Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, notamment sur le rôle de la France dans l'arrestation des criminels de guerre en Bosnie-Herzégovine, le projet européen, le budget communautaire et sur la défense de la diversité culturelle , à Sarajevo le 18 novembre 2005.

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Circonstance : Déplacement en Bosnie-Herzégovine-conférence-débat à la Faculté de droit de Sarajevo le 18 novembre 2005

Texte intégral

Q - Ma question est liée aux forces françaises participant aux forces de paix, et je voudrais connaître leur position concernant l'arrestation des criminels de guerre. Vont-elles contribuer davantage à faire respecter la justice et remettre les informations dont elles disposent aux autorités de l'Etat, à savoir à la SIPA ? Merci.
R - La position de la France sur les criminels de guerre est sans aucune ambiguïté, je vous l'ai dit. La réconciliation ne se fera pas sans la justice, et donc il est indispensable que les criminels de guerre soient arrêtés et jugés par le TPIY. La France a toujours été disponible et reste disponible pour participer et contribuer au soutien à l'arrestation des criminels de guerre toujours recherchés. Et je redis qu'il est temps et que le plus tôt sera le mieux. Je vous rappelle que la responsabilité première de l'arrestation des criminels de guerre, d'après les Accords de Dayton, dont nous parlions, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, revient aux autorités du pays. Les forces présentes y contribuent, elles y ont contribué et continueront de le faire et avant que l'Eufor ne prenne la responsabilité de l'opération militaire en Bosnie avec un rôle permanent pour l'OTAN dans ce pays en particulier pour cette action, le contingent français, je dis ça de mémoire, mais les chiffres doivent être à peu près exacts, a arrêté lui-même environ un tiers des criminels de guerre qui ont été transférés à La Haye. Pour autant, ce n'est pas suffisant, il faut poursuivre et comme je vous l'ai dit, c'est une condition, ne vous y trompez pas, une condition absolue de l'intégration de la Bosnie-Herzégovine dans l'Union européenne. Et donc, peut-être faut-il, les uns et les autres, redoubler davantage d'efforts et comme je vous le disais, non seulement parce que la justice internationale le demande, parce que la justice tout court l'impose, mais aussi parce que c'est l'intérêt de votre pays de tourner la page. Vous rendrez service à votre pays, à vous-mêmes en achevant cette rupture avec le passé. Tout ce que vous ferez en ce sens, nous le soutiendrons.

Q - Comment voyez-vous, six mois après le référendum en France, le rejet de la Constitution européenne ? Et, même si cela ne relève vraisemblablement pas de vos compétences, quel regard portez-vous sur le problème de la minorité noire en France, les événements en France ? Quelles en sont les causes et comment peut-on régler la situation ?
R - Le 29 mai, nous en avons parlé il y a quelques instants avec le Premier ministre qui avait la sagesse d'en faire une interprétation somme toute positive, toute réalité a une face positive et une face négative, soyez-en convaincus et je lui ai dit également que le peuple français n'a pas rejeté la construction européenne, n'a pas rejeté le projet européen. Il a peut-être hésité sur une certaine façon qui est la nôtre de faire l'Europe, ou s'est interrogé sur le cheminement du projet européen, ce qui signifie que nous devons mieux expliquer les choses et prendre en compte les messages qui nous ont été adressés le 29 mai. L'un d'entre eux, je viens de vous le dire, c'est le rythme de la construction européenne, qui n'est pas remise en cause mais qu'il faut faire progresser tout comme votre cheminement devra se faire pas à pas. Et donc prenons ce message en compte pour mieux expliquer ce que nous faisons, qu'il faut davantage associer nos citoyens et là je parle des nôtres, au projet européen et aux décisions qui sont prises, mieux associer l'ensemble des citoyens européens qui, vous avez vu, au-delà de ce qui s'est passé en France, aux Pays-Bas, ont été nombreux dans plusieurs pays à s'interroger. Il faut aussi prendre aussi le temps nécessaire pour que la marche de l'Europe soit bien comprise de tous.
Sur votre deuxième question, la situation a déjà évolué et heureusement, parce que le retour au calme, le retour au respect de la légalité, de l'ordre était un préalable à toute action. Les choses, vous l'avez vu, vont mieux de jour en jour et quoi qu'il faille rester vigilant et prudent, nous le sommes, cette première phase est maintenant passée. Il reste tout le reste à faire, vous avez vu l'engagement du président de la République, l'engagement du Premier ministre et de tout le gouvernement à mener résolument un certain nombre d'actions qui permettront de corriger ou de prendre en compte certaines causes de ce phénomène et il faudra traiter, là aussi, avec patience et beaucoup de détermination, les questions relatives à l'éducation, au logement, relatives aussi à certaines discriminations qui malheureusement existent, il faudra témoigner là aussi d'un plus grand sens du respect mutuel. Et donc, voyez que ce que je vous disais ici pour vous-même, nous l'appliquons chez nous aussi pour nous-mêmes. Il n'y a donc pas de différences entre vous et nous sur la façon de conduire les choses. Une preuve de plus que nous sommes dans la même famille européenne.

