Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du Medef, à Europe 1 le 17 janvier 2001 sur la croissance économique, le chômage et les retraites.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - La France et l'Europe vont bien. L. Fabius prévoit moins 2 millions de chômeurs avant la fin 2001, les Français ont plutôt un bon moral. Comment est votre moral ?
- "Il est bon. La croissance reste soutenue, on pense que 2001 verra, surtout au second semestre, un léger affaiblissement, qui n'est pas forcément inquiétant. La conjoncture mondiale, évidemment, est moins solide puisque les Etats-Unis ralentissent, mais dans l'ensemble les entreprises tournent, il y a de la commande et le moral n'est pas mauvais."
Il faut donc éviter les prévisions pessimistes, les prophéties de malheur parce qu'on voit qu'il y a une vitalité française ?
- "Il y a une vitalité française. Nous avons tenu hier notre assemblée générale et nous nous sommes inscrits dans la France qui avance, la France qui marche, la France forte. Nous en sommes."
Mais alors, qui est la France qui freine ?
- "La France qui freine, ce sont tous ceux qui s'immobilisent et refusent de voir la nécessité d'adapter et de moderniser notre environnement et notamment notre environnement social."
Ou on a l'esprit Medef et on est un homme de progrès, de confiance dans l'avenir ou alors on ne l'est pas et on est perdu ?
- "On n'est pas perdu."
On est un réac et on est un archéo
- "On refuse de regarder le réel et, courageusement, de prendre les initiatives, d'ailleurs très modérées, qu'il faut pour adapter notre pays aux temps qui viennent."
Vous dites que les perspectives sont bonnes pour les chefs d'entreprise etc. Dans certains cas, on lit que bientôt les patrons pourraient faire appel à des immigrés.
- " J'ai lu cela avec stupeur, parce que c'est un sujet que nous n'avons jamais abordé. Il y a eu une étude d'une chambre de commerce qu'on nous attribue. C'est faux. Nous estimons qu'il y a 2 300 000 chômeurs dans notre pays, qu'il faut tout faire - et nous essayons de tout faire - pour qu'ils puissent retrouver vite du travail. C'est cela notre problème. La question de l'immigration ne se pose pas pour nous pour l'instant, nous ne l'avons jamais examinée."
La fin du chômage n'est plus un leurre ou une tricherie, ce n'est pas impossible.
- "Il y a une inversion démographique tout à fait claire et nette qui pèse d'ailleurs sur beaucoup de systèmes, dont bien entendu le système des retraites, et qui fait que nous allons avoir plus de retraités, moins d'actifs et donc probablement naturellement moins de chômage. D'où la nécessité d'avoir des systèmes d'adaptation de chômage meilleurs pour le retour à l'emploi, d'où la nécessité d'avoir une meilleure formation professionnelle, donc de se mettre en mouvement sur la modernisation de notre système social."
Dans un tel climat, pourquoi le Medef choisit-il à propos des retraites complémentaires l'épreuve de force ou la provocation ?
- "Nous n'avons rien choisi du tout. Nous avons mis, depuis plus d'un an maintenant, à l'étude avec les syndicats la solution des problèmes posés à la retraite complémentaire dont nous avons la charge, les syndicats et nous-mêmes, puisque c'est paritaire. Nous avons proposé ce qu'on a proposé partout en Europe, c'est-à-dire en fait d'allonger très très progressivement la durée des cotisations à partir de 2004, de telle manière qu'en 2010, c'est vrai, on travaille un trimestre de plus pour avoir une retraite à 100 %. Tout ceci n'est aucunement de la provocation, c'est du bon sens."
Que vous êtes modeste ce matin, comme disait Raminagrobis ! Vous dites "nous sommes gentils", mais vous dites aux syndicats "ou bien vous acceptez nos propositions, l'allongement de la durée des cotisations, ou alors pas de négociations". C'est un peu le dialogue à la matraque.
