Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, dans "Publico" du 15 novembre 2005, sur les discussions concernant le budget communautaire, la PAC et sur les négociations à l'OMC.

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Circonstance : Déplacement au Portugal les 14 et 15 novembre 2005

Média : Publico

Texte intégral


Q - Apparemment, les négociations des perspectives financières de l'Union européenne pour 2007/2013 n'avancent pas. Croyez-vous encore à un accord possible au Conseil européen de décembre ?
R - Oui, je le crois, parce ce qu'un accord est de l'intérêt de l'Europe. J'en ai discuté longuement aujourd'hui avec nos interlocuteurs portugais. Il est à la fois nécessaire et urgent de parvenir à un accord ; en partant de la proposition luxembourgeoise et en cherchant à l'ajuster. La Grande-Bretagne a la lourde responsabilité de faire avancer les choses, comme il revient à une présidence. Au sommet de juin, 20 des 25 pays ont accepté la proposition luxembourgeoise. Nous attendons maintenant les propositions concrètes des Britanniques.

Q - Vous avez parlé d'ajustements de la part de tous les pays. Quels pas la France est-elle disposée à faire ?
R - Parler de base de négociations suppose qu'il peut y avoir des évolutions. Un certain nombre de pays pensent qu'il est possible de financer à la fois les politiques communes qui existent, financer davantage un certain nombre de politiques que nous voulons développer et encore financer l'élargissement. La discussion se concentre sur l'innovation et la recherche. Dans la proposition luxembourgeoise il y avait déjà un saut important en termes budgétaires, plus 34%. Nous proposons d'améliorer cette base à travers un certain nombre d'idées qui ont été mises sur la table. Au dernier Conseil européen d'Hampton Court (27 octobre), le président de la République a proposé d'utiliser une facilité de la Banque européenne d'investissement pour ajouter de l'argent à l'innovation et la recherche. De plus, il y a des réflexions en cours à la Commission pour orienter dans ce sens un certain nombre de dépenses actuelles. Nous ne sommes pas fermés à cette réflexion.

Q - Mais la France est fermée en matière de Politique agricole commune (PAC). Une proposition de la Commission européenne pour trouver un compromis pour ce budget est une clause de révision de la PAC à partir de 2009. La France peut-elle accepter cela ? Pensez-vous que le Premier ministre britannique a également besoin de sauver la face ?
R - On le comprend tout à fait d'autant plus que c'était déjà ce qui était envisagé par la présidence luxembourgeoise , mais malheureusement refusé par la Grande-Bretagne.

Q - Mais il n'y avait pas une clause de révision de la PAC ?
R - Dans l'ultime proposition luxembourgeoise, il y avait une clause de révision générale, mais vous avez raison : il y a deux éléments importants pour parvenir à un accord, reprendre, d'une part, la proposition du Luxembourg comme base de négociation et, d'autre part, mettre sur pied une clause pour revoir en profondeur la structure des recettes et des dépenses du budget, avec un rendez-vous en 2010, en tout cas à une date à convenir. Nous pensons qu'il faudra plusieurs années pour parvenir à un accord sur cette révision avec pour comme objectif de la mettre en pratique en 2014.

Q - Vous pensez que cela suffit pour conforter la position britannique ?
R - Ce que je sais, c'est que la PAC a été réformée à plusieurs reprises qu'elle représentait 70 % du budget en 1984 quand Margaret Thatcher a exigé son "chèque", 60 % quelques années après, 40 % aujourd'hui, 33 % dans les propositions luxembourgeoises, que, nous, nous avons acceptées. La PAC coûte de moins en moins au budget communautaire, alors que le chèque britannique coûte de plus en plus et qu'il n'a jamais été réformé ; donc il est temps de le faire.

Q - Il y a un argument de la présidence britannique sur lequel je voudrais une réponse. Les Britanniques disent que même avec le "chèque" au niveau actuel, ils sont un grand contributeur pour le budget européen, un contributeur plus grand que la France et l'Italie.
R - Je vous réponds par les chiffres de la négociation. En acceptant la proposition luxembourgeoise, nous avons accepté de contribuer au-delà de notre contribution actuelle (11 milliards d'euros). Cela représente une dégradation de notre solde net, d'un peu moins de - 0,2 % à 0,36 %. En acceptant ces propositions, nous demeurons au même niveau que la Grande-Bretagne.

