdhui parmi vous pour clôturer les Deuxièmes entretiens européens dEpernay. Je tiens tout particulièrement à remercier Bernard Stasi, qui reste, dans ses fonctions actuelles, un grand militant de lEurope, pour avoir eu linitiative de ce nouveau rendez-vous européen qui connaît, pour sa deuxième édition, un succès mérité. Je le remercie également pour laccueil quil nous a réservé dans sa ville.
Je regrette de navoir pu assister à lensemble de vos travaux mais il ma été rapporté quils avaient été animés et dune grande richesse. Comment aurait-il pu en être autrement, compte tenu de lexpérience des responsables politiques français et européens, rassemblés ici de manière informelle, et des éminents spécialistes de lEurope invités à débattre au plus près de lactualité européenne.
Il est devenu banal de la dire, mais je le répète : le moment que nous vivons est crucial pour la construction européenne. Leuro est entré en vigueur le 1er janvier ; le Traité dAmsterdam sera bientôt ratifié en mars. En fait, il lest pratiquement. En effet, le récent vote du Congrès sur la révision constitutionnelle a montré que plus de 80 % des parlementaires ne se rallient pas aux thèses souverainistes. Nous devons aussi, je lespère dici fin mars, trouver un accord sur la réforme du financement et des politiques structurelles pour les années à venir, le fameux « Agenda 2000 », puis mettre sur les rails la réforme des institutions nécessaire avant les futurs élargissements. Je noublierai pas de mentionner les élections européennes, le 13 juin prochain, après dautres orateurs aujourdhui. Ne nous trompons pas denjeu. Si certains veulent démontrer à cette occasion quel est le premier parti de France, les dernières élections en 1997 lon déjà fait. Pour moi, lenjeu est davoir un vrai débat européen. Le premier chiffre qui mintéresse est celui du taux de participation. Il y aura ensuite le renouvellement de la Commission. 1999 sera bien une année européenne.
Nous apercevons dautant mieux le chemin quil nous reste à parcourir pour donner un véritable sens à lEurope, une Europe plus politique, plus démocratique, plus sociale. Nous sommes, les uns et les autres, pris par la mécanique européenne, et jai la conviction, que nous avons un peu perdu de vue la logique, le but final de lentreprise, ce qui provoque doutes et interrogations dans nos opinions publiques.
Je souhaiterais donc vous exposer quelles sont les vues du gouvernement français sur létat actuel de la construction européenne et les pistes quil conviendrait de suivre pour lEurope du siècle prochain.
Je voudrais privilégier trois axes de réflexion :
1.Après leuro, lEurope doit devenir un véritable espace de progrès économique et social, une Europe des solidarités.
2.Nous devons donner vie à lEurope-puissance, lEurope des sécurités et libertés.
3.Nous devons enfin renforcer et démocratiser les structures de lEurope, afin de pouvoir lélargir vers ses frontières naturelles.
1.Nous devons dabord aller vers un véritable espace de progrès économique et social, lEurope des solidarités.
Vous avez consacré la matinée à ce thème, il nest donc pas besoin dinsister sur la tâche quont accomplie les gouvernants et les peuples européens pour être au rendez-vous de leuro, en temps et en heure, le 1er janvier 1999. Je souligne tout de même quil sagit là dun exemple unique de plusieurs Etats souverains décidant, dun commun accord, de partager un élément essentiel de leur identité afin de mener un projet commun, porteur despérances mais aussi générateur de craintes bien compréhensibles, que nous devons maîtriser.
LEurope peut véritablement saffirmer aujourdhui comme une puissance économique majeure. En cela, et cest la meilleure réponse que lon puisse donner à ses détracteurs, jai la conviction que leuro, loin dêtre un abandon de souveraineté, une abdication de la nation, représente au contraire la reconquête dune souveraineté, certes partagée, mais une souveraineté que nous avions perdue depuis des années avec notre seule monnaie nationale.
Nous pouvons en être dautant plus satisfaits que nous avons conscience dêtre parvenus à la naissance de leuro dans des conditions beaucoup plus conformes à la vision politique et économique de la France que lon aurait pu le craindre voici encore deux ans.
En effet, lampleur du chantier de leuro est telle que certains avaient pu finir par considérer la monnaie unique comme un but en soi, et non pas comme un instrument au service dune véritable politique européenne. Ce danger, que joserais qualifier de « super-monétarisme », nétait pas à négliger, je pense quil est aujourdhui largement écarté. Je crois aussi que la France y a beaucoup contribué.
Alors que leuro aurait pu se faire sans interlocuteur politique pour la Banque centrale européenne, le Conseil de leuro, conçu largement à notre initiative et à celle de Dominique Strauss-Kahn en particulier, est aujourdhui en place, et a vocation à devenir un véritable lieu de coordination des politiques économiques.
Je lisais dans « Le Monde » la tribune de Jean-Claude Fitoussi qui a participé à vos débats : « leuro est là et crapoto basta ». Ce nest pas comme cela que les choses se passeront.
Que mes propos ne soient pas mal interprétés : il nest nullement dans mes intentions de remettre en cause lindépendance de la BCE ou son rôle légitime de garant de la stabilité de leuro, ou encore la validité du Pacte de stabilité, pour lequel le parti auquel jappartiens na pas daffection particulière, mais simplement détablir un meilleur équilibre entre les différents objectifs.
Car la monnaie unique aurait pu se faire dans le seul environnement du Pacte de stabilité. Or, depuis limpulsion donnée, là encore à notre initiative, lors du Sommet dAmsterdam de juin 1997, les Quinze ont décidé de mettre laccent sur lEurope de la croissance et de lemploi.
Ce changement dorientation est fondamental. En effet, au-delà du succès technique et financier, indéniable, qui est déjà là, je suis convaincu que leuro ne réussira que sil est perçu par les citoyens de lEurope comme un instrument de progrès économique et social. Autrement dit, aussi longtemps quen Europe, coexisteront la ferveur financière que nous vivons et 16 millions de chômeurs, soyons bien conscients que la monnaie unique restera en quelque sorte « sous surveillance » ; je veux parler, bien sûr, de la surveillance des opinions.
Les enjeux sont clairs. LEurope de leuro doit dabord être celle de la croissance. Rien ne serait plus dommageable que la concomitance entre lentrée en vigueur de leuro et un affaiblissement durable de la croissance. Nous souhaitons donc que le Conseil de leuro soit le garant de politiques économiques tournées vers la croissance, face au nécessaire rôle de contrôle monétaire de la BCE.