- "C'est un langage syndical un peu extrémiste. Disons simplement que nous avons mis sur la table des propositions, les syndicats refusent de les considérer, ils préfèrent la rupture, ils préfèrent descendre dans la rue, faire des manifestations, ce qui ne nous impressionne en rien. On se trompe de méthode : on fait cela contre un Gouvernement, si on veut l'impressionner à cause d'élections. Ce n'est pas la peine d'aller dans la rue pour modifier le point de vue de gens qui gèrent un système de retraite de manière paritaire. Je ne vois pas très bien à quoi cela sert, surtout si ce sont des fonctionnaires qui descendent dans la rue puisque, paraît-il, c'est eux qui se mobilisent, ce qui est quand même bien le comble !"
Vous avez noté, M. Seillière, qu'il y a les syndicats mais il y a aussi le PC et il y a aussi le Parti socialiste. On les imagine mal défiler contre le Gouvernement !
- "Cela nous impressionne encore moins. "
Défiler contre leur gouvernement.
- "On a déjà entendu à nombreuses reprises des forces politiques s'affirmer contre le Medef, cela ne change rien. Nous sommes dans le réel, nous avons des responsabilités de gestion des systèmes, nous proposons de les moderniser de façon Regardez sur l'assurance-chômage : tout le monde a poussé des hauts cris et puis tout le monde y est venu, les syndicats ont signé, le Gouvernement a accepté et l'opinion publique s'est convaincue. Sur la retraite"
Mais vous avez fini par faire des concessions à votre ami L. Jospin le moment venu.
- "Ce n'est pas du tout impossible que nous soyons amenés à faire des concessions, mais à condition bien entendu qu'on veuille bien regarder les choses. Qu'est-ce que proposent les syndicats actuellement ? Rien, sauf de reporter de deux ou trois ans l'ouverture des discussions. Ils s'alignent sur la position du Gouvernement, qui se refuse à faire quoi que ce soit par peur de traiter le problème. Nous, les entrepreneurs, nous sommes évidemment dans un autre rôle. "
Vous dites "l'immobilisme ou le statu quo"?
- "Le statu quo, il n'en est pas question. Nous avons des responsabilités de gestion - nous sommes des gestionnaires -, des responsabilités financières : mettons-nous, encore une fois, très modérément en route pour adapter les choses pour qu'elles puissent durer. Il y a beaucoup de désinformation dans notre affaire. On donne à penser que tous les retraités sont menacés ; tous les retraités de France, les Françaises et les Français à la retraite aujourd'hui n'ont aucun souci à se faire, rien n'est modifié. C'est à partir de 2004, pour ceux qui viendront à la retraite, qu'on travaillera un trimestre de plus pour avoir une retraite pleine. Tout ceci n'affole personne. Ce qu'on nous propose souvent, c'est de faire peser par des cotisations nouvelles sur les jeunes, sur les salariés au travail plus de prélèvements pour pouvoir financer la retraite des anciens ; je crois que cela n'est pas raisonnable."
La convention qui fonctionnait ne s'arrête pas au 31 décembre, elle s'arrêtera sur les retraites complémentaires qui seront payées, si je vous comprends bien, jusqu'au 31 mars 2001.
- "Tout à fait ! Pour ceux qui vont prendre leur retraite maintenant, entre le 1er janvier et le 1er avril, il n'y a aucun changement. C'est seulement à partir du 1er avril, si les syndicats ont toujours leur position de refus de venir discuter avec nous sur la base de nos propositions, qu'il y aurait alors des abattements. Mais on nous dit que l'Etat s'intéresserait à ce moment-là à la question. Je vous le dis clairement : nous donnerons volontiers les clés de l'ensemble du système à madame Guigou si c'est pour le conduire vers l'échec. Dans une voiture quand on va dans le mur, on propose nous de modifier la trajectoire pour éviter le mur ; si tout le monde veut qu'on aille dans le mur, nous descendrons de la voiture et nous installerons madame Guigou au volant."
Mme Guigou a dit avant-hier "Que le Medef prenne ses responsabilités ! Si le 31 mars ou le 1er avril il ne l'a pas fait, le Gouvernement prendra ses responsabilités.".
- "Nous lui donnerons très volontiers les clés du régime de retraite complémentaire ce jour-là et bonne chance !"
