Interview de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, à France 2 le 30 novembre 2005, sur la journée mondiale du sida, la prévention contre le sida et la lutte contre les discriminations pour les malades atteints d'affection de longue durée.

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Média : France 2

Texte intégral

F. Laborde - Bonjour à tous. Avec X. Bertrand, ce matin, nous allons parler de cette journée mondiale du sida qui a lieu demain. Mais avant d'évoquer cette journée, je voudrais revenir avec vous, monsieur le ministre, sur cette affaire qu'on vient de voir, à l'instant dans le journal, ce petit garçon, Nicolas, six ans, qui souffre d'un cancer au visage. Il y avait une sorte de divergence entre un médecin qui le soigne, le professeur madame Delepine, et puis une autre équipe. Finalement, on le soigne. Vous avez suivi vous-même personnellement ce dossier ?
R - Oui, depuis samedi soir, nous avons été saisi de cette affaire qui est profondément émotionnelle. C'est vrai que, bien évidemment, on est avant tout dans une relation entre le patient, le petit Nicolas, ses parents et les soignants. Il faut que la confiance soit là. On s'aperçoit qu'au-delà de ce qui s'est passé ces jours derniers, Nicolas va pouvoir être opéré aujourd'hui. Ses parents, je le pense, sont rassurés par cette opération. C'est ça le plus important.
Q - Vous avez voulu faire en sorte qu'on tienne compte, justement, du souhait des familles, même si on sait que le pronostic concernant ce petit garçon n'est pas très favorable à l'avenir ?
R - C'est avant tout aux médecins de le dire. Je crois que ce qui était important, c'est que les parents puissent trouver une solution pour une prise en charge médicale. C'est fait aujourd'hui. Mais c'est vrai qu'on est avant tout dans la relation entre le patient et le soignant. Ils ont voulu un peu lancer cet appel au secours avec la justice, ils nous ont saisis également au ministère. Le plus important, c'est qu'il puisse être opéré aujourd'hui.
Q - Vous avez eu des conversations directes avec les parents de Nicolas, régulièrement ?
R - Ils ont été reçus à mon cabinet, au ministère, lundi matin. Il y a eu aussi des contacts avec l'Agence régionale d'hospitalisation pour qu'on puisse trouver une solution. La solution est là, elle est médicale, c'est le plus important.
Q - Et il n'y a pas eu de retard, finalement ?
R - Il y a eu 24 heures de retard entre une intervention qui devait avoir lieu hier, mardi, et qui a lieu aujourd'hui.
Q - Revenons maintenant au sida, puisque je le disais, c'est la journée mondiale du sida demain. Les chiffres concernant l'évolution sont quand même assez effrayants : 7.400 contaminations nouvelles en 2004. Des contaminations qu'on pourrait éviter, c'est ça qui est épouvantable, parce qu'il suffit d'utiliser, j'allais dire un préservatif dans les rapports sexuels.
R - La progression est inquiétante et ça doit nous amener, plus de vingt ans après la découverte du sida, à bien redire les choses : c'est que le sida est toujours là, le sida progresse et que le sida tue toujours.
Q - Et le sida ne se guérit pas en dépit des progrès qu'on a pu faire avec la trithérapie.
R - Il y a eu, certes, les trithérapies mais il faut savoir que le sida est toujours là et le sida tue, et que pourtant nous pouvons agir contre le sida. Nous pouvons agir contre le sida avec un mot : la prévention, la protection. C'est un message qu'il est important de rappeler en permanence. Tout le monde doit le rappeler : les pouvoirs publics, le Gouvernement - ce que nous faisons - les associations qui le font également très bien, mais on doit tous être mobilisés sur cette prévention. Cela veut dire qu'il faut faire plus en matière de prévention. Nous allons doubler les campagnes d'information et nous allons davantage aussi les cibler. Une communication générale, une communication plus ciblée. Il faut rappeler qu'à l'occasion des rapports sexuels, notamment des premiers rapports sexuels, il faut se protéger, il faut mettre un préservatif. Il faut être fidèle au préservatif.
Q - Il faut dire aux jeunes filles et aux jeunes gens que, pour la première fois, ils utilisent systématiquement des préservatifs parce qu'il y a des contaminations la première fois et en une fois.
R - Même si l'amour est là, il faut se dire qu'il faut se protéger et c'est un point qui est particulièrement important parce que si l'on évite justement cette contamination, on n'a pas le sida, c'est ça qui est important. Il n'y a aucune fatalité à voir le sida à progresser, aucune. Mais seulement, il faut se protéger et il nous faut, nous, rappeler ces impératifs de prévention.
Q - Cette contamination, elle touche encore essentiellement les rapports homosexuels ou pas ?