Je pense, ensuite, que nous devons réfléchir plus avant à réactiver le programme de grands travaux contenus dans le livre blanc de Jacques Delors, qui avait trouvé une première traduction lors du Conseil européen dEssen, à loccasion de la précédente présidence allemande, mais qui na pas été mis en oeuvre, depuis lors, comme il aurait dû lêtre. Il y a, bien sûr, la question de leur financement. Diverses idées ont été émises comme un grand emprunt ou la proposition de M. Prodi dutilisation des réserves excédentaires des banques centrales. Il y a là, pour moi, un thème de réflexion dactualité.
Cette croissance confortée doit être mise au service de lemploi. Les objectifs fixés en novembre 1997, lors du Sommet spécial de Luxembourg, consacré à lemploi, que nous avions obtenu à Amsterdam, doivent être poursuivis : réduire le chômage des jeunes, réduire le chômage de longue durée, augmenter leffort de formation.
Le gouvernement auquel jappartiens souhaite que le « Pacte européen pour lemploi », dont le lancement a été décidé par le Conseil européen de Vienne, en décembre dernier, contienne bien des objectifs contraignants en matière demploi pour lensemble des Etats membres. Il constituera ainsi une étape nouvelle dans le rééquilibrage de lEurope que souhaitent nos opinions publiques.
Au-delà, nous souhaitons que lensemble des politiques de lUnion soient réorientées dans le sens dune meilleure prise en compte du critère de lemploi. Je pense aux politiques structurelles, je pense à la nécessaire coordination des politiques fiscales, dans un sens plus équitable et plus favorable à lemploi.
Cela mamène à évoquer le nécessaire renforcement de la dimension sociale de lEurope. Donner un sens à lEurope, cest en faire le lieu où pourront le mieux saffirmer les valeurs qui nous sont communes et qui peuvent forger notre identité : la solidarité sociale, légalité des chances, la recherche permanente de la meilleure articulation entre performance économique et cohésion sociale.
Le Traité dAmsterdam contient, chacun le sait ici, des insuffisances, mais il marque des avancées réelles dans ce domaine qui justifient quon le ratifie. Je viens dévoquer les objectifs fixés à Luxembourg, qui constituent en fait une application anticipée des dispositions du traité en la matière. Lautre avancée majeure est lintégration, dans le traité, du protocole sur la politique sociale et de laccord sur la politique sociale qui avaient été conclus par les Etats membres à lexception du Royaume-Uni.
Il nous faut cependant aller plus loin. La France a ainsi proposé à ses partenaires, au Conseil européen de Vienne, plusieurs pistes de discussion : lorganisation de la durée du travail, - je vous rassure, il ne sagit pas de faire les 35 heures partout mais cest un sujet commun - le principe dun salaire minimum dans chaque Etat membre, lélaboration de conventions collectives dans certains secteurs, par exemple celui des transports routiers, pour lequel des conflits sociaux récents ont mis en lumière la dureté des conditions de travail.
Nous avons également la volonté de travailler en faveur dun véritable dialogue social à léchelle européenne. Seule la concertation entre partenaires sociaux permettra de dégager des solutions adaptées, acceptables et applicables par tous les intéressés.
Agir en faveur de lEurope des solidarités, cest aussi veiller à lavenir des politiques structurelles. La mise en place dune solidarité à léchelle régionale est lun des acquis essentiels de la construction européenne, entre régions riches et régions pauvres, entre zones prospères et zones en déclin.
Lun des enjeux de lélargissement sera de conserver cette solidarité, dinscrire cette cohésion au coeur de lEurope, alors même que lécart de prospérité au sein de lUnion va sensiblement saccroître. Dans ce but, il faut, dès à présent, réfléchir aux priorités que nous devons suivre. Quand plus de la moitié de la population européenne bénéficie des fonds structurels, la question se pose du sens dune solidarité tellement large quelle finit par se diluer et perdre sa vocation première. Nous avons eu récemment loccasion den discuter en Espagne, sous légide de Jacques Delors.
Les discussions actuelles sur le financement de lUnion pour les prochaines années et la réforme des politiques structurelles, « lAgenda 2000 », doivent être loccasion de commencer ce travail délicat mais nécessaire de rééquilibrage.
Nous savions que ces négociations seraient difficiles. Nous le voyons déjà. Nous ne pouvons écarter lhypothèse de moments de blocage, de crise même. Jétais à Bonn il y a quelques jours et je veux croire quun compromis sera finalement trouvé. Nous aiderons la présidence allemande à le trouver. Une chose est sûre, pour désamorcer cette bombe, comme la dit tout à lheure Henri Nallet, chacun des Etats membres, je dis bien chacun dentre eux, devra faire un pas en direction du consensus. Nul nen sera exonéré, nul ne sera sacrifié.
La France, pour sa part, est prête à cette démarche. Mais, autant nous sommes favorables à une réforme raisonnable de la PAC, autant il est hors de question que laccord que nous souhaitons se fasse à nos dépens, au travers du cofinancement, cest-à-dire de la renationalisation de la PAC.
2.Nous devons aussi, cest le second axe de mes réflexions, donner vie à lEurope des libertés et des sécurités, lEurope-puissance.
Comme vous, je suis persuadé que lEurope ne peut se résumer au champ économique et social.
Nous devons en faire un véritable espace politique.
Depuis le Traité de Maastricht, nous disposons dune architecture cohérente prenant en compte à la fois lambition dune politique étrangère et de sécurité commune et celle dun espace de liberté et de sécurité intérieure, les deuxième et troisième piliers. Conçus au départ comme de simples champs de coopération intergouvernementale, avec les limites que cela implique, ces deux domaines ont été renforcés par le Traité dAmsterdam. Pour autant, les faiblesses sont aujourdhui évidentes, autant que les raisons daller de lavant.
La faiblesse de la voix de lEurope sur la scène internationale est malheureusement une réalité. Les crises récentes, sur notre continent - je pense à la Bosnie, à la terrible situation au Kossovo - mais aussi aux crises à lextérieur, comme en Iraq, ont montré lampleur du chemin qui restait à parcourir. Face à nos partenaires américains, les Européens ont montré trop de divergences. Chacun se souvient des attitudes des uns et des autres.
