Déclaration de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le contrôle et la transparence des marchés financiers, à Paris le 29 novembre 2005

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Circonstance : Clôture des entretiens de l'AMF à Paris, le 29 novembre 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai accepté de clôturer la deuxième édition des « Entretiens de l'AMF ». Je connais bien l'AMF, je sais d'où elle vient et je considère que sa création est un succès stratégique du Gouvernement, qui a permis de donner un axe central à la régulation des marchés. Encore fallait-il faire vivre ce succès, lui donner un caractère opérationnel. C'est chose faite depuis 2 ans et je tiens à en féliciter ceux qui animent l'AMF, au premier rang desquels son président et son secrétaire général, mais aussi son collège.
Gouvernance, contrôle et transparence sont des termes qui parlent au chef d'entreprise que j'ai été mais également au Ministre que je suis . Il y a plusieurs manières de les aborder, comme vos tables rondes l'ont démontré. En la matière, la théorie n'a de sens que si elle se reflète dans la pratique. C'est pourquoi je souhaite être très concret dans mes propos aujourd'hui. J'appliquerai ainsi un principe clé commun à la gouvernance, au contrôle et à la transparence : "faire ce que l'on dit et dire ce que l'on fait ". Ce principe guide mon action en tous domaines.
Je ne peux, en quelques minutes, balayer l'ensemble des sujets auxquels vous avez consacré une journée entière. Je vais concentrer mon propos sur nos acquis en la matière et sur plusieurs « points d'application » de la gouvernance, du contrôle et de la transparence.
(I. Les acquis, la dynamique pour l'avenir)
Au cours de l'année écoulée, nous avons accompli un très gros travail pour mettre les marchés français au niveau de régulation requis par le plan d'action européen sur les services financiers.
L'an dernier, à la même époque, vous vous félicitiez dans cette même enceinte que l'AMF ait adopté, un an après sa création, son règlement général, fournissant ainsi un document unique de référence à la Place. Depuis ? et cela faisait d'ailleurs partie du contrat ? nous ne l'avons pas laissé reposer. En effet, et notamment grâce à la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie que j'ai eu l'honneur de présenter et défendre au Parlement cet été, nous avons rattrapé notre retard en matière de transposition de directives. Nous prenons même, avec le projet de loi sur les OPA, un peu d'avance, ce qui nous pose en précurseurs ? j'y reviendrai tout à l'heure. Ce travail de transposition est parfois ingrat pour un Ministre, car sa visibilité est faible, mais je m'y prête bien volontiers car je sais combien son importance est grande pour la Place financière de Paris.
Je suis heureux de constater que l'AMF s'astreint au même rythme soutenu dans son effort de transposition des mesures d'application. Grâce à cet effort conjugué, nous serons en mesure de notifier à la Commission européenne la semaine prochaine la complète transposition des directives « Abus de marché » et « Prospectus ».
La question qui se pose à tous est évidente : faut-il poursuivre la dynamique ? Les pouvoirs publics doivent-ils s'abstraire de la tension qui existe entre bonne gouvernance et efficacité de la décision ?
A ces questions, je réponds que, bien évidemment, nous ne devons pas cesser de progresser. Peu importe l'exégèse de savoir si nous sommes encore dans une phase « post-Enron » ou déjà dans une phase « post post-Enron »? ce qui est certain, c'est que la demande de bonne gouvernance ira croissante. A nous d'influer pour qu'elle se mette en place de manière opérationnelle dans l'entreprise, et non au travers d'un pur formalisme qui biaise davantage les comportements qu'il ne les transforme en profondeur. Telle est en tous cas ma profonde conviction. La bonne gouvernance doit obéir au principe de bon sens, et non en tenir lieu.
A cet égard, je comprends des récentes déclarations du Commissaire Mc Creevy que la Commission proposera, d'ici la fin de l'année, une directive sur le droit des actionnaires, destinée à faciliter l'exercice des droits de vote transfrontières et à renforcer l'information avant et après l'assemblée générale. Cette directive pourrait recouper nos préoccupations actuelles qui sont d'améliorer la participation des actionnaires aux assemblées générales. C'est ainsi que nous avons commencé à mettre en ?uvre les recommandations d'Yves Mansion sur le fonctionnement des assemblées générales, en facilitant le vote électronique en AG. Voilà qui me paraît conjuguer bon sens et gouvernance !
C'est également par bon sens que nous avons décidé d'adapter les obligations issues de la loi de sécurité financière en matière de contrôle interne, afin de les réserver aux sociétés cotées, ou encore que nous avons adapté les obligations d'information découlant de l'appel public à l'épargne au marché de cotation, afin de tenir compte de la maturité de l'entreprise. Mieux ciblées, les obligations ont plus de chance d'être réellement utiles à la fois aux entreprises et aux investisseurs.
