Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, avec SIC TV, sur les troubles en banlieue, les négociations autour du budget de l'Union européenne et sur les relations franco-portugaises, à Lisbonne le 14 novembre 2005.

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Circonstance : Déplacement à Lisbonne (Portugal), le 14 novembre 2005

Média : SIC TV

Texte intégral

Q - Dans les derniers jours, il y a eu des confrontations dans les banlieues des principales villes françaises. Avez-vous des indications sur le fait que des Portugais aient pu être mêlés à ces confrontations ?
R - Je vous rassure. Nous n'avons aucune difficulté avec la communauté portugaise qui est forte, nombreuse et vivante en France. Elle est d'ailleurs très bien intégrée. Maintenant, nous sommes vraiment tous ensemble. Il y a très longtemps que les Portugais sont venus en France, et même s'ils sont toujours très attachés à leur pays ils font partie maintenant, comme d'autres personnes de l'Union européenne, des personnes avec lesquelles nous avons de très bonnes relations. Il n'y a pas du tout d'indications selon lesquelles il y aurait des difficultés avec cette communauté.
Q - Pensez-vous qu'il y a des raisons de craindre pour la sécurité de la communauté portugaise en France ?
R - Non plus. Je n'ai eu aucune indication d'incidents ou de difficultés. Les choses prennent maintenant un tour plus apaisé. Il le faut, cela est nécessaire. Le préalable à tout est le respect de la légalité et le retour au calme.
Q - Savez-vous quelles sont les origines de ces problèmes ?
R - Les origines des phénomènes que nous avons vus, je voudrais pouvoir en parler au passé, sont diverses, nombreuses et souvent enracinées dans le passé. Trop, hélas, de jeunes se trouvent aujourd'hui, peut-être, manquant de repères dans la société, confrontés à des difficultés aussi, dans leur éducation, dans la vie sociale, dans l'insertion, dans la vie professionnelle, à des discriminations. Il faut faire en sorte que chacun, en France, puisse avoir accès à l'égalité des chances qui est au coeur du pacte républicain. Nous devrons faire davantage d'efforts, c'est un problème de longue haleine, à la fois dans ses causes et dans les remèdes qu'il faudra y apporter.
Q - Changeons de sujet. Le cadre budgétaire 2007-2013 de l'Union européenne. En simplifiant, on dit que le secret ou la clé pour résoudre les difficultés qui existent encore pour cette négociation, c'est une différence d'opinion entre la France et l'Angleterre. Pensez-vous qu'il y ait une possibilité de trouver une solution d'ici décembre ?
R - Avant tout, je voudrais dire combien il est important que les Européens, tous ensemble, à 25, nous parvenions à trouver un accord sur le budget. Il y a à la fois une nécessité et une urgence parce que tous nos pays ont besoin de savoir où ils vont. Nous avons aujourd'hui un budget, mais il faut faire sans tarder celui pour la période 2007-2013. Nos deux pays et la plupart des autres avaient fait beaucoup d'efforts lors du dernier Conseil européen qui s'est penché sur cette question au mois de juin, pour parvenir à trouver un accord. Nous avions, en particulier, accepté la proposition de la présidence luxembourgeoise et une grande majorité d'entre nous l'avait fait : 20 pays sur 25, souvent, au prix d'efforts considérables, cela a été le cas pour la France. Nous avons accepté d'aller au-delà de ce que nous pensions faire au départ de la négociation et de contribuer plus largement avec 11 milliards d'euros supplémentaires de la part de la France pour le budget européen. Nous sommes prêts à faire cet effort si le paquet d'ensemble est bon, en particulier s'il permet de maintenir les politiques actuelles de l'Union européenne, notamment la Politique agricole commune (PAC) mais pas seulement la PAC, de développer des politiques nouvelles - nous pensons en particulier à tout ce qui est recherche et innovation, qu'il faut financer davantage - mais aussi maintenir les politiques de cohésion, nous en avons besoin, et permettre le financement de l'élargissement. C'est là que nous retombons sur la question plus difficile du chèque britannique, mais cela mériterait de longs développements, nous ne les ferons pas ici.
Q - Vous avez insisté pour qu'il y ait au moins une réduction du chèque.