Les dommages sont considérables dans nos opinions publiques, promptes à mettre en comparaison lagencement, impressionnant de précision, de lunion économique et monétaire, et les balbutiements de lEurope politique sur la scène internationale.
Les pistes à suivre sont connues. Certaines ont été ouvertes par le Traité dAmsterdam. Je pense par exemple aux « stratégies communes », qui permettront de définir, de façon globale, les relations de lUnion avec nos grands partenaires ou les zones géographiques proches de nous, de la Russie aux Balkans, de lUkraine à la Méditerranée.
Nous sommes aussi déterminés à ce que « Madame » ou « Monsieur PESC », le « Haut représentant » de lUnion pour la politique étrangère puisse être nommé dans les prochains mois, sous la présidence allemande, et, surtout, quil ou elle soit un véritable responsable politique, disposant de lautorité nécessaire.
Lémergence dune défense européenne sera un élément déterminant de cette ambition. Je suis, comme vous, convaincu que lintégration européenne resterait incomplète si elle noffrait pas, par une défense commune, lassurance à ses citoyens quelle peut contribuer aussi à leur sécurité extérieure.
On sait que les dernières années, voire les derniers mois, ont vu des avancées réelles. Je pense au développement des capacités opérationnelles de lUEO ou aux dispositions du Traité dAmsterdam.
Les Européens devront acquérir progressivement la capacité dagir militairement, grâce à une « agence de défense », qui pourrait résulter de lintégration de lUEO dans lUnion. Ils devront être en mesure dassurer la direction politique et stratégique dopérations. Il faudra, enfin, quils puissent développer, comme ils ont commencé à le faire, la base industrielle de cette défense commune.
Il doit être clair que cet effort européen ne saurait se faire au détriment de la cohésion de lAlliance atlantique, mais que chacun devrait au contraire y gagner, quil sagisse dun fardeau mieux partagé ou dun partenariat plus équilibré.
Par ailleurs, je ne méconnais pas les difficultés que ces évolutions pourront signifier pour certains de nos partenaires aux traditions différentes en matière de défense et aux statuts différents. Je me réjouis, à cet égard, de la dynamique enclenchée à Saint-Malo par la déclaration franco-britannique sur la défense européenne, qui affirme lobjectif dune capacité autonome daction des Européens appuyée sur des forces crédibles et dune capacité dévaluation, de renseignement et de planification, tout cela devant contribuer également à la vitalité dune Alliance atlantique rénovée.
Bien entendu, au-delà des instruments, rien ne se fera sans une volonté politique décisive des Etats membres de voir lUnion européenne exister et peser dans le champ de la sécurité et de la défense. Je veux faire le pari que cette prise de conscience se réalisera avec la même détermination que celle quil a fallu déployer pour que leuro voit le jour, quand nos pays ont préféré la réalité dune souveraineté partagée à lillusion dune souveraineté solitaire.
La monnaie et laffirmation politique de lEurope dans le monde sont dailleurs deux éléments complémentaires de la préservation de notre modèle politique, économique et social dans un monde globalisé dominé par une seule « hyper-puissance ». Ce nest quainsi que nous pourrons répondre au véritable besoin dEurope, que je ressens, et qui émane de tous ceux qui refusent un monde unipolaire et uniformisé.
Les libertés et la sécurité intérieure doivent être une autre orientation majeure de notre politique européenne. Là aussi, ladhésion des populations au projet européen ira de pair avec la prise de conscience progressive que léchelon européen peut représenter un « plus » pour elles.
Bien que beaucoup de chemin reste à parcourir en la matière, des étapes importantes, trop confidentielles, ont été franchies au cours des dernières années. Je ne citerai que les accords de Schengen visant à la suppression des contrôles aux frontières intérieures, la mise en place dEuropol, la coopération judiciaire en matière civile et pénale ou encore la coopération douanière. Le Traité dAmsterdam a consacré ces avancées en fixant clairement comme objectif la « mise en place dun espace de liberté, de sécurité et de justice » et en intégrant lacquis de Schengen.
Dune façon générale, le gouvernement français est résolu à faire avancer ces dossiers, à démontrer la pertinence et la légitimité dune action coordonnée de lUnion européenne dans ce domaine. Rendons nous à lévidence, les débats sur Amsterdam lont montré : plus aucun pays ne peut apporter seul une réponse à laction des mafias ou à lextension de la criminalité organisée, pas davantage quà la question des flux migratoires. Cest au travers de la coopération que nous résoudrons les problèmes.
Là comme ailleurs, je crois au partage de la souveraineté plutôt quaux fantasmes souverainistes, en souhaitant une action équilibrée entre les mesures destinées à assurer la sécurité des citoyens et celles permettant la mise en place dun espace de liberté européen.
Jen viens, pour terminer, aux réflexions qui doivent être menées sur les structures politiques de lEurope des dix ou vingt prochaines années, de lEurope à 30 vers laquelle nous allons.
3.Nous devons en effet renforcer lEurope tout en lélargissant.
Cette question, je le sais, a occupé vos débats de cette après-midi. Elle est pour moi fondamentale. Non seulement parce quil ny aura pas dEurope forte avec des institutions faibles, mais aussi parce que cette problématique est au coeur des interrogations des peuples européens sur leur avenir, sur la façon dont lespace européen peut se concilier avec leurs conceptions identitaires et nationales. Vous en avez aussi parlé ce matin.
Je crois que nous devons préférer, à un débat de principes, un peu vain, sur la question fédérale, une conception plus pragmatique, en faisant la part entre les responsabilités qui demeureront, en tout état de cause, nationales - ou régionales - et celles qui gagneront à être transférées au niveau européen.
Il existe, pour cela, la notion de subsidiarité, bien quun terme aussi abscons soit de nature à décourager les meilleures volontés ! Je crois plutôt, pour ma part, au concept de « fédération dEtats-nations », suggéré par Jacques Delors, qui me parait bien caractériser cette construction originale qui sétablit progressivement.
Pour donner chair et vie à ce concept, nous devons dabord rendre les institutions européennes plus efficaces et plus transparentes. La nécessité dune telle réforme se fait sentir aujourdhui, dans lEurope des Quinze, menacée par lunanimité paralysante. Elle sera tout simplement vitale en vue dune Europe à 25 ou 30.
