Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, dans "Le Figaro" du 10 décembre 2005, sur les discussions autour du budget communautaire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Q - Jacques Chirac a rejeté les propositions britanniques sur le budget européen. Tony Blair prédit, lui, des négociations "très dures". Dans ces conditions, un accord est-il possible la semaine prochaine au Sommet de Bruxelles?
R - Un accord est non seulement souhaitable mais possible si ? et seulement si ? la présidence britannique comprend qu'il lui faut réviser assez profondément ses premières propositions dans le sens de ce que lui disent ses partenaires. Tous ou presque ont réagi négativement à ses propositions en soulignant qu'elles ne pouvaient être acceptées. Les Britanniques en ont pris acte et doivent faire de nouvelles propositions. Pour permettre un accord, leur copie révisée devra mieux correspondre aux objectifs de l'Union.
Dans les premières propositions britanniques, les principes fondamentaux d'un budget européen n'étaient pas respectés, qu'il s'agisse de la solidarité, de l'équité ou de la prévisibilité. Sur le premier point, les propositions britanniques se caractérisaient par le fait que les pays les plus pauvres de l'Union européenne, ? qui ont le plus besoin de notre solidarité ? voyaient se réduire fortement les fonds qui leur étaient destinés. Le Royaume-Uni était pratiquement le seul à en tirer profit. Le deuxième principe - l'équité - n'était pas non plus pris en compte. Une Union européenne à 27 - incluant la Bulgarie et la Roumanie - nécessitera obligatoirement un financement plus important que dans le précédent budget. Chaque État membre doit y prendre sa juste part. Si le "chèque britannique" restait inchangé, cela conduirait le Royaume-Uni à s'exonérer du financement de l'élargissement. Ce n'est pas acceptable.
Le troisième principe ? celui de la prévisibilité ? constitue un acquis important permettant aux États membres de savoir où ils vont. Il serait extrêmement mauvais pour le fonctionnement de l'Union de s'engager dans une négociation budgétaire permanente. Il faut maintenir le principe de budgets pluriannuels, pour une période de 7 ans (2007-2013) :si on peut envisager une clause de révision, cela ne pourrait concerner que le budget suivant, à partir de 2014. Cela dit, nous sommes prêts à trouver une clause de révision qui corresponde au besoin de réforme du budget. Il faut, pour le budget suivant, avoir pu réexaminer la structure des recettes et des dépenses en mettant tout à plat, sans identifier un élément particulier. Un travail de plusieurs années sera nécessaire en amont de l'échéance de 2014 ? mais pour prise d'effet à partir de cette date. La proposition du Royaume-Uni de réviser le budget à partir de 2008 ? alors que la première année budgétaire est 2007 !? contrevient aux principes de prévisibilité et de stabilité.
Q - Souhaitez-vous qu'une remise en cause du "chèque" britannique, c'est à dire de son assiette même, intervienne avant le 15 décembre ?
R - Nous encourageons les Britanniques à y réfléchir sérieusement. Il est indispensable de trouver un mécanisme permanent pour modifier le mode de calcul du "chèque".
Selon la proposition britannique actuelle, il continuera à croître mécaniquement. Il y a donc un problème de principe au-delà même de la réduction partielle et temporaire que propose le Royaume-Uni. Une correction plus fondamentale du "chèque" devra donc avoir lieu pour les budgets suivants. En attendant, le Royaume-Uni doit, au minimum, prendre sa juste part dans le financement de l'élargissement. La proposition que nous avons faite consiste à sortir les dépenses d'élargissement du calcul de l'assiette du "chèque " : dans ce cas, la réduction du rabais britannique serait d'un peu plus de 14 milliards d'euros ? en n'en proposant que 8 milliards, elle fait une sérieuse économie sur le dos de tous les Etats membres, y compris des Dix. De plus et surtout, à défaut d'un mécanisme permanent, le "chèque" va rebondir à partir de 2014. Il faut donc trouver maintenant un mécanisme permanent de limitation du chèque qui pourra s'appliquer à tous les élargissements.
Q - Lésés par la proposition britannique, les nouveaux membres de l'Est sont surtout impatients d'aboutir à un accord budgétaire. En campant sur une ligne de fermeté, la France risque t-elle pas finalement de se les mettre à dos ?
R - S'il y a un risque d'isolement, c'est sur le Royaume-Uni qu'il pèse. Les arguments que je viens de souligner, notamment sur le mode de calcul du "chèque", le sont également par beaucoup de pays, y compris par l'Allemagne. L'absence d'accord budgétaire pénalise toute l'Union mais au premier chef nos dix nouveaux partenaires qui sont en train de faire des réformes fondamentales. Il serait inique de vouloir abuser de leur situation de faiblesse pour obtenir rapidement des décisions. Il faut un budget, certes, mais un budget bon et juste. Ce sont des membres à part entière de l'Union qui n'ont pas à recevoir d'aumône. Ils ont peu apprécié la référence à un nouveau Plan Marshall. Il faudrait à leur égard des gestes supérieurs à ceux qui leur ont été proposés dans la première proposition britannique. Néanmoins, l'introduction d'une certaine souplesse dans les règles budgétaires peut atténuer une partie de la réduction de l'impact négatif de la réduction du budget de l'élargissement.
Q - Mis en avant par la France, l'abaissement de la TVA pour certaines catégories professionnelles comme les restaurateurs ne risque-t-il pas de compliquer la négociation budgétaire ?
R - Nous aurions bien sûr préféré avoir depuis longtemps un accord sur les taux de TVA. Mais ne mélangeons pas les deux sujets. Sur la TVA, la question est de trouver un accord permettant d'appliquer des taux réduits dans certains secteurs, soit en prorogeant les dispositifs actuels, soit en en créant de nouveaux. La négociation sur le budget européen est une négociation en soi dont l'enjeu est le financement de l'Europe élargie.Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 décembre 2005