Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la complexité des missions de l'armée et sur l'éthique et le sens de la responsabilités nécessairers aux miltaires dans l'action, à Coëtquidan le 25 novembre 2005.

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Circonstance : Clôture des Journées internationales de Coëtquidan, le 25 novembre 2005

Texte intégral


Je remercie tout particulièrement André Flahaut pour sa présence à ces Journées
Internationales de Coëtquidan. Sa venue reflète notre souci commun de créer une culture
européenne de la défense. Cette culture européenne prend sa source dans notre culture
militaire commune, au c?ur de laquelle se trouvent les questions d'éthique.
Ce sujet ? cela n'aura échappé à personne ? revêt une dimension particulière compte tenu de
l'actualité récente. Qu'est-ce que l'éthique militaire ?
Le métier militaire, sans être au-dessus des autres, n'est pas un métier comme les autres.
Le militaire est investi de la capacité de détenir et d'user de la force. C'est sa
spécificité.
Engager le combat, parfois au prix de donner la mort et au risque de la recevoir : cette
mission exige d'entretenir au sein de l'institution militaire des spécificités par rapport à
la société civile. C'est ce qui justifie les règles particulières qui régissent le métier
militaire, qu'elles soient relatives à la disponibilité, à l'obéissance, à la discipline.
L'autre particularité des militaires est qu'ils agissent au nom de la République, au nom de
la France. Si la force qu'ils emploient est légitime, c'est que les militaires l'exercent
par délégation de la Nation, au nom de l'Etat. Leur action les engage bien au-delà de leur
propre personne. Elle engage aussi le pays pour lequel ils ont choisi de porter les armes,
et dont ils doivent aussi porter les valeurs.
Si la force qu'ils emploient est légitime, c'est aussi parce qu'elle est maîtrisée. Sa mise
en ?uvre se fait dans le cadre des règlements propres au statut militaire, du code pénal et
du droit international.
Pourtant, de plus en plus, nos armées interviennent dans des situations complexes, où
parfois le droit positif n'apporte pas toutes les réponses. L'éthique et la déontologie
militaire deviennent alors le fondement de leurs décisions.
Les théâtres d'opérations actuels posent avec une acuité croissante la question de la
maîtrise de la force armée.
La diversification des missions, l'intervention dans des situations qui ne sont ni la guerre
ni la paix, la multiplication des parties, rendent complexes les conditions actuelles
d'exercice du métier militaire. Je connais, pour l'avoir constatée sur place, l'ambiguïté de
ces opérations extérieures dans lesquelles nos militaires sont engagés.
Les notions d'ennemi, de bataille remportée, ne sont pas transposables à la plupart des
opérations. Il est aussi important de « gagner la paix » et de sauvegarder des populations
civiles, que de gagner la guerre.
Dans le même temps, l'idée que les progrès technologiques ont créé les conditions d'une
guerre « propre » est illusoire. Nos soldats peuvent être confrontés à des actes de
barbarie, à la mort, à des personnes pour qui la vie humaine importe peu.
Certes, dans l'action, le droit des conflits armés, et principalement les Conventions de
Genève, encadrent la décision. La réalité n'est pourtant pas si simple.
Dans les situations de tension extrême, les réponses se trouvent avant tout dans les
consciences, dans les fonds propres de références et de valeurs.
Lorsqu'il faut faire des choix immédiats, prendre des décisions qui peuvent potentiellement
faire courir des risques à d'autres, qui peuvent hypothéquer des vies, les dilemmes peuvent
être redoutables. L'hésitation ne figure pas au rang des possibilités. Le soldat qui, comme
tout être humain, a ses limites, doit pourtant appréhender avec sang-froid et maîtrise la
situation à laquelle il est confronté.
Dans ce cadre complexe, l'éthique et la déontologie sont indissociables de l'action
militaire.
Déontologie, éthique : deux concepts différents, deux exigences, deux références
indissociables. Déontologie et éthique sont complémentaires.