Cétait, comme vous le savez, lobjectif principal de la Conférence intergouvernementale, qui sest réunie en 1996 et 1997 et a abouti au Traité dAmsterdam. Je ne ferai preuve daucune originalité, ou daucune sévérité excessive, en soulignant que, sur ce point, le Traité dAmsterdam, est un échec absolu. Louvrage doit donc être remis, sans délai, sur le métier.
Accroître lefficacité des institutions, cela veut dabord dire renforcer le rôle et le mode de désignation de la Commission européenne, notamment pour rehausser son profil politique. Une Commission plus efficace, plus collégiale, suppose notamment la maîtrise du nombre de ses membres. Il faudra sans doute accepter de nous limiter à un seul Commissaire par Etat membre, il faudra aussi introduire une hiérarchie, à linstar de ce qui se fait dans les gouvernements, entre commissaires et commissaires adjoints.
Pour des institutions plus efficaces, il est aussi nécessaire de revoir le fonctionnement du Conseil des ministres. Je pense au rôle du Conseil « Affaires générales », qui réunit les ministres des Affaires étrangères et des Affaires européennes, qui a perdu progressivement sa fonction originelle, mais essentielle, de coordination. Permettez-moi au passage dévoquer le rôle du ministre des Affaires européennes, en soulignant que je ne pense pas à moi mais à mes successeurs. Je partage lidée de Jacques Delors de rattacher le ministre des Affaires européennes au Premier ministre. Il ne sagit pas den faire un vice-Premier ministre, qui ne correspond pas à notre tradition, mais de lui permettre dexercer une double coordination, à la fois interne, car les questions communautaires imprègnent tout le champ intérieur, et externe, afin de « déblayer » régulièrement lAgenda à Bruxelles avec la Commission, pour reprendre lexpression de Jacques Delors. Quand faire cette réforme qui ne devra pas sappliquer uniquement à la France ? Le plus tôt possible après moi. Je précise, pour ma part, que je suis très heureux au Quai dOrsay.
Je pense plus largement à la multiplication injustifiée du nombre des formations ministérielles du Conseil. Je mentionnerai enfin, bien sûr, à la question centrale de la généralisation du vote à la majorité qualifiée, qui va de pair avec celle de la pondération des voix. Celle-ci devra être plus en rapport avec le poids démographique de chacun.
Nous ne devons cependant pas nous leurrer. Bâtir lEurope à 20, 25 ou 30, cela signifiera, de toute façon, un autre mode de fonctionnement quà 15. La question posée par Jacques Delors est dactualité. Tous les Etats ne pourront ou ne voudront pas mener les mêmes actions au même rythme. Il faudra prendre acte de cette diversité, notamment au travers des « coopérations renforcées », quinstitue le Traité dAmsterdam. Il sagira autant déviter lEurope « self-service », comme la appelée Jacques Delors, que limmobilisme. Sa proposition des deux cercles est intéressante.
Démocratiser, cela veut dire, enfin, renforcer la légitimité du Parlement européen. La question de son mode délection demeure posée, et je regrette à cet égard que la réforme ait été abandonnée chez nous. Je noublie pas aussi la réflexion sur lextension de ses pouvoirs et, dans le même temps, sur lassociation des Parlements nationaux à la construction européenne.
Le chantier est immense, et les difficultés rencontrées par la CIG ont montré la diversité des points de vue et des traditions au sein de lUnion. Il est pourtant bien clair que nous navons plus le droit à léchec. Nous serons donc très attentifs à la méthode à suivre. La présidence allemande devrait faire des propositions à ce sujet lors du Conseil européen de Cologne. Jen ai parlé, il y a deux jours, à Bonn. Jappuie pour ma part lidée dun Comité des sages, ou de la désignation dune personnalité, qui aura été titulaire dun grand poste à la Commission, et serait chargé délaborer une sorte de « rapport sur létat de lUnion », lequel déboucherait sur une nouvelle conférence intergouvernementale, tout cela devant aboutir avant 2001, pour nous permettre de proposer de conclure ou daller vers la conclusion dans de bonnes conditions - et la France le veut - les premières négociations délargissement.
Pour autant, il serait regrettable de nenvisager lélargissement que comme une contrainte quil sagirait de négocier avec le moins de répercussions négatives possibles.
Je ne mésestime pas, bien sûr, les défis de cet élargissement mais je le considère comme une chance historique pour lEurope, comme la dynamique qui, en faisant se rapprocher lUnion européenne de ses frontières « naturelles », peut lui donner tout son sens. Elargir lUnion à nos voisins dEurope centrale et orientale, cest parachever loeuvre fondatrice entamée au lendemain du second conflit mondial, contrainte pendant plus de quarante ans par le rideau de fer, et consolider la démocratie dans ces pays. Cest redonner son unité à lEurope qui a existé, sous une certaine forme, dès le XVIème siècle, quand elle était celle de lesprit et des grands marchands. Cest pourquoi, dailleurs, jai préférer parler de réunification de lEurope plutôt que dun élargissement supplémentaire.
Les négociations ont commencé avec un premier groupe de six pays. Dautres seront engagées plus tard. Nous sommes déterminés à poursuivre cette grande oeuvre de lélargissement, sans réticences mais avec beaucoup de volonté, sans démagogie mais avec réalisme et exigence. Aujourdhui, devant nos amis polonais et lituaniens ici présents, jai envie de dire deux choses à lensemble des candidats : à ceux avec lesquels les négociations ont commencé, de ne pas senfermer dans un débat sur la date dadhésion. Aux autres, que nous prendrons, le moment venu, la décision douverture des négociations sur la base du rapport de la Commission. Jajouterai enfin que nous, Français, ne pouvons oublier nos amis roumains et bulgares.
Vous avez compris, je lespère, dans quel esprit nous abordons ces échéances avec confiance, avec détermination, avec également un sentiment de responsabilité à la hauteur des enjeux. Une telle occasion ne se représentera peut-être pas de pouvoir façonner ainsi le devenir de notre continent. A nous de la saisir, ensemble, et de faire de lEurope, inspirée par la haute idée que nous en avons - car il ne peut y avoir dEurope sans puissance et générosité, comme lont dit Jacques Delors et François Bayrou aujourdhui -, le creuset des ambitions du siècle prochain, qui peut et doit être le siècle de lEurope.
Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)
Messieurs les Ministres,
Madame et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Cest un grand plaisir de me trouver aujourdhui parmi vous pour clôturer les Deuxièmes entretiens européens dEpernay. Je tiens tout particulièrement à remercier Bernard Stasi, qui reste, dans ses fonctions actuelles, un grand militant de lEurope, pour avoir eu linitiative de ce nouveau rendez-vous européen qui connaît, pour sa deuxième édition, un succès mérité. Je le remercie également pour laccueil quil nous a réservé dans sa ville.
Je regrette de navoir pu assister à lensemble de vos travaux mais il ma été rapporté quils avaient été animés et dune grande richesse. Comment aurait-il pu en être autrement, compte tenu de lexpérience des responsables politiques français et européens, rassemblés ici de manière informelle, et des éminents spécialistes de lEurope invités à débattre au plus près de lactualité européenne.
Il est devenu banal de la dire, mais je le répète : le moment que nous vivons est crucial pour la construction européenne. Leuro est entré en vigueur le 1er janvier ; le Traité dAmsterdam sera bientôt ratifié en mars. En fait, il lest pratiquement. En effet, le récent vote du Congrès sur la révision constitutionnelle a montré que plus de 80 % des parlementaires ne se rallient pas aux thèses souverainistes. Nous devons aussi, je lespère dici fin mars, trouver un accord sur la réforme du financement et des politiques structurelles pour les années à venir, le fameux « Agenda 2000 », puis mettre sur les rails la réforme des institutions nécessaire avant les futurs élargissements. Je noublierai pas de mentionner les élections européennes, le 13 juin prochain, après dautres orateurs aujourdhui. Ne nous trompons pas denjeu. Si certains veulent démontrer à cette occasion quel est le premier parti de France, les dernières élections en 1997 lon déjà fait. Pour moi, lenjeu est davoir un vrai débat européen. Le premier chiffre qui mintéresse est celui du taux de participation. Il y aura ensuite le renouvellement de la Commission. 1999 sera bien une année européenne.
Nous apercevons dautant mieux le chemin quil nous reste à parcourir pour donner un véritable sens à lEurope, une Europe plus politique, plus démocratique, plus sociale. Nous sommes, les uns et les autres, pris par la mécanique européenne, et jai la conviction, que nous avons un peu perdu de vue la logique, le but final de lentreprise, ce qui provoque doutes et interrogations dans nos opinions publiques.
Je souhaiterais donc vous exposer quelles sont les vues du gouvernement français sur létat actuel de la construction européenne et les pistes quil conviendrait de suivre pour lEurope du siècle prochain.
Je voudrais privilégier trois axes de réflexion :
1.Après leuro, lEurope doit devenir un véritable espace de progrès économique et social, une Europe des solidarités.
2.Nous devons donner vie à lEurope-puissance, lEurope des sécurités et libertés.
3.Nous devons enfin renforcer et démocratiser les structures de lEurope, afin de pouvoir lélargir vers ses frontières naturelles.
1.Nous devons dabord aller vers un véritable espace de progrès économique et social, lEurope des solidarités.
Vous avez consacré la matinée à ce thème, il nest donc pas besoin dinsister sur la tâche quont accomplie les gouvernants et les peuples européens pour être au rendez-vous de leuro, en temps et en heure, le 1er janvier 1999. Je souligne tout de même quil sagit là dun exemple unique de plusieurs Etats souverains décidant, dun commun accord, de partager un élément essentiel de leur identité afin de mener un projet commun, porteur despérances mais aussi générateur de craintes bien compréhensibles, que nous devons maîtriser.
LEurope peut véritablement saffirmer aujourdhui comme une puissance économique majeure. En cela, et cest la meilleure réponse que lon puisse donner à ses détracteurs, jai la conviction que leuro, loin dêtre un abandon de souveraineté, une abdication de la nation, représente au contraire la reconquête dune souveraineté, certes partagée, mais une souveraineté que nous avions perdue depuis des années avec notre seule monnaie nationale.
Nous pouvons en être dautant plus satisfaits que nous avons conscience dêtre parvenus à la naissance de leuro dans des conditions beaucoup plus conformes à la vision politique et économique de la France que lon aurait pu le craindre voici encore deux ans.
En effet, lampleur du chantier de leuro est telle que certains avaient pu finir par considérer la monnaie unique comme un but en soi, et non pas comme un instrument au service dune véritable politique européenne. Ce danger, que joserais qualifier de « super-monétarisme », nétait pas à négliger, je pense quil est aujourdhui largement écarté. Je crois aussi que la France y a beaucoup contribué.
Alors que leuro aurait pu se faire sans interlocuteur politique pour la Banque centrale européenne, le Conseil de leuro, conçu largement à notre initiative et à celle de Dominique Strauss-Kahn en particulier, est aujourdhui en place, et a vocation à devenir un véritable lieu de coordination des politiques économiques.
Je lisais dans « Le Monde » la tribune de Jean-Claude Fitoussi qui a participé à vos débats : « leuro est là et crapoto basta ». Ce nest pas comme cela que les choses se passeront.
Que mes propos ne soient pas mal interprétés : il nest nullement dans mes intentions de remettre en cause lindépendance de la BCE ou son rôle légitime de garant de la stabilité de leuro, ou encore la validité du Pacte de stabilité, pour lequel le parti auquel jappartiens na pas daffection particulière, mais simplement détablir un meilleur équilibre entre les différents objectifs.
Car la monnaie unique aurait pu se faire dans le seul environnement du Pacte de stabilité. Or, depuis limpulsion donnée, là encore à notre initiative, lors du Sommet dAmsterdam de juin 1997, les Quinze ont décidé de mettre laccent sur lEurope de la croissance et de lemploi.
Ce changement dorientation est fondamental. En effet, au-delà du succès technique et financier, indéniable, qui est déjà là, je suis convaincu que leuro ne réussira que sil est perçu par les citoyens de lEurope comme un instrument de progrès économique et social. Autrement dit, aussi longtemps quen Europe, coexisteront la ferveur financière que nous vivons et 16 millions de chômeurs, soyons bien conscients que la monnaie unique restera en quelque sorte « sous surveillance » ; je veux parler, bien sûr, de la surveillance des opinions.
