Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les discussions concenant le budget communautaire, la perspective d'une adhésion de la Macédoine à l'Union européenne et sur le taux de TVA, au Sénat le 14 décembre 2005.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement préalable au Conseil européen et débat sur cette déclaration, réponse aux interventions, au Sénat le 14 décembre 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères
Monsieur le Président de la Délégation pour l'Union européenne
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Comme le Premier ministre l'a indiqué dans son intervention hier devant l'Assemblée nationale, et comme l'a rappelé le ministre des Affaires étrangères il y a un instant, le Conseil européen de cette semaine est d'une importance capitale pour l'Europe. Vos différentes interventions montrent de façon plus qu'éloquente que vous partagez cette analyse.
Pour mieux répondre aux questions que vous avez posées, permettez-moi de vous dire, à mon tour, l'importance de notre débat aujourd'hui qui s'inscrit dans le cadre de l'association étroite de la Représentation nationale aux processus de décision européens que le gouvernement a entendu promouvoir, conformément au souhait du président de la République.
Philippe Douste-Blazy vous a rappelé les décisions prises. Moi-même je m'en réjouis. Elles sont importantes pour notre débat démocratique : sur ce point, je vous rejoins facilement, Monsieur le Sénateur Bret !
Je remercie aussi de leur intérêt ceux d'entre vous avec lesquels nous avons effectué ensemble il y a quinze jours un premier déplacement à Bruxelles. Poursuivons !
La Représentation nationale doit prendre toute sa part dans la construction européenne et je veux ainsi vous redire avec force que le gouvernement a besoin de votre soutien. Je remercie d'ailleurs les différents orateurs pour la qualité de leur intervention.
Revenons sur les questions à l'ordre du jour du Conseil européen, objet de ce débat, et auxquelles je me limiterai, donc.
1) Les perspectives financières, d'abord.
Vous l'avez tous dit, il s'agit de l'enjeu majeur de ce Conseil européen.
L'Europe politique que nous appelons de nos voeux, l'Europe forte et solidaire passe aujourd'hui d'abord par un budget. Car un budget exprime nos choix.
Comme vous le savez, l'enjeu de ces négociations 2007-2013 est bien le financement de l'Europe élargie. Nous avons besoin d'un budget qui permette de respecter les accords déjà passés (par exemple sur le financement de la PAC jusqu'en 2013), et nous y tenons tous, comme le président Vinçon et les autres orateurs l'ont souligné. Un budget qui permette aussi de lancer des politiques nouvelles ou des projets nouveaux (recherche, compétitivité), de répondre aux préoccupations concrètes de nos citoyens (sécurité, citoyenneté, justice), d'assurer le rattrapage économique et social des nouveaux Etats membres. Cela signifiera, concrètement, que la contribution de la France au budget augmentera. Nous le savons et sommes prêts à l'assumer si c'est pour un bon budget, correspondant à notre vision de l'Europe. C'est pourquoi nous avions accepté le paquet Juncker. Un bon budget, c'est un excellent investissement dans l'avenir, dans la stabilité et la prospérité du continent. Mais nous devons partager équitablement le coût de cet investissement.
Or les dernières propositions britanniques, que nous avons reçues il y a quelques heures, ne répondent pas, comme l'a dit Philippe Douste-Blazy, à ces exigences. Je vous confirme notre grande préoccupation. Les modifications apportées s'apparentent à un simple démarchage à l'attention de quelques-uns pour essayer d'emporter leur adhésion. Je dis des démarchages, je devrais dire des marchandages. Ce n'est pas ainsi que l'on fera un accord. Ce n'est pas non plus ainsi que l'on fait l'Europe !
Sur le "chèque" britannique, qui est, comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, la clé de la négociation, la présidence ne fait aucun mouvement, tant sur le mécanisme lui-même que sur son montant. Ainsi, les propositions sont identiques aux propositions précédentes qui ne constituaient pas une base de négociation, de l'avis général.