Mais ne comptez pas sur moi pour rester dans l'attentisme. La gouvernance doit progresser dans nos entreprises, sans quoi elles seront déstabilisées par les « coups de semonce » dont sont friands à la fois l'opinion et les marchés. La décision, que j'assume pleinement, de clarifier dans la loi les conditions de décision et d'information sur les rémunérations différées des dirigeants, en témoigne.
(II. Gouvernance, contrôle, transparence : quelques points d'application)
Vous avez consacré une partie de vos travaux aux questions de gouvernance qui sont posées dans le cadre des offres publiques.
C'est évidemment une question stratégique car une offre publique exerce une « tension » particulière sur la gouvernance, en posant la possibilité d'une rupture dans la continuité de la propriété et de la direction de l'entreprise. La France peut s'appuyer à cet égard sur une tradition ancienne de respect des actionnaires et notamment des actionnaires minoritaires. J'ai cherché un point d'équilibre entre cette tradition de démocratie actionnariale et le réalisme nécessaire face à l'acuité de la compétition entre acteurs économiques et l'accélération des mouvements de consolidation boursière. Le projet de loi sur les offres publiques repose sur un triptyque :
- la confirmation, voire le renforcement du rôle de l'assemblée générale : c'est elle qui prend les décisions en période d'offre ; c'est elle qui détermine à l'avance le contenu de l'exercice de la réciprocité. Corrélativement, il est bien clair dans mon esprit, comme dans celui du régulateur, que la clause de réciprocité doit évidemment avoir un vrai contenu en matière de capacité de défense. Sans quoi nous ne respecterions pas l'équilibre annoncé ;
- le respect des droits des actionnaires à s'organiser et à contracter : je ne souhaite ni imposer l'article 11 de la directive, ni encourager les entreprises à en faire usage. Notre cadre actuel offre en effet des garanties de transparence qui me semblent suffisantes ;
- enfin, la transparence : comme vous le savez, un amendement adopté au Sénat permet à l'AMF de solliciter les explications nécessaires en cas de rumeurs sur un titre. C'est une avancée positive dans l'intérêt des entreprises et du marché, et la meilleure leçon que l'on pouvait tirer des évènements estivaux.
Deuxième point d'application des questions de gouvernance sur lequel je souhaitais insister : la relation de l'entreprise avec son actionnariat populaire et, plus particulièrement, son actionnariat salarié.
Je fais partie de ceux qui considèrent que les entreprises devraient entretenir une relation plus « personnelle » avec leurs actionnaires. Je me méfie de l'illusion qu'on peut avoir, comme chef d'entreprise, de maintenir un contact avec ses actionnaires à l'issue de quelques road-shows qui ne sont que des face-à-face avec des analystes ou des fonds d'investissement. Or le capitalisme, qui, après tout, est bien le régime économique dans lequel nous vivons, est dénaturé par cette dépersonnalisation, et c'est parfois à bon droit qu'il est caricaturé.
La réforme en profondeur de la fiscalité des plus-values sur actions, qui est à l'examen de l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances rectificatif pour 2005, va dans le sens d'une relation dans la durée et qui peut donc être davantage personnalisée, identifiée. Il reviendra aux entreprises de nourrir cette démarche d'investissement, voire d'optimisation fiscale, avec un vrai contenu d'accompagnement stratégique, une relation de confiance.
De la même manière, le développement de l'actionnariat salarié, que le Gouvernement souhaite encourager, doit être pour nous l'occasion de lui donner toute sa place dans la gouvernance de l'entreprise. A cet égard, je me méfie d'un « mélange des genres » pratiqué dans de nombreuses entreprises, qui brouille les champs respectifs de l'action syndicale et de la représentation des actionnaires salariés. Nous devons tendre vers un système plus respectueux des principes de gouvernance, avec des représentants des fonds commun de placement élus ou au moins, à défaut, des porteurs de part en mesure d'exercer leur droit de vote. De la même manière, je suis favorable à la représentation des actionnaires salariés au conseil d'administration au-delà d'un certain niveau, mais à condition qu'il s'agisse d'élections directes, sans intermédiaires ou interposition de corps constitués. Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de nier le rôle des syndicats dans l'entreprise, mais de ne pas les placer en porte-à-faux. Les salariés actionnaires sont de vrais actionnaires et doivent être traités et respectés en tant que tels.