Les enjeux sont clairs. LEurope de leuro doit dabord être celle de la croissance. Rien ne serait plus dommageable que la concomitance entre lentrée en vigueur de leuro et un affaiblissement durable de la croissance. Nous souhaitons donc que le Conseil de leuro soit le garant de politiques économiques tournées vers la croissance, face au nécessaire rôle de contrôle monétaire de la BCE.
Je pense, ensuite, que nous devons réfléchir plus avant à réactiver le programme de grands travaux contenus dans le livre blanc de Jacques Delors, qui avait trouvé une première traduction lors du Conseil européen dEssen, à loccasion de la précédente présidence allemande, mais qui na pas été mis en oeuvre, depuis lors, comme il aurait dû lêtre. Il y a, bien sûr, la question de leur financement. Diverses idées ont été émises comme un grand emprunt ou la proposition de M. Prodi dutilisation des réserves excédentaires des banques centrales. Il y a là, pour moi, un thème de réflexion dactualité.
Cette croissance confortée doit être mise au service de lemploi. Les objectifs fixés en novembre 1997, lors du Sommet spécial de Luxembourg, consacré à lemploi, que nous avions obtenu à Amsterdam, doivent être poursuivis : réduire le chômage des jeunes, réduire le chômage de longue durée, augmenter leffort de formation.
Le gouvernement auquel jappartiens souhaite que le « Pacte européen pour lemploi », dont le lancement a été décidé par le Conseil européen de Vienne, en décembre dernier, contienne bien des objectifs contraignants en matière demploi pour lensemble des Etats membres. Il constituera ainsi une étape nouvelle dans le rééquilibrage de lEurope que souhaitent nos opinions publiques.
Au-delà, nous souhaitons que lensemble des politiques de lUnion soient réorientées dans le sens dune meilleure prise en compte du critère de lemploi. Je pense aux politiques structurelles, je pense à la nécessaire coordination des politiques fiscales, dans un sens plus équitable et plus favorable à lemploi.
Cela mamène à évoquer le nécessaire renforcement de la dimension sociale de lEurope. Donner un sens à lEurope, cest en faire le lieu où pourront le mieux saffirmer les valeurs qui nous sont communes et qui peuvent forger notre identité : la solidarité sociale, légalité des chances, la recherche permanente de la meilleure articulation entre performance économique et cohésion sociale.
Le Traité dAmsterdam contient, chacun le sait ici, des insuffisances, mais il marque des avancées réelles dans ce domaine qui justifient quon le ratifie. Je viens dévoquer les objectifs fixés à Luxembourg, qui constituent en fait une application anticipée des dispositions du traité en la matière. Lautre avancée majeure est lintégration, dans le traité, du protocole sur la politique sociale et de laccord sur la politique sociale qui avaient été conclus par les Etats membres à lexception du Royaume-Uni.
Il nous faut cependant aller plus loin. La France a ainsi proposé à ses partenaires, au Conseil européen de Vienne, plusieurs pistes de discussion : lorganisation de la durée du travail, - je vous rassure, il ne sagit pas de faire les 35 heures partout mais cest un sujet commun - le principe dun salaire minimum dans chaque Etat membre, lélaboration de conventions collectives dans certains secteurs, par exemple celui des transports routiers, pour lequel des conflits sociaux récents ont mis en lumière la dureté des conditions de travail.
Nous avons également la volonté de travailler en faveur dun véritable dialogue social à léchelle européenne. Seule la concertation entre partenaires sociaux permettra de dégager des solutions adaptées, acceptables et applicables par tous les intéressés.
Agir en faveur de lEurope des solidarités, cest aussi veiller à lavenir des politiques structurelles. La mise en place dune solidarité à léchelle régionale est lun des acquis essentiels de la construction européenne, entre régions riches et régions pauvres, entre zones prospères et zones en déclin.
Lun des enjeux de lélargissement sera de conserver cette solidarité, dinscrire cette cohésion au coeur de lEurope, alors même que lécart de prospérité au sein de lUnion va sensiblement saccroître. Dans ce but, il faut, dès à présent, réfléchir aux priorités que nous devons suivre. Quand plus de la moitié de la population européenne bénéficie des fonds structurels, la question se pose du sens dune solidarité tellement large quelle finit par se diluer et perdre sa vocation première. Nous avons eu récemment loccasion den discuter en Espagne, sous légide de Jacques Delors.
Les discussions actuelles sur le financement de lUnion pour les prochaines années et la réforme des politiques structurelles, « lAgenda 2000 », doivent être loccasion de commencer ce travail délicat mais nécessaire de rééquilibrage.
Nous savions que ces négociations seraient difficiles. Nous le voyons déjà. Nous ne pouvons écarter lhypothèse de moments de blocage, de crise même. Jétais à Bonn il y a quelques jours et je veux croire quun compromis sera finalement trouvé. Nous aiderons la présidence allemande à le trouver. Une chose est sûre, pour désamorcer cette bombe, comme la dit tout à lheure Henri Nallet, chacun des Etats membres, je dis bien chacun dentre eux, devra faire un pas en direction du consensus. Nul nen sera exonéré, nul ne sera sacrifié.
La France, pour sa part, est prête à cette démarche. Mais, autant nous sommes favorables à une réforme raisonnable de la PAC, autant il est hors de question que laccord que nous souhaitons se fasse à nos dépens, au travers du cofinancement, cest-à-dire de la renationalisation de la PAC.
2.Nous devons aussi, cest le second axe de mes réflexions, donner vie à lEurope des libertés et des sécurités, lEurope-puissance.
Comme vous, je suis persuadé que lEurope ne peut se résumer au champ économique et social.
Nous devons en faire un véritable espace politique.
Depuis le Traité de Maastricht, nous disposons dune architecture cohérente prenant en compte à la fois lambition dune politique étrangère et de sécurité commune et celle dun espace de liberté et de sécurité intérieure, les deuxième et troisième piliers. Conçus au départ comme de simples champs de coopération intergouvernementale, avec les limites que cela implique, ces deux domaines ont été renforcés par le Traité dAmsterdam. Pour autant, les faiblesses sont aujourdhui évidentes, autant que les raisons daller de lavant.
La faiblesse de la voix de lEurope sur la scène internationale est malheureusement une réalité. Les crises récentes, sur notre continent - je pense à la Bosnie, à la terrible situation au Kossovo - mais aussi aux crises à lextérieur, comme en Iraq, ont montré lampleur du chemin qui restait à parcourir. Face à nos partenaires américains, les Européens ont montré trop de divergences. Chacun se souvient des attitudes des uns et des autres.