Je veux rappeler ici pourquoi le maintien en l'état du "chèque" n'est pas acceptable.
D'abord, plus rien ne le justifie aujourd'hui, vous l'avez dit, Monsieur de Montesquiou et Monsieur Bret. Le Royaume-Uni était en 1984 l'un des pays les plus pauvres de la Communauté (8ème/10), c'est aujourd'hui l'un des plus riches (3ème/25). La PAC représentait alors 70 % du budget européen, elle n'en représentera plus que 33 % en 2013. Les arguments de 1984 ne tiennent plus.
Ensuite, si rien ne change, et si le mécanisme du chèque n'est donc pas modifié, cela veut dire que son montant ne cesse de croître. En effet, comme le "chèque" correspond à un pourcentage du budget, à chaque fois que ce dernier augmente, le "chèque" augmente aussi mécaniquement. Ainsi, avec les propositions britanniques, il atteindrait plus de 50 Md d'euros sur la période 2007-2013, ce qui correspond quasiment au montant prévu pour le budget européen de la recherche dans les dernières propositions qui sont sur la table. Si les règles actuelles du calcul du "chèque" étaient maintenues, le Royaume-Uni serait exonéré de sa juste part dans le financement de l'élargissement. C'est pourquoi la France n'a eu de cesse de rappeler qu'une réforme du mécanisme du "chèque" britannique était essentielle, de façon à ce qu'au moins le Royaume-Uni prenne sa juste part dans le financement de l'élargissement, ce qui est l'intérêt de tous et pas seulement de notre pays.
Et cette réforme doit être durable : nous ne devons pas avoir à renégocier ce principe simple de solidarité financière à chaque nouvel élargissement.
Pour conclure sur les perspectives financières, disons donc les choses simplement et clairement : dans le futur budget de l'Union, le Royaume-Uni doit prendre sa juste part des dépenses d'élargissement. Tout simplement. Voilà la question clé. Elle doit en prendre sa juste part ; comme tous les autres Etats membres.
Or aujourd'hui comme hier, elle ne le fait pas. Le calcul actuel du "chèque" britannique ne la conduit pas à participer équitablement au financement de l'élargissement.
Dans sa proposition révisée, en effet, le calcul du "chèque" est inchangé. Dès lors, le Royaume-Uni ne participerait qu'au tiers de ce qui lui incombe des dépenses pour les nouveaux Etats membres, alors que tous ses partenaires en prendrait en charge 100 %. Est-ce normal ? Est-ce justifiable ? Et ce n'est pas un abattement forfaitaire et temporaire qui règle ce problème de principe.
Il est donc indispensable de revoir le mécanisme de calcul du "chèque", pour que chaque Etat membre prenne sa juste part des dépenses d'élargissement. Pour cela, comme le proposait la présidence luxembourgeoise en juin, comme nous l'avons également proposé la semaine dernière, il suffit d'enlever les dépenses d'élargissement de ce qui sert de base au calcul du "chèque". Nous ne sommes plus en 1984, l'Europe a changé, elle s'est élargie, tirons-en les conséquences.
J'appelle votre attention sur un dernier point : le montant de la réduction du chèque découlera de ce mécanisme de calcul nouveau, il n'a pas à être fixé à l'avance ou de façon discrétionnaire, il doit résulter de la nouvelle méthode de calcul.
Je souhaite donc que la proposition de la Présidence soit améliorée substantiellement sur ce point central : le Royaume-Uni doit prendre ses responsabilités dans le fonctionnement de l'Union élargie, qu'elle a voulu comme nous tous.
Je note que vous avez été unanimes et jusqu'à et y compris l'intervention du Sénateur Frimat. Je vous en remercie.
Vos interventions ont également porté sur d'autres sujets qui, pour la plupart, sont également inscrits à l'ordre du jour du Conseil européen
2) La Macédoine et l'élargissement de façon plus générale :
Je veux d'abord rappeler les progrès significatifs accomplis par la Macédoine, de son nom officiel provisoire "Ancienne République yougoslave de Macédoine", dans le cadre du processus de stabilisation.