Au fond, pour beaucoup, il y a derrière votre attitude le fait que pour vous la retraite à soixante ans c'est moins un droit et un acquis social qu'un vieux slogan élimé à faire disparaître de la société.
- "Il y a eu une époque, qui a duré vingt ans, de 1983 à 2003, où on a inscrit la retraite à soixante ans comme un droit et un principe. En même temps d'ailleurs, je vous signale qu'on a fait toutes les nationalisations. Depuis on privatise, la gauche privatise, le Parti socialiste privatise : c'est la même chose pour la retraite à soixante ans. Cela a duré vingt ans et dans les vingt ans qui viennent, il faut très très lentement, comme tous les syndicalismes d'Europe - je recommande à tous nos amis syndicalistes de téléphoner au Danemark, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre, tous leurs camarades leur diront "nous avons négocié sur la base de choses identiques aux propositions du Medef""
Mais avec un patronat plutôt souple, qui fait des concessions.
- "Avec un patronat qui avait en face de lui des interlocuteurs responsables et qui ont discuté sur des discussions et des propositions raisonnables. "
Parce que vous donnez l'impression au Medef que vous voulez refonder le social mais à coups de chantage, de coups de butoir, de secousses.
- "C'est comme cela qu'on présente ce qu'on appelle des positions de négociations normalement. C'est un langage syndical"
Cela peut être un argument pour faire bouger la société quand elle est un peu
- "Nous avons des responsabilités, nous proposons de façon très raisonnable, dans le cadre de la refondation sociale, de se mettre en discussion. Nous l'avons fait sur l'assurance-chômage, nous avons réussi, encore que là aussi on avait protesté, parlé de caractère inacceptable et de chantage. Tout le monde y est venu. Sur la retraite, je pense que tout le monde y viendra aussi."
Surtout que vous avez d'autres chantiers que vous annoncez : l'assurance-maladie, la famille, l'égalité homme/femme, les questions relatives aux cadres, la formation sociale, la formation professionnelle. Est-ce que les rendez-vous électoraux ne sont pas en train de vous donner à la fois peut-être de l'inspiration, des ailes et de l'espace ?
- "Les rendez-vous électoraux ne jouent aucun rôle dans nos affaires. La seule chose qui est très importante, c'est que les propositions que nous faisons mettent en débat des sujets fondamentaux pour la société française et pour tout un chacun, qu'on n'a pas le droit d'éviter de regarder. Je crois qu'il n'y a pas de pire attitude que celle qui actuellement, comme l'autruche, consiste à se détourner de la réalité et à dire "Ne regardons pas les choses, ne faisons rien". Nous les entrepreneurs, nous sommes dans notre rôle en agissant et en créant le débat."
Il y a des autruches à gauche, il y a des autruches à droite ?
- "Des autruches partout mais il n'y en a pas dans le patronat français."
Je voudrais quand même un mot sur Danone. Il y a une tradition sociale chez les Riboud mais la concurrence mondiale oblige parfois peut-être à des décisions douloureuses. Qu'est-ce qui est en train de se passer ? Est-ce que pour vous comme pour B. Thibault de la CGT, Danone égale Michelin ?
- "Qu'est-ce que vous voulez, ce sont des rapprochements qui concernent M. Thibault ! Ce qui est exact, c'est que Danone qui a une très forte réputation d'entreprise sociale avec un patron qui a été très emblématique, qu'on a toujours présenté comme un patron de gauche - tout ceci ne n'importe pas mais je le dis en passant-, se trouve confronté du fait de la concurrence mondiale aux mêmes nécessités que tout un chacun. Donc, il fait son travail d'entrepreneur, il le fait d'ailleurs de façon parfaite. Il y aura bien entendu là l'environnement social total, comme d'ailleurs dans le cas de Michelin, mis en place de façon à ce que ces choses-là se passent dans les droits de chacun. Mais que voulez-vous ? Il y a un marché mondial, il y a une globalisation, ce sont des choses que les entrepreneurs français ne peuvent pas ignorer."
(Source http://www,medef.fr, le 14 janvier 2003)