Q - Pouvez-vous faire un commentaire concernant l'adoption ou la non-adoption du nouveau budget 2007-2013 et quelles en seront les implications éventuelles sur les accords relatifs à l'élargissement de l'Union européenne ?
R - Les discussions se poursuivent sous présidence britannique, car nous sommes actuellement sous présidence britannique jusqu'à la fin de l'année pour que l'Union européenne puisse parvenir à un accord sur les perspectives financières, c'est-à-dire le futur budget de l'Union européenne pour les années 2007 à 2013. Un accord avait été pratiquement conclu au mois de juin, mais ce n'est pas un accord. Je veux dire par-là que 20 pays sur 25 avaient accepté la proposition de la présidence d'alors qui était la présidence luxembourgeoise, et qu'il faut donc repartir maintenant de la base de négociation sur laquelle les 25 pays européens se sont quittés mi-juin, pour avancer et moyennant quelques ajustements, un accord devrait être possible. Alors, techniquement pour compléter ma réponse, nous attendons toujours des propositions précises de la part de la présidence britannique qui a la responsabilité de mener cette négociation, qui doit faire prochainement des propositions à ses partenaires, que nous attendons et dont nous souhaitons qu'elles soient bonnes, c'est-à-dire qu'elles soient de nature à permettre un accord. Mais je veux également vous rassurer : d'une façon ou d'une autre, l'Union européenne aura un budget, elle aura un budget dans une enveloppe que l'on cerne à peu près, même si nous n'avons pas pu encore déterminer si le budget de l'Union européenne représenterait 1,056 % du revenu national brut communautaire ou 1,0 quelque chose, les discussions ne portent plus que là-dessus. Et dans ce cadre de toute façon, les actions de l'Union européenne se poursuivront et même s'amplifieront pour ce qui concerne votre pays au fur et à mesure de son rapprochement vers l'Union, ceci n'est pas en cause et pour le moment, le fait que l'accord n'ait pas encore été trouvé pour le budget est notre problème, mais n'est pas et ne sera pas votre problème.

Q - Pourquoi la France, qui est la mère de la démocratie en Europe depuis la publication de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen, n'applique-t-elle pas la démocratie entièrement, étant donné que les étrangers ne sont pas égaux en droits avec les citoyens français ? Et est-ce que les étrangers et les citoyens français peuvent avoir une existence égale ?
R - Non, pas tout à fait. Précisément parce que les citoyens et les étrangers, ce n'est pas exactement la même chose et que notre tradition républicaine, comme dans toutes les démocraties, consiste à souligner la force du lien entre le droit de vote, la citoyenneté et la nation. C'est par-là que ce lien s'exprime. Mais ayant dit cela, je voudrais compléter ma réponse parce que les citoyens européens ne sont plus pour nous et depuis plusieurs années maintenant, des étrangers comme les autres, ce sont des citoyens européens. Et donc tous les ressortissants de l'Union européenne ont maintenant la possibilité de participer à la vie politique locale, de voter dans les élections locales et même d'être élus à certaines fonctions. Donc, là aussi je voudrais vous donner à la fois une idée de ce qui vous attend et de la marche à suivre, rejoignez-nous en Europe pour que la Déclaration des Droits de l'Homme soit encore mieux respectée et pour cela le gouvernement est prêt à vous aider, mais faites encore tous les pas nécessaires - il y en a encore quelques-uns uns, il faut se dire les choses en amitié, donc en vérité - avant que vous puissiez être membres de l'Union européenne, et donc ensuite, voilà, des citoyens européens. Moi je le souhaite.