La déontologie constitue le code dont se dote l'institution pour encadrer collectivement ses
actions. L'éthique, c'est un ensemble de principes moraux qui guide la conduite de chacun.
La déontologie au sein des armées françaises prend la forme de textes, comme le statut
général des militaires ou le règlement de discipline générale, sur lesquels je ne reviendrai
pas. Elle s'appuie aussi sur des traditions séculaires héritées de notre riche passé
militaire.
Je m'arrêterai plus particulièrement sur l'éthique dans sa dimension personnelle. L'éthique
du militaire se nourrit de sa culture, d'abord, de son expérience aussi.
On touche ici au c?ur de la formation des armées. Elle se doit d'enseigner les règles de
conduite à tous. Elle a parallèlement la responsabilité de forger des consciences
individuelles fortes. C'est la fonction première de vos écoles.
Au-delà des acquis de la formation, la réaction personnelle de chacun face à l'événement
relève de l'éthique militaire.
Je me tourne ici vers les futurs officiers de l'armée française. Vous connaissez les lois,
les règles, les codes, les principes de comportement. Vous aurez le devoir de les appliquer.
Ce qui vous manque encore, c'est l'expérience opérationnelle, celle où vous serez amenés à
faire des choix. Vous n'aurez peut-être qu'une fraction de seconde pour décider.
C'est à ce moment-là que vous mesurerez la profondeur de vos convictions et l'importance de
votre éthique. Elle sera votre référence, votre boussole, votre garde-fou.
Votre honneur de soldat, c'est de faire le choix le plus juste. C'est bel et bien une
éthique de comportement, de responsabilité, de conviction. C'est ce qui donne un sens à la
vocation militaire, des repères dans les situations de crise.
J'insisterai particulièrement sur la notion de responsabilité. Elle est valable à tous les
échelons de la hiérarchie militaire. Chaque chef, comme chaque exécutant, à une
responsabilité face à l'action. Vous serez des chefs. A ce titre, vous exercerez une
responsabilité particulière. Il est nécessaire de s'y préparer, en vue de résister à la
pression des événements.
La responsabilité, c'est aussi assumer pleinement ses actes, qu'ils soient salués ou
sanctionnés. Décider de sanctionner, c'est parfois un mal nécessaire pour préserver l'image
de nos armées, pour sauvegarder la crédibilité de notre armée professionnelle, pour rappeler
que l'honneur du soldat ce n'est pas un vain mot, mais une réalité quotidienne pour nos
forces. Nos armées sont, je le rappelle, largement respectées, autant en France qu'à
l'étranger pour leur comportement exemplaire. Les manquements de quelques-uns ne peuvent
pas, ne doivent pas, faire oublier le professionnalisme, le courage et le dévouement des
militaires français.
Reconnaître publiquement une faute, c'est aussi souligner sa rareté. C'est faire savoir à
tous que ce que nous exigeons de nos soldats, nous sommes en droit de l'exiger des autres.
Ne nous méprenons pas : notre armée professionnelle n'est pas le dernier bastion de valeurs
qui auraient complètement déserté la société contemporaine. Les militaires ne détiennent pas
non plus le monopole de l'abnégation ou du dévouement au service des autres.
La Nation doit toutefois reconnaître la difficulté et la noblesse des missions
qu'accomplissent ses militaires, au service de sa sécurité et de la paix.
Ne nous voilons pas la face : l'affaire Mahé aurait pu entacher durablement cette image. Au
contraire, les décisions prises, la transparence dont nous avons fait preuve, l'unanimité de
la haute hiérarchie militaire, ont démontré que l'armée ne transige pas avec ses valeurs.
Que son éthique n'est pas à géométrie variable, mais bien la pierre angulaire de la
conscience du soldat, et de son action.
Vous qui êtes les officiers de l'armée de demain, vous devez saisir l'occasion qui se
présente aujourd'hui d'affirmer haut et fort votre attachement à l'éthique.
L'armée française sait sortir grandie des épreuves.
Je sais pouvoir compter sur vous pour le prouver. Pour cela, vous avez la confiance de la
France.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 29 novembre 2005)