Q - Est-ce qu'on peut établir une relation entre la négociation sur le budget européen et les négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ?
R - Les deux négociations sont importantes pour l'avenir de l'Union et elles se déroulent selon un calendrier parallèle. La contribution de l'Union européenne aux négociations commerciales internationales ? c'est le mandat que nous avons donné à la Commission - c'est précisément la réforme de la PAC de 2003.

Q - Pas plus que ça ?
R - Elle constitue par là-même la limite du mandat actuel de la Commission pour les négociations.

Q - L'Union européenne peut-elle se permettre d'avoir la responsabilité de l'échec des négociations ?
R - Je ne partage pas du tout votre point de vue. L'Europe a été le seul ensemble commercial à faire des propositions concrètes.

Q - Les Etats-Unis aussi ?
R - Oui, une offre conditionnelle, pour autant que l'Union modifie son offre. Ce qu'elle a fait de façon conditionnelle, mais nos partenaires n'ont pas bougé. L'Union européenne est l'ensemble le plus ouvert au monde, le seul qui, depuis 2001 a éliminé toutes les barrières douanières aux exportations des pays plus pauvres et le seul à faire des propositions concrètes sur les négociations. Mais, paradoxalement, elle est la seule à être critiquée.

Q - Il y a certainement une raison pour cela ?
R - Je voudrais simplement qu'on revienne à la réalité des faits. Nous avons fait cette offre, nous attendons des réponses de la part de nos partenaires, à la hauteur de l'offre qui a été faite. Aujourd'hui malheureusement elles ne viennent pas. S'il n'y a pas de réponse, cette offre tombera.

Q - José Manuel Barroso vient de conclure un remaniement de la Commission européenne, très critiqué dans la presse française qui dit que la France continue de perdre son influence à Bruxelles. M. Barroso a déjà répondu que la France est encore le pays avec le plus de places au sommet de la hiérarchie communautaire. Quel est votre commentaire ?
R - Je suis d'accord avec le président de la Commission et je le remercie d'avoir fait un remaniement qui conserve pour la France ses 5 directeurs généraux et ses 5 directeurs généraux adjoints. La France n'a pas perdu en qualité - des postes -. Le commissaire des Transports étant de nationalité française, le directeur général ne pouvait continuer à être de la même nationalité, conformément aux règles européennes. En contrepartie, la France a reçu un autre poste ? la direction générale de l'Agriculture - qui n'est pas moins important. L'agriculture reste le premier budget communautaire.

Q - Il y a de toute façon une friction presque permanente entre la France et le président de la Commission. Cela veut dire que M. Barroso a déçu la France ?
R - Vous voyez que je n'ai aucune difficulté à être en accord avec le président de la Commission. Il y a bien sûr les points de désaccord entre nous, mais aussi de nombreux points d'accord. J'en citerais un exemple : lorsque le président de la Commission hier (dimanche), publiquement, a dit à la fois son espoir qu'un accord soit conclu (en décembre) sur les perspectives financières, mais également a souligné que la clé dans cette négociation sur le futur budget européen, c'était les Britanniques qui la détenaient. Il est arrivé, c'est normal, que la France et le président de la Commission ne soient pas spontanément d'accord sur tous les sujets. Cela traduit à la fois notre vision du rôle qui doit être celui de la Commission et nos attentes à l'égard de la Commission. A un moment où les Etats européens ont des difficultés à faire avancer l'Europe, il est très important que la Commission joue son rôle d'impulsion politique. Nous nous sommes réjouis de voir la Commission renouer avec ce rôle historique qui est le sien dans la construction européenne, par exemple dans la préparation de Hampton Court ou dans l'élaboration d'une politique industrielle.

Source http://www,diplomatie,gouv,fr, le 24 novembre 2005)