Q - Croyez-vous que la politique consistant à donner des tâches difficiles aux pays qui attendent l'adhésion, est la meilleure solution ?
R - Il se trouve que je suis de nature plutôt optimiste, mais aussi volontariste sinon on n'a pas toujours des résultats suffisants. Je souhaite être les deux. La question n'est pas facile, nous n'avons ni les uns ni les autres toutes les réponses, mais peut-être une idée et une expérience. Une idée pour vous aider, parce que nous avons tous le souci de notre identité. Croyez bien que personne dans l'Union européenne, telle qu'elle existe, n'a envie de voir disparaître son identité, pas plus en France, qu'en Espagne ou ailleurs. Mais non seulement l'Union européenne je le disais, ce n'est pas la négation des identités, mais je voudrais aller plus loin que ce que j'ai dit, c'est parfois le meilleur moyen d'affirmer nos identités de faire qu'elles soient respectées. Je prends un exemple : nous venons d'achever à l'Unesco la rédaction et l'adoption d'une très importante convention qui est la Convention sur la diversité culturelle. Et qui vise à faire respecter les droits de la culture, à considérer qu'un livre ce n'est pas juste les 342 grammes du livre, mais d'abord et avant tout son contenu, que la culture n'est pas une marchandise comme les autres, que nos identités doivent être prises en compte dans les négociations commerciales internationales et dans l'ensemble des négociations internationales. Ce texte, qui est essentiel pour l'avenir de nos sociétés et de nos identités, a été adopté à une très, très large majorité d'Etats. Nous étions partis très peu nombreux, il y a quelques années, à le vouloir, souvent contre d'autres, à le souhaiter, à le pousser, et si nous avons pu réussir, et si donc nos identités seront protégées et respectées, c'est essentiellement selon moi pour une raison : c'est parce que les pays de l'Union européenne ont su s'unir. Tous n'avaient pas forcément la même sensibilité, ou le même point de vue dans les détails de la négociation, mais ont su s'unir et négocier en tant qu'Union européenne. Il ne fait pas de doute que si nous n'avions pas su nous unir, nous n'aurions pas eu les mêmes résultats. Je prends cet exemple pour essayer de faire réfléchir ceux qui pourraient encore hésiter, mais je crois qu'il y a tout de même des progrès depuis dix ans et qu'il y a de moins en moins de gens qui oublient de réfléchir alors qu'il y en avait beaucoup. Donc une idée, une réflexion pour bien toucher du doigt que ce que nous devons construire, c'est-à-dire l'Europe, qui est la plus formidable aventure positive du siècle, se fait dans le respect de nos identités, et même elle nous aidera à faire respecter nos identités. Voilà pour l'idée.
L'expérience maintenant. On peut voir en effet, comme toujours, les bons côtés ou les moins bons côtés de toute chose. On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, comme dit une expression française, alors on va essayer de le voir plutôt à moitié plein, sans oublier tout ce qui reste à faire. C'est un petit peu ce que j'ai essayé de vous expliquer tout à l'heure, mais pourquoi est-ce que je le dis de cette façon là ? On a vu au cours des années passées que la seule perspective européenne, le fait de savoir qu'il y avait l'objectif au bout d'un certain chemin, a eu des effets positifs, et que tous les pays concernés et les pays des Balkans, à des degrés divers, ont su emprunter ce chemin parce qu'il y avait cette perspective qui était, en elle-même, un levier. Là aussi tout de même, vous me pardonnerez de le faire, mais un petit coup de chapeau à la France. Parce que c'est sous présidence française, fin 2000, que nous avons mis sur la table les droits et les devoirs des uns et des autres. Ce que nous, pays déjà membre de l'Union européenne étions prêts à faire et ce que nous demandions, y compris la coopération avec le TPI qui est l'une des conditions cardinales, mais pas seulement. Et je crois que la démarche a eu le mérite d'éclairer la voie, de se donner des repères. Et de se donner un objectif. Je n'ai pas la solution magique, mais entre cette petite idée que je vous ai donnée et puis l'expérience des 5 années passées, pour ne pas parler des dix années passées, eh bien oui, moi je conclus en étant positive.

Q - Je souhaiterais saluer la ministre et la remercier. Nous entendons souvent répéter que nous sommes un pays spécifique. J'en ai assez de cette spécificité. Dans quelle mesure les représentants de l'Union persévèreront dans l'idée de la spécificité ?
R - Merci beaucoup, et merci d'avoir applaudi, cela veut dire que vous êtes nombreux à en avoir assez, et je trouve ça très bien, parce qu'il faut regarder l'avenir et se débarrasser du passé. Mais ça c'est plutôt vous que nous d'abord qui devez le souhaiter. Donc si vous êtes nombreux à le souhaiter, c'est déjà un très bon début. Nous, ce qu'on vous demande, c'est d'être des citoyens ordinaires d'un pays ordinaire, comme la France est un pays ordinaire, rien de négatif dans le mot "ordinaire". On vous le demande et on vous aide. Comment ? En vous montrant la direction, en vous disant si vous me le permettez, "donnant-donnant", voilà ce que vous devez faire, voilà ce que nous pouvons faire pour vous, voilà ce que nous pourrons faire encore mieux demain si vous progressez. C'est cela la démarche de Zagreb, il y a 5 ans. Les cartes sont sur la table, nous n'avons pas été passifs, vous non plus, lundi je crois que ce qui va se passer à Bruxelles est une étape très importante, je dis bien très importante pour votre pays. Parce que là, ça y est, vous mettez le pas dans l'avenir, il reste encore quelques petites choses à faire. Et ce n'est rien de le dire. Mais vous êtes dans des temps nouveaux. Alors, chacun maintenant doit faire un effort, mais vous aussi, je vous l'ai dit, je ne veux pas parler simplement d'une façon classique ou diplomatique, je vous ai dit aussi qu'il restait encore beaucoup de choses à faire, ça dépend d'abord de vous. Mais nous on est là pour vous aider, je vous le redis. Comme on l'a fait depuis des années. Nous France et nous membres de l'Union européenne, donc l'Union européenne. Mais pour résumer d'une formule, là aussi un autre proverbe français : "aidez-vous, le ciel vous aidera".

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 novembre 2005)