(III. Faire progresser la Place financière de Paris)
En conclusion de mon propos, je voudrais vous adresser un message mobilisateur. La Place financière de Paris est une réalité forte, un bien commun, dont nous sommes tous ? émetteurs, investisseurs, intermédiaires financiers, régulateurs, pouvoirs publics ? des participants et des bénéficiaires.
Il nous appartient, collectivement, de créer une discipline et une vision commune pour son développement et ce, d'autant plus à l'heure où des choix cruciaux apparaissent au niveau européen.
La Place financière de Paris dispose de réels atouts . J'entends de-ci de-là des plaintes, des critiques, des récriminations et je suis conscient que tout n'est pas parfait. Mais nous avons trop souvent tendance à oublier les formidables atouts dont dispose notre Place :
- des investissements directs étrangers importants : nous sommes au 4 ème rang mondial et ces investissements étrangers contribuent à près de 3,5% de notre PIB !
- une bourse, Euronext, qui est au meilleur niveau mondial et au c?ur de l'avenir boursier européen ;
- des banques au premier rang mondial : 3 banques françaises figurent parmi les 25 premières banques mondiales ;
- une position de leader européen pour les OPCVM, avec plus de 20% des parts de marché ;
enfin, une place de leader mondial pour les dérivés actions.
Ces positions de tout premier ordre sont facilitées par un dialogue fructueux entre le régulateur et les pouvoirs publics sur tout ce qui a trait à l'innovation financière, permettant le développement de produits et de techniques innovantes, comme les fonds alternatifs ou la titrisation. J'entends parfois des critiques sur la capacité du régulateur à s'adapter à l'évolution des techniques financières. Permettez-moi de remettre les choses à leur place :
- d'une part, en matière de régulation, l'objectif prioritaire que j'assigne à mes services - et j'invite constamment l'Autorité des marchés financiers à le partager - est de favoriser l'innovation financière. Je dis bien la favoriser, cela ne veut pas simplement dire "ne pas l'entraver".
- d'autre part, le dialogue entre la place et le régulateur doit se faire dans les deux sens : il ne sera fructueux que si vous nous faites part de votre vision prospective suffisamment en amont et si vous utilisez effectivement les nouveaux outils juridiques qui sont mis en place. A cet égard, la manière dont nous abordons ensemble les réflexions qui doivent se tenir au niveau européen sur le secteur de la gestion, est tout à fait cruciale. Je souhaite que l'industrie française de la gestion, qui est l'un des atouts de notre place financière, sorte renforcée et dynamisée de cet exercice.
La Place financière a donc des éléments de force incontestables et je compte sur vous, les acteurs de la Place, pour en être conscients, en être fiers et pour valoriser, de manière individuelle et collective, notre Place auprès de nos partenaires étrangers.
Pour autant, je sais que les activités financières, comme toutes les activités immatérielles, sont vulnérables :
- vulnérables au contexte macroéconomique avec la question du décalage entre la croissance de la zone euro et celle du reste du monde ;
- vulnérables face aux enjeux de compétitivité : nous savons tous que les arbitrages économiques, sociaux, fiscaux influent de manière considérable sur le développement de la Place ;
- vulnérables car les activités financières qui contribuent au financement de l'économie et constituent un secteur économique à part entière souffrent clairement d'un manque de reconnaissance.
Je tiens à vous dire que je suis conscient de ces enjeux et que je travaille sur ces sujets :
- la croissance économique : je me bat pour que notre politique macro-économique soit une politique de croissance et ce, sur le long terme,
- les enjeux de compétitivité sont pris en compte. Nous avons supprimé, au début de la législature, la contribution spécifique sur les institutions financières et créé le régime des impatriés? Aujourd'hui, nous venons de changer de braquet en réformant en profondeur la fiscalité sur les personnes et sur le patrimoine. Elle évolue dans un sens favorable à l'activité, à l'investissement et à la détention d'actions, toutes choses qui ne peuvent que s'avérer bénéfique pour le secteur financier et les personnes qui y travaillent.
- enfin, le développement d'une véritable industrie financière en France : l'Etat y contribue notamment à travers le développement des partenariats publics privés, l'introduction en bourse d'entreprises publiques qui contribuent à dynamiser le marché ou encore la création d'un régime juridique et fiscal favorable pour Alternext. Par ailleurs, la réforme des plus-values sur les cessions de valeurs mobilières sera bénéfique au financement des entreprises par le marché.
Ainsi, si nous sommes tous conscients de nos atouts et volontaires pour développer notre Place, rien ne pourra s'opposer à ce que notre place continue à croître et à prendre de l'importance dans la zone euro.
Je vous remercie. (Source http://www.minefi.gouv.fr, le 2 décembre 2005)