Nous ne pouvons qu'encourager la Macédoine à poursuivre dans cette voie. Nous savons combien la perspective européenne est indispensable pour garantir la stabilisation de cette région, qui reste fragile comme en témoignent la situation au Kosovo et les débats entre la Serbie et le Monténégro. C'est en novembre 2000 que cette perspective a été reconnue, sous présidence française. Et je n'ai pas besoin de vous redire que c'est la France, sous l'impulsion du président de la République, qui a renversé le cours des choses dans les Balkans en 1995, en conduisant la communauté internationale à une autre attitude, plus digne et plus efficace à la fois. Pourtant je veux dire, en ce 14 décembre 2005, jour du 10ème anniversaire des Accords de Paris, que le président de la République a sauvé l'honneur de nos démocraties.
Mais avant de savoir s'il faut reconnaître à la Macédoine le statut de candidat, comme l'avis de la Commission du 9 novembre dernier nous y invite, nous devons prendre aussi en considération la situation de l'Union européenne et le projet que nous nourrissons pour l'Europe, prendre en compte la capacité d'absorption de l'Union, qui est un des critères de Copenhague. Philippe Douste-Blazy l'a très bien expliqué devant vous, comme il l'avait dit à nos partenaires lundi dernier à Bruxelles. J'ai entendu les interventions des présidents Vinçon et Haenel, et constate que cette préoccupation est partagée. Je vous ai écouté aussi avec attention, Monsieur de Montesquiou.
Nous avons eu lundi un premier débat sur ce sujet, ce n'est pas si fréquent ; il y en aura un autre en 2006. Nous l'avons souhaité et nous l'aurons, car au-delà du cas de la Macédoine, et comme vous l'avez dit, Monsieur le Sénateur François-Poncet, Monsieur le Sénateur de Montesquiou, il est aujourd'hui devenu capital d'avoir une vraie réflexion sur le processus d'élargissement en tant que tel. Ce débat devra porter sur les frontières de l'Union européenne et sur son identité, qui ne se réduit pas à une question de géographie d'ailleurs.
3) Sur la solidarité avec l'Afrique et les questions d'immigration, ce que vous a dit Philippe Douste-Blazy répond à votre intervention, Monsieur le Sénateur Bret.
4) TVA enfin :
Comme vous le savez, lors du Conseil Ecofin du 6 décembre, qui est en effet, Monsieur le Président Haenel, le conseil compétent, il n'y a pas eu de consensus. Ce sujet sera à l'ordre du jour du Conseil européen.
Comme l'a dit hier le Premier ministre, et comme vous l'a rappelé Philippe Douste-Blazy, la France est déterminée à obtenir un résultat concret. Et nous gardons comme objectif la possibilité d'obtenir rapidement un accord global à Bruxelles, qui permette de continuer à appliquer des taux réduits pour le bâtiment et les services à domicile et de pratiquer des taux réduits pour la restauration. Rappelons à nouveau que la baisse de la TVA à 5,5 % a créé plus de 40 000 emplois dans les services d'aide à la personne et dans le bâtiment. 40 000 emplois, Monsieur le Sénateur Retailleau, ce n'est pas "subsidiaire"? !
Par ailleurs, je rappelle qu'il est acquis qu'en l'absence d'accord avant le 1er janvier, nous maintiendrons le statu quo : nous ne serons pas obligés de relever les taux de TVA à cette date dans le secteur du bâtiment.
Mesdames, Messieurs, les Sénateurs,
Voilà les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter à la veille de ce Conseil européen qui, vous l'aurez compris, s'annonce difficile, même si je veux vous confirmer, une nouvelle fois, la détermination du gouvernement à trouver un accord sur le budget car sans budget, l'Europe n'avancera pas. Nous n'avancerons pas, Monsieur le Sénateur Badré !
Souhaitons donc, avec le Président Haenel, que "l'esprit européen" souffle demain et après demain à Bruxelles.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 décembre 2005