R - C'est un paramètre dans la négociation. Le paradoxe de la situation aujourd'hui est que non seulement les raisons qui avaient pu justifier ce chèque dans le passé n'existent plus, donc plus rien ne le justifie, et surtout que le chèque britannique augmente d'année en année, au fur et à mesure de l'augmentation du budget de l'Union européenne, or il est pris en charge par ses partenaires. En particulier par nos 10 nouveaux partenaires, les 10 nouveaux Etats membres qui pourtant sont moins riches que nous et qui en payent une partie. Là, le Royaume-Uni ne paye pas sa juste part dans l'élargissement, - qu'il a voulu comme nous tous et qu'il fallait réaliser - qui doit être financé équitablement.
Q - Vous avez un problème très difficile maintenant sur la table, aussi, c'est la Constitution européenne. Les Français ont déjà dit non. Comment voyez-vous la situation, pourrait-il y avoir un nouveau référendum ?
R - Le peuple français, souverain, s'est exprimé et, en effet, aujourd'hui, la décision la plus sage a été prise par nos chefs d'Etat et nos chefs de gouvernement au mois de juin. Elle a consisté à permettre aux Etats qui le souhaitaient de poursuivre ce processus de ratification, parce que c'est la règle démocratique. D'ailleurs, depuis le mois de juin, plusieurs Etats membres ont ratifié le traité constitutionnel - elle permet aussi à ceux qui voudraient prendre un peu plus de temps de le faire en adaptant le calendrier et en profitant de cette période de réflexion, non pas pour ne rien faire, mais au contraire pour être plus actifs, pour faire que des politiques européennes efficaces soient mises en oeuvre. Le jour où l'Union marchera mieux, nos compatriotes, tous les citoyens européens comprendront mieux ce que leur apporte l'Europe. Là, peut-être, le moment venu, la question institutionnelle pourra se reposer, mais il faut d'abord que l'Europe montre qu'elle avance, qu'elle arrive à prendre des décisions et repasser, si je puis dire, la marche avant. Vous me posez une question précise : peut-on envisager que les Français revotent ? Je vous donne mon sentiment : je connais mes compatriotes, ils se sont exprimés, c'est la règle démocratique, mais si nous devions leur reposer la question, ils répondraient de la même façon. Donc restons sur la décision prise par les chefs d'Etat ou de gouvernement, refaisons le point peut-être dans un an et, là, nous évaluerons la situation.
Q - On parle beaucoup d'un certain refroidissement dans les relations entre le président Chirac et le président Barroso. Je voudrais savoir si vous confirmez cela et comment relancer ces relations ?
R - Il y a eu des difficultés ponctuelles, et, pour tout dire, une part de malentendu sur un dossier particulier. Il y a aussi des périodes de réchauffement. Il est important que le président de la République et le président de la Commission européenne, qui a un rôle capital en Europe, aient une bonne relation, parce que nous avons besoin de la Commission et d'une Commission forte pour dégager l'intérêt général européen. L'Europe marche bien quand chacun des trois pôles, des trois institutions joue pleinement son rôle : le Conseil, le Parlement européen et aussi la Commission. Nous souhaitons que la Commission puisse jouer un rôle d'impulsion, en particulier puisse jouer ce rôle qui est un rôle très politique au moment, comme aujourd'hui, où les Etats membres peinent à dégager des accords. Nous comptons beaucoup sur ce rôle, et du côté français je dois vous dire que nous avons salué très officiellement et très sincèrement la contribution faite par la Commission en amont du Conseil européen de Hampton Court, et celle qu'a faite la Commission sur la politique industrielle. Ce sont des exemples importants où la Commission joue son rôle d'initiative et de proposition au service de l'Europe. Nous saluons ce genre d'initiative.
Q - Quand on parle d'un certain niveau de politique, président Chirac, président Barroso, les relations personnelles sont aussi importantes ?
R - Elles sont importantes, mais je crois qu'elles sont bonnes. Il est vrai que sur un dossier particulier, qui est celui d'une affaire industrielle en France, Hewlett-Packard, nous avons souhaité que la Commission regarde non pas s'il fallait interdire les licenciements - ce n'est pas son rôle, ce n'est pas notre philosophie économique et ce n'est pas ce qui lui est demandé - mais regarde si le droit communautaire avait bien été respecté. De fait, nous travaillons avec la Commission, le gouvernement français et la Commission, mon collègue ministre du Travail et le commissaire Spidla, et il y a eu, grâce à ce dialogue aussi, des résultats positifs avec de nouveaux développements dans ce dossier particulier.(Source http://www,diplomatie,gouv,fr, le 24 novembre 2005)