Les dommages sont considérables dans nos opinions publiques, promptes à mettre en comparaison lagencement, impressionnant de précision, de lunion économique et monétaire, et les balbutiements de lEurope politique sur la scène internationale.
Les pistes à suivre sont connues. Certaines ont été ouvertes par le Traité dAmsterdam. Je pense par exemple aux « stratégies communes », qui permettront de définir, de façon globale, les relations de lUnion avec nos grands partenaires ou les zones géographiques proches de nous, de la Russie aux Balkans, de lUkraine à la Méditerranée.
Nous sommes aussi déterminés à ce que « Madame » ou « Monsieur PESC », le « Haut représentant » de lUnion pour la politique étrangère puisse être nommé dans les prochains mois, sous la présidence allemande, et, surtout, quil ou elle soit un véritable responsable politique, disposant de lautorité nécessaire.
Lémergence dune défense européenne sera un élément déterminant de cette ambition. Je suis, comme vous, convaincu que lintégration européenne resterait incomplète si elle noffrait pas, par une défense commune, lassurance à ses citoyens quelle peut contribuer aussi à leur sécurité extérieure.
On sait que les dernières années, voire les derniers mois, ont vu des avancées réelles. Je pense au développement des capacités opérationnelles de lUEO ou aux dispositions du Traité dAmsterdam.
Les Européens devront acquérir progressivement la capacité dagir militairement, grâce à une « agence de défense », qui pourrait résulter de lintégration de lUEO dans lUnion. Ils devront être en mesure dassurer la direction politique et stratégique dopérations. Il faudra, enfin, quils puissent développer, comme ils ont commencé à le faire, la base industrielle de cette défense commune.
Il doit être clair que cet effort européen ne saurait se faire au détriment de la cohésion de lAlliance atlantique, mais que chacun devrait au contraire y gagner, quil sagisse dun fardeau mieux partagé ou dun partenariat plus équilibré.
Par ailleurs, je ne méconnais pas les difficultés que ces évolutions pourront signifier pour certains de nos partenaires aux traditions différentes en matière de défense et aux statuts différents. Je me réjouis, à cet égard, de la dynamique enclenchée à Saint-Malo par la déclaration franco-britannique sur la défense européenne, qui affirme lobjectif dune capacité autonome daction des Européens appuyée sur des forces crédibles et dune capacité dévaluation, de renseignement et de planification, tout cela devant contribuer également à la vitalité dune Alliance atlantique rénovée.
Bien entendu, au-delà des instruments, rien ne se fera sans une volonté politique décisive des Etats membres de voir lUnion européenne exister et peser dans le champ de la sécurité et de la défense. Je veux faire le pari que cette prise de conscience se réalisera avec la même détermination que celle quil a fallu déployer pour que leuro voit le jour, quand nos pays ont préféré la réalité dune souveraineté partagée à lillusion dune souveraineté solitaire.
La monnaie et laffirmation politique de lEurope dans le monde sont dailleurs deux éléments complémentaires de la préservation de notre modèle politique, économique et social dans un monde globalisé dominé par une seule « hyper-puissance ». Ce nest quainsi que nous pourrons répondre au véritable besoin dEurope, que je ressens, et qui émane de tous ceux qui refusent un monde unipolaire et uniformisé.
Les libertés et la sécurité intérieure doivent être une autre orientation majeure de notre politique européenne. Là aussi, ladhésion des populations au projet européen ira de pair avec la prise de conscience progressive que léchelon européen peut représenter un « plus » pour elles.
Bien que beaucoup de chemin reste à parcourir en la matière, des étapes importantes, trop confidentielles, ont été franchies au cours des dernières années. Je ne citerai que les accords de Schengen visant à la suppression des contrôles aux frontières intérieures, la mise en place dEuropol, la coopération judiciaire en matière civile et pénale ou encore la coopération douanière. Le Traité dAmsterdam a consacré ces avancées en fixant clairement comme objectif la « mise en place dun espace de liberté, de sécurité et de justice » et en intégrant lacquis de Schengen.
Dune façon générale, le gouvernement français est résolu à faire avancer ces dossiers, à démontrer la pertinence et la légitimité dune action coordonnée de lUnion européenne dans ce domaine. Rendons nous à lévidence, les débats sur Amsterdam lont montré : plus aucun pays ne peut apporter seul une réponse à laction des mafias ou à lextension de la criminalité organisée, pas davantage quà la question des flux migratoires. Cest au travers de la coopération que nous résoudrons les problèmes.
Là comme ailleurs, je crois au partage de la souveraineté plutôt quaux fantasmes souverainistes, en souhaitant une action équilibrée entre les mesures destinées à assurer la sécurité des citoyens et celles permettant la mise en place dun espace de liberté européen.
Jen viens, pour terminer, aux réflexions qui doivent être menées sur les structures politiques de lEurope des dix ou vingt prochaines années, de lEurope à 30 vers laquelle nous allons.
3.Nous devons en effet renforcer lEurope tout en lélargissant.
Cette question, je le sais, a occupé vos débats de cette après-midi. Elle est pour moi fondamentale. Non seulement parce quil ny aura pas dEurope forte avec des institutions faibles, mais aussi parce que cette problématique est au coeur des interrogations des peuples européens sur leur avenir, sur la façon dont lespace européen peut se concilier avec leurs conceptions identitaires et nationales. Vous en avez aussi parlé ce matin.
Je crois que nous devons préférer, à un débat de principes, un peu vain, sur la question fédérale, une conception plus pragmatique, en faisant la part entre les responsabilités qui demeureront, en tout état de cause, nationales - ou régionales - et celles qui gagneront à être transférées au niveau européen.
Il existe, pour cela, la notion de subsidiarité, bien quun terme aussi abscons soit de nature à décourager les meilleures volontés ! Je crois plutôt, pour ma part, au concept de « fédération dEtats-nations », suggéré par Jacques Delors, qui me parait bien caractériser cette construction originale qui sétablit progressivement.
Pour donner chair et vie à ce concept, nous devons dabord rendre les institutions européennes plus efficaces et plus transparentes. La nécessité dune telle réforme se fait sentir aujourdhui, dans lEurope des Quinze, menacée par lunanimité paralysante. Elle sera tout simplement vitale en vue dune Europe à 25 ou 30.
