Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur le budget communautaire, la perspective d'une adhésion de la Macédoine à l'Union européenne et sur le taux de TVA, au Sénat le 20 décembre 2005.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil européen, audition devant la délégation pour l'Union européenne, au Sénat le 20 décembre 2005

Texte intégral


Je souhaiterais vous donner quelques informations sur le Conseil européen de jeudi et vendredi dernier à Bruxelles avant de répondre à vos questions.
Comme vous le savez le Conseil européen a été consacré quasi exclusivement à la négociation budgétaire, les perspectives financières pour les années 2007-2013 et j'y consacrerai donc l'essentiel de mon intervention. Je reviendrai ensuite brièvement sur les autres sujets du Conseil européen et vous dirai également un mot de la conférence ministérielle de l'OMC qui vient de s'achever.

I - Les perspectives financières :
Disons les choses simplement : l'Europe a désormais un budget pour la période 2007-2013 et il s'agit d'un bon budget pour l'Europe mais aussi pour la France. C'est d'abord ce sur quoi je souhaite revenir. Je vous dirai ensuite un mot sur la manière dont cette négociation s'est déroulée et sur le rôle qu'a joué notre pays.
Cette négociation revêtait une importance capitale pour l'avenir de l'Europe tout entière. En l'absence d'accord, l'impression d'une Union en difficulté aurait été évidemment renforcée. En même temps l'existence d'un tel risque, dont nous étions naturellement conscients, ne devait pas nous amener à accepter un accord à n'importe quel prix. Pour leur part, les nouveaux Etats membres étaient soucieux de ne pas être pénalisés dans leurs efforts par l'absence d'accord, ni par les insuffisances de la solidarité.

Il y a une semaine, lors de notre débat ici même au Sénat, j'avais rappelé les exigences auxquelles le budget devait répondre pour être acceptable :

  • tenir nos engagements à l'égard de nos nouveaux partenaires au nom du principe de solidarité ;
  • assurer le financement de l'Europe élargie de façon équitable, ce qui imposait de corriger le mécanisme du rabais britannique ;
  • permettre le financement des politiques communes dans le respect des accords déjà passés - par exemple sur le financement de la Politique agricole commune jusqu'en 2013 ;
  • permettre de développer les politiques nouvelles répondant aux attentes de nos concitoyens (recherche-innovation, sécurité, citoyenneté, justice) ;
  • assurer un budget pluriannuel, respectant le principe de stabilité et permettant à l'Union et aux Etats membres d'avoir la visibilité nécessaire sur la période.