R - Oui, mais pas seulement. Il faut savoir que nous avons besoin d'une communication générale et qu'on peut informer sans stigmatiser qui que ce soit. C'est vrai que dans la communauté homosexuelle, nous avons vu que dans les nouveaux cas qui ont été déclarés, il y avait une proportion importante. Il y a aussi les femmes d'origine subsaharienne, de l'Afrique subsaharienne, qui sont contaminées. Et puis, aussi chez les jeunes. On s'aperçoit que les efforts de communication sont très importants. Il y a donc la prévention, la protection bien évidemment et puis il faut aussi lutter contre la banalisation. La banalisation à la fois des messages et puis aussi la banalisation de la maladie. On ne peut pas et on ne doit pas banaliser le sida. Ce qu'il est important aussi de rappeler, c'est qu'il y a des idées reçues qui sont effarantes concernant le sida. Une enquête qui a été réalisée en 2004 montre, tenez-vous bien, que pour 38,5 % des personnes interrogées, on peut être contaminé par le sida en donnant son sang, ce qui est faux ; que pour 20 % des personnes, une piqûre de moustique peut transmettre le sida ; que pour 16 % des personnes, on peut être contaminé par le sida en allant dans les toilettes publiques ; et que 8 % des personnes pensent qu'en buvant dans le verre d'une personne contaminée, on peut être contaminé par le sida. Tout ceci est faux. Aujourd'hui, avec la sexualité, c'est quand on a des rapports non protégés qu'on peut être contaminé.
Q - Donc, il faut se protéger.
R - Il faut rappeler les choses.
Q - Il faut distribuer des préservatifs, les mamans doivent le faire.
R - Et continuer à baisser aussi le prix des préservatifs, les préservatifs masculins, les préservatifs féminins également parce qu'il faut, je le disais, être fidèle au préservatif. Mais, il y a la prévention et puis il y a aussi la prise en charge des malades.
Q - Alors, justement, de ce point de vue, vous me disiez qu'il y a un dispositif qui concerne le sida et toutes les maladies longue durée que vous voudriez réactiver, si je puis dire.
R - Oui, il y a la prévention, il y a la prise en charge des patients, il y a notre action internationale, et il y a la lutte contre les discriminations. Il est intolérable aujourd'hui dans notre pays que les personnes qui sont par exemple séropositives n'aient plus accès dans les mêmes conditions soit au logement, soit à un emploi ou alors au crédit, à l'assurance. C'est quelque chose, quand on n'est pas concerné, qui semble assez lointain. Mais vous avez des personnes qui sont par exemple locataires de leur appartement, qui se trouvent face à la maladie, qui surmontent la maladie et qui ne pourront jamais devenir propriétaire parce que personne ne leur prêtera l'argent. Même s'ils ont des salaires importants, personne ne leur prêtera. Il faut aujourd'hui que les banques et les assurances jouent le jeu. Et je vais vous dire ma conviction, ça n'est pas complètement le cas aujourd'hui. Il y a une convention Belorgey depuis 2001, qui normalement doit permettre d'accéder au crédit à toutes les personnes qui sont malades. Un séropositif, c'est quelqu'un qui est par exemple avec une affection de longue durée. J'ai rencontré monsieur Belorgey, qui était le père de cette convention, en lui disant très clairement que soit nous arrivons à une situation dans laquelle banquiers et assureurs jouent vraiment le jeu, si ce n'est pas le cas, il faudra changer la règle pour que ce type de discrimination disparaisse dans notre pays. C'est intolérable.
Q - Cela veut dire qu'on pourra aller à la banque qu'on soit, encore une fois, malade du sida ou d'une autre...
R - D'une autre maladie.
Q - Ca concerne toutes les maladies de longue durée ?
R - L'ensemble des maladies longue durée. Quand vous êtes quelqu'un qui par exemple fait le don d'un de ses organes, eh bien il faut savoir qu'on ne traitera pas de la même façon pour accéder au crédit. C'est quand même impensable !
Q - Je voudrais quand même passer à un autre thème qui étonne parfois. On a vu que deux ou trois sociétés qui fabriquent du yaourt avaient passé un accord avec des mutuelles pour faire, entre guillemets, ou prendre en charge les valeurs de cet alicament. Alors, est-ce que vous en tant que ministre de la Santé, vous êtes choqué, vous êtes content ? Est-ce que nous ne craignez pas qu'à un moment donné, il y ait un peu de confusion des genres. Parce que manger du beurre ou du yaourt, quand on veut faire un régime alimentaire, de toute façon le beurre ce n'est pas bon, quel qu'il soit ?
R - Vous avez trouvé le terme : confusion des genres. Il ne faut pas faire croire que des alicaments sont des médicaments. Aujourd'hui, deux choses : les mutuelles complémentaires - et j'ai pris contact avec un certain nombre d'entre elles, hier, pour savoir leur position - vont s'engager dans la prévention. Mais la prévention c'est prendre en charge de vrais actes de prévention. Et pour déterminer ce qu'est un acte de prévention utile pour la santé, c'est aux scientifiques, c'est aux médecins de nous le dire. Ce sont les procédures qui sont mises en place. Là, pour les alicaments, ça n'a rien à voir. Et puis, maintenant, pour l'industrie agroalimentaire, je souhaite surtout qu'elle s'engage à nos côtés, à mes côtés pour lutter contre l'obésité parce que là il a tant à faire. Et je souhaite qu'elle joue le jeu de ce nouveau cadre qui est mis en place, que sur l'ensemble des publicités, ils acceptent que passe aussi ce message - pour rappeler un certain nombre de règles élémentaires - qu'il y a des aliments, des pratiques qui sont bonnes pour la santé, d'autres qui le sont moins. Eh bien je souhaite que tout le monde joue le jeu. Là, je pense que c'est un terrain beaucoup plus prometteur et qui sera plus utile pour la santé publique.(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 décembre 2005)