Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, en réponse à une question sur la politique de lutte contre le sida, à l'Assemblée nationale le 30 novembre 2005.

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Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,

Je voudrais d'abord remercier l'Assemblée nationale et son président d'avoir bien voulu mettre l'accent sur cette importante journée nationale.
En effet, la lutte contre le sida a été déclarée Grande cause nationale de l'année 2005, et je tiens à saluer, ici, l'engagement du collectif national. Grâce au travail remarquable accompli par les associations, par les professionnels de santé, par les chercheurs, nous avons obtenu un certain nombre de succès dans le domaine de la prévention, qu'il s'agisse de la propagation du virus chez les usagers de drogue, qu'il s'agisse de sa transmission de la mère à l'enfant, ou lors de transfusions sanguines. Ces succès ne doivent pas nous faire oublier la réalité de la situation. Le sida tue encore aujourd'hui dans notre pays, et nous assistons à une augmentation des comportements à risque.
Il s'agit d'une épidémie active. Dans presque un tiers des cas, le diagnostic révèle une infection de moins de six mois. Chaque année, 6.000 à 7.000 personnes découvrent leur séropositivité. Il y a actuellement en France 100.000 personnes séropositives. L'arrivée de nouveaux traitements et la baisse du nombre de décès ont pu donner le sentiment d'une atténuation de la dimension tragique de cette épidémie. Pour beaucoup, pour beaucoup trop de nos concitoyens, et en particulier pour les jeunes, le sida est devenu une maladie chronique presque comme une autre. Ce manque de vigilance s'accompagne d'une ignorance croissante des modes de transmission. Cette recrudescence des comportements à risque intervient alors même que l'Etat consacre des moyens considérables à la prévention. Chaque année, 64 millions d'euros y sont affectés. Alors que faire ?
Il faut d'abord repenser les outils de la politique de prévention. Sous la responsabilité de X. Bertrand, le Gouvernement veut agir dans trois directions. Première direction : refuser la banalisation et mieux informer sur la gravité de cette infection, ce qui veut dire des actions et des campagnes beaucoup plus ciblées. À une prévention généraliste, nous devons préférer des messages choisis et ciblés en direction des populations les plus exposées. Je pense aux milieux homosexuels où l'on constate une augmentation des comportements à risque et où l'on recense un quart des nouveaux diagnostics. Je pense aussi aux populations migrantes, en particulier les femmes originaires d'Afrique subsaharienne, mais aussi aux populations habitant des zones où les associations sont peu présentes. Nous devons enfin faire le nécessaire pour prévenir les contaminations en prison.
La deuxième direction, c'est repenser la politique d'éducation sexuelle en général et notamment à l'école. Face au relâchement des comportements de prévention, notamment chez les jeunes et chez les personnes séropositives, nous devons poser plus largement la question des rapports entre homme et femme, entre partenaires, et du respect qui doit fonder toute relation.
La troisième direction, c'est travailler en étroite collaboration avec les associations. Depuis vingt ans, elles ont joué un rôle déterminant dans la prise en compte des problèmes liés au sida. Je tiens à saluer l'engagement et le dévouement de tous ceux qui se mobilisent au quotidien, pour soutenir les malades et leurs proches, et pour sensibiliser l'ensemble des Français. Leur expérience nous est précieuse, et je souhaite qu'elles puissent nous faire part de leurs propositions, pour rendre la prévention de proximité plus efficace encore.
Au-delà du développement des outils de prévention, nous devons aussi changer notre regard sur la maladie. Aujourd'hui encore, les discriminations s'ajoutent à la souffrance de la maladie. Trop de regards se détournent, trop de peurs et d'ignorance provoquent des attitudes de rejet. Pour les malades et pour leurs proches, c'est une douleur supplémentaire et un sentiment d'exclusion. Nous ne pouvons accepter que les séropositifs ne soient pas considérés comme des citoyens à part entière dans notre pays. La lutte contre les discriminations encourues par les personnes séropositives ou bien malades du sida sera une priorité pour notre action en 2006. X. Bertrand est pleinement mobilisé dans ce domaine, en lien avec la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Il a notamment demandé à M. Belorgey, président de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat, de dresser un bilan des dispositifs en faveur de l'accès à l'assurance et à l'emprunt des personnes présentant un risque de santé aggravé. Il lui a également demandé de lui faire, à brève échéance, de propositions pour améliorer la situation.
