Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF, sur la loi de 1905 sur la séparation entre les Eglises et l'Etat, à Blois le 17 octobre 2005.

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Circonstance : 8e Rendez-vous de l'Histoire, sur le thème "1905-2005 : notre laïcité à l'épreuve du siècle", à Blois le 17 octobre 2005

Texte intégral

Je veux dire aujourd'hui le caractère fondamental pour notre démocratie de la laïcité. Et c'est en tant que responsable politique, chrétien et engagé dans la défense de la laïcité que je le fais.
Que l'on me permette de remonter dans le temps. J'ai beaucoup étudié la période des guerres de religion, celle d'Henri IV et de l'Edit de Nantes, celle de cette évolution de la société française qui a conduit à sa révocation. Cette révocation s'est d'ailleurs faite dans une ambiance d'euphorie collective, d'applaudissement général de ce que la France comptait alors d'intellectuels...
Et pourtant, exactement à l'image de la déclaration des droits de l'homme, exactement à l'image de la loi de 1905, l'Edit de Nantes avait instauré une autonomie de l'espace religieux par rapport à l'espace public, : il posait en effet l'égalité de tous dans la société civile, quelle que soit sa religion. Quelle que soit leur religion, les sujets du Royaume devenaient égaux face aux charges publiques. Et des juridictions furent même établies, qui garantissaient l'esprit de la loi.
On peut d'ailleurs constater que l'Edit de Nantes établit en France le catholicisme comme religion d'état et donne des droits au protestantisme, et qu'en même temps, Henri IV, également roi de Navarre, prend un édit symétrique dans le Béarn, qui reconnaît le protestantisme comme religion d'Etat et donne des droits au catholicisme. En révoquant l'Edit de Nantes, Louis XIV veut lui rétablir de force une homogénéité religieuse et civique de la société française. Malheureuse décision... Décision qui selon moi, sera d'ailleurs une des causes de la Révolution française.
Ainsi, la laïcité établit une autonomie des différents ordres, dont la pluralité fait la société française. Le politique a son autonomie, le religieux a son autonomie. Et cette autonomisation des deux ordres principaux ?César d'un côté, Dieu de l'autre- est fondatrice de notre société, parce qu'elle porte en elle toutes les autres autonomies : autonomie des syndicats, autonomie des entreprises et de la vie économique, autonomie des associations. Et ainsi la loi de 1901 sur les associations est à inscrire dans le même mouvement historique que celle de 1905. C'est en fait de l'architecture de nos sociétés contemporaines démocratiques dont il est question. Ainsi la laïcité n'est pas qu'un aspect de la démocratie, mais son centre même.
Centre de la démocratie, liée à la conscience nationale et en même temps liée à l'intimité des êtres, la laïcité est donc un sujet explosif. De la nitroglycérine...
Je voudrais ainsi revenir sur deux expériences que j'ai connues lorsque j'étais ministre de l'éducation nationale.
La première est la révision de la loi Falloux. Je voyais que l'état immobilier des écoles privées était dans un très grave état, en particulier les écoles primaires. L'Etat payait déjà les instituteurs et les professeurs du privé. Je pensais qu'il était logique d'autoriser les collectivités locales à intervenir sur cet immobilier, que tout se passerait bien... Tout ne s'est pas très bien passé... On se souvient peut-être les quelques manifestations de janvier 1994... J'avais en effet bien secoué une bouteille de nitroglycérine. Et j'avais appris une chose : ce n'est pas parce que les gens n'en parlent pas que cette question n'est pas au c?ur de la conscience et de l'inconscience de la France.
La deuxième expérience fut l'affaire du voile. On se souvient des trois étapes de cette affaire : le premier fut l'avis rendu par le Conseil d'Etat à la demande de Lionel Jospin. La deuxième est ma circulaire, qui va plus loin, et interdit les signes ostentatoires au sein des écoles. La troisième est la loi.
Je me suis abstenu. Il y a de très belles analyses de Monique Canto-Sperber qui montrent que cette affaire de discipline dans les écoles n'est pas une question de loi. J'ai suivi la même ligne. Je suis évidemment heureux de la manière plutôt apaisée dont s'est déroulée la rentrée. Mais il reste que les problèmes renaîtront sans doute. L'exclusion récente des jeunes sikhs en est un indice. Je pense qu'une démarche rectorale plus souple, plus réglementaire, et qui ne laissait pas les chefs d'établissement en première ligne, aurait pu être initiée.

Ces deux exemples montrent en tout cas comme le sujet est explosif. Comme il ne peut être instrumentalisé. Et c'est toute la question de la révision, ou pas, de la loi de 1905.
Rien, à mes yeux, ne la justifie.
La question du financement des cultes ? A y regarder de près, la loi de 1905 donne des possibilités. Et d'ailleurs il n'y a pas une collectivité locale qui ne finance aujourd'hui les lieux de cultes.
La question de l'islam ? On nous dit en effet que ce serait la principale raison d'une modification de la loi de 1905. Je veux le dire clairement : vouloir faire naître un « islam de France, qui ne soit pas un islam en France », c'est une formule du temps du concordat. Qu'il garantisse son exercice, oui, c'est le sens de la loi de 1905. Mais si l'on reste dans la perspective d'une autonomie des ordres, je ne vois pas comment un Etat démocratique moderne puisse légitimement organiser une religion, comme par exemple former les imams. L'Etat n'a pas à sous-traiter l'espoir par les religions. Ou bien gare à l'explosion... Car l'espoir des citoyens, dans quelque quartier que ce soit, est de la responsabilité de la république.
Gardons-nous donc d'être des apprentis sorciers. Il y a en vérité une grande richesse dans cette autonomisation entre l'Etat et la religion. Richesse pour l'Etat, comme on l'a vu, mais aussi richesse pour la religion. Celle-ci quitte l'ordre de la charge sociale, pour entrer dans celui de l'adhésion personnelle. Cette dimension intime est alors plus juste, plus profonde pour ceux qui souhaitent et consentent à y entrer. Elle donne à l'engagement religieux une authenticité personnelle qu'il n'y avait pas avant.