Cette position avait recueilli un large soutien tant de la part du Sénat que de l'Assemblée nationale et le président de la République a pu ainsi aborder ce Conseil décisif fort de l'appui de la représentation nationale, de même, nous avions tous beaucoup investi ces derniers mois pour faire partager nos idées par nos partenaires, à différents niveaux. Je vois dans ces deux éléments des facteurs du succès.
Si un accord a été possible à Bruxelles, c'est bien parce que les propositions britanniques des 5 et 14 décembre, qui avaient profondément déçu et n'étaient pas à la hauteur du projet européen, ont été modifiées et rendues acceptables par tous. Quelles furent les inflexions apportées ?
- s'agissant des dépenses tout d'abord. Le budget s'établit à 862,363 milliards d'euros, ce qui correspond à 1,045% du PIB européen. Ce sont 9 milliards de moins que la proposition luxembourgeoise de juin - qui prévoyait 871,5 milliards -, mais ce sont 13 milliards de plus que la proposition de la présidence du 14 décembre à 849 milliards, qui représentait 1,03% du PIB européen. Par rapport à la reconduction à l'identique du budget 2006, les perspectives financières adoptées représentent environ 50 milliards de fonds supplémentaires pour l'Europe.
Ainsi, ce budget permettra d'assurer le financement de l'Europe élargie. C'est sa vocation principale et elle est respectée. L'Europe aura les moyens de ses ambitions. En effet, au titre de la politique de cohésion, qui représente un volume global de 308 milliards d'euros, les dix nouveaux Etats membres bénéficieront sur la période d'environ 157 milliards d'euros, soit 4,7 milliards de plus que dans la dernière proposition britannique. Les conditions du rattrapage économique, social et environnemental sont donc réunies, ce qui est l'intérêt de tous. Cela représente pour les nouveaux Etats membres parfois deux ou trois points de leur PIB, ce qui est important, évidemment.
Ensuite, le financement des politiques communes se trouve assuré.
S'agissant des dépenses de compétitivité (recherche, réseaux transeuropéens?), l'accord prévoit une enveloppe de 72 milliards d'euros sur la période. Cette proposition est identique à celle de la présidence luxembourgeoise en juin, que nous avions acceptée. Je rappelle que c'est dans cette rubrique que les dépenses de recherche augmentent de 33%. En outre, le Conseil européen a invité la Commission, en coopération avec la Banque européenne d'investissement, à examiner la possibilité d'augmenter le soutien à la recherche et au développement d'un montant de 10 milliards d'euros, comme cela avait déjà été proposé au mois de juin. Nous sommes donc désormais en mesure de développer ces politiques d'avenir qui permettront à l'Europe de gagner en compétitivité.
Par ailleurs, s'agissant de l'agriculture, l'accord confirme les décisions du Conseil européen d'octobre 2002 sur la fixation des dépenses de marché et des paiements directs jusqu'en 2013. En particulier, les crédits de la PAC "marché" ont été les mieux préservés de toutes les catégories de dépenses : il reste ainsi 293 milliards et la Commission nous a assuré que les aides directes seraient garanties. Cela devrait permettre près de 57 milliards de retours financiers pour la France sur la période. S'agissant des dépenses de développement rural, elles s'élèvent à 69 milliards, soit 3 milliards de plus que dans les propositions britanniques du mois de décembre, 69 milliards dont 6 milliards devraient revenir à la France.
- Venons-en au volet "ressources", c'est à dire essentiellement à la question cruciale du "chèque" britannique. Comme nous l'avions dit et répété, il s'agissait là de la clé de la négociation. Sans modification substantielle, aucun accord n'était possible puisque cela aurait abouti à ce que le Royaume-Uni ne prenne pas sa part normale des dépenses d'élargissement. Nous avons rallié de nombreux partenaires à cette position. Elle s'est imposée. Je veux saluer à ce propos le choix européen fait en définitive par le Premier ministre britannique.
Le résultat obtenu est réellement satisfaisant. Pour la première fois depuis 21 ans, le mécanisme même du rabais est modifié. Et il l'est profondément et durablement. Cela conduira le Royaume-Uni à payer sa part des coûts de l'élargissement. En effet, le rabais britannique sera désormais calculé sur la base d'un budget dont seront retranchées les dépenses d'élargissement, à l'exception de celles qui concernent la PAC ? "marché" et une partie du FEOGA. L'assiette de calcul du rabais britannique étant moins large, il en résultera une réduction de son montant. Cette disposition sera progressivement mise en ?uvre au cours de la période 2007-2013, ce qui représentera une réduction totale du chèque britannique de 10,5 milliards d'euros. Ce dispositif sera permanent et vaudra aussi pour l'avenir : la participation britannique au financement de l'élargissement est ainsi un acquis définitif, qui perdurera au-delà de 2013. Vous le voyez, nous sommes loin de la contribution temporaire, forfaitaire et "pour solde de tout compte" que les Britanniques proposaient il y a quelques jours à peine.
Ce budget assure donc le financement de l'Union ; il l'assure d'une façon équitable par la modification du rabais britannique. Mais ce budget respecte aussi les intérêts français : c'est vrai pour la PAC, je l'ai souligné, mais aussi en ce qui concerne nos retours estimés pour les actions structurelles "objectif 2", qui seront importants - autour de 9 milliards sur la période.
Au total, nos intérêts budgétaires nationaux sont respectés  : avec un budget à 1,045 % du PIB de l'Union européenne, la contribution française restera celle que nous avions acceptée en juin, autour de 135 milliards sur la période. Logiquement, notre solde net, c'est à dire la différence entre ce que nous recevons et ce que nous payons, se dégradera puisque le budget auquel nous contribuons augmente. Il atteindra, en fin de période, 0,37 % du RNB. Il est normal, dans un budget en augmentation, que les contributeurs soient conduits à contribuer davantage et nous nous retrouverons ainsi dans une situation proche de celle de partenaires comparables, Italie, Suède, Autriche, Royaume-Uni, Pays-Bas et légèrement mieux lotis que l'Allemagne. Mais je crois que nous sommes d'accord pour considérer que cette logique purement comptable ne reflète pas la réalité de la construction européenne, et même pas sa logique économique, en réalité.
L'accord contient par ailleurs une clause de rendez-vous qui nous convient : la Commission devra ainsi remettre un rapport en 2008-2009 sur la structure des dépenses et des recettes pour l'après 2013. Ceci n'emporte toutefois aucune obligation ni aucune date pour une éventuelle réforme des perspectives financières avant 2013. Si des décisions devaient être prises, elles le seraient de toute façon à l'unanimité. En revanche cette clause permettra d'engager la nécessaire réflexion sur la structure du budget et, si le Conseil le souhaite, de prendre des décisions d'ici 2013, applicables après 2013.
Je voudrais insister sur le rôle que notre pays, et en premier lieu le président de la République, a joué au cours de ces négociations. Il ressortait de tous les entretiens du président de la République, auxquels j'ai participé avec Philippe Douste-Blazy, que l'action de la France, tant en amont du Conseil qu'au cours de celui-ci, a été décisive. C'est en réalité l'entente franco-allemande qui a permis d'avancer vers un accord. Elle a été excellente en tous points. Et nous avons avancé main dans la main tout au long de ces négociations difficiles et longues. Ainsi, les propositions que nous avons faites, conjointement avec l'Allemagne, ont porté tant sur l'augmentation du volume du budget que sur la correction du "chèque" britannique. Elles ont permis de contribuer à dégager un consensus et finalement un accord car nous avons pu recueillir le soutien de nombreux pays, notamment l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg ou l'Autriche mais aussi la Pologne, avec laquelle l'entente et la concertation furent excellentes, et les nouveaux Etats membres. Tout au long de la négociation, nous avons aussi maintenu le contact avec le président de la Commission et la commissaire au Budget. Je crois que c'était la bonne méthode de travail.