Nous devons également renforcer notre action en faveur de la recherche. Nous disposons, avec l'Agence nationale de la recherche sur le sida, d'un outil dont l'efficacité et la qualité scientifique sont internationalement reconnues. Son budget, qui augmentera en 2006 de 5 %, s'élève à 44 millions d'euros, et permet à la France d'être présente dans tous les champs de la recherche contre le sida : la recherche fondamentale, la recherche clinique, avec le financement et la promotion d'essais thérapeutiques, mais aussi la recherche vaccinale. Avec une pause de dix mois, l'Agence nationale de la recherche sur le sida a annoncé, le 28 novembre, qu'elle reprenait son programme de recherche d'un vaccin préventif contre le sida. Elle a mis en place un réseau important et structuré des essais vaccinaux.
Bien évidemment, nous devons lier étroitement nos efforts avec ceux de tous nos partenaires. L'Agence nationale est aussi le chef de la coopération européenne dans le domaine de la recherche clinique. Elle soutient aussi de nombreux projets de recherche dans les pays en développement. Près d'un quart de son budget y est consacré. Six pays principaux - le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso, le Cambodge, le Vietnam et le Brésil - bénéficient ainsi de financements pérennes en termes d'équipements, d'infrastructures, mais aussi de personnels.
Nous devons enfin nous mobiliser en faveur des pays en développement. Vous l'avez rappelé, c'est une nécessité, c'est un grand enjeu, car le sida représente un risque majeur sur le plan international. Plus de 40 millions de personnes vivent actuellement avec le VIH ; 3 millions de personnes en meurent chaque année, dont 500.000 enfants. C'est un drame sanitaire, un drame humain, un drame social qui frappe avec une dureté particulière les pays les plus pauvres. 90 % des Africains et 70 % des Asiatiques qui auraient besoin d'anti-rétroviraux n'y ont pas accès encore aujourd'hui.
Pour lutter contre ce fléau, la France agit dans trois directions, sous l'impulsion décisive du président de la République. La première direction, c'est le financement international de la lutte contre le sida. Le besoin annuel s'élève à 15 milliards d'euros par an, en matière de prévention et d'accès au traitement. La France consent un effort considérable et elle a choisi de le faire dans le cadre multilatéral du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Elle doublera en deux ans sa contribution à ce fonds, pour la porter à 300 millions d'euros en 2007, et elle deviendra ainsi le premier contributeur mondial dans la lutte contre le sida.
La deuxième direction, c'est la propriété intellectuelle. En août 2003, la France a joué un rôle déterminant à l'OMC, dans la conclusion de l'accord instituant un système de licence obligatoire extraterritoriale. Il permettra aux pays pauvres d'obtenir les médicaments dont ils ont besoin au prix le plus bas possible. Cet accord est en cours de transposition dans les Etats membres de l'OMC et au plan communautaire. La troisième direction, c'est la création de moyens de financement innovants. Le président de la République a proposé aux pays industrialisés une contribution internationale de solidarité sur les billets d'avion. Cette taxe sera mise en ?uvre en France le 1er juillet prochain. Elle permettra de recueillir 200 millions d'euros, qui seront notamment affectés à la lutte contre le sida. La Grande-Bretagne et le Chili se sont d'ores et déjà engagés à appliquer un dispositif analogue. La concertation se poursuit afin que d'autres pays prennent part à ce financement innovant. Une conférence internationale se tiendra à Paris fin février, pour décider de l'affectation de ces sommes qui permettront de changer d'échelle dans l'achat de médicaments pour les pays pauvres.
Vous le voyez, un gros travail a été engagé. A cette heure, face à de nouveaux risques, nous devons encore accroître notre effort, tous ensemble.

(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 2 décembre 2005)