Cétait, comme vous le savez, lobjectif principal de la Conférence intergouvernementale, qui sest réunie en 1996 et 1997 et a abouti au Traité dAmsterdam. Je ne ferai preuve daucune originalité, ou daucune sévérité excessive, en soulignant que, sur ce point, le Traité dAmsterdam, est un échec absolu. Louvrage doit donc être remis, sans délai, sur le métier.
Accroître lefficacité des institutions, cela veut dabord dire renforcer le rôle et le mode de désignation de la Commission européenne, notamment pour rehausser son profil politique. Une Commission plus efficace, plus collégiale, suppose notamment la maîtrise du nombre de ses membres. Il faudra sans doute accepter de nous limiter à un seul Commissaire par Etat membre, il faudra aussi introduire une hiérarchie, à linstar de ce qui se fait dans les gouvernements, entre commissaires et commissaires adjoints.
Pour des institutions plus efficaces, il est aussi nécessaire de revoir le fonctionnement du Conseil des ministres. Je pense au rôle du Conseil « Affaires générales », qui réunit les ministres des Affaires étrangères et des Affaires européennes, qui a perdu progressivement sa fonction originelle, mais essentielle, de coordination. Permettez-moi au passage dévoquer le rôle du ministre des Affaires européennes, en soulignant que je ne pense pas à moi mais à mes successeurs. Je partage lidée de Jacques Delors de rattacher le ministre des Affaires européennes au Premier ministre. Il ne sagit pas den faire un vice-Premier ministre, qui ne correspond pas à notre tradition, mais de lui permettre dexercer une double coordination, à la fois interne, car les questions communautaires imprègnent tout le champ intérieur, et externe, afin de « déblayer » régulièrement lAgenda à Bruxelles avec la Commission, pour reprendre lexpression de Jacques Delors. Quand faire cette réforme qui ne devra pas sappliquer uniquement à la France ? Le plus tôt possible après moi. Je précise, pour ma part, que je suis très heureux au Quai dOrsay.
Je pense plus largement à la multiplication injustifiée du nombre des formations ministérielles du Conseil. Je mentionnerai enfin, bien sûr, à la question centrale de la généralisation du vote à la majorité qualifiée, qui va de pair avec celle de la pondération des voix. Celle-ci devra être plus en rapport avec le poids démographique de chacun.
Nous ne devons cependant pas nous leurrer. Bâtir lEurope à 20, 25 ou 30, cela signifiera, de toute façon, un autre mode de fonctionnement quà 15. La question posée par Jacques Delors est dactualité. Tous les Etats ne pourront ou ne voudront pas mener les mêmes actions au même rythme. Il faudra prendre acte de cette diversité, notamment au travers des « coopérations renforcées », quinstitue le Traité dAmsterdam. Il sagira autant déviter lEurope « self-service », comme la appelée Jacques Delors, que limmobilisme. Sa proposition des deux cercles est intéressante.
Démocratiser, cela veut dire, enfin, renforcer la légitimité du Parlement européen. La question de son mode délection demeure posée, et je regrette à cet égard que la réforme ait été abandonnée chez nous. Je noublie pas aussi la réflexion sur lextension de ses pouvoirs et, dans le même temps, sur lassociation des Parlements nationaux à la construction européenne.
Le chantier est immense, et les difficultés rencontrées par la CIG ont montré la diversité des points de vue et des traditions au sein de lUnion. Il est pourtant bien clair que nous navons plus le droit à léchec. Nous serons donc très attentifs à la méthode à suivre. La présidence allemande devrait faire des propositions à ce sujet lors du Conseil européen de Cologne. Jen ai parlé, il y a deux jours, à Bonn. Jappuie pour ma part lidée dun Comité des sages, ou de la désignation dune personnalité, qui aura été titulaire dun grand poste à la Commission, et serait chargé délaborer une sorte de « rapport sur létat de lUnion », lequel déboucherait sur une nouvelle conférence intergouvernementale, tout cela devant aboutir avant 2001, pour nous permettre de proposer de conclure ou daller vers la conclusion dans de bonnes conditions - et la France le veut - les premières négociations délargissement.
Pour autant, il serait regrettable de nenvisager lélargissement que comme une contrainte quil sagirait de négocier avec le moins de répercussions négatives possibles.
Je ne mésestime pas, bien sûr, les défis de cet élargissement mais je le considère comme une chance historique pour lEurope, comme la dynamique qui, en faisant se rapprocher lUnion européenne de ses frontières « naturelles », peut lui donner tout son sens. Elargir lUnion à nos voisins dEurope centrale et orientale, cest parachever loeuvre fondatrice entamée au lendemain du second conflit mondial, contrainte pendant plus de quarante ans par le rideau de fer, et consolider la démocratie dans ces pays. Cest redonner son unité à lEurope qui a existé, sous une certaine forme, dès le XVIème siècle, quand elle était celle de lesprit et des grands marchands. Cest pourquoi, dailleurs, jai préférer parler de réunification de lEurope plutôt que dun élargissement supplémentaire.
Les négociations ont commencé avec un premier groupe de six pays. Dautres seront engagées plus tard. Nous sommes déterminés à poursuivre cette grande oeuvre de lélargissement, sans réticences mais avec beaucoup de volonté, sans démagogie mais avec réalisme et exigence. Aujourdhui, devant nos amis polonais et lituaniens ici présents, jai envie de dire deux choses à lensemble des candidats : à ceux avec lesquels les négociations ont commencé, de ne pas senfermer dans un débat sur la date dadhésion. Aux autres, que nous prendrons, le moment venu, la décision douverture des négociations sur la base du rapport de la Commission. Jajouterai enfin que nous, Français, ne pouvons oublier nos amis roumains et bulgares.
Vous avez compris, je lespère, dans quel esprit nous abordons ces échéances avec confiance, avec détermination, avec également un sentiment de responsabilité à la hauteur des enjeux. Une telle occasion ne se représentera peut-être pas de pouvoir façonner ainsi le devenir de notre continent. A nous de la saisir, ensemble, et de faire de lEurope, inspirée par la haute idée que nous en avons - car il ne peut y avoir dEurope sans puissance et générosité, comme lont dit Jacques Delors et François Bayrou aujourdhui -, le creuset des ambitions du siècle prochain, qui peut et doit être le siècle de lEurope.
Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)