Permettez-moi encore deux précisions sur ces négociations budgétaires :

  • le président de la République a demandé et obtenu en toute fin de négociation une allocation supplémentaire de 100 millions d'euros pour tenir compte de la situation spécifique de deux régions françaises, la Corse (30) et le Hainaut français (70). Cette prise en compte était très attendue par les collectivités concernées. Elle a été légitimement satisfaite.
  • Enfin, à la faveur de plusieurs entretiens informels avec la chancelière fédérale allemande et l'appui du Luxembourg, j'ai pu négocier une nouvelle clé de répartition pour le FED. Notre taux de contribution au Fonds européen de développement (FED), anormalement élevé aujourd'hui (24,30%), sera abaissé de près de cinq points. Il passera ainsi à 19,55%, ce qui représente une économie d'1 milliard d'euros pour notre budget sur l'ensemble de la période. C'est loin d'être négligeable. De plus, cet accord a permis l'adoption du FED, soit 22 milliards d'euros pour les pays ACP, et ceci au moment où l'Union se dotait d'une stratégie sur l'Afrique.

II - Autres sujets du Conseil européen

  • 1) Ancienne République de Macédoine (ARYM)

Lors du CAG du 12 décembre, nous avions indiqué à nos partenaires que nous estimions inopportun de reconnaître à l'ARYM le statut de candidat sans débat préalable sur la stratégie d'élargissement dans son ensemble. Un premier débat avait eu lieu lors de ce CAG, et un autre débat est prévu en 2006 entre les chefs d'Etat ou de gouvernement.
Au cours du Conseil européen, nous avons conditionné l'ouverture de négociations avec l'ARYM de façon précise - le texte est à votre disposition. L'Union ne peut pas se lancer sans débat et sans réflexion approfondie dans une nouvelle vague d'élargissement. Par ailleurs, le Conseil européen a confirmé la tenue en 2006 d'un débat général sur ce sujet.
Dans ces conditions, aucune raison ne justifiait de s'opposer à la reconnaissance du statut de candidat à l'ARYM. Il s'agit d'un geste politique important et utile pour la stabilisation des Balkans.

  • 2) TVA

Sur ce sujet, il n'y avait pas de consensus et il a donc été décidé de poursuivre lors du Conseil ECOFIN du 24 janvier.
Sur le fond, le Premier ministre a rappelé hier encore la détermination du gouvernement à obtenir un accord global traitant à la fois des taux réduits pour le bâtiment et les services à domicile et des taux réduits pour la restauration.
*
Voilà ce que je souhaitais vous dire sur le Conseil européen, qui a aussi adopté deux documents, l'un sur le partenariat stratégique entre l'Union européenne et l'Afrique, et l'autre sur l'approche globale en matière de migrations.
L'année 2005 se termine de manière positive pour l'Europe : les chefs d'Etat ou de gouvernement se sont mis d'accord à Hampton Court sur les actions prioritaires à mener au niveau européen et l'Union a désormais un budget pour les mettre en oeuvre. Il y a encore quelques jours, certains pouvaient douter que tel serait le cas. C'est désormais chose faite et il faut s'en réjouir. Les conditions de la relance européenne sont désormais acquises. Il faut maintenant se mettre au travail pour faire avancer cette Europe à laquelle nous croyons.
Le président de la République a aussitôt souhaité que l'on passe à l'étape suivante, c'est-à-dire engager avec nos partenaires une réflexion. Vous pouvez compter sur la détermination du gouvernement à l'y aider.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 décembre 2005)